Lettre d'information

La revue  " La Maison-Dieu "
Numéro 267 : Approches historiques nouvelles

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Edito : Approches historiques nouvelles

LIMINAIRE

La Maison-Dieu a donné récemment une large place à la recherche internationale en science liturgique. C’est ainsi que les derniers numéros comportent des contributions venant de quatre aires linguistiques : en anglais et en flamand avec les contributions du liturgiste Philippin Anscar J. Chupungco et du théologien de Leuven Joris Geldhof, sur l’inculturation et les enjeux philosophiques de l’année liturgique (n° 263), allemande, avec notamment celui du Pr. Harald Büchinger de Ratisbonne sur l’histoire de l’année liturgique (n° 264), et enfin italienne, à travers la contribution du P. Silvano Maggiani (Marianum, Rome) sur la notion de mystère dans sa relation au culte marial (n° 266). Par ailleurs, les recensions ouvrent largement les colonnes de la revue aux publications étrangères.

La présente livraison est, en revanche, centrée sur la recherche en France, tout en se présentant dans le prolongement du travail inauguré par la première livraison de cette année 2011. Sous le titre « Liturgie et mission », la démarche du numéro 265 était marquée par une sorte de « retour aux sources ». La visée était, avant tout, d’approfondir et de mieux fonder théologiquement la place de la liturgie dans la proposition de la foi aujourd’hui. La Maison Dieu doit en effet contribuer à éclairer les axes d’une théologie et d’une mystagogie de la liturgie pour ce début de 3e millénaire, un temps que les sociologues qualifient souvent, comme entrée dans la « post-modernité ».

On peut noter ici que la liturgie en elle-même, n’est ni « antique », ni « médiévale », ni « moderne », ni « post-moderne ». Mais parce qu’elle est un ensemble de pratiques rituelles, héritées en partie du judaïsme, et en partie de la culture gréco-latine de l’Antiquité tardive qui a servi de berceau à l’élaboration des formes liturgiques chrétiennes durant les huit premiers siècles, elle procède à la fois de la synthèse et du métissage, qui lui confèrent un statut d’édifice culturel spécifique. Plus encore ses fondations se trouvent dans l’Écriture elle-même. Et dès lors, aussi bien les textes que les rites, sont tissés d’influences multiples et parfois contradictoires, qui constituent autant de potentialités, lorsque cet héritage multiforme rencontre de nouvelles situations.

La « question liturgique » à laquelle le Mouvement Liturgique a accordé toute son attention, n’est donc pas close et ne peut pas l’être. Si elle a pris une certaine forme dans la modernité, en raison du décentrement provoqué par l’émergence du sujet, il est clair qu’elle prend de nouveaux traits dans une post-modernité qui radicalise l’anthropocentrisme en mettant à mal les identités et les appartenances, en s’écartant du personnalisme rationnel, et en ouvrantĮa porte à une refonte radicale du lien social, par l’émergence de formes nouvelles de "tribalisme", qui s’appuient sur une inflation de l’émotionnel.

La contribution de La Maison Dieu à l’essor apostolique de l’Église de France, à la sortie de la deuxième guerre mondiale, comporte un aspect caractéristique qui préparait déjà sans le savoir, l’œuvre de Vatican II. L’intérêt pour les « sources » liturgiques dans les articles de la première époque de la revue, était guidé par le souci passionné de l’annonce de l’Évangile, dans un monde qui sortait profondément bouleversé par la deuxième guerre mondiale. La notion de « pastorale liturgique », sert alors de véritable « bannière » et le sous-titre « Cahiers de Pastorale Liturgique », tient lieu de programme tout en désignant la revue comme organe du jeune Centre de Pastorale Liturgique (CPL, 1943). Mais cet accent cache une passion pour une compréhension renouvelée de l’héritage complexe de la « liturgie ».

A l’intérieur du grand renouveau théologique de cette époque charnière, cette nouvelle approche des sources a édifié la revue en chambre d’écho pour des contributions décisives qui ont transformé les regards. Il suffit ici d’évoquer des ouvrages comme Corpus Mysticum de Henri de Lubac (1944), Le Mystère pascal de Louis Bouyer (1945) ou encore Bible et liturgie de Jean Daniélou (1951), mais il faudrait en citer encore bien d’autres. La relecture des sources, avec la mise en œuvre de nouveaux points de vue et de nouvelles méthodes, a suscité une réelle fécondité parce qu’elle rencontrait une situation pastorale nouvelle, dont les acteurs du CPL avaient parfois découvert les caractéristiques dans les tribulations de la guerre.

Dès ses premiers numéros, La Maison-Dieu évoquait ainsi des questions comme la Veillée pascale, la concélébration ou le catéchuménat : la recherche fondamentale permettait ainsi d’ouvrir à nouveau les trésors enfouis de la tradition en vue de découvrir les ressources nécessaires pour faire face aux besoins du temps. Ainsi apparaissait la volonté d’inspirer un va-et-vient entre recherche et pastorale, un dialogue qui doit être permanent pour que d’une part, la pastorale ne se fourvoie pas dans une sorte de quête éperdue de solutions « à bon marché », et que d’autre part, la recherche ne s’enlise dans une érudition qui se suffirait à elle-même.

C’est dans cette ligne que se place le présent numéro. Sous le titre « Approches historiques nouvelles », il entend proposer le fruit de recherches récentes dans le domaine des études patristiques et de l’histoire de la liturgie.

Le P. François Cassingena-Trévedy, spécialiste reconnu de St Ephrem dont il publie les œuvres dans la collection Sources Chrétiennes, propose une sorte de parcours initiatique dans l’Antiquité tardive, en s’intéressant à la traduction comme phénomène culturel caractéristique de cette grande époque. Ce qu’il met en évidence est décisif, à l’horizon de ce que nous avons vu plus haut. En montrant comment la traduction est un jeu de dialogue complexe entre les mots, les genres, mais aussi les traductions elles-mêmes, il souligne que la liturgie comme figure culturelle, se nourrit de cette dimension fondamentale de toute culture.

De ceci, on peut déduire une hypothèse de travail. La liturgie est traduction et d’abord celle des Écritures elles-mêmes. Il y a non seulement des traductions de la Bible à l’usage de la liturgie, mais la liturgie traduit en actions rituelles le donné scripturaire. Plus encore, elle est par elle-même une œuvre de traduction car toute célébration résulte de la mise en œuvre des livres liturgiques. On n’a pas assez souligné combien la célébration en langue vernaculaire, loin d’effacer cette question, en soulignait au contraire radicalement la portée. Car il s’agit d’offrir sans cesse à un temps donné, un héritage culturel complexe, qui est en même temps un chemin, dans lequel le croyant s’engage à la rencontre de son Seigneur. En d’autres termes, et grâce au dépaysement qu’opère ce genre d’investigation, cet article ouvre un champ de recherches sur ce qui se vit aujourd’hui dans un monde en évolution accélérée.

Frédérique Poulet, qui vient d’achever une thèse sur la relation entre Eucharistie et théodicée, apporte quant à elle, un regard neuf sur une célébration, celle du Jeudi Saint, et plus précisément sur sa forme à la fin du IVe siècle à Jérusalem. Le récit d’Égérie semble indiquer l’existence de deux célébrations eucharistiques consécutives le jeudi soir au Golgotha (Journal de voyage, ch. 36). Grâce à la conjugaison entre un regard attentif sur le déroulement rituel et une analyse lexicale précise, F. Poulet démontre qu’il n’y avait qu’une seule célébration, mais qui comportait un déplacement pour le rite de communion. La communion était reçue sur le lieu de la croix, à la fin de la célébration qui se déroulait au Martyrium. Mais cette attention à un dossier historique qui pourrait sembler lointain, permet surtout à Frédérique Poulet de montrer comment la célébration du Jeudi Saint renvoie à la question, si contemporaine, du mystère d’iniquité et du sens de la liturgie face au mal.

Pawel Sambor, franciscain polonais, qui poursuit des études de doctorat à l’Institut Catholique de Paris, propose un regard sur la théologie augustinienne du baptême qui procède d’une conversion méthodologique. Alors que l’enseignement de l’évêque d’Hippone sur le baptême, est abordé avant tout à partir des disputes avec les donatistes et les pélagiens, et donc en lien avec l’émergence de la doctrine du péché originel, le P. Sambor concentre le regard sur les Traités sur l’Évangile de St Jean. C’est donc, en dehors des contextes polémiques, à un Augustin lecteur des Écritures que s’intéresse l’article. Ce déplacement met en lumière le baptême comme sacrement de guérison. Ce thème, que plus tard, reprendront largement certains auteurs médiévaux tels Pierre Lombard et Saint Bonaventure, a l’intérêt de rejoindre une requête contemporaine qui s’exprime par exemple à travers la question : en quoi les sacrements changent-ils quelque chose dans la vie de celui qui les reçoit.

Si l’on devait prendre une métaphore sportive, on pourrait qualifier la contribution de Jean-Yves Hameline comme une réalité « hors-catégorie ». On peut, en effet, l’aborder avec plusieurs clés de lecture. En premier lieu, il s’agit d’une grande note de lecture sur une histoire de la Messe à l’époque moderne, publiée en 2010 aux Editions du CNRS, par l’historien Philippe Martin (Le Théâtre divin, Une histoire de la messe du XVIème au XXème siècle), un ouvrage présenté par l’éditeur comme « une fresque passionnante, souvent surprenante, pour comprendre une pratique qui se confond avec l’identité de la France ». En second lieu, avec la remarquable connaissance de cette période qu’on lui connaît, J.-Y. Hameline pointe une série de questions historiques ou théologiques que Ph. Martin a dû aborder : sous forme de notes et de commentaires marginaux, l’article se présente donc comme une contribution à l’histoire de la Messe à l’époque moderne. Enfin et, nous aurions envie de dire surtout, la dimension critique de l’article propose une réflexion méthodologique sur la manière de traiter de tels sujets. A ce titre, le P. Hameline offre aux jeunes historiens de la liturgie, une sorte de mémorandum pour servir à l’étude des pratiques liturgiques. On ne saurait trop remercier les deux auteurs, celui de l’article et celui du livre pour leur apport direct et indirect à ce numéro. L’enjeu actuel de ces réflexions historiques n’échappera à personne, dans un temps où l’Église catholique connaît l’existence de deux formes du rite romain, dont l’une et l’autre (et pas seulement le Missel de 1962) sont issues de la tradition bi-millénaire de la célébration eucharistique, sans cesse reçue et transmise à nouveaux frais.

Enfin, parce que cette livraison met en évidence quelques aspects de la recherche française, on trouvera en contre-point, l’expression d’un observateur étranger : en expliquant aux francophones, « les raisons pour lesquelles les Américains apprécient Louis-Marie Chauvet », le P. Bruce Morrill, jésuite américain, connu pour ses travaux sur la relation entre liturgie et éthique, fait œuvre originale de passeur. Il aide à comprendre ce que les francophones ne peuvent percevoir eux-mêmes. La recherche scientifique est toujours tributaire des conditions de sa réalisation : et pour ce qui est de la science liturgique en France, elle est marquée par la situation spécifique de l’Église de France, par ses questionnements, mais aussi par la visée qui consiste à conjuguer souci pastoral et réflexion théologique fondamentale. On peut saluer ici l’œuvre de Louis-Marie Chauvet, un chercheur qui témoigne de cette quête à travers son engagement de théologien des sacrements au service d’une pastorale pertinente dans le monde contemporain.

Ce numéro de la revue vient donc à point, au moment où face à la crise multiforme qui secoue à la fois les sociétés et l’Église, les solutions proposées semblent rapidement perdre leur pertinence et parfois même disparaître dans le rythme haletant des évolutions contemporaines. Dans un temps de grandes transformations, l’histoire est une science qui est source d’espérance. A condition de ne pas entretenir de fausses nostalgies, et d’éviter les anachronismes qui empêchent de comprendre vraiment, elle indique moins les chemins du passé que ce qui peut nous faire tenir dans le présent.

F. Patrick PRETOT

SOMMAIRE

- François Cassingena-Trévedy

Le phénomène de la traduction dans la culture et le monde antique

Si l’on considère le phénomène de la traduction dans la culture et le monde antique, un jeu de dialogue apparaît comme structurant une expérience à jamais complexe.

- Frédéric Poulet

Le jeudi saint dans le Journal d’Egérie. Une unique célébration eucharistique au Martyrium et à la Croix

La célébration du jeudi saint à Jérusalem au IVème siècle comportait un déplacement de l’assemblée pour la communion auprès de la croix du Golgotha : cet aspect topographique de la célébration est riche de sens pour une compréhension de l’Eucharistie comme mémorial du mystère pascal.

- Pawel Sambor

Le baptême comme guérison, dans les Traités sur l’Evangile de Jean de saint Augustin

Dans les Traités sur l’Evangile de Jean, Augustin aborde le baptême comme sacrement de la guérison, collyre qui guérit l’homme de la cécité du péché pour l’ouvrir à la Lumière de la Vérité qui est le Christ.

- Jean-Yves Hameline

Sur l’histoire de la messe à l’époque moderne. A propos d’un ouvrage récent

L’ouvrage récent de Ph. Martin, le Théâtre divin, une histoire de la messe du XVIème siècle (2010) invite à une réflexion sur les perspectives , les approches et les méthodes de l’historiographie des pratiques liturgiques à l’époque moderne.

- Bruce T. Morrill

Les raisons pour lesquelles les Américains apprécient Louis-Marie Chauvet

L’oeuvre de Louis-Marie Chauvet influence grandement la théologie liturgique et sacramentaire aux Etats-Unis. En passant en revue la recherche récente en Amérique, l’auteur tend à faire comprendre aux lecteurs européens, pourquoi cette réflexion s’avère si fascinante pour les théologiens américains.

Les livres

Abstracts


> Les derniers numéros
- Numéro 282 Interpréter les textes liturgiques
- Numéro 281 Des rites funéraires en mutation (la Pâque du chrétien - La crémation au risque du corps)
- Numéro 280 Tables 2005 - 2014
- Numéro 279 Jean-Yves Hameline, Un théologien de l’action liturgique
- Numéro 278 La liturgie dans les cultures
- Numéro 277 Dynamique des réformes liturgiques
- Numéro 276 La part des moines
- Numéro 275 Deux anniversaires : 1943 - 1963
- Numéro 274 La demeure de la Parole
- Numéro 273 Le catéchuménat dans la nouvelle évangélisation
- Numéro 272 Noble beauté de la liturgie
- Numéro 271 Recherches sur le baptême
- Numéro 270 Louange et adoration
- Numéro 269 Questions de pastorale liturgique
- Numéro 268 Retour sur la réforme liturgique de Vatican II
- Numéro 267 Approches historiques nouvelles
- Numéro 266 Marie dans le mystère de l’Eglise
- Numéro 265 Liturgie et mission de l’Eglise
- Numéro 264 L’année liturgique II
- Numéro 263 L’année liturgique, Congrès de la Societas liturgica (Sydney, 2009)
- Numéro 262 Le signe de la croix
- Numéro 261 Rites et identité ecclésiale
- Numéro 260 1909-2009 Le Mouvement liturgique
- Numéro 259 Joseph Gélineau, serviteur de l’assemblée
- Numéro 258 Olivier Messiaen, les couleurs de la Parole
- Numéro 257 Les funérailles, entre tradition et modernité
- Numéro 256 A propos du Missel romain
- Numéro 255 En esprit et vérité
- Numéro 254 La liturgie dans l’espace public
- Numéro 253 Le culte de toute la vie
- Numéro 252 Littérature et liturgie, d’un art à l’autre
- Numéro 251 Chant, répertoire, mémoire
- Numéro 250 Le pardon, douceur de Dieu et solidarités humaines
- Numéro 249 Le ministère du diacre dans la liturgie
- Numéro 248 La liturgie des heures, prière des baptisés