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Couleur et couleurs dans le site cérémoniel

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Les écrivains liturgistes de l’Antiquité tardive et du Haut-Moyen Age, tels qu’Isidore de Séville, Raban Maur ou Amalaire de Metz, semblent avoir été beaucoup plus intéressés par le côté sensible des matériaux, des textures, des brillances, des lumières, que par la couleur ou les couleurs. Amalaire ne sépare pas la blancheur du lin de sa texture, de son pouvoir de vêtir, d’honorer le porteur, le site cérémoniel et la fonction sacrée. Reliance d’un support où se lit (et se lie) pour l’oeil instruit et sensible du disciple d’Alcuin, la continuité des Deux Testaments et l’horizon eschatologique de l’Apocalypse (1).

Au XVIIe siècle, on trouverait cette même orientation d’intérêt dans la manière dont André Félibien (par ailleurs considérable théoricien de la peinture avant Roger de Piles) rend compte des fêtes de Versailles en 1668 : un spectacle immensément coloré, en partie nocturne et pyrotechnique, est d’emblée saisi dans sa manifestation sensible de gloire diffuse, où les éléments, symphoniquement, composent et se prennent en charge. « Toutes ces figures, écrit-il, étaient de diverses couleurs, mais si brillantes et si belles que l’on ne pouvait dire si c’était différents métaux allumés ou des pierres de plusieurs couleurs qui fussent éclairées par un artifice inconnu ». Il ira jusqu’à forcer quelque peu la langue commune en parlant de « cent vases de diverses formes, allumés de différentes couleurs » (2).

Tout se passe comme si le déploiement d’une scène cérémonielle, à des niveaux assurément différents de solennisation, appuyait la configuration de son action et de ses acteurs sur une sorte de potentiel quasi musical des éléments sensibles, lestés de leur gravitation propre et de leur interaction dans une sorte de subliminalité prégnante : tel ce motif floral, ce galon d’argent, ce vitrail lointain, ces silhouettes parées, liés à un processus de focalisation mobile, jouant sur le près et le loin, sur la modulation dans le temps. La symbolique propre des couleurs, différenciées au prix d’une véritable abstraction, ne se constituerait que dans un second temps.

En cet état premier de la couleur impliquée, il est facile d’observer son lien à la manifestation de la solemnitas, à la qualification de ses ministres, à la participation des choses et du lieu lui-même à l’humeur de la fête, à la notoriété d’un Saint Patron et de ses reliques, ou dans le cadre d’un choix plus général, à la continuité d’un et hosreligieux ascétique, réservé ou magnificent. Religion des yeux à la recherche d’un appui pour une piété, un acquiescement d’Église, un deuil, une gloire, ouvrant dès lors sur une rhétorique pratique de la decentia et du decorum. Le Maître en ce point restait le Cicéron du De Officiis relayé pour les

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