Lettre d'information

De l’autel comme « seuil »

Dans un ouvrage sur la messe publié en allemand pendant la deuxième guerre mondiale (1), Romano Guardini, un des fondateurs du Mouvement Liturgique allemand, mettait en lumière deux figures de l’autel : « la table » (ch. IX), mais aussi « le seuil » (ch. VIII).

Que la table soit la figure fondamentale de l’autel, et cela parce que l’Eucharistie est le « repas du Seigneur », la théologie et les études liturgiques du XXe siècle ont repris et approfondi ce thème essentiel pour l’aménagement des églises et pour la conception de l’autel dans le cadre de la liturgie réformée selon les voeux du Concile Vatican II. Dans les lignes qui suivent, nous voudrions montrer la fécondité de la notion de « seuil » comme un autre visage de l’autel, que R. Guardini a manifesté et qui peut-être a été moins mis en lumière depuis lors.

La réflexion de R. Guardini s’inscrit dans un cheminement. Dans un précédent chapitre intitulé « Le lieu saint » (ch. VII), l’auteur fait une remarque éclairante : certes, dit-il, Dieu est partout et se donne à rencontrer bien au-delà des sanctuaires, mais le lieu saint est une modalité particulière pour Dieu d’être présent et cette modalité est essentielle à la liturgie. On objectera – et R. Guardini commence par là – que la célébration en dehors des églises peut ouvrir la liturgie à des significations inédites : on peut penser ici aux grands rassemblements comme les JMJ, mais aussi à des célébrations en prison en temps de persécution.

Dans tous ces cas, si l’ampleur ou la force évocatrice de ces célébrations souligne certains aspects du mystère célébré, c’est avant tout parce que le caractère extraordinaire du lieu renvoie en creux précisément au site habituel de la célébration qui est le lieu saint. En définitive, à la question de savoir en quoi l’église est-elle la « maison de Dieu », R. Guardini répond que c’est non seulement parce que l’église est devenue en quelque sorte la « propriété » de Dieu, en raison de l’affectation exclusive opérée par la célébration de la dédicace, mais surtout parce que l’église est le lieu où se réalise, dans et par la liturgie, la venue, l’habitation et « le passage du Seigneur ».

Nous sommes déjà au coeur du sujet : l’autel focalise ce « passage du Seigneur » que réalise la liturgie. Parler de l’autel comme seuil est donc intimement lié à la notion chrétienne de « lieu saint ». Pour que la table du Seigneur puisse apparaître comme telle, il faut d’abord entrer dans la célébration et pour cela entrer dans le lieu saint. C’est à travers une succession de porches que le fidèle se laisse déposséder de lui-même pour accueillir ce qui se donnera dans le repas eucharistique. On comprend mieux ainsi pourquoi R. Guardini place la figure du seuil avant même celle du repas

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