Lettre d'information

La revue  " La Maison-Dieu "
Numéro 259 : Joseph Gélineau, serviteur de l’assemblée

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SOMMAIRE

André HAQUIN

Au service des assemblées célébrantes : l’ecclésiologie de Joseph Gelineau.

De Joseph Gelineau, on ne connaît souvent que les compositions musicales. Or, s’appuyant sur la pensée de Vatican II, il a aussi développé une théologie de l’assemblée en tant que communauté célébrante.

Marie-Gérard DUBOIS

Le Père Gelineau à travers la Maison-Dieu.

Dès les débuts du CPL, qui deviendra CNPL après Vatican II, et de La Maison-Dieu, Joseph Gelineau a publié écrits et conférences sur le point précis du chant et de la musique dans la célébration chrétienne. Un parcours passionnant.

Sylvain CARON

Joseph Gelineau et Universa Laus : fondation et essor d’un réseau de musique liturgique (1961-1966).

L’association UL regroupe chaque été des musiciens, des compositeurs, des théologiens et des pasteurs, qui réfléchissent et partagent leurs expériences liturgiques. UL doit beaucoup à l’intuition et à l’énergie infatigable de Jospeh Gelineau.

Philippe ROBERT

Joseph Gelineau : la musique au service du rite et de la parole.

La musique sacrée sera d’autant plus sainte qu’elle aura des connexions plus étroites avec l’action liturgique, dit Vatican II. L’œuvre de Gelineau illustre magnifiquement l’orientation du Concile.

Martin J.M. Hoondert

L’actualité de l’œuvre du Père Joseph Gelineau.

Il revient au musicien de veiller à ce que la musique devienne effectivement rituelle. Cependant cette tâche diaconale ne se limite pas à la stricte célébration, surtout dans la culture contemporaine.

Patrick PRETOT

La prière des psaumes : service de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain.

Les psaumes demeurent un incessant chemin de conversion. L’itinéraire vers la sainteté n’est pas une prouesse individuelle, mais un exode communautaire assumant la totalité de l’expérience humaine.

Daniele SABAINO

Chanter l’A-Dieu. Chant, musique et funérailles chrétiennes dans l’histoire et dans l’actualité.

Le programme sonore médiéval consiste à accompagner rituellement l’exode pascal du défunt. In exitu Israel de Aegypto. Il s’agit toutefois d’un pèlerinage pascal : le rituel issu de Vatican II l’affirme clairement.

Gaétan BAILLARGEON

Mutation du contexte des funérailles dans les diocèses du Canada et question pour le programme rituel.

Cette contribution fait suite et complète celle parue dans le n. 257 de notre revue. Qu’advient-il du mystère pascal dans l’évolution contemporaines des pratiques funéraires ?

Guénolé LABEY GUIMARD

Comment saisir et comprendre l’évolution de la représentation de l’au-delà au sein du catholicisme contemporain.

A partir des chansons non-religieuses utilisées lors des funérailles se dessine un nouvel imaginaire de l’au-delà. Divers types d’eschatologie se font jour, qui ne sont pas sans rappeler l’une ou l’autre conception de l’Antiquité.

Chronique et livres

Edito : Joseph Gélineau, serviteur de l’assemblée

LIMINAIRE

Pythagore envisageait le nombre dans une perspective religieuse et mystique, libérant ainsi la mathématique d’une simple visée utilitaire et ouvrant la voie à une réflexion de sagesse. Remonte sans doute au sage de Crotone l’affirmation, que rapporte Aristote, selon laquelle toutes choses relèvent des nombres. Considérant l’accord musical, qui se laisse réduire à une proportion mathématique, il serait arrivé à l’idée que « les nombres sont pour ainsi dire le principe, la source et la racine de toutes choses ». La marche de l’univers suit l’harmonie du nombre. L’ « homme musical » est alors celui qui se met à l’écoute de l’harmonie universelle et qui, s’inspirant d’une telle harmonie, travaille à harmoniser son agir propre, et celui des autres – particulièrement les activités de la cité. Donc à les unifier. L’être humain se construit musicalement. Saint Augustin recueille la tradition antique de la philosophie du nombre dans son traité De musica (VI, 17) : « D’où viennent, je vous prie, toutes ces proportions [il parle du rythme qui scande la création], sinon de cette suprême et éternelle puissance des nombres, de la ressemblance, de l’égalité, de l’ordre ? »

Sagesse du nombre et du rythme, qui rejoint la tradition sanskrite du « rita », de la mise en ordre et de la structure du monde, et donc du rite . Antique sagesse qui habitait le petit Joseph quand, à l’âge de dix ans, il s’amusait à reconstituer tout seul, sur l’harmonium familial, le système des gammes majeures et mineures. Sagesse du rythme et du balancement qui, toute sa vie, le poussa à travailler l’art de la psalmodie : car la récitation balancée et même dansée des psaumes est « d’une grande puissance pour faire entrer tout l’être dans la prière », écrivait Joseph Gelineau dans son second traité de psalmodie. Le psaume « enseigne à régler la respiration, l’inspir et l’expir. Là où végète la vie, il rallume le désir. La où halète la colère, il installe la paix… » C’est un outil à ritualiser l’existence. Am Anfang war die Tat : la liturgie est d’abord un action rituelle. Gelineau avait profondément intégré ce fondement théologique : toute la musique qu’il a composée en dépend. Elle est un outil qui sert à déployer l’action mystérique, à la nombrer et à la poétiser.

Dans son livre sur Monseigneur Charles, Samuel Pruvot raconte qu’en 1954, l’abbé fondateur du Centre Richelieu, s’employait à développer chez les étudiants une authentique formation liturgique, appuyé en cela par le P. Louis Bouyer, et qu’il utilisait précisément les premières psalmodies du Pères Gelineau. Les « gélinades », comme certains dénommaient quelque peu ironiquement les psaumes parus en 1953. L’accès à la liturgie, et du même coup au chant en liturgie, passe par les psaumes : conseil déclencheur, prodigué en 1947 par A.-G. Martimort au jeune musicien jésuite et dont les générations de liturgistes postconciliaires n’ont cessé de vérifier la justesse et la profondeur. Accès au sens de la célébration à travers le travail qu’opère le psaume au sein de l’assemblée, mais en même temps chemin vers le sens de l’existence humaine. Fr. Patrick PRETOT le rappelle dans ce numéro : le psaume c’est l’homme dans tous ses états, devant Dieu et devant ses frères, dépouillé de tous ses masques et donc déjà converti.

Le sacrifice nuptial du son

A l’origine du monde, on peut imaginer le Son primordial, source de toutes les énergies expansées lors du Big Bang, ainsi que des structures vibratoires constituées par la suite. Un tel « son », à l’instar du Logos, se présente comme l’instigateur de toutes choses. Or le mouvement fondamental qui régit l’univers créé n’est-il pas le retour du « son » à la source incréée, d’où il fut proféré : mouvement qui, dans le Logos incarné, se fait action de grâce, sacrifice du son. « Le sacrifice du son est à la base de tous les cultes où il y a chant et musique », écrivait Gelineau dans un magnifique article paru en 1989 dans le numéro 222 de la revue Concilium. Le sacrificium laudis - du psaume 50 jusqu’à l’eucharistie chrétienne - s’accomplit paradoxalement dans le silence. Le chant apparaît alors dans sa nature ministérielle, comme un pédagogue et un mystagogue : il met sur la voie du sacrifice, il appelle, il introduit, il conduit jusqu’au moment où il s’abolit et s’efface. « La Parole en silence se consume pour nous » - chante l’hymne de Vendredi-saint musicalisée, entre autres, par Gelineau. « Toute musique s’arrête au seuil du tombeau vide, pure caisse de résonance, creusée pour une voix à venir… ». L’Eglise se tient alors dans l’attente du chant nouveau, l’Alléluia du Royaume. Je renvoie le lecteur à la contribution de Philippe ROBERT.

Le chant liturgique est d’essence mystagogique. Ceux qui l’organisent dans l’assemblée célébrante doivent faire preuve de vigilance pour ne pas dénaturer le chant de l’Epouse. « La musique d’Eglise doit se garder en permanence de multiples tentations… de vieux démons sont toujours là pour détourner l’acte sonore de sa juste fin. » On comprend les réticences des Pères à l’endroit de la musique dans le culte chrétien. Quel est donc le chant qui plaît à Dieu ? « La louange de Celui que l’on veut chanter, c’est le chanteur lui-même. Vous voulez dire les louanges de Dieu. Soyez ce que vous dites. Vous êtes sa louange, si vous vivez selon le bien. » (s. Augustin) Il est permis de critiquer la conception, parfois absolue, que Joseph Gelineau développait à l’endroit du munus ministeriale du chant en liturgie. Martin HOONDERT le fait dans ce numéro : de par sa tâche diaconale, le musicien d’église est nécessairement situé dans une culture et son système de significations. Il doit demeurer attentif aux changements de la « religiosité » contemporaine.

Dans l’acte de chant, l’ekklèsia, tout à la fois Epouse du Verbe et Vierge sage, éveillée par la voix de l’Epoux, se laisse conduire plus avant dans le mystère de Dieu et de l’intériorité humaine. « Viens du Liban, ô fiancée, fais ton entrée. » (Ct 4, 8) - dit le fiancé - « Viens ! Maranatha ! » - disent l’Esprit et l’Epouse (Ap 22, 17, 20). Le chant sied aux êtres de désir, ceux que le Père attire à Lui. Comme tous les rites de la liturgie, le chant appartient à l’ordre du Royaume, à ce qui est donné par surcroît - non necessitate sed delectatione. En 1995 Joseph Gelineau ressortait de ses tiroirs le Cantique des Cantiques, composition achevée quelques années plus tôt. Il s’agissait là d’une œuvre lyrique - une « liturgie chorale », dit le sous-titre – qui, bien que non située dans le cadre d’une célébration liturgique proprement dite, visait à désigner la dynamique de nuptialité et de désir qui traverse la célébration chrétienne. L’œuvre fut créée à l’Abbaye de St-Maurice (Suisse) en conclusion de l’habituelle grande session d’été.

Voix de l’assemblée, voix de l’Epouse

« Les exigences qui s’attachent à la musique rituelle chrétienne découlent de sa fin, qui est de manifester et réaliser l’homme nouveau en Jésus Christ. » Cette affirmation, tirée du Document Universa Laus I (1980), charte dont le Père Gelineau demeure le grand inspirateur, situe clairement le rôle de toute musique en célébration. En aucun cas elle ne doit replier l’homme sur lui-même, ne lui renvoyer que sa propre image. Il fallait le dire tandis qu’à cette époque le style « chanson de variété » séduisait bien des assemblées paroissiales. Une telle vigilance reste de mise, les dérives vers la mièvrerie et le « tout-affectif » relayant aujourd’hui la lascivitas blâmée par les pontifes de la Renaissance voire les éclats opératiques du XIXe siècle ! Indispensable service ecclésial de pédagogie et d’initiation au juste rôle que la musique doit tenir en célébration chrétienne : ministère que le réseau Universa Laus s’attache à maintenir vivant dans l’Eglise contemporaine. Sylvain CARON retrace ici même les origines d’Universa Laus et le rôle prépondérant qu’y tint Joseph Gelineau.

Il faut certes mentionner le sens théologique sur et toujours en éveil, qui le guidait lors de ses multiples interventions : ses articles et ses livres, ses cours, ses conférences et les sessions qu’il animait. Il fut même un véritable théologien de l’action liturgique, œuvrant non pas à partir d’une systématique préconçue, mais partant toujours de l’observation de ce qui se trame dans la célébration. De l’ ergon rituel, souvent mis en perspective grâce à la grande tradition patristique, il dégageait le sens profond des verba et gesta accomplis au cœur de l’assemblée chrétienne. Importance primordiale de celle-ci : André HAQUIN se plaît à montrer combien Joseph Gelineau était pétri du sens de l’ekklesia en acte de louange. Il faisait alors sienne l’affirmation fondamentale du Père Congar : l’assemblée est le sujet intégral de l’action liturgique. Autrement dit, l’acteur premier et essentiel de la liturgie chrétienne est l’assemblée. Ce principe incontournable est rappelé de manière particulière par la Présentation Générale du Missel Romain dans le cas de la prière eucharistique : « Le sens de cette prière est que toute l’assemblée des fidèles s’unisse au Christ dans la confession des hauts faits de Dieu et dans l’offrande du sacrifice. » (78).

Comme en contradiction avec ce principe – poursuivait Gelineau – l’observation des pratiques montre que, d’une manière trop générale, « pour ne pas faire question », la Prière eucharistique est reçue comme un long monologue du prêtre, interrompu une première fois pas le Sanctus et une seconde fois par l’acclamation d’anamnèse. Elle n’est pas perçue comme étant la louange de toute l’assemblée, mais bien comme une prière « réservée au prêtre ».

L’assemblée : Gelineau parlait souvent des « chrétiens assemblés ». Comment ne pas évoquer ce bréviaire des études liturgiques que constitue aujourd’hui encore l’ouvrage Dans vos assemblées ? Entre 1970 et 1990, il connut deux versions différentes ; il reste un manuel de base pour qui veut s’initier à ce que l’Eglise fait lorsqu’elle célèbre ? La seconde version annonçait le discours de ce qu’on appelle aujourd’hui l’ars celebrandi. L’art et la manière étaient le souci constant de Gelineau. Parlant de la prière eucharistique, il interrogeait : « Comment célébrer aujourd’hui, spécialement dans nos assemblées paroissiales, de telle façon que le sommet de la messe dominicale manifeste ce qu’il est : sacrifice de louange, mémorial du mystère pascal, offrande spirituelle de l’Église ? » Il poursuivait désignant le chemin qui reste encore à parcourir en fidélité à la réforme de Vatican II :« Le Concile a parié sur une gigantesque inculturation demandant plusieurs générations. Ne soyons pas surpris d’être encore loin du compte. Mais c’est une raison de plus pour ne pas attendre davantage et chercher activement comment signifier, pour et par le peuple célébrant, un si prodigieux mystère. » . Homme d’espérance résolument tourné vers l’avenir, artisan des grands travaux de l’Eglise – ceux qui exigent compétence et patience – sentait venir les courants qui allaient mettre l’institution liturgique en hibernation. Ne parlait-il pas du retour d’une « sacralité générale » et de « la perte de crédibilité » auprès de nos contemporains de nos liturgies ordinaires ?

La théologie de l’assemblée qui animait Joseph Gelineau permettait à celui-ci de réfléchir et de parler avec justesse et pertinence sur toute une série de sujets relevant de l’action liturgique. Marie-Gérard DUBOIS le montre ici à travers les articles que Gelineau a signés pour La Maison-Dieu, et patiemment relus pour cette livraison. L’espace sacré (voir également les nombreuses pages qu’il rédigea pour les Chroniques d’art sacré) ; la liturgie des heures, et donc les psaumes et les hymnes ; les traductions liturgiques auxquelles il collabora activement ; pour ne citer que les grands chantiers de la réforme liturgique

Ce numéro 259 profite une fois encore du créneau ouvert en début d’année sur les funérailles. Daniele SABAINO resitue les rites chrétiens dans la grande tradition médiévale de l’exode pascal et montre le rôle mystagogique joué par les psaumes, le 113 tout particulièrement. C’est bien dans cette perspective qu’il s’agit d’apprécier la valeur des chants de l’Adieu qui circulent dans nos assemblées. A la suite de Robert Gagné (n. 257), Gaétan BAILLARGEON reprend de manière synthétique le panorama des rites funéraires au Québec. Guénolé LABEY GUIMARD enfin, jeune chercheur en sociologie religieuse, ouvre une intéressante piste de réflexion sur l’influence des chansons, interprétées aux funérailles, sur la construction d’un nouvel imaginaire de l’au-delà.

Jean-Claude CRIVELLI


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