La Maison-Dieu 274, 2013/2
Le titre de ce numéro, « La demeure de la Parole » est emprunté à Benoît XVI qui dans l’exhortation apostolique Verbum Domini affirme que la liturgie « est vraiment le lieu privilégié où Dieu nous parle dans notre vie actuelle, où il parle aujourd’hui à son peuple qui écoute et qui répond » (VD 52). Il éclaire l’ensemble de cette livraison de La Maison-Dieu, qui considère la Parole de Dieu dans la liturgie, et qui donc accorde une place essentielle à la dimension œcuménique de la question.
La publication le 30 septembre 2010 de l’exhortation apostolique Verbum Domini peut apparaître en effet comme un événement important pour la réflexion liturgique. Cette dernière grande contribution du Pape Benoît XVI, désormais Pape émérite, reprenait la réflexion approfondie menée sous le titre « La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église », lors de la XIIe Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques, célébrée à Rome du 5 au 26 octobre 2008.
En même temps, dans cette année anniversaire de la Constitution sur la liturgie (4 décembre 1963), ce numéro qui porte à la fois sur la relation entre Bible et liturgie, et sur celle des traductions de la Sainte Écriture pour la proclamation dans la liturgie, traite d’un apport majeur du Concile Vatican II au renouvellement de la vie de l’Église :
Il faut que l’accès à la Sainte Écriture soit largement ouvert aux fidèles du Christ. […] .Comme la Parole de Dieu doit être à la disposition de tous les temps, l’Église, avec une sollicitude maternelle, veille à ce que des traductions appropriées et exactes soient faites dans les diverses langues, de préférence à partir des textes originaux des Livres sacrés. (Dei Verbum n° 22).
S’il y a un lien décisif entre la liturgie et la Parole de Dieu comme l’affirme la Constitution sur la liturgie (SC 35), si la liturgie en est le « lieu privilégié » de la Parole, c’est bien d’abord parce que la proclamation liturgique des saintes Écritures est bien plus qu’un « enseignement ». Il s’agit avant tout d’une manifestation de la présence du Christ qui parle à son Peuple comme l’affirme solennellement le n° 7 de Sacrosanctum Concilium : « Il est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures ». Mais cette manifestation de la présence du Christ dans la liturgie n’est pas enclose dans la seule liturgie : celle-ci est une école de l’écoute d’un Dieu qui parle aussi au-delà de la liturgie, dans la vie quotidienne, dans la rencontre des frères et notamment des pauvres (dans la diaconie donc), dans les événements ou encore dans « les signes des temps ». Plus encore, la force et même le privilège de la liturgie est de manifester que Dieu « parle aujourd’hui à son peuple qui écoute et qui répond ». La liturgie de la Parole est donc une épiphanie du grand dialogue qui sous-tend la foi chrétienne comme Alliance, et que Vatican II a magnifiquement exprimé notamment au début du premier chapitre de la Constitution Dei Verbum (cf. DV 2).
En écho à Verbum Domini
Certes La Maison-Dieu a déjà abordé ce thème (voir notamment « Bible et liturgie, n. 189, 1992/1 ; « Quand l’Écriture devient Parole », n. 190, 1992/2). Mais l’ampleur de vue de Verbum Domini invitait à reprendre la réflexion sans se limiter à une simple présentation du document.
D’un point de vue catholique, le Prof. Martin Klöckener de Fribourg Suisse, pense l’apport de Verbum Domini dans le contexte de la réévaluation opérée par Vatican II, de la place de la Parole de Dieu dans la vie du peuple chrétien. Il souligne surtout que Verbum Domini s’étend en particulier sur l’unité entre Parole et sacrement car « la liturgie de la Parole est un élément décisif dans la célébration de chacun des sacrements de l’Église » (VD 53). D’un point de vue protestant, le Pasteur Bruno Bürki, professeur émérite à l’Université de Fribourg/Suisse montre comment Verbum Domini attire l’attention sur les principes dogmatiques qui sous-tendent nos approches de la Parole de Dieu dans la liturgie. Il rappelle opportunément que nous ne « disposons » pas de la Parole de Dieu et invite à ne pas isoler la Parole pour elle-même, au risque de donner à penser que les chrétiens sont les croyants du Livre. En écho, le Prof. Manlio Sodi, s.d.b., de Rome, et l’abbé Michel Steinmetz (Service diocésain de pastorale liturgique, Strasbourg), prolongent les intuitions de Verbum Domini sur le terrain pastoral.
La nouvelle traduction liturgique de la Bible
Cette livraison salue l’aboutissement proche d’un grand chantier liturgique francophone, mené durant plus de quinze ans, à savoir la publication d’une traduction intégrale en français de la Bible (La Bible, Traduction officielle liturgique, à paraître en novembre 2013), destinée à l’usage dans les célébrations liturgiques et dont la recognitio par la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, a été donnée le 12 juin 2013. Ce travail correspond à la requête exprimée par Liturgiam Authenticam (5e Instruction pour la correcte Application de la Constitution sur la Sainte Liturgie du Concile Vatican II, 2001) demandant qu’une attention particulière soit réservée à la traduction de l’Ecriture Sainte à usage liturgique, « une œuvre qui se doit d’être tout à la fois fidèle à une exégèse fondée mais qui doit également viser à l’obtention d’un texte adapté à la fonction liturgique ».
La publication d’une traduction de la Bible constitue un immense travail qui mobilise de multiples compétences. La contribution du P. Henri Delhougne, moine de l’Abbaye de Clairvaux et coordinateur de ce projet, manifeste non seulement les enjeux mais aussi la méthode de travail qui a permis d’aboutir. L’elenchus des collaborateurs du projet qui figure en annexe montre la diversité des compétences et l’importance des dévouements qu’un tel chantier implique. Dans une sorte de contre-point, deux enseignants de l’Institut Catholique de Paris, Michel Berder pour l’Ancien Testament, et Jean-François Baudoz pour le Nouveau Testament, montrent comment les exégètes se situent dans un travail de traduction des Saintes Écritures en vue de l’usage liturgique. A travers ces contributions, on saisit combien une démarche « au service de la communication d’une parole vivante », constitue un chantier toujours provisoire, parce que les « langues vivantes », comme l’expression le dit bien, ne peuvent pas … ne pas évoluer (Michel Berder). D’un point de vue résolument œcuménique, le Prof. David Holeton (Université Charles, Prague), prêtre anglican, propose une synthèse sur les traductions liturgiques en anglais, telle que la question s’est posée, au cours de l’histoire et aujourd’hui encore, dans la Communion anglicane. Il souligne particulièrement les enjeux des collaborations œcuméniques dans un tel domaine. Avec un peu de retard, cet article participe donc à deux anniversaires significatifs : le 400e anniversaire de la King James’ Version de la Bible en 2011, et le 350e anniversaire du Book of Common Prayer en 2012, deux « monuments » non seulement de la piété liturgique en monde anglophone, mais aussi de l’histoire de la langue anglaise. Mais on voit apparaître un double mouvement : la recherche patiente de l’unité des chrétiens, et en même temps, les forces centrifuges d’un monde marqué par l’accroissement des diversités, y compris dans chaque aire linguistique. La question dépasse donc la relation entre les confessions chrétiennes que l’histoire a séparées, pour atteindre le niveau plus radical, du devenir de l’humanité, aux prises avec des forces séparatrices.
F. Patrick PRETOT, osb
Directeur de la revue La Maison-Dieu
Bible et liturgie : leur relation réciproque dans Verbum Domini de Martin Klöckener
En lien avec les livres liturgiques issus de la réforme conciliaire, l’article met en lumière l’importance de Verbum Domini pour une théologie de la relation fondamentale entre Bible et liturgie.
Verbum Domini, la Parole de Dieu de Bruno Bürki
A la lumière de l’héritage théologique réformé, les enjeux de la théologie déployée dans Verbum Domini pour une compréhension de la place de la Parole dans la liturgie. Une invitation à une conversion réciproque des différentes confessions chrétiennes.
A quelles conditions la Parole de Dieu est-elle "vivante et efficace" ? de Manlio Sodi
Une approche synthétique des enjeux patoraux de l’exhortation apostolique Verbum Domini de Benoît XVI
Pour une patorale des célébrations de la Parole : la recherche du diocèse de Strasbourg de Michel Steinmetz
A propos du livret intitulé Puiser à la source, publié par le diocèse de Strasbourg et proposant des schémas de célébrations de la Parole : les axes d’un projet pastoral appuyé sur Verbum Domini.
Une nouvelle traduction liturgique de la Bible : enjeux et histoire de Henri Delhougne
Le maître d’oeuvre de la nouvelle traduction liturgique de la Bible présente les exigences et les étapes de ce grand projet initié dès 1995.
Traduire le livre de Job pour la liturgie de Michel Berder
A propos de la traduction du livre de Job, une réflexion sur les contraintes liées non seulement à l’interprétation du texte hébraïque mais à sa proclamation orale au sein de l’assemblée liturgique.
Traduire les évangiles synoptiques de Jean-François Baudoz
Les difficultées inhérentes à la traduction des évangiles synoptiques qui doivent pouvoir être lus en cohérence les uns avec les autres et avec l’ensemble des Ecritures.
Des traductions communes en anglais : un itinéraire anglican et oecuménique de David Holeton
Histoire et actualité des traductions liturgiques dans l’anglicanisme depuis le Book of Common Prayer et la King James’ Version ; les enjeux oecuméniques des traductions "communes", notamment du Revised Common Lectionary.
Varia
Le corps en liturgie : une expérience de liberté de Frédérique Poulet
Toute célébration liturgique implique la dimension corporelle où se manifeste le salut qui fait passer de l’esclavage à la liberté dans le Christ.
L’Explication de la messe de Pierre Le Brun ( 1716 - 1726) : témoin d’un tournent décisif pour l’histoire du culte de Jean-Yves Hameline.
Un dialogue sur le fond avec la problématique et les perspectives générales de l’ouvrage de Xavier Bisaro, Le Passé présent. Une enquête liturgique dans la France du début du XVIIIème siècle (Ed. du Cerf, 2012).
Note de lecture