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La revue  " La Maison-Dieu "
Numéro 269 : Questions de pastorale liturgique

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Edito : Questions de pastorale liturgique

Liminaire

Ce numéro de la revue peut être considéré comme le reflet d’une mutation de la science liturgique depuis quelques années. En effet, alors que le Mouvement liturgique avait trouvé les fondements de sa recherche, de manière prioritaire, dans l’approche historienne des faits liturgiques, à la suite de Pie XII (Encyclique Mediator Dei, 1947), mais également de certains acteurs du Mouvement liturgique comme Dom Casel, Romano Guardini ou encore Dom Gregory Dix, le Concile Vatican II a reconduit la liturgie dans son lieu central, à savoir la manifestation du mystère du Christ et de l’Église, et surtout l’actualisation de l’œuvre du salut opérée au plus haut point dans le mystère pascal de Jésus-Christ Sauveur (voir le n. 2 de Sacrosanctum Concilium).

L’approche historienne tend à souligner les discontinuités dans la tradition liturgique. L’histoire de la liturgie révèle en effet combien les formes de la liturgie ont varié dans le temps. Plus encore, elle met en lumière les véritables ruptures qui s’opèrent parfois, sans que pour autant, l’on puisse déceler à leur source, l’impact d’une volonté humaine. L’analogie de la théorie de la « dérive des continents » semble intéressante pour penser les évolutions des pratiques liturgiques, parce que celles-ci sont tributaires de multiples facteurs qu’il est difficile d’isoler. En liturgie plus qu’ailleurs sans doute, l’enchaînement et même l’emmêlement des causes et des effets, est souvent difficile à distinguer.

On peut se souvenir ici à titre d’exemple, comment le P. de Lubac a montré que des déplacements progressifs, qui ont leur origine dès le Haut Moyen Age, ont pu aboutir à ce qu’il désignait comme une « césure meurtrière » : en ne désignant plus le corps eucharistique mais le corps ecclésial, la compréhension médiévale de la notion de corpus mysticum va à partir du XIIe siècle, provoquer une sorte de séparation entre l’action eucharistique et l’assemblée chrétienne.

Si donc on peut parler de « continuité » de la Tradition, les historiens de la liturgie savent que les institutions et les pratiques ont évolué au cours du temps, et donc que la continuité de la Tradition s’exprime à travers de multiples discontinuités formelles. La démarche historienne demeure donc primordiale pour comprendre non seulement les évolutions, mais aussi les permanences (cf. la distinction du P. Bouyer, entre « ce qui change » et « ce qui demeure » dans LMD 40, 1954), et parfois même, comme le souligne dans ce numéro Paul De Clerck, « l’impensé » des pratiques actuelles, tant il est vrai que la mémoire, celle des corps d’abord, joue un rôle décisif en ce domaine.

Il faut souligner également que l’approche historique des faits liturgiques a permis aux liturgistes du XXe siècle de trouver dans les réalisations du passé, une source d’inspiration pour penser une réforme liturgique que S. Pie X dans le motu proprio Abhinc duos annos (23 octobre 1913) appelait de ses vœux, en lui assignant comme objectif que l’édifice liturgique « apparaisse nettoyé de la crasse du temps, de nouveau resplendissant de dignité et de belle ordonnance ». La formule du P. Gy évoquant un « ressourcement en tradition », traduit bien la manière dont les liturgistes du XXe siècle ont fait de l’histoire pour mieux comprendre comment faire resplendir à nouveaux frais, l’édifice liturgique légué par la Tradition.

En mettant en lumière les grandes structures internes de la foi chrétienne, et donc celles de la liturgie comme célébration de la foi, l’approche théologique tend au contraire à manifester les continuités de la Tradition. Et parce que la Constitution sur la liturgie de Vatican II accorde à la liturgie, un statut de sommet et de source de l’action de l’Église (cf. Sacrosanctum Concilium, n. 10), cette approche invite les théologiens à considérer la relation entre d’une part, le mystère de Dieu manifesté dans l’incarnation et le mystère pascal et d’autre part, les pratiques liturgiques en tant qu’elles sont l’expression de la vie de l’Église. C’est de là qu’est venue notamment un approfondissement de la réflexion dans le domaine de l’ecclésiologie de la liturgie mais aussi en ce qui concerne la relation entre liturgie et mystère trinitaire. Et bien sûr, cette recherche demeure une tâche actuelle importante et nécessaire.

Toutefois, le présent numéro souligne un déplacement de regard qui semble peu à peu se dessiner depuis quelques années. Car de plus en plus s’impose l’horizon de la post-modernité, ce monde que dans la préface d’un ouvrage récent sur la nouvelle évangélisation, Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti-Vasto (Italie) et théologien de renom, caractérise en soulignant trois aspects : « la culture forte, expression de l’idéologie, s’est éclatée dans les petits ruisseaux des cultures faibles » ; dès lors « dans cette foule des solitudes les horizons communs manquent » et parce que « les grandes espérances font défaut », « elles réduisent les hommes dans l’horizon limité du particulier » (F. Manns, Qu’est-ce que la nouvelle évangélisation, Bayard, 2012).

L’anthropologie de la liturgie, un domaine pour lequel nous devons tant à Jean-Yves Hameline et Louis-Marie Chauvet, est donc une tâche à nouveau urgente. Car il s’agit de comprendre à partir de l’homme d’aujourd’hui, de ses modes de vie et de pensée, voire de ses nouveaux réflexes, comment la liturgie peut être effectivement source et sommet. Il serait en effet risqué de répéter Vatican II sous le mode des slogans. Dans un monde qui change très rapidement, la fidélité au Concile Vatican II exige une sympathie profonde avec le monde qui émerge sous nos yeux, et, en même temps, la conviction que la tradition liturgique renouvelée par l’œuvre conciliaire est une chance pour affronter les conditions nouvelles de notre époque. On entend parfois dire que l’œuvre conciliaire serait datée parce qu’elle serait trop imprégnée par les caractéristiques de la deuxième moitié du XXe siècle. Toute œuvre est certes tributaire des options du temps qui l’a vu naître : ceci vaut aussi bien pour la réforme qui a suivi le Concile de Trente que pour celle mis en route par Vatican II. Mais en liturgie, on peut penser que l’actualisation de la Tradition opérée par une réforme liturgique comme celle de Vatican II, une réforme qui ne pouvait anticiper les évolutions que nous connaissons, a été cependant l’œuvre de l’Église agissant sous la mouvance de l’Esprit-Saint, et opérant ainsi un discernement sur l’ensemble des réalisations liturgiques, qui forment (mais ne s’identifient pas à) la Tradition et que nous rendent accessibles les recherches historiques.

Mais en définitive, c’est la vie du Peuple de Dieu, un peuple en marche – en exode et peut-être même en exil aujourd’hui - au milieu d’un monde parfois hostile et souvent étranger à sa quête de la cité céleste, qui à chaque époque, constitue le critère ultime de la vérité de l’actualisation de la Tradition. C’est dans cette ligne de recherche sur les questions pastorales actuelles, mais avec le propos de manifester en profondeur les questions que pose le champ pastoral, que ce numéro prend place.

Les articles de S. Bénédicte Mariolle et de l’abbé Patrick Gorce, deux liturgistes appartenant à une nouvelle génération, se rejoignent en profondeur non seulement en raison du sujet traité, la question de la crémation, mais aussi de l’approche que ces deux auteurs essaient de mettre en œuvre. Prenant au sérieux une pratique, celle de la crémation, la première à travers un questionnement théologique, et le second avec une approche philosophique, tentent de mettre en lumière les questions que pose à la tradition anthropologique et théologique qui sous-tend les rites funéraires chrétiens, la montée en Occident de la pratique de la crémation.

Les articles du Professeur Martin Klöckener de Fribourg sur la situation des Assemblées dominicales en l’absence de prêtres en Suisse et de Paul De Clerck, sur la manière dont la réforme liturgique a reçu les grandes intuitions du Mouvement liturgique, montrent chacun à leur manière, combien la liturgie est à chaque époque et dans tous ses domaines, marquée par des approches multiples en fonction de l’accent mis sur l’une ou l’autre de ses composantes. Mais chacun à leur manière, ces deux auteurs montrent aussi comment, une véritable analyse du terrain pastoral, oblige à prendre en compte les résistances qui se manifestent malgré les impulsions données par la hiérarchie ecclésiastique.

Ce numéro comporte aussi une série de notes de lectures. Par ce moyen, La Maison-Dieu entend rendre compte de publications qui nous paraissent ouvrir des perspectives nouvelles (ainsi l’ouvrage d’E. Falque, doyen de la Faculté de Philosophie de l’Institut Catholique de Paris), traiter de questions œcuméniques (comme celui du Pasteur Bruno Bürki sur les bénédictions nuptiales) ou encore de sujets importants pour le service que doit rendre à ses lecteurs une revue de liturgie (ici par exemple, les ouvrages de Benoît-Marie Solaberietta sur Mgr Martimort ou de Félix Standaert, sur l’École de Beuron et le renouveau de l’art chrétien à la fin du XIXe siècle).

Les prochaines livraisons de la revue donneront un écho de deux rencontres récentes. Le congrès de la Societas Liturgica qui s’est tenu à Reims à l’été 2011 portait sur le baptême. Le numéro de la revue rendra compte des travaux d’un groupe de travail sur l’euchologie baptismale. Les conférences majeures du congrès quant à elles, devraient faire l’objet d’un ouvrage à paraître à l’automne 2012. En second lieu, le colloque annuel organisé par l’Institut Supérieur de Liturgie (25-27 janvier 2012) avait pour titre Liturgie : louange et adoration. Ce faisant, il a abordé des questions décisives de théologie qui ont bien sûr leur place dans la revue.

F. Patrick PRETOT, osb

SOMMAIRE

- Bénédicte-Marie de la Croix Mariolle

La crémation : incidences d’une pratique sur la liturgie des funérailles

Lorsqu’elle devient fréquente, la pratique de la crémation pose un ensemble de questions sur le plan de l’anthropologie théologique, de l’ecclésiologie et de la proposition de la foi chrétienne dans notre monde.

- Patrick Gorce

La célébration des obsèques en présence d’une urne cinéraire : enjeux anthropologiques

La célébration considère les enjeux anthropologiques et philosophiques d’un phénomène nouveau en France quant aux rites funéraires, à savoir la célébration des obsèques en présence de l’urne cinéraire

- Martin Klöckener

Assemblées dominicales en l’absence de prêtre : la situation en Suisse. Enjeux et défis

A partir de la situation en Suisse depuis quarante ans, des assemblées dominicales en l’absence de prêtre, l’auteur met en lumière l’évolution des pratiques, les questions théologiques qu’elles posent, et les discernements qu’elles nécessitent

- Paul De Clerck

L’inscription de certaines grandes institutions du Mouvement liturgique dans l’oeuvre de Vatican II : chances et difficultés

Le Mouvement liturgique a largement inspiré la Constitution conciliaire sur la liturgie et, à travers elle, l’aggiornamento qui a suivi. L’auteur met en lumière certaines limites de cette réception.

Notes de lecture

- Patrick Prétot

Emmanuel Falque, Les Noces de l’Agneau, Essai philosophique sur le corps et l’eucharistie

- Hélène Bricout

Bruno Bürki, Bénédiction nuptiale à l’horizon oecuménique

- Patrick Prétot

Benoît-Marie Solaberrieta, Aimé-Georges Martimort : un promoteur du Mouvement liturgique ( 1943 - 19262)

- André Haquin

Félix Standaert, L’Ecole de Beuron. Un essai de renouveau de l’art chrétien à la fin du XIXème siècle

Les livres Abstracts


> Les derniers numéros
- Numéro 282 Interpréter les textes liturgiques
- Numéro 281 Des rites funéraires en mutation (la Pâque du chrétien - La crémation au risque du corps)
- Numéro 280 Tables 2005 - 2014
- Numéro 279 Jean-Yves Hameline, Un théologien de l’action liturgique
- Numéro 278 La liturgie dans les cultures
- Numéro 277 Dynamique des réformes liturgiques
- Numéro 276 La part des moines
- Numéro 275 Deux anniversaires : 1943 - 1963
- Numéro 274 La demeure de la Parole
- Numéro 273 Le catéchuménat dans la nouvelle évangélisation
- Numéro 272 Noble beauté de la liturgie
- Numéro 271 Recherches sur le baptême
- Numéro 270 Louange et adoration
- Numéro 269 Questions de pastorale liturgique
- Numéro 268 Retour sur la réforme liturgique de Vatican II
- Numéro 267 Approches historiques nouvelles
- Numéro 266 Marie dans le mystère de l’Eglise
- Numéro 265 Liturgie et mission de l’Eglise
- Numéro 264 L’année liturgique II
- Numéro 263 L’année liturgique, Congrès de la Societas liturgica (Sydney, 2009)
- Numéro 262 Le signe de la croix
- Numéro 261 Rites et identité ecclésiale
- Numéro 260 1909-2009 Le Mouvement liturgique
- Numéro 259 Joseph Gélineau, serviteur de l’assemblée
- Numéro 258 Olivier Messiaen, les couleurs de la Parole
- Numéro 257 Les funérailles, entre tradition et modernité
- Numéro 256 A propos du Missel romain
- Numéro 255 En esprit et vérité
- Numéro 254 La liturgie dans l’espace public
- Numéro 253 Le culte de toute la vie
- Numéro 252 Littérature et liturgie, d’un art à l’autre
- Numéro 251 Chant, répertoire, mémoire
- Numéro 250 Le pardon, douceur de Dieu et solidarités humaines
- Numéro 249 Le ministère du diacre dans la liturgie
- Numéro 248 La liturgie des heures, prière des baptisés