Vivez de l’Esprit


Jean-Luc Brunin
�v�que d’Ajaccio

La démarche de déploiement de la vie ecclésiale nous invite à prendre la parole pour nous interroger sur les fonctionnements de nos communautés ou des services, pour relire notre vie en Église et définir des initiatives missionnaires pour l’ensemble inter paroissial. Cependant, la vie ecclésiale, si elle nous mobilise, est d’abord le fruit de l’œuvre de l’Esprit en nous. Par delà l’aspect nécessaire d’organisation, il importe de mesurer comment la vie des communautés chrétiennes sert la croissance spirituelle de ses membres. La difficulté pour porter ce regard tient au fait que nous ne possédons pas toujours très bien les clefs d’un tel discernement.

La vie spirituelle n’est pas un vernis

Quand, dans le langage chrétien, on parle de la « vie spirituelle » de l’homme, on n’entend pas se référer simplement à une vie supérieure qui se distinguerait ou se superposerait à la vie biologique, psychologique ou sociale. La vie spirituelle est vie dans l’Esprit. En chaque baptisé et confirmé, c’est l’existence humaine dans tous ses aspects qui est spirituelle.

« Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu » (Rm 8,14)

La méditation des textes de saint Paul nous aide à découvrir ce qu’est la vie dans l’Esprit et la croissance spirituelle. Nous voyons ainsi que, dans la communauté des Calâtes, l’enthousiasme suscité par la prédication de Paul pour incontestable qu’il soit, n’en est pas moins ambigu (Ga 4, 12-20).

L’absence de Paul, les soucis quotidiens, la présence d’adversaires peu scrupuleux ajoutés à l’inquiétude liée au retour du Seigneur qui tarde, provoquent au sein des Églises un découragement, des tensions, un relâchement de la vigilance. Saint Paul nous alerte sur une foi qui serait vécue sous le mode de l’enthousiasme et de l’exubérance, se cantonnant au seul registre de l’émotionnel. Une telle foi ne tiendrait pas la distance et ne résisterait pas à l’épreuve. La qualité et l’authenticité d’une vie spirituelle ne se mesurent pas au degré de montée d’adrénaline.

La sagesse dans l’Esprit du Christ

La cause des dissensions que Paul dénonce dans la communauté de Corinthe tient au fait que les corinthiens prennent l’Évangile pour une sagesse mondaine (1 Co 1, 17). Or, Paul n’a pas cherché à s’exprimer par des discours persuasifs et savants. Comment aurait-il pu le faire avec ceux auxquels il s’adresse ? « Considérez ce que vous êtes », leur dit-il. Et pourtant, Paul affirme bien que l’Évangile est une sagesse, la sagesse du Mystère de Dieu. Pour devenir sage de cette sagesse, le disciple du Christ doit se laisser enseigner par l’Esprit (1 Co 2, 13) pour parvenir au vrai sens de la Croix (1 Co 1, 22-24).

Grandit alors l’homme spirituel qui entre en opposition avec tout ce qui, en lui-même, revendique l’autonomie et se fie à ses seules forces. Le disciple devient sage car l’Esprit, l’unissant au Christ, lui enseigne son art de vivre, lui fait comprendre la pertinence du discours de la Croix et lui laisse entrevoir le chemin pascal comme chemin de Salut.

Une longue maturation de la foi

Nul n’est spirituel par nature. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’on place sa vie sous la Croix du Christ, que l’on consent à la sagesse de Dieu. Paul est soucieux d’accompagner la maturation de la foi chez les membres des communautés qu’il a fondées. Au début, il n’a pu leur donner que du lait (1 Co 3, 2), pas encore la nourriture solide de l’Évangile livré dans sa radicalité, une Parole perçue comme une puissance dont la force est à l’œuvre dans la prédication de la Croix. S’il y a progression dans la vie spirituelle, c’est bien dans la découverte de la radicalité de l’Évangile qui ouvre à une vie nouvelle, à un « autrement » de l’existence humaine.

Des comportements qui ne trompent pas

Ce que le chrétien reçoit par l’Esprit n’est pas une loi à observer, mais un don d’amour, de joie et de paix qui unifie la personne tout autant que la communauté. L’agapè détermine une autre manière d’exister avec soi-même et avec les autres, qui se décline à travers des comportements tels que « patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi ». La maturité spirituelle ne se mesure pas seulement à la connaissance, car « la connaissance enfle, mais seul l’amour édifie » (1 Co 8, 1 ). Le respect de la loi qui ne serait pas accompagné du respect de l’autre exprimé à travers les comportements de l’agapè, ne serait pas un signe de force ni de performance spirituelle, mais bien plutôt un signe d’immaturité. Même l’annonce de l’Évangile n’est pas un devoir à accomplir, mais une nécessité interne à la Parole accueillie (1 Co 9, 16).

Appelés à la liberté

Paul magnifie souvent la liberté à laquelle la foi au Christ nous appelle et à laquelle l’Esprit nous conduit. Elle trouve sa référence dans l’agapè. Paul a fait l’expérience de cette liberté et il affirme : « Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, pour en gagner le plus grand nombre » (1 Co 9, 19). Autrement dit, la liberté spirituelle n’est ni indifférence aux autres, ni distance, mais service des autres. Une telle attitude est toute entière finalisée par la visée apostolique. En conséquence, la liberté spirituelle trouve son équilibre dans l’agapè et la prédication de l’Évangile.

Dans nos communautés d’Église, nous sommes appelés à laisser davantage de place au questionnement sur la croissance spirituelle. Pour la discerner, la Parole de Dieu nous offre un triple indice :

- l’agapè qui est tout à la fois amour, joie et paix ;

- la liberté déterminée par le service des autres (diaconie) ;

- le souci d’annoncer l’Évangile à tous (goût pour l’apostolat).

Et si, en ce temps de Pentecôte, nous prenions du temps pour nous exercer à discerner comment notre vie en Église permet à chacun de vivre de l’Esprit du Christ ?