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La vie communautaire... dans la vocation contemplative
Une carmélite de DOMONT
La vocation contemplative est pour beaucoup de jeunes le signe de la vie communautaire. Après un premier contact, ils idéalisent souvent le groupe qu’ils ont rencontré et choisissent l’image qu’ils ont perçue, image souvent éloignée de la réalité communautaire vécue dans l’usure du quotidien.
Le Carmel de DOMONT nous aide à percevoir l’attente des jeunes filles attirées vers la vie contemplative, par le désir d’une vie fraternelle et les transformations qui s’opèrent en elles au fur et à mesure de la maturation.
Quelles attentes les jeunes ont-elles de la vie communautaire dans un monastère de carmélites ?
Pour essayer de répondre un peu précisément, je me suis informée :
auprès de plusieurs jeunes entrées au Carmel depuis un laps de temps qui oscille entre trois mois et trois ans et demi,
auprès de plusieurs maîtresses des novices ou prieures, dont l’expérience recouvre une durée qui varie de vingt ans à quelques mois.
Ces témoignages divers se sont révélés très concordants et ce sont ces lignes de force que je vais tâcher de résumer.
Avant même leur entrée, les jeunes interrogées avaient été sensibles à un certain climat émanant de la communauté. Plusieurs l’avaient ressenti dès les premiers contacts dans la prière commune au Chœur, pour d’autres l’impression s’est dégagée plus nettement lors d’un ou plusieurs stages dans la communauté.
Toutes mettent l’accent sur deux pôles :
la joie ou l’épanouissement perçu,
le lien fraternel harmonieux.
Elles vont les nommer diversement, parlant de "courant" -, d’"harmonie", de "respect mutuel", de "simplicité dans les rapports fraternels", de "Charité" d’"écoute et de miséricorde", de "liberté".
Elles diront encore avoir perçu "beaucoup de joie" ou "des êtres ouverts à Dieu et au monde, de la même pâte que les autres, pas en décalage".
Telle a donc été leur première impression de la Communauté. Mais était-ce là ce qu’elles attendaient au moment de leur entrée au monastère ?
Plusieurs n’en savent rien et disent simplement qu’elles n’attendaient rien de précis, qu’elles venaient vivre et s’imprégner, que tout était trop neuf pour qu’elles aient un autre désir que celui de découvrir.
D’autres, au contraire, parfois préparées par une expérience antérieure de vie commune, disent être entrées avec "le désir d’une vie fraternelles vivante et saine, qui s’interroge sur elle-même" ou "avec l’espérance de grandir dans la communauté par des liens fraternels et amicaux, et d’y vivre comme enfant de Dieu avec des sœurs".
Pour l’une ou l’autre, l’attente était teintée d’appréhension :
"Ce que je redoutais ? peut-être la différence des âges" ;
"On ne vient pas en conquérant..., sauf quand on sent quelques points vitaux à changer pour que les jeunes puissent respirer et ne pas être asphyxiées par un carcan. Cela dépend tellement des Carmels et de leur ouverture" ;
"Je désirais garder mon identité ’monde ouvrier’ et m’enraciner toujours davantage dans cette solidarité".
Toutes, en tout cas, disent avoir trouvé l’écoute et le respect qu’elles souhaitaient et s’être senties reconnues telles qu’elles étaient.
Cette attente première, cette perception de la communauté, comment ont-elles traversé le temps ?
Les jeunes qui ont vécu déjà plusieurs années au Carmel confirment leurs premières impressions et leurs premières attentes. Mais elles constatent en même temps que ces perceptions se sont modifiées dans deux directions :
- elles ont acquis du réalisme en mesurant davantage limites et faiblesses de toutes,
- il s’agit moins maintenant de recevoir que de donner..., tout en gardant conscience de tout ce qu’on reçoit.
Ces deux modifications que de jeunes carmélites disent expérimenter au fil du temps rejoignent la perception des quelques maîtresses des novices interrogées.
Les responsables de noviciat soulignent la fragilité psychique commune à la plupart des jeunes actuelles et leur besoin d’une vraie vie communautaire. Nombreuses sont les jeunes qui idéalisent la communauté, peut-être davantage dans la mesure où elles sont plus perturbées (l’idéalisation n’est pas le fait de toutes). Il semble qu’elles aient peut-être tendance à reproduire au Carmel ce qu’elles ont vécu dans le monde au sein des divers groupes fréquentés : idéalisation jusqu’au moment d’une prise de conscience plus réaliste... et décevante.
En d’autres lieux il s’ensuivait un changement de groupe. Mais au Carmel on ne change pas de communauté. De cette prise de conscience réaliste découle une grande déception à la mesure de l’idéalisation, ce qui entraîne incompréhension des misères humaines et critique parfois virulente.
Comment expliquer cette idéalisation si fréquente ?
Souvent par un "trou" affectif que, plus ou moins consciemment, les jeunes pensent voir comblé par la communauté. De cette communauté elles attendent donc beaucoup, bien au-delà de ce qu’elle peut et a à donner.
Les maîtresses des novices remarquent encore que les jeunes actuelles établissent fréquemment une correspondance entre leur milieu familial et la communauté :
- soit qu’elles s’attendent à retrouver ce qu’elles ont déjà vécu,
- soit qu’elles s’attendent à trouver enfin ce qu’elles n’ont pas eu.
Et souvent leur comportement en communauté est le reflet de ce qu’elles ont été en milieu familial, comme s’il y avait projection de leur enfance et tendance à reproduire le même comportement en milieux différents.
Les jeunes actuelles manquent souvent de maturité. Elles ont rarement eu un développement lent et harmonieux, encore que la différence entre elles soit grande selon qu’elles proviennent d’une structure familiale cohérente ou éclatée. Presque toutes sont fragiles et entrent au Carmel sans avoir suffisamment fait la distance avec leur vécu antérieur. Il faut donc leur laisser le temps d’évoluer, de se construire, et c’est d’autant plus le cas semble-t-il que les générations sont plus jeunes.
Mais les délais canoniques rendent parfois les choses difficiles, en obligeant à une décision alors qu’il semblerait souhaitable de laisser le temps au temps...
Quelle aide peut-on apporter, qui favorise chez une jeune une maturation, un réalisme plus rapides ?
Il semble important, à chaque fois que c’est possible, de faire le maximum avant l’entrée de la jeune, spécialement quand on observe une forte idéalisation de la communauté, important notamment de connaître un peu son passé familial. Et important, enfin, de l’alerter et d’être spécialement en alerte pour essayer de l’aider à découvrir dans sa réalité cette communauté dont elle veut partager la vie.