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Requête de vie communautaire chez les jeunes
Michel RONDET,
jésuite, professeur aux séminaires d’AIX EN PROVENCE et d’AVIGNON
directeur des groupes "CROIRE ET CELEBRER"
Pour parler de la requête de vie communautaire des jeunes aujourd’hui, je ne tenterai pas de me mettre à leur place et de parler pour eux, je resterai à la mienne, celle d’un adulte à qui des jeunes en recherche de vocation viennent demander un accompagnement et des critères de discernement. Comment m’apparaît alors leur requête de vie communautaire ? Comment l’accueillir, l’aider dans son cheminement pour qu’elle ne se trompe pas d’objectif et qu’elle rejoigne les institutions et les groupes qui cherchent à donner un visage à l’Eglise-Communion ?
Cette requête, à la place qui est la mienne, je la rencontre essentiellement à deux niveaux : celui de l’expérience spirituelle et celui des projets apostoliques. C’est donc d’observations faites dans ces deux domaines que je partirai pour souligner quelques points d’attention qui me semblent aujourd’hui plus importants.
DANS l’EXPERIENCE SPIRITUELLE
L’expérience de Dieu, du Dieu de Jésus-Christ, se vit de plus en plus en communauté et il faut nous en réjouir. Pour beaucoup de jeunes aujourd’hui, Dieu se découvre dans une communion vécue : groupe de prière, pèlerinage, rassemblement festif. C’est ensemble qu’on vit pour la première fois de façon intense la louange, la supplication, voire le silence devant Dieu. Cette expérience est si forte qu’elle marque profondément la vie spirituelle : on a du mal à concevoir la prière autrement qu’en groupe, en chaleureuse communion avec d’autres. Pour prier on ira à la rencontre d’autres jeunes à LOURDES, à PARAY, à ASSISE, à COMPOSTELLE, à TAIZE, à PRAGUE.
Ainsi se dessine une nouvelle géographie des itinéraires spirituels au long desquels se nouent et s’approfondissent les liens de l’Alliance avec Dieu. Ce n’est pas nouveau, la chrétienté médiévale avait, elle aussi, ses chemins de Dieu. Ce qui est plus marquant aujourd’hui, c’est que pour toute une génération, l’essentiel semble bien se vivre là.
Qu’un appel à une vocation particulière (sacerdotale, diaconale, religieuse) se révèle ou se précise dans un tel contexte, rien de plus normal. Tout naturellement aussi celui qui l’a discerné désirera le réaliser dans un cadre ecclésial qui lui permette de renouveler et d’approfondir ce qu’il a perçu. Il cherchera alors un groupe ou une communauté qui réponde à cette attente : un lieu où la rencontre de Dieu se vive et s’exprime dans une prière partagée, joyeuse, festive. Il s’étonnera souvent de ne pas retrouver immédiatement le même climat dans les séminaires ou les communautés religieuses qu’il a l’occasion de rencontrer.
Ce qui paraissait aller de soi dans les rassemblements festifs devient ici laborieux, difficile, monotone. D’où étonnement, déception, et recherche d’une autre communauté où l’on puisse vivre au quotidien l’expérience initiale.
Tentative vouée à l’échec pour des raisons qu’il est important de préciser. Dans les rassemblements festifs, les participants sont accueillis. Ils peuvent avoir l’impression de créer par leur présence et par leur ferveur la communauté où se déploie la prière. En fait tout ceci a été préparé par une communauté, des animateurs adultes, des mouvements qui ont assumé toute l’infrastructure humaine et spirituelle de la rencontre. Sans la communauté de TAIZE les rencontres de jeunes ne seraient pas ce qu’elles sont. A LOURDES, comme à PARAY et à ARS, la prière des pèlerins est portée par une tradition vivante nourrie de la charité de tous ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, se consacrent à faire vivre ces lieux. Une route comme celle de COMPOSTELLE a, elle aussi, été préparée. Et ce n’est pas allé sans efforts, ni tensions, ni renoncements, pour tous ceux qui, à différents niveaux, ont porté ce projet. Mais, pour les participants, ce soubassement reste souvent caché, enfoui dans l’humilité des terres fécondes qui portent du fruit. Aux jours de la rencontre, il s’efface devant la ferveur qu’il a nourrie. D’où l’illusion de croire que ce que l’on goûte ensemble est un fruit immédiat de l’Esprit que l’on s’attend à retrouver ailleurs, prêt à être cueilli.
Or s’il est vrai que la prière peut "naître, portée et soutenue par la communion, la communion, elle, n’est pas spontanée. Elle est toujours le fruit d’une construction patiente, laborieuse. C’est une victoire de l’Esprit arrachée à nos suffisances, à nos égoïsmes et à nos peurs.
Jésus a promis sa présence à ceux qui uniraient leurs voix pour demander quoi que ce soit, "que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux" (Mt 18, 19-20). Le Christ est bien présent à la prière de l’Eglise, mais l’Eglise ne vit que par l’ajustement laborieux des pierres vivantes que nous sommes.
Il faut donc nous réjouir de voir la prière naître ainsi du cœur de l’Eglise rassemblée et inviter les baptisés à venir boire à cette source. On ne va jamais à Dieu seul. La foi se reçoit du témoignage, la prière aussi et toutes deux grandissent dans le partage. Mais à ceux qui sont appelés à un service d’Eglise, il est important de signifier qu’ils auront justement pour vocation de susciter cette communion, de convoquer et d’animer ce rassemblement. S’ils doivent pouvoir s’appuyer sur la prière des fidèles, ils ont d’abord à la nourrir du pain de la Parole et de l’Eucharistie. Il faut donc qu’ils sachent se tourner personnellement vers les sources d’eau vive pour y puiser les forces de construire l’Eglise dont ils vivront.
DANS LA VIE APOSTOLIQUE
On rencontre une ambiguïté analogue lorsqu’on parle de l’expérience apostolique, celle de la mission du Christ vécue en Eglise. Tout le monde voudrait se situer dans la perspective d’une Eglise-communion et dans toutes les assemblées synodales, les jeunes, mais pas eux seulement, ont souligné les efforts à faire pour l’accueil, le partage, la reconnaissance mutuelle...
Lorsqu’on évoque l’avenir des ministères dans l’Eglise et particulièrement celui du ministère ordonné, tous s’accordent pour affirmer qu’il ne faut plus l’exercer de manière autonome, autarcique. Le prêtre doit agir en lien avec d’autres prêtres dans un Presbyterium qui soit une vraie communauté. Il doit, à tous les plans, liturgie, catéchèse, pastorale, collaborer avec des laïcs et des religieuses... La mission de l’Eglise se vit en communion.
Mais comment traduire ceci dans les faits ? La réponse n’est pas sans ambiguïté. Tout le monde souhaite un ministère plus communautaire, mais cette requête s’accompagne d’une revendication très affirmée d’autonomie personnelle, qui va bien dans le sens de l’individualisme contemporain.
On veut un clergé diocésain fraternel, partageant en profondeur les exigences spirituelles et pastorales du ministère, mais on refuse les formes de convivialité recherchées par les pionniers des générations précédentes pour permettre et favoriser ce partage.
On se reconnaît assez dans la géographie pastorale qu’a dessiné Mgr GILSON dans son livre sur le prêtre autour de trois pôles de rencontres : la maison des chrétiens, lieu d’accueil, d’information, de contacts, ouvert a tous et animé par des hommes et des femmes ayant le charisme de l’accueil - l’appartement privé du prêtre, sanctuaire de la vie personnelle et des relations électives - la maison des prêtres, lieu occasionnel de rencontres conviviales et de ressourcement spirituel, appuyé sur la présence d’une petite communauté religieuse et, si possible, d’un "vieux sage" disponible pour l’écoute et le conseil.
Description qui a le mérite de bien cibler et de bien distinguer les besoins, les différents types de relation à promouvoir et à sauvegarder. C’est dire que les responsables pastoraux devraient s’en inspirer et tenter de la réaliser partout où elle est possible. Il reste que beaucoup de jeunes prêtres qui vont être chargés d’un ministère dans les années à venir ne seront pas accueillis dans des structures de ce type. S’ils les veulent, ils auront à les construire avec d’autres : prêtres, religieuses, laïcs - Là aussi cela n’ira pas sans efforts et sans renoncements.
Dire : le prêtre diocésain n’est pas un religieux et refuser les modèles de convivialité qui s’inspireraient trop de la vie religieuse peut être légitime à condition que l’on soit bien conscient que le partage en profondeur ne s’improvise pas, qu’il suppose du temps, des rencontres privilégiées, des aménagements d’horaire et qu’il ne suffit pas d’investir dans la recherche d’une vie privée heureuse et fervente pour que la fraternité naisse.
On trouve une action analogue chez les candidats à la vie religieuse. Ici la requête communautaire est plus affirmée : on ne veut pas être seul. On sent le besoin de partager avec d’autres la prière, la vie quotidienne, le travail apostolique. Mais ici aussi, on suppose implicitement la communauté construite : elle est le roc sur lequel je vais appuyer ma vocation, la maison qui va m’accueillir. On la souhaite solide mais aussi ouverte, respectueuse des individualités, de leurs désirs et de leurs projets. On parlera chaleureusement de projet communautaire comme de la convergence harmonieuse des aspirations individuelles, sans paraître soupçonner que ce peut être l’occasion de tensions, d’affrontements et de conflits. On oublie trop qu’avant de devenir un lieu de convergence et d’harmonie, la communauté est d’abord un lieu de conversion. C’est en cela qu’elle est évangélique. Un religieux n’est vraiment dans sa voie qu’à partir du moment où il peut dire en vérité qu’il n’a pas de projet plus personnel que de vivre et d’incarner, là où il est envoyé, la vocation de sa Congrégation. Un bon test du sérieux et de la maturité des requêtes communautaires des candidats à la vie religieuse est leur capacité à percevoir et à accueillir le lien vital entre communauté et obéissance. La vie religieuse est indissolublement communion et mission : la fraternité y est intérieure à un projet évangélique. Elle se construit autour de lui.
CONVIVIALITE ET COMMUNAUTE
Au-delà des requêtes communautaires des jeunes et compte tenu des styles de vie qu’on peut pressentir pour l’avenir, aussi bien pour les prêtres que pour les communautés religieuses de vie apostolique - la vie monastique exigerait un autre type de réflexion qui n’est pas de ma compétence - quelques remarques me semblent importantes.
On a peut-être trop identifié, dans le passé, convivialité et fraternité. Il peut y avoir fraternité évangélique sans convivialité totale et habituelle. Il faut, je crois, reconnaître chez un certain nombre de jeunes cette requête d’un espace individuel nécessaire à leur équilibre. La vie religieuse, elle-même, doit la prendre en compte. Mais dire ceci n’exclut pas la recherche d’une vraie fraternité évangélique. Plus que la convivialité, ses bases seront aujourd’hui le partage de la foi, la solidarité dans la mission, la relecture de la vie.
Le partage de la foi
Le lien le plus fort qui puisse exister entre des croyants aujourd’hui, c’est de partager le risque d’une foi affrontée aux défis de la modernité. Croire devient une aventure qu’on ne peut courir seul, surtout si l’on est appelé par vocation à rendre compte de son espérance dans un monde indifférent. Exposer à la confrontation avec le monde ce que l’on a de plus cher et de plus précieux, sa foi en un Dieu Amour, est un risque que nous avons besoin de partager avec des frères pour pouvoir le vivre dans la confiance et dans la paix. Cela implique une qualité de relations qui aille au-delà des affinités naturelles et repose sur un engagement de tout l’être dans la foi.
La solidarité dans la mission
Nous ne sommes pas des maîtres spirituels témoins d’une sagesse individuelle mais des serviteurs d’une Parole créatrice de communion. C’est dire que notre témoignage le plus personnel s’insère dans une tradition vivante et qu’il n’a de sens que s’il renvoie à une communauté : l’Eglise. Il n’est donc pas question d’aborder la mission en prophète solitaire mais en serviteur d’une communion.
Concrètement nous en faisons chaque jour l’expérience, cela suppose beaucoup d’échanges et de concertation. Partage des informations, des expériences, mais aussi, et c’est plus difficile, capacité à accueillir à ses côtés l’autre dans sa différence et à se laisser remettre en question par ses manières de faire, ses options et ses réactions.
Etre solidaire dans une même mission cela suppose qu’on ne ressentira pas tout point de vue différent, toute remise en cause, comme une agression, mais qu’on pourra l’accueillir avec ce qu’un psychologue a appelé "une vulnérabilité paisible", dans le seul souci de la communion à construire. Cela ne s’improvise pas. Seuls en seront capables ceux qui auront poussé leur effort de conversion évangélique jusqu’à la purification de leur affectivité.
La solidarité dans la mission demande donc des personnalités vigoureuses, capables de vivre dans la paix les inévitables tensions de l’action. Mais il faut dire aussi que la conscience d’une mission commune permet de relativiser et de surmonter plus facilement- les conflits.
La relecture de vie
Un des lieux essentiels de la fraternité apostolique entre prêtres, religieux, religieuses reste la relecture de la vie sous le regard de Dieu. Quel que soit le nom qu’on lui donne : révision de vie, évaluation communautaire, relecture, c’est une des conditions de la fraternité dans le Christ.
Appelés à une histoire commune dans le service du Peuple de Dieu, nous ne serons vraiment frères et sœurs dans le Christ que si nous acceptons de relire ensemble sous le regard de Dieu ce que nous vivons. Non pas tellement pour faire un bilan sur ce que nous faisons, mais pour découvrir dans nos vies les appels de l’Esprit. Si nous croyons que c’est au nom du Christ que nous sommes réunis, il nous faut chercher et découvrir le Christ présent à nos vies. Au-delà de la banalité du quotidien, à travers la répétitivité même de nos tâches, quelque chose advient du Royaume de Dieu. Trop souvent nous n’en sommes pas conscients.
Si nous voulons pouvoir y nourrir notre espérance, il faut ensemble porter sur nos vies un regard évangélique. Il faut nous aider, selon les grâces reçues, à retrouver partout, avec le Christ et comme Lui, le Père présent, agissant pour le salut des hommes.
Relire l’action de Dieu dans nos vies et dans notre mission commune, c’est vraiment construire notre fraternité sur le roc des promesses évangéliques,
"Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux"
La communauté est une force et un soutien... oui ! Elle est d’abord une oeuvre à construire et à faire vivre tous les jours. A ceux qui se demandent : qu’est-ce que cette communauté va m’apporter ? Il faut répondre très fermement : qu’est-ce que tu es prêt à offrir de toi-même pour que vive une communauté selon l’Evangile ? Il faut alors reprendre et méditer tout ce que les Actes et les Epîtres nous disent du support mutuel, du pardon des offenses, de la soumission réciproque dans la communauté chrétienne.
Hors de ces perspectives, il peut y avoir ici ou là, pour un temps, des ambiances chaleureuses, il n’y a pas de fraternité dans le Christ.