Bibliographie


"DEUX MILLE ANS D’EGLISE EN QUESTION - Du Schisme d’Occident à Vatican II"
Gustave Martelet, Le Cerf 1990 - 367 p.

Le présent ouvrage a été précédé de deux autres volumes. Le premier en 1984 est intitulé : "DEUX MILLE ANS d’EGLISE EN QUESTION - Crise de la Foi, crise du prêtre". Le deuxième en 1990 sous le titre "DEUX MILLE ANS D’EGLISE EN QUESTION - Des martyrs à l’Inquisition". Il s’agit d’un développement historico-théologique où l’auteur analyse la manière dont a été véhiculé le rapport du prêtre à l’Eglise et au monde, ainsi que la vision théorique du prêtre affirmée à chaque période de cette histoire.

Un compte-rendu assez ample de ce deuxième volume a été donné dans le n° 58 du bulletin "JEUNES ET VOCATIONS", pp.101 à 108. C’est à la suite de ce texte que se situe le présent compte-rendu du troisième volume.

- I -

  • Du 4ème au 13ème siècle s’étend une période de possession relativement tranquille sur le sujet qui nous intéresse ici, malgré les incertitudes sur la nature de l’épiscopat et un déplacement d’accent qui privilégie l’aspect hiérarchique de l’Eglise au détriment de son apostolicité pourtant fondamentale. Cette tension sera très souvent notée et critiquée dans l’ouvrage. Sous l’influence de D’uns SCOT(1308) et de Guillaume d’OCKHAM (1350) la synthèse théologique élaborée au 13ème siècle se trouve fort secouée, - comme l’Eglise elle-même par le grand schisme d’Occident où trois papes prétendent contradictoirement au ministère de l’unité -.Les papes de la Renaissance, par leur conduite, compromettent le prestige spirituel de Rome. Ainsi la Réforme protestante se profile en continuité : elle conclut autant qu’elle inaugure. En ce qui concerne le ministère apostolique, sacerdotalement qualifié, les temps de possession relativement tranquille sont révolus pour une période qui va jusqu’à nos jours. Aussi l’auteur entend bien traiter de cette période avec un constant souci oecuménique, aussi attentif à chercher la vérité qu’à bannir la polémique.

 

  • Il est inutile de préciser davantage les faits et les idées qui ont annoncé et provoqué la crise de la Réforme protestante.
    • Dès la fin du 13ème siècle, Henri de GAND (1293) théologien, affirme que dans l’hypothèse où l’Eglise contredirait l’Ecriture, il faudrait sacrifier l’Eglise et appuyer la foi chrétienne sur la seule Ecriture : c’est nier 1’apostolicité de l’Eglise qui lui confère "le charisme de vérité".
    • Au 14ème siècle, Marsile de PADOUE (1348) s’affirme contre la théocratie pontificale et pour l’autorité suprême du Concile général des fidèles. Pour WYCLIF (1384) et Jean HUS (1415) la véritable Eglise est le rassemblement invisible des prédestinés qui peut être en opposition avec l’Eglise visible et terrestre. Dès lors, le pécheur est déchu de toute autorité ; le pape est un Antéchrist et les prédicants sont des hommes "apostoliques". Ce renversement des valeurs dans l’Eglise a été facilité par l’épreuve terrible du grand schisme d’Occident, accompagné du conciliarisme. En définitive, il y avait concurrence de trois papes et aucune des voies envisagées pour dénoncer le problème (cession, compromis, concile) n’ayant été efficace, le Concile de CONSTANCE (1414-18) demande la démission des trois papes et élit Martin V, grâce à l’action de l’empereur d’Allemagne Sigismond.
    • Au 15ème siècle commençant, le ministère apostolique paraît pratiquement et théoriquement fort endommagé. Les "nations" en profitent pour affirmer leur indépendance par rapport au pape et le conciliarisme de l’Eglise entière, y compris les laïcs, se proclame à l’intérieur de l’Eglise.

  • La responsabilité d’un tel concile lui vient de sa représentativité comme raccourci de chrétienté, et non pas de 1’apostolicité ministérielle de ses membres. Aussi Rome n’a jamais donné un pouvoir de droit au décret "Haec sancta Synodus" de Constance, toujours considéré simplement comme une décision de circonstance.
    • De 1471 à 1521, vont monter sur le siège de Pierre une série de papes qui constituent le niveau le plus bas de la papauté depuis les 10ème/11ème siècles ; ils confondent la renaissance des beaux-arts et la réforme des mœurs, - se font des revenus financiers par la vente des charges et des indulgences -. Par ailleurs, le clergé est pléthorique, ordonné ad missam sans être d’abord serviteur de la Parole et éducateur spirituel. Enfin, le régime corrupteur de la commande livre les abbayes et les évêchés à des chasseurs séculiers de bénéfices ecclésiastiques. Ceux qui diagnostiquent l’ampleur du mal (Assemblée de TOURS, 1493) réclament une réforme qu’ils confient au roi, alors qu’elle revient au pape et aux évêques.

     

  • C’est cette réforme que va préconiser et conduire un moine augustin, LUTHER. Il s’oppose au sacerdoce catholique en fonction de l’Ecriture. Pour lui, l’Eglise est la résultante invisible de la Parole qui agit par l’intermédiaire de ses témoins, sans institution visible qui les relie entre eux.

    Aussi cette Eglise n’a rien à voir avec le corps visible dont on dit que la tête est à Rome et qui contredit l’Ecriture (cf. Henry de GAND, 13ème s.) Primat de l’Ecriture et de la parole, ainsi que de la prédication sur les sacrements. Dans une telle reconsidération théologique globale, l’affaire des Indulgences ne joue que le rôle de révélateur.

    Pour LUTHER, trois murailles sont à abattre :
    - la distinction entre clercs et laïcs : tous les chrétiens sont consacrés prêtres par le Baptême
    - l’autorité du pape et des clercs sur l’interprétation de l’Ecriture
    - le droit du pape à réunir seul un concile ; ce pouvoir appartient aux laïcs.
    Convoqué à la Diète de Worms en 1521, Luther refuse de se rétracter en quoi que ce soit.

 

  • CALVIN est le disciple de LUTHER pour une bonne part depuis sa conversion en 1532. Dès 1535, il publie l’Institution chrétienne. Il refuse d’être traité en schismatique et son refus du sacerdoce n’entraîne pas celui du ministère que d’ailleurs il trouve dans l’Ecriture.

    Pour lui, être pasteur est le condensé de tous les ministères. Mais le pastorat n’est pas sacerdotal, en raison de l’unicité et de la perpétuité du sacrifice du Christ en croix.

    Ainsi la Réforme protestante abandonne la successoralité apostolique du ministère. Elle définit la véritable Eglise indépendamment du sacrement de l’Ordre. Pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise, le ministère sacerdotal est l’objet d’un refus de principe. Au lieu de guérir en soignant, on ampute.

- II -

  • Le Concile de TRENTE s’efforcera de soigner l’Eglise malade.... avec au moins 25 ans de retard (1545-1563). Il se déclare oecuménique, mais ne dépassera jamais 2OO votants.

    Au sujet du sacerdoce, le Concile de TRENTE est surtout défensif par rapport à la négation de la valeur sacrificielle de la messe, par rapport à la substitution du sacerdoce spirituel des fidèles aux lieu et place du sacerdoce ministérielle des prêtres, par rapport au ministère pastoral défini avant tout par la prédication en dépendance d’une délégation (révocable) par la communauté et sous la tutelle des autorités séculières.

    Sa vision du sacerdoce est très dépendante du Pseudo-Denys (La Hiérarchie ecclésiastique) et sans guère se référer à 1’apostolicité qui fonde la hiérarchie elle-même.

    La doctrine de TRENTE sur la nature du sacerdoce insiste sur trois points :
    - l’Ecriture est issue de l’Eglise des Apôtres, en ce sens elle est apostolique, de même que les Traditions apostoliques qui doivent être acceptées avec le même respect que l’Ecriture, car toutes deux ont une source unique, l’Evangile. L’Ecriture s’est formée dans la Tradition sous la responsabilité des Apôtres.
    - Le sacerdoce est sacrificiel, apostolique et scripturaire. TRENTE affirme la visibilité du sacrifice eucharistique et du sacerdoce, de même que 1’apostolicité et la sacramentalité des deux, au-delà du sacerdoce spirituel des baptisés.
    - Le fait de passer par d’autres que par lui, Jésus ressuscité, pour nous communiquer sa propre sainteté n’est rien d’autre que 1’apostolicité même du ministère sacramentellement ordonné.
    C’est cette économie d’altérité apostolique qui fonde le caractère hiérarchique de l’Eglise, et non l’inverse. C’est le message et la mission du Christ qui fondent 1’apostolicité du ministère ordonné. Pour LUTHER, au contraire, la hiérarchie est un mur qui nous cache l’Eglise. Dans sa crise finale, TRENTE a du mal à aller jusqu’au bout de sa doctrine d’apostolicité, plus préoccupé de sauver la hiérarchie que de fonder la mission des divers ordres et de préciser leur co-responsabilité. Mais plus profond que la hiérarchie dans l’Eglise, il y a l’apostolicité de l’Eglise, c’est-à-dire son origine et son identité à partir du Christ et des Apôtres .

 

  • Avec une doctrine de TRENTE, faut-il aussi parler d’un monde Tridentin ? s’interroge notre auteur. Et il répond d’une plume alerte et bien trempée dans l’encrier. Il suffit de lire la page 152 pour s’en convaincre. Le monde Tridentin lui apparaît tout ad intra et tout d’une pièce - sûr de lui et triomphant - ayant la condamnation bien facile - peu porté au dialogue, il dogmatise bon train - il préfère l’amour du vrai au respect des consciences - facilement sectaire - médiéval pour le fond, baroque pour la forme - figé, statique, fixiste - l’autre ne l’intéresse pas..., mais animé d’un élan missionnaire intense pourtant !

 

  • L’héritage de TRENTE en ce qui concerne le sacerdoce sera assuré d’abord par la création des séminaires pour la formation des prêtres décidée à la session de 1563, dont la mise en oeuvre générale demandera près d’un siècle. Et, plus largement par le rayonnement de l’Ecole Française, avec BERULLE, CONDREN, OLIER, Saint Jean EUDES. Le Christ est le parfait religieux du Père ; le prêtre est identifié au Christ ; ainsi l’aspect théocentrique du sacerdoce apparaît au cœur de la spiritualité et de la mission du prêtre. Il n’est jamais question du sacerdoce spirituel des fidèles et le monde ecclésiastique constitue un monde à part.
    Là encore se fait fort sentir l’influence hiérarchisante du Pseudo-Denys. Celui-ci en effet pendant des siècles a passé pour l’auditeur de Saint Paul sur l’Aréopage d’ATHENES et a joui de ce fait de l’autorité d’un "vir apostolicus" .

 

  • Le 18ème siècle marque une profonde rupture politique sociale et culturelle. Le mouvement des Lumières provoque un changement profond dans la hiérarchie des valeurs qui construit une mentalité nouvelle, dominée par le bonheur, le progrès, l’autonomie de la raison norme de la liberté, source de tolérance et de dynamisme pour la transformation du monde...

    La Révolution de 1789 s’accomplit dans cette ambiance culturelle ; dominée par les valeurs séculières, elle prononce la Constitution civile du clergé. Le Concordat de 1801 est un modus vivendi juridique qui ne réconcilie pas en profondeur Eglise et Société. L’attitude de Bonaparte et de Napoléon provoque la réaction ultra-montaine qui durera jusqu’à la fin du 19ème siècle.

- III -

  • Sans s’arrêter à ce qui marque la deuxième moitié de 19ème siècle : la disparition des Etats Pontificaux, le concile Vatican I, et la définition de l’Infaillibilité pontificale (et l’intense dynamisme missionnaire) notre auteur, appuyé sur la doctrine de Vatican II, donne dans la dernière partie du volume que nous analysons, "un essai d’aggiornamento doctrinal sur la nature et l’exercice du sacerdoce ou du presbytérat ordonné".

    Il effectue cette recherche en fonction de la crise actuelle du sacerdoce et d’une vigilante préoccupation oecuménique. Ainsi s’établit la conclusion des trois volumes de l’ouvrage et la réalisation du projet qui a inspiré et guidé sans cesse le travail d’ensemble.

 

  • L’apostolicité de l’Eglise et son message pour le monde s’enracinent dans la vie Trinitaire et les missions du Fils et de l’Esprit. La mission visible du Christ en notre monde est le point d’ancrage et l’origine de l’envoi des Apôtres : "Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie" annoncer l’Evangile à toute la création. Ainsi se réalise une présence et une action personnelle du Christ glorieux par le moyen de l’autre qui constitue "l’économie de l’autre" dans l’Esprit de la Résurrection. Les Apôtres sont intégrés à la personne de Jésus Ressuscité pour obvier à sa disparition visible de l’histoire.

 

  • Il faut préciser que les Apôtres n’ont pas de successeurs dans leur vocation de fondateurs, mais ils en ont bien pour leurs responsabilités autres que celle-là, puisque Jésus les envoie à toute la création et qu’il va demeurer avec eux jusqu’à la fin des temps ; leurs fonctions apostoliques débordent les personnes des Apôtres ; leur mortalité est surmontée par voie de succession selon des normes apostoliquement établies et signifiées par l’imposition des mains.
  • Les tâches auxquelles sont habilités les successeurs des Apôtres sont : paître, garder, gouverner, soigner, enseigner, organiser, incorporer sacramentellement à la vie du Seigneur, initier à la vie du Royaume... en raison de la mission reçue des Apôtres ou du moins reconnue par eux - Il s’agit donc là d’un pouvoir d’origine apostolique et de nature évangélique, tout de service et non de domination.

 

  • Le presbytérat apparaît dans l’Ecriture sous forme des responsables locaux, inséparables des responsables constitués par la succession apostolique, dont ils partagent la mission et les tâches. Le rapport du sacerdoce baptismal et du sacerdoce ministériel est établi, ainsi que le caractère sacerdotal du ministère presbytéral. Sont évoqués sommairement la relation du célibat consacré et du ministère sacerdotal, ainsi que l’accession des femmes au ministère ordonné.

 

  • Enfin, s’appuyant sur l’enseignement fourni par la tentation de Jésus au désert, l’auteur suggère un chemin spirituel qui relie le ministère presbytéral à la Personne même du Seigneur, "l’Apôtre et le Grand Prêtre de notre foi".

    L’ouvrage se termine par un bref chapitre consacré à l’identité du prêtre comme pasteur, selon Vatican II (P.O. 9).

Que le Père G. MARTELET soit remercié de sa magistrale contribution au retour des chrétiens à l’unité, et à la solution de la crise actuelle du ministère presbytéral.

Mgr Joseph WICQUART
ancien évêque de COUTANCES