Spiritualités et vocations


Dominique SADOUX,
religieuse du Sacré Cœur de Jésus,
membre de l’équipe pastorale du S.N.V.

Le sujet est vaste ! D’un côté la spiritualité, ou plutôt les spiritualités, une multitude de courants religieux, de manières de sentir sa Foi et de l’exprimer, une multitude de grands écrivains, voire de mystiques. Et l’on se prend à penser à Thérèse d’Avila, à Jean de la Croix et tant d’autres que l’on ne mettrait pas d’emblée dans les mains des "débutants".

D’un autre côté : les vocations et plus particulièrement l’accompagnement de ceux et celles qui, jeunes et moins jeunes, cherchent à suivre l’appel de Dieu dans un choix particulier de vie chrétienne. Les accompagner consiste d’abord, pense-t-on, à les aider a reconnaître dans leur vie le retentissement de la Parole de Dieu, de l’appel du Christ des Evangiles. Or cette parole se vérifie dans le quotidien de l’existence concrète. Et l’on se méfie parfois d’une vie "spirituelle" qui n’aurait pas de prise sur le réel : que dire de la spiritualité pour autant que celle-ci dit une manière de vivre la vie "spirituelle" ?

En réalité le mot même de "spiritualité" renvoie bien à une manière de vivre spirituellement - mais au sens où les valeurs de l’esprit informent, unifient, orientent toutes les dimensions de la personne humaine - en ce sens où le matériel et le spirituel non seulement ne se séparent pas mais trouvent leur unification dans les valeurs morales, voire religieuses, capables de mobiliser toutes les énergies humaines là où la personne s’accomplit en donnant un sens à son existence. Ce sens la rend de plus en plus humaine, réaliste en la mettant en relation avec d’autres, avec "l’Autre". On est loin ici de tous les ersatz "spirituels" offrant à bon marché du "spiritisme" du "spiritualisme", du "sensationnel" ; loin de ces marchands d’illusions désintégrant les personnes ou les groupes jusqu’à la destruction spirituelle ou physique.

Bien plus : au niveau où se situe le croyant, le terme "Spiritualité" prend soudain une majuscule. Car c’est l’Esprit Saint que le mot désigne. Avoir une spiritualité c’est vivre dans l’Esprit Saint. C’est se laisser pénétrer du Souffle créateur, se laisser pousser par le Vent de Pentecôte... Brûler de ce Feu ; c’est être véritablement un Vivant, une Vivante de la vie même de Dieu, et cela chaque jour de l’existence et en toutes circonstances.

Or, comment vivre de l’Esprit sinon en s’appropriant le message de l’Evangile pour en devenir porteur ? En ce sens tout croyant, toute croyante a une spiritualité dans la mesure où ils traduisent dans leur vie, à leur manière, la Bonne Nouvelle reçue. L’Evangile n’est pas un "en soi" uniforme et interchangeable. Il offre de multiples approches car Celui qui s’y révèle n’est jamais parfaitement saisissable. Et le mystère du Christ est si riche, qu’à travers un aspect de sa personnalité ou un événement de son histoire, toute la totalité se donne à connaître et à vivre.

En ce sens on pourrait dire qu’il y a autant de spiritualités que de chrétiens ! Et que chercher à répondre à l’appel du Christ consiste à découvrir sa propre porte d’entrée dans l’Evangile. Répondre personnellement à un appel ce sera emprunter un chemin que l’on découvre comme familier, où l’on s’apercevra qu’on y marchait déjà...

Chaque personne a une vocation unique, une vie spirituelle personnelle. Cependant il existe des airs de famille ! Et se retournant sur le chemin de l’histoire, on découvre en se cherchant tel ou tel visage qui se détache, telle silhouette : celle d’un pionnier, d’une pionnière qui ont ouvert une voie... On connaît les noms de Bernard, Thérèse ou Ignace, ceux de Charles de Foucauld, Madeleine Delbrel, Vincent, Dominique et François... et tant d’autres ! Leur vocation à eux était d’ouvrir un chemin d’Evangile. Ils ont montré du doigt, à la manière du Baptiste, Celui dont la pauvreté, le cœur, la parole, le geste de guérison, les avaient séduits...

La pauvreté d’un François a fait l’unité de sa vie, comme le mystère de l’enfance de Jésus a fait celle de la vie de Thérèse de Lisieux. La parole d’envoi aux nations a brûlé le cœur de François-Xavier et orienté toute son existence vers un ailleurs où porter la Bonne Nouvelle... Une vraie spiritualité unifie toute l’existence en l’orientant dans une direction (monastique, apostolique, séculière, laïque...). Les spiritualités se complètent et s’unissent pour annoncer le Royaume dans la diversité de leurs couleurs et de leurs charismes. Chacun porte une force capable de rassembler, d’appeler, à la suite de tel homme ou de telle femme, ceux et celles qui se reconnaissent à travers elles.

Chaque spiritualité, avec sa mélodie propre, fait résonner la Parole dans sa totalité, touche tous les domaines de l’existence : elle implique une manière d’être, de saisir les choses, d’agir, de prier...Elle sonne juste dans la mesure où, à la différence d’une dévotion, elle ouvre à l’essentiel du Mystère chrétien mais par une approche particulière.

"Ainsi, à travers un seul trait de l’évangile, la personne du Christ devient présente et son mystère, mystère de mort et de résurrection, devient spiritualité. François d’Assise porte les plaies de son Seigneur, Ignace peine avec le Christ pour entrer avec lui dans la gloire, Jean de la Croix chante dans les prisons de Tolède son Cantique spirituel et Thérèse de Lisieux devient Thérèse de la Sainte Face".

Les grandes spiritualités sont aussi des dynamismes d’action. Chercher sa vocation consiste toujours pour les jeunes à chercher comment répondre aux appels du monde aujourd’hui. Découvrir en leur propre cœur une parenté avec tel courant spirituel sera en même temps trouver le lieu d’un service, d’une solidarité avec les autres.

Apprenant à connaître des grandes figures spirituelles, les jeunes non seulement se reconnaîtront eux-mêmes mais verront s’ouvrir un champ immense, une mission propre.

On songe au levier puissant de la spiritualité vincentienne, et pourtant "je n’ai rien fait !" disait Vincent de Paul au soir de sa vie !

On pense à la dimension d’urgence du service de la prière monastique à toutes les époques de l’histoire.

On se souvient aussi de tant de femmes ayant transformé la société de leur temps et de leurs terroirs.

Spiritualités et vocations ? Ces deux termes ont bien quelque parenté ! Pas d’éveil ni d’accompagnement ni de discernement de vocations sans aider les jeunes à reconnaître leur propre chemin. Cela ne se fera pas sans être à l’écoute de leur manière de goûter la Parole de Dieu, de contempler tel trait du visage du Christ, de se sentir poussé à tel service. Il s’agira aussi de leur faire connaître la vie des grands Spirituels et de les introduire à des textes spirituels.

Enfin, il y aura lieu de les mettre en contact avec telle personne, tel groupe animé par une spiritualité propre (prêtre diocésain, monastère, institut , mouvement...)

Quant à l’accompagnateur on devine combien son témoignage sera important. Pas question pour lui de faire étalage de sa Spiritualité propre mais celle-ci sera l’air qu’il respire... Les jeunes sentiront que leur vis-à-vis a trouvé sa liberté, sa joie et l’unification de sa vie. Ils percevront que leur accompagnateur, leur accompagnatrice sont enracinés "quelque part", dans un lieu spirituel à partir duquel ils sont capables de saisir l’originalité des autres spiritualités et de les proposer. Car toute vraie spiritualité ouvre sur la richesse de l’Evangile et donne d’en saisir les multiples couleurs. Un instrument n’est fait que pour jouer de concert avec d’autres.

Le défi de la tâche d’accompagnateur, d’accompagnatrice est le suivant : dans un même mouvement, revenir sans cesse à son cœur, au cœur de sa spiritualité et du fait même de cette conscience de sa vocation particulière, être capable d’entendre les autres appels de l’Esprit dans l’Eglise pour le monde, afin de permettre aux jeunes d’y accorder leur désir et leur propre réponse.