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La joie d’être prêtre diocésain
Bruno HOUPERT,
prêtre du diocèse de RODEZ,
membre de l’équipe du SDV
Prêtre depuis juin 1988, mon ministère se répartit entre la paroisse et l’aumônerie de l’enseignement public. A travers ces deux insertions, je suis surtout en contact avec des jeunes, lycéens, étudiants ou au travail. J’ai la chance également de pouvoir partager mon ministère avec l’équipe des cinq prêtres de la paroisse où je suis et l’équipe des cinq permanents de l’aumônerie composée de trois laïcs, d’une religieuse et de moi-même. Ces deux lieux où se joue la complémentarité des vocations sont importants dans la structuration d’une vie spirituelle.Après avoir abordé la spiritualité du prêtre diocésain, j’envisagerai comment celle-ci peut sous-tendre de façon épanouissante l’appel au ministère presbytéral diocésain. C’est donc d’abord à partir de mon expérience personnelle que je voudrais donner quelques points forts de cette spiritualité. J’en retiendrai trois : la communauté, le presbyterium et le Christ. Ces trois points sont intimement liés et s’appellent l’un l’autre. Le prêtre diocésain, dans sa communauté et uni au presbyterium autour de l’évêque, à la suite du Christ Pasteur, est témoin de l’amour de Dieu par le don de l’Esprit Saint reçu le jour de son ordination.
Une présence au cœur d’un peuple
Lorsque Jésus envoie les Douze en mission, il leur dit : "allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël" (Mt 10, 5). C’est à un peuple que le prêtre diocésain est envoyé et c’est par lui que s’enracine sa spiritualité. Ce peuple est l’ensemble de ceux et celles, croyants ou non, que le prêtre est amené à côtoyer et pour qui il est ministre de la communion. Mais ces hommes et ces femmes sont aussi pour lui son propre chemin de conversion.
A LA CROISEE DES CHEMINS
Nombreux sont les hommes et les femmes que le prêtre croise au long des jours : rencontre informelle ou demande sacramentelle, accompagnement personnel ou cheminement avec une équipe, partage des joies ou présence au cours de la maladie, du deuil... Les demandes sont multiples, diverses dans leur expression. Tant les déplacements kilométriques que les passages fréquents d’un groupe à l’autre peuvent donner l’impression d’un écartèlement qui bien vite deviendrait un éclatement. Là pourtant est le premier point d’ancrage de la spiritualité du prêtre diocésain. Si ce tiraillement peut faire naître chez le prêtre un sentiment de solitude, il génère aussi sa joie et l’enracinement de sa vie spirituelle. A la croisée des carrefours humains, le prêtre diocésain ne signifie-t-il pas l’initiative de Dieu dans l’histoire de chacun et dans celle de toute l’humanité ?
Faire route avec les hommes, avec tous les hommes et pas seulement le peuple .des croyants, telle doit être la première préoccupation du prêtre ! Comme l’écrit Jean Paul II dans son encyclique Redemptor Hominis "l’homme est la première route fondamentale de l’Eglise" (n° 14). Quelle qu’ait été l’histoire de celui rencontré, quoi qu’il ait pu dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, un chemin d’espérance est possible parce que le Christ traverse toute vie, dans sa banalité et sa quotidienneté. Dieu espère en chacun ce qui n’est pas encore et qui est à naître. Mon seul désir est de faire partager cette expérience de l’absolu de Dieu qui rejoint l’homme au cœur de sa faiblesse. Songer à cela semble fou mais cette folie, qui est sagesse de Dieu, donne au ministère toute son épaisseur spirituelle.
Il en est de même dans l’accompagnement des équipes d’enfants, de jeunes ou d’adultes pour découvrir avec eux la présence du Christ dans leur vie. Avec les uns, cela commence par les aider à reconnaître les richesses dont ils sont porteurs et découvrir qu’une vie heureuse au sens des Béatitudes est une vie donnée. Avec les autres, ce sera les aider à aller jusqu’à nommer Dieu comme source de ces richesses et découvrir que déjà le Christ s’est donné à eux. Le prêtre conduit à la suite du Christ le peuple qui lui est confié. Paroles dures que celles d’Ezéchiel : "Malheur aux pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas paître le troupeau ?" (Ez.34, 2). Le prêtre n’est pas propriétaire des gens qu’il rencontre, des communautés où il exerce son ministère. Saisi par la tendresse de Dieu, il a pour mission d’essayer d’en être le témoin fidèle.
La croissance de toute vie spirituelle dépend de l’attitude que l’on peut avoir. Pour le prêtre diocésain cela se traduit dans l’amour de ce peuple, un amour impuissant qui se heurte à la liberté de l’autre mais surtout amour fécond. Prisonnier de l’immensité des tâches à accomplir, il fait fausse route s’il considère son ministère comme un ensemble de choses à faire, comme une efficacité à avoir. Par contre, la fécondité de son ministère réside dans une capacité à accueillir l’autre tel qu’il est, là où il en est, pour être son compagnon de route, à la suite du Christ sur la route d’Emmaüs. Dieu ne nous demande pas d’être efficace, il nous invite à vivre la fécondité. Etre efficace, c’est vouloir faire de grandes choses pour soi-même, tandis qu’être fécond, c’est désirer faire les plus petites choses par amour pour l’autre. Facile à écrire, mais difficile à vivre ! Ainsi ce peuple est d’abord le lieu d’une conversion personnelle.
LA COMMUNAUTE, LIEU DE CONVERSION
Grand est le danger de vouloir tout faire ! Bien souvent, le prêtre est partagé entre le désir de communiquer à tous Celui qui le fait vivre, la tentation de répondre à toutes les demandes, la préoccupation de rejoindre tous ceux pour qui l’Eglise ou l’Evangile ne signifie rien, le souci des plus pauvres et des plus fragiles. Face à cela, deux attitudes me semblent possibles : soit fonctionner partout au risque de n’être nulle part, soit, en reprenant Thérèse de l’Enfant Jésus, être l’Amour, c’est-à-dire celui qui donne sa vie pour son peuple. Plus qu’une simple alternative, ces deux attitudes créent la tension permanente qui sous-tend la vie du prêtre et c’est en ce sens que je parle de chemin de conversion.
Jean-Marie VIANNEY disait : "Le prêtre n’est pas prêtre pour lui. Il ne se donne pas l’absolution, il ne s’administre pas les sacrements. Il n’est pas pour lui, il est pour vous. Le sacerdoce, c’est l’Amour du cœur de Jésus. Que le prêtre est quelque chose de grand ! S’il le comprenait il mourrait.." (1). Le prêtre est pasteur de sa communauté mais aussi serviteur de celle-ci. Avant d’être prêtre, l’Eglise lui a demandé d’être diacre, c’est-à-dire ministre de l’amour selon le Christ.
Ainsi, la grandeur du ministère tient dans la mission qu’a le prêtre de donner ce qui ne lui appartient pas, le sommet de ce don étant la célébration des sacrements et le lieu de ce don étant le propre don de soi. D’où un appel à vivre ce ministère dans l’humilité. Telle est bien en effet la seule attitude possible en voyant l’action de Dieu en chacun. Au delà des refus et des résignations, Dieu est présent et agissant, il ne s’impose pas mais se propose sans cesse en plein milieu des activités.
Ne peut-on alors parler d’une présence eucharistique du prêtre au cœur d’un peuple et pour un peuple, au cœur des réalités quotidiennes d’une vie consacrée à une communauté humaine. Ma vraie joie est le don de moi-même à Dieu bien sûr, mais aussi à ceux et celles vers qui je suis envoyé. Un des sens du célibat se trouve là : par son célibat choisi, le prêtre signifie aux hommes le don de tout son être pour eux. Cela se concrétise par le désir de vivre une grande disponibilité envers ceux rencontrés, disponibilité tant au niveau de l’écoute que du temps. Il s’agit d’une priorité dans mon ministère et jamais je n’ai été pris par le temps lorsque j’ai voulu privilégier la rencontre alors que j’avais beaucoup de choses "à faire".
La mission du prêtre s’enracine dans un double et inséparable amour, l’amour pour Dieu et l’amour pour ses frères. Par là, le prêtre est amené à vivre dans son propre ministère le mystère pascal. C’est en donnant sa vie, à l’image du Christ, que le prêtre découvre la profondeur de son ministère, et la souffrance naît de voir des hommes empêchés - par eux-mêmes ou par d’autres - de vivre debout et de reconnaître la présence du ressuscité sur leur route. Il n’y a pas de vrai amour qui ne conduise à la souffrance, mais il n’y a pas non plus de vrai don qui ne conduise au pardon. Le prêtre doit savoir vivre le pardon avec sa communauté. "La pardon est au cœur d’une communauté chrétienne. Le chef doit être signe et modèle de ce pardon". (2)
LE PRETRE, MINISTRE DE LA COMMUNION
Nous mesurons combien le prêtre diocésain est étroitement lié à la communauté à laquelle l’évêque l’a envoyé, ce lien dépassant de beaucoup la simple présence physique. C’est pourquoi le prêtre n’est jamais seul lorsqu’il célèbre l’Eucharistie. Au milieu de sa communauté, il ne peut être ni le chef qui dirige tout et par qui tout se décide, ni l’émanation d’un groupe dont il devrait suivre les directives et qui tracerait son propre chemin. Il est d’abord le ministre de la communion. Il convoque, rassemble, enseigne et disperse la communauté non pas en son nom propre mais au nom de Dieu par l’Esprit qu’il a reçu le jour de son ordination.
Au service de la communion, le prêtre diocésain a à favoriser la croissance de chacun comme Fils de Dieu, avec son histoire, sa sensibilité, sa recherche de sens, et à veiller à ce que cette croissance serve à celle de l’ensemble de la communauté. "Passerelle" entre des hommes et des femmes dont les démarches sont diverses et sans chercher à étouffer cette diversité, il a pour mission de garder l’unité, "en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ." (Eph 4, 12-13).
Toutefois, si la responsabilité de cette mission revient en propre au prêtre, il n’a pas à en assumer seul sa réalisation. On parle beaucoup de co-responsabilité entre prêtre, diacres, religieux et laïcs. Une grande chance pour le prêtre est de pouvoir prier, vérifier l’attachement de son ministère au Christ, conduire le peuple, avec d’autres vivant une vocation - et donc une mission - complémentaire dans l’Eglise et dans le monde. La spiritualité du prêtre diocésain ne se forge pas de façon solitaire. Au contraire, elle ne peut se fortifier qu’au contact de la diversité même des réponses personnelles à l’Evangile que d’autres vivent dans le mariage, la vie religieuse ou dans le célibat choisi. Et ceci jusqu’à une convivialité, une qualité relationnelle gratuite que le prêtre est en droit d’attendre de sa communauté sans laquelle son épanouissement personnel n’est guère possible et qui doit se traduire également par une vie équilibrée par des temps de loisirs et de détente.
Enfin, la spiritualité du prêtre diocésain trouve son dynamisme dans sa dimension missionnaire. Il n’est de communion qui ne soit missionnaire : "La communion est missionnaire et la mission est pour la communion" (Christi fidèles n° 32).
Ministre de la communion, le prêtre a une "mission de salut d’ampleur universelle" (Presbyterorum ordinis n° 10). Tout comme en Jésus-Christ Dieu a pris visage humain, il est important que son ministère s’incarne dans la vie des hommes d’aujourd’hui, avec leurs préoccupations, leurs attentes. Au milieu des bouleversements que nous vivons (technologiques, économiques, sociaux, politiques...), il ne peut rester indifférent à tout ce qui vit car c’est bien là qu’est présent l’Esprit Saint aujourd’hui.
L’Evangile met sans cesse en route. Comme le berger marche en tête du troupeau, ainsi en est-il du prêtre, capable de se laisser interpeller par les questions d’aujourd’hui. La grâce de l’ordination n’efface pas celles du baptême et de la confirmation. Baptisé et confirmé il a vocation et mission d’annoncer l’Evangile à tous les hommes, prêtre il a mission et vocation de construire le Corps du Christ "pour que toutes les nations rassemblées dans le Christ soient transformées en l’unique peuple de Dieu" (prière consécratoire de l’ordination des prêtres).
Prêtre dans un presbyterium, à la suite du Christ
Au cœur d’un peuple, le prêtre diocésain n’est pas seul. Il fait partie d’un presbyterium réuni autour de l’évêque du diocèse. De plus son ministère s’enracine dans le don de sa vie qu’il a fait à Dieu, à la suite du Christ. Poursuivons cette recherche des points forts de la spiritualité du prêtre diocésain par ce lien qui unit les prêtres diocésains entre eux et qui se vit dans le presbyterium.
PRETRE AVEC D’AUTRES PRETRES
Le prêtre diocésain n’est pas prêtre tout seul mais à l’intérieur d’un presbyterium, c’est-à-dire avec d’autres prêtres attelés comme lui à la même mission. C’est là encore un point d’ancrage de la spiritualité du prêtre diocésain. Lorsque le Concile parle des prêtres il en parle toujours au pluriel, affirmant que "du fait de leur ordination qui les a fait entrer dans l’ordre du presbytérat, les prêtres sont tous intimement liés entre eux par la fraternité sacramentelle ; mais du fait de leur affectation au service d’un diocèse en dépendance de l’évêque local, ils forment tout spécialement à ce niveau un presbyterium unique" (P.O. n° 8).
J’ajouterai même que ce presbyterium unique a son histoire qui lui est propre. Le prêtre diocésain entre dans une histoire diocésaine, celle de sa communauté bien sûr mais celle aussi de son presbyterium. C’est une évidence de dire aujourd’hui qu’une assemblée de ce presbyterium est bien souvent une assemblée de têtes grises dont la moyenne d’âge est élevée. Mais derrière cette réalité, il y a surtout des hommes marqués par l’enthousiasme du Concile et le déchirement de voir la désertion des communautés chrétiennes. Au-delà des difficultés et des découragements demeure la fidélité à l’Evangile et à l’Eglise. C’est un véritable encouragement pour ceux qui entrent maintenant dans un presbyterium.
Plus que jamais il y a la nécessité pour les prêtres de se soutenir entre eux. Il est important de créer des lieux où, sans chercher à quadriller tout un territoire au risque d’éparpiller les prêtres, ceux-ci pourront partager leur ministère, prier, célébrer, se détendre entre eux. C’est une des conditions pour éviter de devenir des "spécialistes" dans tel ou tel secteur, de telle sorte que la mission des uns est portée également par les autres.
Par cette fraternité sacramentelle qui commence par la convivialité et culmine dans la célébration eucharistique, le prêtre diocésain vérifie qu’il n’est pas propriétaire de son ministère. C’est avec ses frères prêtres qu’il partage l’annonce de l’Evangile. Parce que je sais que je ne serai pas éternel dans la communauté que l’évêque m’a confiée et que celui qui y sera envoyé à ma place entreprendra les choses différemment, l’appartenance à un presbyterium rend possible la disponibilité à la mission reçue et le souci de la mission de toute l’Eglise diocésaine.
LE PRESBYTERIUM AUTOUR DE L’EVEQUE
Comme nous venons de le voir, le prêtre diocésain est en communion avec le presbyterium et il l’est autour de l’évêque du diocèse. Le Concile parle de l’évêque comme du père du presbyterium (cf. Christus Dominus n° 28). Ce lien à l’évêque est pour moi des plus importants. Avant d’être un lien hiérarchique, il est un lien de communion à travers lequel le prêtre diocésain expérimente la vraie liberté de son ministère, cette liberté qui passe par le don de soi-même à l’Eglise diocésaine. L’obéissance promise au moment de l’ordination diaconale et renouvelée durant l’ordination presbytérale est garante de cette liberté. Une obéissance bien sûr vécue dans le dialogue mais où le prêtre sait qu’il laissera le dernier mot à son évêque et où celui-ci gardera le souci fraternel de ses prêtres.
Par ce lien est manifesté au prêtre lui-même combien il reçoit son ministère de l’Eglise par l’intermédiaire de l’évêque et à la communauté qui l’accueille combien c’est au nom du Christ Pasteur qu’elle se rassemble et est envoyée. Bien que dans l’histoire l’obéissance n’ait pas toujours été vécue ainsi, le danger serait grand si elle ne retrouvait pas ce dynamisme sans lequel l’Eglise diocésaine s’asphyxierait dans une léthargie gagnant peu à peu les communautés chrétiennes, parce que ses pasteurs feraient de leur ministère une affaire personnelle. L’obéissance assure le prêtre qu’il n’a pas à compter uniquement sur ses capacités personnelles mais bien davantage sur la confiance que Dieu et l’évêque lui font.
L’ATTACHEMENT AU CHRIST
Le jour de son ordination presbytérale, l’évêque demande au futur prêtre s’il veut s’unir davantage au souverain prêtre Jésus-Christ qui s’est offert pour les hommes à son Père et avec lui se consacrer à Dieu pour le salut du monde. Vouloir mettre Dieu au centre de sa vie pour qu’il lui donne sens, c’est suivre humblement et fidèlement quelqu’un, le Christ. Le prêtre, comme tout croyant, ne peut être fidèle à son ministère qu’en vivant ce dernier lié au Christ, source de la vraie vie, source de tout élan missionnaire. Sans ce lien vital, existentiel avec lui, jamais son ministère ne sera missionnaire !
Un des lieux de cet attachement au Christ est la prière quotidienne. Mgr GILSON, dans son livre "LES PRETRES" rappelle que "le prêtre, comme l’évêque, doit se réserver deux heures par jour pour son rendez-vous avec Dieu. La méditation des Ecritures, l’oraison personnelle, la prière liturgique, la célébration eucharistique, la préparation de l’homélie dominicale, etc. sont autant de moments nécessaires" (3). Devant l’immensité et la responsabilité du ministère comment ne pas prendre peur ou ne pas se décourager si on oublie de puiser à la source.
C’est vrai que la prière n’est pas facile, elle sera même toujours un combat permanent. Mais Dieu ne nous demande pas une grande ferveur, il nous demande d’être fidèle. L’intensité d’une vie spirituelle n’est pas toujours l’intensité d’une expérience forte qui nous fait vibrer dans toutes les cordes de notre être. C’est le plus souvent l’intensité d’une vie qui accepte sans cesse de se construire au fil des activités les plus ordinaires. Comment accepter notre impuissance devant bien des détresses humaines si celles-ci ne sont pas la nourriture de notre prière et si la prière ne nous renvoie pas au cœur de ces détresses. Et je pense entre autres à la célébration de la réconciliation ou par notre ministère et avec notre propre faiblesse nous sommes amenés à accueillir les faiblesses des autres. Quelle joie et en même temps quelle invitation à l’humilité pour le prêtre lorsqu’il est instrument de la miséricorde de Dieu ! La prière devient alors elle aussi un chemin de conversion et non de conquête, d’humilité et non de possession. Elle ne consiste pas d’abord à changer les choses, mais à me changer moi-même pour enraciner ma vie et mon ministère dans un cœur à cœur de plus en plus intime avec le Christ.
L’attachement au Christ donne au célibat tout son sens. Le don de sa vie à Dieu à la suite du Christ signifie que lui seul nous comble totalement. Son amour pour nous est premier et il attend de nous une réponse exclusive. Cette radicalité au nom même de l’Evangile, la célébration des sacrements, notre propre pratique sacramentelle sont autant de moyens pour puiser à la source sans lesquels le ministère presbytéral se dessécherait totalement. Vivre une vie spirituelle, c’est s’ouvrir à l’action de l’Esprit de Jésus-Christ pour chercher et trouver Dieu en toutes choses et retrouver toutes choses en Dieu. Elle inclut donc toute la vie du prêtre, fait corps avec toutes les réalités de sa vie qu’elle anime et irrigue. Elle vise essentiellement à se livrer à l’amour de Dieu. Elle s’exprime de façon privilégiée dans l’oraison, dans des temps de retraite indispensables mais aussi dans la prière liturgique, prière avec et pour toute l’Eglise, vécue seul ou avec la communauté chrétienne.
Les fruits de cette vie spirituelle sont la paix et la joie intérieures sans lesquelles le prêtre ne saurait trouver un réel épanouissement au cœur même de son ministère. Le découragement laisse ainsi peu à peu la place à l’abandon. "Dirige ton chemin vers le Seigneur, fais-lui confiance, et lui, il agira. Repose-toi sur le Seigneur et compte sur lui" (Ps 37, 5.7)
Vocation et spiritualité du prêtre diocésain
Après avoir proposé ces points de repère qui caractérisent la spiritualité du prêtre diocésain, je voudrais donner quelques convictions pour aider les jeunes à avancer sur le chemin de la vocation presbytérale diocésaine. Pourquoi cette vocation semble-t-elle si peu attrayante aujourd’hui ? Je partirai simplement de ce que je vis avec eux, ce qui leur parle ou ce qui les rebute quand on évoque l’Eglise et le prêtre. Je reprendrai le même plan que celui suivi jusqu’à présent : à partir de leur vision de l’Eglise, de ce qu’ils attendent du prêtre et de ce qu’ils vivent avec Dieu, quelles exigences se donner pour les soutenir dans leur cheminement ?
UNE COMMUNAUTE VIVANTE
L’image que des jeunes ont de la communauté paroissiale est parfois terne parce qu’ils la jugent à travers une communauté dominicale qui peut leur sembler peu active. S’ils ont la chance d’appartenir à un mouvement ou à une aumônerie, ils perçoivent là un lieu plus attrayant où ils peuvent se dire et être acteurs. Ce qu’ils retiennent alors c’est davantage l’aspect relationnel que l’aspect ecclésial. Nombreux sont ceux aussi qui vont de rassemblements en pèlerinages sans oublier non plus l’attrait croissant pour les communautés de type monastique. Est-ce à dire que le clergé diocésain n’a plus d’avenir pour les jeunes aujourd’hui ?
Ce rapide constat doit interroger la pratique même de nos communautés paroissiales, mouvements ou aumôneries. Je crois en effet qu’insister sur l’appel au ministère presbytéral parce qu’il manque des prêtres ne peut que difficilement interpeller des jeunes. Rares sont ceux qui accepteront de donner toute leur vie uniquement pour "boucher" des trous ! Par contre un jeune pourra accepter de s’interroger sur une vocation presbytérale si les lieux d’Eglise qu’il découvre sont appelants, mais appelants au sens large.
Il y a une manière de "recruter" des catéchistes, des animateurs, des responsables qui ne peut donner de l’Eglise qu’une vision triste. Et il y a une manière d’appeler et d’envoyer ces mêmes catéchistes, animateurs ou responsables, pour une mission particulière dans la communauté, qui donne une vision vivante de l’Eglise. Ce qui peut parler à des jeunes aujourd’hui, ce sont des communautés dont le dynamisme suscite en leur sein une pluralité de ministères et de vocations. Et c’est alors que des jeunes se poseront la question du ministère presbytéral. Cette question n’a pas à être posée pour elle-même mais toujours en lien avec la diversité des réponses possibles à l’Evangile, car "nous sommes un seul corps en Christ, étant tous membres les uns des autres, chacun pour sa part" (Rm 12, 5)
Il est également nécessaire de vivre une réelle communion entre lieux d’Eglise différents. Une vision morcelée ou cloisonnée que nous pouvons donner de l’Eglise n’est qu’une vision partielle et donc fausse. Tout comme le prêtre est ministre de la communion, des jeunes découvriront qu’être prêtre est épanouissant dans la mesure où ils peuvent faire déjà l’expérience de cette communion. La tentation est grande de vivre replié sur soi, l’ouverture au monde suppose l’ouverture aux autres lieux d’Eglise au nom même de la mission reçue et partagée en Eglise.
UN PRETRE AU VISAGE EPANOUI
Si une communauté vivante et appelante est importante, il arrive que la vision que les jeunes ont du prêtre diocésain fasse peur ou du moins fasse reculer : un homme seul, parfois aigri et entrain de se plaindre, dont l’agenda est surchargé. A côté de cela, ces mêmes jeunes recherchent des hommes qui soient pour eux points de repères. Quel visage du ministère presbytéral donnons-nous, nous les prêtres ?
Il ne s’agit pas là d’un problème d’âge mais bien plus d’une manière d’être prêtre. Grande est la soif de certains jeunes mais ne sachant pas comment la satisfaire ils suivent n’importe quel gourou. C’est probablement un appel pour le prêtre diocésain à être un véritable semeur de la Bonne Nouvelle. S’il n’est pas d’abord un homme spirituel - tel que je l’ai défini plus haut - témoin heureux d’un amour donné à la suite du Christ, il est peu probable que des jeunes découvriront un jour qu’être prêtre diocésain est un chemin possible, encore aujourd’hui.
C’est vrai, des jeunes préfèrent opter pour une vie communautaire plus intense. Certes, nous ne sommes pas maîtres du souffle de l’Esprit mais la solitude et l’immense activité de certains prêtres n’y sont certainement pas pour rien. La recherche de lieux chauds, un peu en retrait du monde, est séduisante mais plus que cela il y a le souci de vivre de façon plus sensible l’attachement à une communauté et au Christ. Un homme épanoui, non stressé, disponible, partageant la vie des hommes et dont le lien au Christ est manifeste, voilà ce que des jeunes attendent du prêtre. Si cela nous renvoie au visage que la communauté donne d’elle-même et à la manière dont le prêtre exerce son ministère, cela interroge également l’attachement de la communauté et du prêtre au Christ.
En plus d’être appelante et vivante, la communauté doit être priante, c’est-à-dire qu’elle doit s’articuler autour de deux pôles qui s’équilibrent mutuellement : la mission et la contemplation. Il faut oser proposer pour servir la mission d’une communauté ecclésiale des temps gratuits et réguliers pour Dieu, en dehors de la célébration eucharistique.
UNE INTIMITE AVEC DIEU
Cela rejoint l’expérience que beaucoup de jeunes ont de Dieu. Je n’insisterai pas sur ce point. Notons simplement que bien souvent ils en ont une expérience individuelle. Il est important de les faire entrer progressivement dans une expérience personnelle vécue en Eglise. Pour avoir l’audace de bâtir toute sa vie dans le don de soi à Dieu alors que tout ce qui nous entoure met en valeur l’importance du moment et de l’individu, il est nécessaire de commencer par découvrir un Dieu qui rejoint chacun personnellement à travers l’histoire d’un peuple et lui propose de le suivre. Pour cela, avant même de choisir d’être prêtre, il faut aider les jeunes à choisir d’être des baptisés, ce qui demande de leur donner de solides points de repères dans leur foi qui leur permettent de faire l’unité entre leur quête de Dieu et leur vie quotidienne. Beaucoup parmi eux n’attendent que cela et, ayant découvert que chercher Dieu c’est se laisser trouver par lui, certains découvriront la joie de se laisser entièrement saisir par lui.
UN TRIPLE AMOUR VECU DANS UN TRIPLE DESIR
Je résumerai ces quelques convictions en une exigence pour aider les jeunes à avancer sur ce chemin de vocation : une exigence qui repose sur la confiance en soi et s’exprime dans un triple amour, celui du monde, celui de l’Eglise et celui de Dieu.
Dans une société où la rentabilité et la compétition priment, l’Evangile invite tout homme à s’accueillir tel que l’on est et à se mettre en route humblement. Faire découvrir au jeune qu’il a du prix qui dépasse les valeurs intellectuelles, physiques... voilà le préambule de toute démarche.
A partir de là, nous avons à faire grandir en chacun l’amour du monde, du monde tel qu’il est, dans toutes ses composantes, sans fuir ni se résigner. Ce qui doit se traduire par une présence active aux côtés de ceux que le jeune côtoie habituellement. En même temps que cet amour du monde, il faut apprendre l’amour de l’Eglise, de toute l’Eglise. Ce n’est pas en se lamentant, en se méfiant des uns ou des autres, en construisant sa propre communauté que l’on aime l’Eglise. Vivre la communion, cela commence par aimer tous ceux qui essayent de construire l’Eglise avec leurs maladresses, leurs sensibilités, leurs tâtonnements, leurs richesses. Enfin, comme source et sommet de cet amour du monde et de l’Eglise, il y a l’amour de Dieu, toute mission étant toujours pour la gloire de Dieu et le salut du monde. C’est pourquoi il faut proposer des lieux visibles d’Eglise où les jeunes avec les adultes pourront faire à la fois l’expérience d’une vie fraternelle accueillante, d’une vie ecclésiale ouverte, d’une vie missionnaire dynamique et d’une vie spirituelle authentique.
Insister sur ce triple amour c’est aider les jeunes à faire l’unité de leur vie autour d’un triple désir : le désir de conversion personnelle, le désir d’annoncer le Royaume de Dieu et le désir de servir Dieu. Ayant alors fait l’expérience que la foi au Dieu de Jésus-Christ n’est ni un plus ni un à côté dans la vie mais l’expression d’un désir que Dieu seul peut combler totalement, des jeunes entendront l’appel au ministère presbytéral diocésain comme un choix épanouissant, essentiel à la construction de l’Eglise, complémentaire aux autres vocations. La communauté ecclésiale ne paraîtra plus comme une structure à "faire tourner" mais comme le lieu indispensable pour orienter ce désir vers celui qui en est la source, reconnaître cette source qui fait naître en chacun l’espérance, rendre compte de cette espérance à tous les hommes de notre temps. Et la peur naturelle qui envahit celui qui désire être prêtre laissera peu à peu place au désir de Dieu sur lequel repose toute confiance.
En conclusion, un appel à la sainteté
"C’est l’exercice loyal, inlassable, de leurs fonctions dans l’Esprit du Christ qui est, pour les prêtres, le moyen authentique d’arriver à la sainteté. En cherchant le meilleur moyen de transmettre aux autres ce qu’ils ont contemplé, ils goûteront plus profondément 1’ incomparable richesse du Christ et la sagesse de Dieu en sa riche diversité."(P.O.n° 13)
Conduit par l’Esprit Saint, le prêtre sanctifie, conduit et enseigne le peuple de Dieu, au nom du Christ, dans la fidélité d’une mission donnée par l’Eglise. Pasteur de sa communauté, il est ministre de la tendresse et de la miséricorde de Dieu pour tous les hommes. Au cœur de son ministère s’incarne sa vie spirituelle. C’est là aussi que retentit et se réalise pour lui l’appel à la sainteté.
NOTES : ------------------------------------------------
1) Cité par André DUPLEIX dans son livre "COMME INSISTE L’AMOUR", Nouvelle Cité, 1986, p. 115-116 [ Retour au Texte ]
2) Jean VANIER, "LA COMMUNAUTE LIEU DU PARDON ET DE LA FETE" Fleurus 1979, P. 188 [ Retour au Texte ]
3) "LES PRETRES", DDE.1990, p. 157 [ Retour au Texte ]