Des jeunes prennent la route d’Ignace


Jean-Marc FURNON,
jésuite, est chargé de la pastorale des vocations dans la Province de France,
participe à l’animation du Centre spirituel "MANRESE" à CLAMART (92)

Lorsqu’un jeune homme me dit son désir "d’entrer chez les jésuites", bien souvent je ne lui demande pas les raisons qui le poussent à choisir la Compagnie de Jésus.
Je suis d’abord attentif à l’impulsion de fond qui l’anime.
Je l’interroge sur sa vie, ses études ou son travail, son rapport à l’Eglise, sa foi, ce qui l’intéresse... A travers tout cela, j’entends une musique qui ne dit pas forcément que cet homme est appelé par le Seigneur à devenir jésuite, mais, finalement, qu’un désir d’homme l’habite, qu’un désir de servir Dieu le conduit.
Cependant lorsque ces jeunes viennent rencontrer un jésuite pour demander à entrer ou faire davantage connaissance de notre vocation, il me semble que leur attente se cristallise autour des points suivants. Chacun a son entrée préférentielle par l’une ou l’autre de ces portes.

1 - UNIVERSALITE

Un des points qui attire des hommes à se joindre à la Compagnie de Jsus c’est qu’elle est marquée dans sa fondation du signe de l’universalité. D’une universalité qui s’exprime sous des formes différentes : la mission au loin, une disponibilité radicale en se mettant à la disposition du pape, l’appartenance à un corps aux dimensions de la terre.

Il y a quelque temps, je recevais cette lettre de Thomas où il disait son goût pour
"L’appartenance à un corps missionnaire engagé dans toutes les issues humaines et spirituelles d’aujourd’hui. Comme François-Xavier ou Matteo Ricci, je me sens attiré par l’apostolat en Chine. Mais je me sens prêt à oeuvrer partout où la Compagnie l’estimerait préférable."

- Envoyés au loin

"Comme François-Xavier ou Matteo Ricci..."

Pour Thomas comme pour beaucoup de catholiques, François-Xavier est une figure forte de l’Eglise qui l’a canonisé. Lui, l’évangélisateur des Indes, le Navarrais et l’un des sept premiers compagnons qui, le matin du 15 août 1534 à Montmartre, s’engagèrent avec Ignace devant Dieu. Aujourd’hui encore, à l’occasion d’un temps de coopération en Afrique, d’un séjour en Inde ou d’un service technique en Extrême-Orient, de jeunes hommes rencontrent ce visage de l’universalité de la Compagnie lorsqu’ils rencontrent des compagnons envoyés au loin.

Dans la génération qui me précède (les années cinquante), un jésuite français sur trois partait "en mission" loin de son pays. Aujourd’hui nos compagnons d’autres pays, en Inde, en Pologne ou en Afrique, le vivent fortement. En France, alors que notre démographie est moins forte, il y a dans chaque génération des compagnons qui partent à Taiwan, à Hongkong, au Tchad, au Liban, au Brésil. Dernièrement, en Russie.

"L’appartenance à un corps missionnaire engagé dans toutes les issues humaines et spirituelles d’aujourd’hui".

Ceux qui sont envoyés au loin ne le sont pas seulement dans l’ordre de la distance géographique, ils peuvent aussi l’être dans l’ordre d’une distance culturelle, au loin ou ici. Le Père TEILHARD DE CHARDIN est pour beaucoup de jeunes cette figure de celui qui a eu à creuser en profondeur le rapport entre intelligence et foi en n’évitant pas les questions des hommes de notre temps. Raphaël, un ingénieur sorti des meilleures écoles, a lu Teilhard. Lui qui est passionné par la recherche sur la raison et le cerveau a trouvé dans cet homme un repère sur le chemin de discernement de sa vocation.

Aux frontières. C’est là que les jeunes qui entrent dans la Compagnie désirent s’engager. La rencontre des cultures en est une ; mais aussi l’intelligence de la foi, le service des pauvres, l’éveil des jeunes à la foi.

"Envoyés au loin" - "per diversa loca peragrare" disent nos Constitutions - ; notre vocation primordiale est d’être comme les apôtres : d’annoncer l’Evangile de Dieu à tous les hommes, en éveillant la foi dans le cœur des non-chrétiens et en la nourrissant dans le cœur des chrétiens. Michel l’exprime à sa manière en disant ce qu’il a ressenti alors qu’il était étudiant. C’est ce qui l’a conduit vers la Compagnie :

"Lycéen et étudiant, j’avais plusieurs amis incroyants. Je souffrais de ne pas partager avec eux la foi qui m’habitait... Lorsqu’on a été saisi par le Christ, comment ne pas désirer que d’autres puissent à leur tour le connaître et l’aimer".

Ce désir qui a poussé François-Xavier ou Teilhard en anime d’autres aujourd’hui.

- Une disponibilité radicale

"Mais je me sens prêt à oeuvrer partout où la Compagnie l’estimerait préférable". Et Thomas ajoute, sérieusement mais non sans humour je pense, "pour la plus grande gloire de Dieu".

Quel que soit son chemin, Thomas a bien perçu la disponibilité radicale qui caractérise l’appel reçu par ce groupe d’hommes dans l’Eglise : pour l’aide des hommes au nom du Christ, ils sont prêts à être envoyés partout et dans toute oeuvre concrète que requiert le service actuel de la croissance dernière de l’homme. Spécialement là où le pape voudra les envoyer, directement ou à travers leurs supérieurs.

Ignace et ses compagnons ont désiré être insérés dans la mission de l’Eglise par son côté le plus universel en se mettant à la disposition de celui qui est le témoin et le signe de l’universalité de l’Eglise du Christ.

"Militer sous l’étendard de la croix les combats de Dieu et servir le Seigneur seul et l’Eglise son épouse, sous le Pontife romain, Vicaire du Christ en terre"

dit la déclaration du pape qui fonde l’Institut.

Et si le "choc des mots" conduit certains journalistes à parler de l’obéissance du jésuite "perinde ac cadaver"ou à identifier les jésuites à une "brigade légère du pape", ils perçoivent bien ce point où le cœur d’un homme s’ouvre librement au service le plus universel en s’engageant par un vœu d’obéissance.

Cette disponibilité radicale est un point sur lequel un homme cherchant à discerner sa vocation peut buter avec sérieux.

René a demandé à me voir parce qu’il éprouve un attrait pour la Compagnie. Il s’est déjà bien engagé au service de l’Eglise et me dit sa motivation profonde : "j’ai ressenti dans la prière un attachement très fort au Christ, et que le suivre était plus important que tout". Il éprouve un appel à quitter, à se détacher, à renoncer à lui-même. Touché par sa parole, je lui dis que le renoncement est en relation avec la réalité de son désir. Il me confie qu’il aime son pays et voit dans cet attachement un empêchement à la vie religieuse. Je lui réponds qu’il est possible que l’attachement à une terre, à un peuple particulier puisse conduire quelqu’un à une vocation sacerdotale enracinée quelque part mais que le Seigneur peut aussi appeler quelqu’un à quitter un pays qu’il aime vraiment - "rupture avec ma famille, mes amis, mes engagements, ma terre" dit François qui s’est récemment engagé dans la vie religieuse. Ce sont des hommes et des femmes de désir que le Seigneur appelle à une disponibilité radicale. PEGUY polémique contre ceux qui verraient dans une apparente absence d’attachements le signe d’un attachement à Dieu : "Parce qu’ils ne sont pas de la nature, ils croient qu’ils sont de la grâce ; parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu".

Je devais avoir des nouvelles de René quelques semaines plus tard et six mois vont passer sans aucune nouvelle. Plus tard il reprendra contact en disant : "En sortant de chez vous, je me suis aperçu qu’il y avait des choses dans ma vie que je n’étais pas prêt à lâcher à ce moment précis... Je me sens prêt maintenant". Il a eu la chance de percevoir quelque chose de ce point de disponibilité profonde et de non disponibilité de l’homme concret qu’il était. Il a bien fait de prendre un peu de temps et d’éprouver que c’était bien là que le Seigneur l’appelait.

- De tous les continents

Dernier aspect de cette universalité : ce corps de compagnons.

La jeune Compagnie de Jésus lancée sur les routes du monde avec François-Xavier en Inde et au Japon, avec Pierre Canisius en Allemagne, regroupe déjà Espagnols, Portugais, Savoyards, Français, Flamands : hommes de cultures et de milieux sociaux bien différents.

C’est un aspect qui compte pour des jeunes même si beaucoup n’en ont pas encore l’expérience. Certains l’ont déjà grâce aux rencontres vécues à TAIZE, à un temps de coopération... Pour eux, c’est un avenir qui fait signe. Et de fait, quand on entre au noviciat d’une Province (une région ou un pays), c’est bien dans la Compagnie que l’on entre, au titre de cette Province.

Pendant la formation, on va éprouver cette joie profonde d’avoir été mis ensemble par le Seigneur et d’être fait compagnon d’Eduardo du Panama, de Joachim de Forêt Noire, de Charlie l’Irlandais, de Jacques originaire de Castres et qui est à Taiwan, de François-Xavier qui a dû quitter le Vietnam à 17 ans, de Paul le Coréen... Les kilomètres peuvent nous séparer, voila les compagnons avec lesquels nous formons ce corps de prêtres et de non-prêtres, frères et étudiants jésuites, au service de l’Eglise et des hommes.

C’est le visage de la communauté dans laquelle nous entrons et qui apparaît à travers des communautés locales particulières. Beaucoup de jeunes sont aujourd’hui sensibles à cette dimension communautaire qu’il s’agisse de notre manière de vivre, de parler et de prier avec des compagnons que nous recevons dans la foi comme des frères ou qu’il s’agisse de notre manière de nous engager ensemble, dans une équipe apostolique, au service de l’Evangile.

Universalité. Ignace qui n’a plus quitté Rome après l’approbation de la Compagnie par le pape, habitait près d’une petite église dédiée à Notre Dame de la Strada que le pape avait confiée aux premiers compagnons. Lui, le pèlerin d’autrefois fixé à Rome pour que les autres compagnons dispersés puissent communiquer entre eux et avec ce centre de l’Eglise, priait Notre Dame en union avec ses compagnons : hommes, poussés par l’Esprit de Jésus, sur les routes.

2 - INCARNATION

- Le Verbe incarné

Michel disait : "Quand on a été saisi par le Christ, comment ne pas désirer que d’autres puissent à leur tour le connaître et l’aimer". Saisi par le Christ : c’est le don qui leur a été fait gratuitement, comme à saint Paul, et qui les a mis en route : "Percevant l’appel de Dieu à me donner totalement à lui" dira François.

C’est cette grâce de Dieu qui peut conduire certains jeunes à désirer vivre "une retraite de St Ignace" et, ainsi, à faire confiance à Ignace comme on fait confiance à un "pro" de la recherche de Dieu :

"Ce qui a été déterminant, c’est l’expérience de la rencontre du Christ que j’ai faite en me mettant à l’école des Exercices spirituels", Paul.

Les voila aidés dans une expérience personnelle de Dieu : Dieu se rend présent à eux dans la contemplation de l’Evangile, cette parole connue retentit en eux comme jamais ils ne l’avaient entendue. Elle est vraie, elle est proche, le Christ vient à leur rencontre. Aujourd’hui, à travers leur humanité concrète.

D’autres demandent à entrer, et c’est l’un des responsables de l’accueil des candidats qui les invitera à vivre ce type de retraite :

"Le Père maître des novices m’a proposé de venir faire quelques jours de retraite en février. Ça a été comme une respiration profonde. C’était clair pour moi et pourtant je ne connaissais quasiment pas la Compagnie" Marc.

S’il est vrai que pour certains une retraite selon les Exercices peut être le lieu de rencontre privilégié du charisme d’Ignace, la vigueur de l’expérience personnelle de Dieu dans la rencontre du Christ est décisive chez tous quelle qu’en soit sa forme. Et la réalité de la vie mystique de quelqu’un ne s’identifie pas avec la richesse de son oraison !

En fait ces Exercices témoignent du charisme d’Ignace parce qu’ils sont une manière de prier et une initiation au discernement. Mais aussi, profondément, parce qu’ils sont un chemin particulier pour aller à la rencontre du Christ des Evangiles, du Verbe INCARNE.

"Ma retraite me changea beaucoup, me faisant découvrir peu à peu que Dieu n’était plus le Dieu caché que je contemplais lorsqu’un nuage enveloppait la croix sur la montagne au-dessus de chez moi. J’aimais d’ailleurs ce spectacle grandiose, romantique et merveilleux. En faisant les Exercices, j’ai découvert en quelque sorte ’mon’ Nouveau Testament et par là. Celui que j’attendais confusément dans ma religion sans Incarnation", Philippe.

Cette découverte a fait que Philippe éprouve comme fondamental pour sa foi un point majeur de l’expérience spirituelle d’Ignace de Loyola et de la Compagnie : le chemin de l’Incarnation.

"L’Incarnation de la deuxième personne de la Trinité" comme dit la méditation des Exercices. C’est une grâce que l’on reçoit en partageant le regard miséricordieux de Dieu qui voit l’humanité et chacun, à la fois créé et aveugle, en entendant le désir divin que la rédemption du genre humain s’accomplisse, enfin en s’arrêtant devant la Vierge Marie accueillant, dans sa maison de Nazareth, la parole de l’ange Gabriel.

Philippe ne sera peut-être jamais jésuite, mais l’attirance qu’il a perçue pour ce mystère de l’Incarnation lui donne de participer à la grâce que le Seigneur a voulu faire à Ignace dans le temps de la prière et dans le temps de ses choix apostoliques. Les Exercices aident et confirment la naissance d’un homme de désir joyeux de prendre la route que Jésus a voulu prendre lui-même.

Cette spiritualité témoigne d’une attention et d’une ouverture profonde à la réalité du monde et de l’homme marquées du signe de l’Incarnation. Un regard qui cherche d’abord à s’émerveiller du don de Dieu à la terre, du signe de Dieu au cœur de l’homme. Une contemplation de l’humanité créée qui désire se laisser habiter par la patience et la miséricorde du Seigneur en considérant l’injustice et le péché qui peuvent mener l’homme à la mort. Une action qui, quelque part au sud du Tchad ou dans la banlieue de Bordeaux, cherche humblement à témoigner d’un autre : Jésus sauveur des hommes (IHS).

- L’inculturation

C’est sous le signe de l’incarnation que les jésuites perçoivent l’importance d’une formation solide. Non pas une formation sécurisante qui voudrait former "de grands intellectuels" dans l’ordre de l’image mondaine à laquelle nous avons choisi de renoncer (c’est au moins notre chemin de conversion), mais une formation qui cherche à permettre à ces hommes d’en rencontrer d’autres en prenant au sérieux leur culture, scientifique, technique ou traditionnelle, leurs questions et leurs doutes, les enjeux de la société dans laquelle ils vivent, les points qui divisent les chrétiens séparés... Prendre le chemin d’une formation toujours solide et parfois longue pour communiquer vraiment avec ceux et celles qui désirent connaître le Christ ou auxquels nous désirons l’annoncer.

C’est à son retour du pèlerinage qu’il a fait à Jérusalem, juste après sa conversion, qu’Ignace s’est décidé à étudier afin "d’aider les âmes" dans une société en pleine mutation. A Paris se regrouperont autour de lui quelques étudiants en théologie, désireux comme lui d’annoncer l’Evangile dans une Eglise secouée par la Réforme et dans un monde qui vient de découvrir le nouveau monde des Amériques.

Les jeunes qui désirent s’engager souhaitent une formation solide :

"La nécessité d’une charpente spirituelle solide me semblait indispensable pour vivre une certaine radicalité à la suite du Christ." Florent.

"Témoigner de sa foi, la comprendre en vérité". Michel.

"Je pense que la Compagnie pourrait me fournir une solide formation théologique et philosophique". Thomas.

En cela ils sont témoins d’une génération de jeunes chrétiens qui désirent vivre avec vigueur leur baptême et qui attendent aussi de leur aumônier qu’il soit : "Un prêtre compétent et formé pour parler de Dieu" Philippe.

Cependant ces jeunes se trompent lorsqu’ils croient, comme on l’entend dire parfois, "qu’il faut avoir fait des études poussées pour être jésuite". Il faut avoir le goût d’annoncer l’Evangile du Christ et être prêt, si l’on est appelé à être prêtre (ce qui n’est pas le cas de tous), à suivre la formation que l’Eglise requiert pour la formation de ses prêtres et à prendre les moyens (cela prend du temps et exige une formation aussi sérieuse que dans d’autres domaines de l’activité humaine) qu’il faudra, selon nos aptitudes humaines concrètes, pour communiquer avec ceux et celles que l’Esprit nous donnera de rencontrer.

Le témoignage d’Eric de ROSNY, jésuite français vivant en Afrique depuis l’âge de 27 ans, éclaire bien ce lien entre une formation et l’apostolat. Il rappelle ce qui s’est passé en lui après sa première mission, pendant treize ans, au collège de DOUALA (Cameroun) :

"La culture est à l’homme ce que l’air est à l’oiseau : il ne vit pas sans elle... Je me suis trouvé devant un dilemme : mes élèves appartenaient à une autre culture que la mienne. JE NE ME RESIGNAIS PAS à cette distance entre eux et moi, obstacle à un véritable enseignement comme à toute autre forme d’annonce de l’Evangile. Après treize ans, avec le consentement de mon supérieur, j’ai pu m’intégrer seul dans un quartier de Douala pour y APPRENDRE LA LANGUE. Il se trouva que mon voisin était un "nganga", fonction mal traduite par ’guérisseur’... PENDANT CINQ ANNEES il m’ouvrit les yeux aux secrètes violences que se font les hommes pour se rendre malades ( l ). Cette expérience limite n’a pas fait de moi un Africain : ’l’arbre peut plonger dans l’eau toute sa vie, il ne fera jamais un poisson ! Elle ne fit de moi qu’un étranger adopté. Mais elle m’a convaincu que LA NECESSITE D’ANNONCER l’EVANGILE ET LE RESPECT DE LA CULTURE DES AUTRES DOIVENT N’ETRE QU’UNE SEULE ET MEME PASSION".

C’est cette dynamique qui, ces dernières années, a créé la catégorie d’ "inculturation" en joignant les mots "incarnation" et "acculturation", réactualisant par là le croisement ancien de la théologie et de la rencontre des cultures.

- La liberté spirituelle

La présence au particulier dans l’ouverture au plus universel témoigne de l’esprit du Christ qui révèle à l’homme la plénitude de son humanité. Il n’y a pas de chemin d’Incarnation sans passage par le particulier mais le particulier n’en est pas pour autant sacralisé. L’important est de rester à l’écoute de l’Esprit qui peut nous appeler à quitter l’endroit où il nous avait invité à nous enraciner. Pour un temps. Parfois, pour longtemps.

"Dans cette décision, la rencontre de plusieurs jésuites, dont la liberté spirituelle m’attirait, a beaucoup joué". François.

"Se laisser saisir avec tout son dynamisme de vie par Dieu, dégager la liberté personnelle de ses entraves, pour chercher et trouver Dieu dans l’accomplissement de son existence". Albert.

Qu’il s’agisse de François, jeune jésuite, ou d’Albert, prêtre diocésain membre des Groupes Evangiles et Mission, cette dimension de la liberté, de la liberté personnelle restaurée par le pardon et renouvelée dans l’Esprit, est un point fort de leur rencontre d’Ignace à travers son itinéraire spirituel ou à travers ses compagnons d’hier et d’aujourd’hui.

Il y a là un point fondamental du charisme d’Ignace dans l’ordre de la prière comme dans celui de la mission.

Déjà dans la prière Ignace n’est pas sans repères ; il s’y prend avec attention d’une certaine manière. Mais toute cette attention n’a qu’un but : préparer le cœur de celui qui prie à entendre la voix de l’Esprit et à se laisser conduire par Lui abandonnant tout ce qu’il avait préparé avec soin, car "ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui satisfait et rassasie l’âme mais de sentir et goûter les choses intérieurement" (Exercices spirituels). Des conditions qui permettent à une liberté une décision à l’écoute de la voix de l’Esprit.

De même dans l’ordre de la mission, l’obéissance n’a rien à voir avec le modèle de l’organisation rigoureuse. Le jésuite comme son supérieur sont à l’écoute de l’Esprit qui parle en chacun d’eux. C’est la responsabilité du jésuite de dire où le pousse l’Esprit. C’est la responsabilité de son supérieur de l’écouter avec foi et respect et, peut-être, en trouvant la liberté intérieure nécessaire dans le même Esprit, de l’envoyer loin alors que les besoins sont très forts ici, de lui demander de rester ici pour l’instant alors que la voix de l’Esprit appelle clairement au loin ; de l’envoyer comme aumônier d’un Centre anti-cancéreux où il sera le seul jésuite ou de lui demander de participer à une équipe apostolique composée de plusieurs jésuites qui, dans un établissement scolaire ou une revue, se soutiennent, s’aident dans la mission et peuvent renforcer leur témoignage par leur diversité dans la fraternité. Cette liberté spirituelle caractérise tout jésuite envoyé en mission à l’intérieur de sa mission. Une responsabilité objective lui est confiée mais il a aussi à inventer la manière de la vivre selon son équation personnelle et son charisme propre. Aucun jésuite ne réalise de la même manière le même type de mission, chacun y mettant de ses dons propres et négociant avec ses limites.

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L’attirance pour ces points clés dans la vocation d’Ignace et de la Compagnie ne veut pas dire que celui qui les éprouve est automatiquement appelé à être jésuite. La vocation est un don de Dieu, ce n’est pas nous qui la provoquons.

Déjà le charisme d’Ignace se décline au masculin et au féminin, alors que la Compagnie ne se décline qu’au masculin ! Dès les premiers temps de la Compagnie, des laïcs ont désiré vivre de la richesse spirituelle donnée à l’Eglise à travers saint Ignace. Ils constituent aujourd’hui une communauté internationale : la Communauté de Vie Chrétienne (CVX). De nombreuses Congrégations féminines ont aussi choisi la voie ouverte par Ignace pour structurer leur vie religieuse. Enfin des prêtres diocésains vivent leur vie sacerdotale en étant membres des "Groupes Evangile et Mission".

NOTES : ----------------------------------------------------------------

1) E. de ROSNY "LES YEUX DE MA CHEVRE", Plon - coll. Terre Humaine, 1981
J.I. TELLECHEA, "Ignace de LOYOLA, PELERIN DE l’ABSOLU"- Nouvelle cité, 1990
J.C. DHOTEL,"POINTS DE REPERES DE LA SPIRITUALITE IGNATIENNE", Vie Chrétienne, 1990
Ignace de LOYOLA, "RECITS" (autobiographie), DDE - 1988 [ Retour au Texte ]