L’accueil dans un monastère


ATTENTES PERÇUES CHEZ LES JEUNES

Le Père hôtelier
de l’abbaye bénédictine de LIGUGÉ

Chaque année, le monastère de LIGUGÉ reçoit entre 2 500 et 3 000 jeunes : pour des retraites, en groupes constitués, d’appartenances diverses (aumônerie, mouvements de jeunes, catéchèse, groupes paroissiaux...) pendant un week-end ou pour des récollections d’une journée. L’hôtellerie reçoit aussi quelques 200 jeunes (18-30 ans) pour des retraites individuelles de quelques jours. Ces contacts avec des jeunes, plus ou moins proches de l’Eglise, nous ont permis depuis une dizaine d’années de percevoir des attentes et des besoins spécifiques qui valent aussi bien pour les séjours en groupe que pour les retraites individuelles.
Trois directions peuvent être retenues : les jeunes rencontrés manifestent un besoin affectif, une envie de nouveauté et un désir de recherche du sens de leur vie.

Affectivité

Bon nombre de jeunes vivent dans un contexte familial et social difficile ; l’agressivité règne souvent dans leurs différents milieux de vie. Ils recherchent le refuge de la bande ou le confort du groupe qui leur permettent de ressentir une reconnaissance personnelle sans aucun engagement formel et une certaine chaleur affective. Dans cet ordre d’idée, le phénomène de l’accueil quasi-systématique des jeunes en groupes dans les monastères ne remonte qu’aux années 70 ; ce qui autrefois constituait l’exception est maintenant devenu la norme. L’expérience est alors bien différente de celle d’une retraite individuelle où l’on s’engage personnellement dans la confrontation toujours inconfortable avec Dieu, les autres et soi-même.

Le besoin d’affectivité se remarque aussi dans l’attention portée au cadre. Le souhait des jeunes en cette matière oscille entre deux extrêmes : le confort ou le "chaos". Le confort se caractérise par la chaleur de la moquette, de la chambre individuelle, des bons repas et de la douche a volonté, etc. Mais généralement, pour les groupes, le "chaos" est beaucoup plus séduisant : un bâtiment indépendant (ancienne ferme, grange ou autre) qui va vraiment appartenir au groupe pendant la retraite, avec possibilité de cuisine, organisation libre des locaux, etc., la liberté de vivre pendant deux jours sans contraintes apparentes. On devine les écueils que peuvent comporter les deux formules quand elles ne tiennent pas un juste équilibre.

Les moines sont généralement sollicités, soit pour une intervention ponctuelle sous forme de témoignage, soit pour un accompagnement de l’ensemble du week-end ou de la journée en collaboration avec les animateurs du groupe. Là encore le besoin affectif des jeunes se manifeste à la manière dont ils reçoivent ces interventions. Le discours rationnel ne passe évidemment pas. Ce qui est attendu c’est une réponse qui vienne de l’intérieur, qui engage celui qui parle, une réponse où s’exprime d’abord le cœur. Par ailleurs, de nombreuses questions sont liées aux relations avec la famille, ou à l’engagement dans le célibat.

Enfin, les jeunes éprouvent de plus en plus le besoin de rencontres personnelles quand la confiance est établie avec un moine. Lorsque la proposition est faite (soit peur une discussion plus approfondie, soit pour la célébration du sacrement de réconciliation), la proportion de jeunes qui y répond favorablement est importante.

Conséquences au niveau religieux

  • Le groupe ne doit jamais noyer la personne. En fait l’aspiration personnelle est toujours très présente, mais elle est voilée par le groupe. Dans cette perspective, il est bon de prévoir des temps et des entretiens personnels, des propositions de célébrations pénitentielles avec les deux dimensions (les groupes rencontrés sont de plus en plus disponibles pour une telle démarche).
  • Le cadre ne doit pas être sur-valorisé. Il est important qu’il soit correctement aménagé mais sans accaparer les forces vives. Le "chaos" total n’est certes pas souhaitable (les contraintes d’horaires, de soin du matériel, de respect des autres font partie du minimum nécessaire à la vie commune), mais la moquette généralisée ne l’est pas davantage. Nos lieux d’accueil ne doivent pas être aseptisés sous prétexte de spiritualité. Le cadre n’est qu’un moyen : les participants doivent pouvoir le dépasser.
  • Le ou les intervenants sont appelés à être des témoins qui parlent avec leur être profond, mais sans exhibitionnisme spirituel. Leur témoignage n’est pas rendu à eux-mêmes mais à la personne du Christ devant laquelle ils s’effacent à la manière de Jean-Baptiste.
  • On peut poser enfin la question du danger des liturgies trop chargées d’affectivité. Après les excès de célébrations bavardes, ne risque-t-on pas de tomber dans ceux de liturgies fusionnelles ? Un juste équilibre est à tenir entre le geste symbolique et le contenu objectif de la Parole.

Nouveauté

Les jeunes, confrontés aux médias, à la grande facilité des déplacements, à la communication mondialisée sont toujours très attirés par la nouveauté d’une expérience.

Il en va bien ainsi pour la venue dans un monastère. Ce lieu un peu mystérieux-difficile à pénétrer, occupé par des locataires quelque peu marginaux, mérite bien le déplacement.

Il arrive souvent que des groupes viennent à LIGUGE le matin et passent l’après-midi au Futuroscope. Dans les deux cas, c’est le même attrait pour l’inédit et la nouveauté. Ce qui n’est pas nouveau est désuet et n’a plus d’intérêt à moins que la joie de la découverte n’introduise dans d’autres nouveautés insoupçonnées.

QU’EST-CE QUI EST NOUVEAU POUR DES JEUNES DANS UN MONASTERE ?

Le rythme de vie. Le retour à la nature souvent très idéalisé. La liturgie, même quand elle comporte des éléments grégoriens que les jeunes n’ont connus dans aucun autre contexte et qu’ils découvrent comme une curiosité plutôt sympathique à la grande surprise de leurs animateurs. La rencontre enfin avec des hommes qui n’ont pas du tout le même genre de vie que le leur.

Conséquences au niveau religieux

  • La nouveauté de l’expérience peut être de courte durée si l’attention ne se porte que sur l’extérieur.
  • La nouveauté est à situer de la part des intervenants dans une annonce de Jésus-Christ. Les jeunes sont avides de cette nouveauté-là quand elle leur est présentée avec force hors de cadres habituels.
  • On peut noter aussi l’importance de la relation entre vie monastique et actualité. Les moines ne sont pas des personnages folkloriques dont on serait simplement curieux, mais des hommes qui forment une communauté chrétienne dans le monde, rejoignant les préoccupations des hommes d’aujourd’hui.
  • Enfin, il faut souligner l’importance de la célébration liturgique qui est généralement l’expérience la plus marquante pour les jeunes car elle résume tout le reste. En ce domaine, comment ne pas en rester à la nouveauté éphémère d’un beau spectacle ou d’un harmonieux concert, mais être constamment soucieux de l’annonce évangélique et de la relation avec la vie des hommes ?

Recherche de sens

Une société déstabilisée comme la nôtre implique nécessairement une quête nouvelle du sens de la vie.

En ce sens, la rencontre avec les jeunes s’exprime pour le mieux dans le genre "Questions-réponses". Où donc poser toutes les questions que l’on porte en soi et surtout à qui les poser ?

On remarque depuis quelques années un approfondissement constant des questions : tous les pourquoi de l’existence ; qui est Dieu ? Dieu amour, qu’est-ce que cela veut dire ? la vocation, etc.

On constate aussi une grande ouverture sur la recherche de Dieu dans la prière. L’expérience n’est plus exceptionnelle pour maints animateurs de voir des jeunes de tous âges capables de prière silencieuse, pendant de longs temps d’adoration, d’intercession et de louange.

Les jeunes sont très interrogés par un engagement à vie dans une communauté. Mais ils sont partagés entre un sentiment de confiance et une grande perplexité.

La démarche d’une retraite personnelle est souvent occasionnée par une recherche de sens de la vie à la suite d’une épreuve. Peu de jeunes viennent gratuitement dans un monastère pour une simple recharge spirituelle.

Conséquences au niveau religieux

  • Notre seule réponse à la recherche du sens de la vie doit être Jésus Christ. A condition cependant que cette réponse ne soit pas formelle. Elle doit intégrer les deux dimensions précédentes : c’est un témoignage de foi exprimé par l’être intérieur et c’est une constante nouveauté.
  • La réponse communautaire en Eglise n’est pas moins importante que la réponse personnelle. Comment vivre en Eglise, le signe visible de l’espérance qui nous est donné du rassemblement de tous les hommes dans l’amour du Corps du Christ ?

Conclusion

La génération "Bof" est bien terminée. Les jeunes des années 90 se distinguent par leur quête exprimée ou non du sens profond de leur existence ; par une curiosité sans cessée renouvelée où se déploie l’agilité d’esprits de plus en plus tôt éveillés ; par une affectivité en creux qui ne demande qu’à être comblée dans une relation juste.

Cette génération n’est-elle pas prête à entendre le message de l’Evangile sur la base d’une nouvelle relation à Dieu en Jésus-Christ dans une vie et une prière vraiment spirituelles et dans une connaissance sans cesse renouvelée des bases de notre foi sous forme de témoignages multiples ; enfin dans une nouvelle relation aux autres, dont l’Eglise serait le signe visible au milieu des hommes ?

Article reproduit avec l’aimable autorisation de 1’Abbaye de LIGUGE