Sur les pas de Madeleine DELBREL


Jean-Pierre GAY,
prêtre, responsable du SDV de CRETEIL,
délégué régional pour l’Ile-de-France

Une initiative originale du Service des Vocations de CRETEIL : deux jours à IVRY sur les pas de Madeleine DELBREL, cette grande figure de la spiritualité de la mission et de l’enfouissement. Pour bien découvrir que le Dieu de Jésus-Christ nous fait signe d’abord au cœur de notre vie quotidienne.

L’intuition originelle

Ces deux jours à IVRY sur les pas de Madeleine DELBREL ont été proposés par le Service des Vocations pour des jeunes du diocèse de 17 à 25 ans, en partant d’une intuition fondatrice : l’Eglise d’aujourd’hui, l’Eglise au quotidien qu’on voit rarement dans les médias, peut être une réalité appelante pour les jeunes. La découvrir au cours d’un temps fort comme celui-là peut aider ceux qui sont en recherche à aller plus loin, à questionner davantage le sérieux de leur vocation chrétienne.

Ces dernières années déjà, le Service Diocésain des Vocations avait proposé à deux reprises, à l’occasion de la Semaine sainte, une marche à travers le diocèse, pour permettre cette découverte de l’Eglise locale avec les réalités humaines qui la constituent. Proposition exigeante, cette démarche avait permis à des jeunes un approfondissement réel, en ouvrant très large l’éventail de la diversité ecclésiale (1).

Cette année, nous avons souhaité faire une proposition plus souple, limitée à un week-end. Et il nous a semblé que pour entrer dans ce mystère de l’Eglise vécu au quotidien, pour aider les jeunes à le percevoir, il nous fallait un guide. Voilà pourquoi nous avons pensé à Madeleine DELBREL, personnalité forte de l’histoire de notre diocèse et figure exceptionnelle de la spiritualité missionnaire de ce siècle.

Pourquoi Madeleine DELBREL ?

A priori, il pourrait apparaître incongru de parler de celle-ci à des jeunes qui d’ailleurs ne la connaissent pas d’emblée, pas plus que la période de l’histoire de l’Eglise à laquelle elle appartient. Et pourtant, à y regarder de plus près, le message spirituel de Madeleine rencontre un écho certain auprès d’eux. Plusieurs traits de ce message explique cet attrait et cette actualité :

- la dimension d’incarnation qui traverse la pensée, les écrits spirituels de Madeleine. Elle invite à vivre l’Evangile au quotidien, dans l’humilité des petites choses : "les menues circonstances sont des ’supérieures’ fidèles", dit-elle d’ailleurs.
Ce qui implique de ne pas se retirer du monde, d’une part :
"Le chrétien doit être au milieu des hommes. Le Christ dont il vit ne lui fournit pas des ailes pour une évasion vers le ciel, mais un poids qui l’entraîne vers le plus profond de la terre" (2).
D’autre part, cette prise en compte de l’incarnation invite à être missionnaire, à annoncer l’Evangile. Lorsque Madeleine arriva à IVRY, elle fut choquée par le fait que les chrétiens restaient entre eux, n’avaient pas ce sens apostolique et ignoraient les plus pauvres. Elle les poussa vigoureusement à aller vers leurs frères, même s’ils étaient différents, ouvriers ou communistes...

- Madeleine exprime de plus une passion de la parole de Dieu qui est toujours communicative. Une Parole à vivre mais aussi à méditer, à ruminer dans la prière.
A sa manière, Madeleine DELBREL donne des repères pour tenir le coup dans cette vie spirituelle en l’enracinant bien dans la vie quotidienne. Il suffit de penser à ces textes sur la prière dans le métro ou en attendant l’autobus... Ceci est précieux pour des jeunes qui vivent le plus souvent dans un monde hostile ou indifférent face à la foi chrétienne.

- Et plus, à sa manière, Madeleine questionne aussi le sérieux de la vocation chrétienne. Certes, cette femme n’a pas eu un chemin classique de "vocation spécifique" au sens habituel du terme. Elle n’a pas choisi la vie religieuse, ni intégré un institut séculier, mais a bien tenu à rester laïque, en accord avec l’Eglise. Comme lui disait le Père VEUILLOT avec bienveillance : "Soyez vous-même !". Mais ce questionnement sur la vocation la traverse à plusieurs niveaux. D’abord parce que M. DELBREL a été en recherche de vocation toute sa vie : "Tout l’Evangile est plein de ces appels personnels à une liberté qui peut dire oui ou qui peut dire non".
La vocation est une réalité, mais elle n’implique pas un déterminisme étroit et ne tombe du ciel toute achevée. Elle conduit à se mettre en route, à ne pas nécessairement se décider trop vite. Chacun a une place à prendre dans l’Eglise, mais celle-ci se détermine progressivement, par des éclairages successifs, un peu à la manière de cette "spiritualité du vélo" dont parle M. DELBREL, qui évoque nos cheminements cahin-caha.

Ensuite, l’existence de Madeleine a montré aussi combien elle reste attachée puissamment à l’Eglise. Il n’est que de se souvenir de ses liens avec les évêques, de son pèlerinage éclair à ROME pour prier sur les tombeaux des Apôtres, de sa proximité avec les prêtres troublés par la condamnation des intuitions missionnaires en monde ouvrier. A chaque fois, Madeleine manifeste un amour indéfectible du Christ et de son Eglise, comme le montre son lien étroit avec de nombreux prêtres (3).

Enfin, Madeleine nous rappelle par sa conversion combien nous avons a nous laisser séduire, saisir par le Christ. Un saisissement qui ne peut que pousser a l’annonce de la Bonne Nouvelle :
"Cette incarnation de la parole de Dieu en nous, cette docilité à nous laisser modeler par elle, c’est ce que nous appelons le témoignage".

Un tel témoignage ne peut laisser indifférent des jeunes en recherche de vocation.

Les axes d’un temps fort

A partir du témoignage de certains d’entre eux, il est significatif de voir combien les jeunes ont été réceptifs à ce message spirituel à travers les axes principaux de ce temps fort.

 

- Un week-end sous le signe de la rencontre  :
rencontre de l’équipe Madeleine DELBREL d’Ivry, mais aussi de nombreuses personnes, de nombreux témoins. Ecoutons Anne-Marie :
"Le Samedi matin, par deux ou trois, nous avons ’pris l’air’ d’Ivry en déambulant entre deux H.L.M. ou en arpentant le marché, pour happer un visage, une exclamation, pour deviner derrière une construction hétéroclite les réalités quotidiennes des habitants... Immergés dans la vie urbaine avec ses souffrances, nous l’avons été par la rencontre avec cet éducateur de rue, venu du Maroc en France à 20 ans ; il nous a exprimé le sens qu’avait sa vie, ce qu’il percevait des problèmes de société, et ce qui donnait du goût à son engagement. A travers lui, tant de réalités de la délinquance, de l’immigration, du style de vie sociale en France ont quitté les colonnes des journaux pour devenir des questions toutes proches invitant au combat pour la vie."

Des témoignages qui donnent aux jeunes le goût de vivre, de croire, d’espérer :
"Quelle émotion en écoutant plus tard le témoignage d’une femme à l’itinéraire étonnant ! Je retiens la simplicité, sa joie de nous partager sa vie à profusion comme un vrai trésor d’où chacun est reparti avec un éclat d’espérance : ’Soyez des petites semences d’amour’, nous a-t-elle dit en guise d’au-revoir".

Les jeunes ont découvert alors combien il n’était pas anodin d’écouter la vie concrète des gens.

- Un week-end sous le signe des réalités humaines comme invitation à la mission :
Groupes avec leur solidarité, leur richesse ou leur pauvreté, mais aussi personnes plus importantes gué les structures :
"Notre regard et notre cœur se sont engagés dans des découvertes de destinées étonnantes. Le plan individuel n’a pas occulté l’effort collectif ; le combat des groupes humains pour le respect de la personne, nous l’avons vu s’incarner dans l’équipe soignante de l’unité ’1’ de l’hôpital Charles FOIX d’IVRY. Pour moi, dans ce que je vis aujourd’hui, j’ai senti autrement mon travail à l’hôpital et auprès des personnes âgées : un lieu où nous avons à vivre les valeurs de l’Evangile", comme le remarque encore Anne-Marie.

- Un week-end sous le signe d’une Eglise aux vocations diversifiées :
"La veillée-rencontre avec les chrétiens d’IVRY (couples, célibataires, religieuses, prêtres) a manifesté la diversité de l’Eglise. En moi résonne le témoignage du couple : ’notre alliance ? un oui inachevé’, un engagement de vie qui se construit jour après jour, et non pas un oui parfait à préserver de l’érosion".

Avec beaucoup de simplicité, les jeunes ont accueilli ce témoignage et mesuré aussi combien la vocation était affaire de décision, de découverte de sa propre pauvreté.

- Un week-end sous le signe de la prière :
En écho aux textes de Madeleine DELBREL et de la Parole de Dieu.
"Les temps de prière ensemble avec l’Evangile, avec Madeleine DELBREL, avec le vécu, ont rythmé ces deux jours. Au terme du week-end, un espace de silence prolongé a permis à chaque participant d’en recueillir les fruits : ’Quels appels du Seigneur pour moi aujourd’hui ?’ et de laisser l’Esprit offrir au Père le murmure de notre être", témoigne encore Anne-Marie.

- Un week-end qui ouvre à l’interrogation personnelle :
Il est frappant de constater combien les jeunes ont tous partagé à partir de l’immédiat de leur vie. Ils ne se sont pas interrogé en fonction seulement d’un futur lointain. Comme le dit très bien Joëlle :
"Nous nous étions retrouvés pour nous demander : ’que faire de notre vie ? quelle est ma vocation ?’ Toutes ces personnes nous ont montré que nous ne construisons pas notre vie tout seuls : il y a notre nature, notre volonté, nos désirs, mais aussi le monde dans lequel nous vivons et Dieu à l’œuvre. Alors ce week-end ne nous a pas prédit l’avenir, mais il nous a davantage appris à vivre Dieu".

Une affirmation qui n’est pas sans faire écho à une prière célèbre de Madeleine DELBREL :

"Faites-nous vivre notre vie,
Non comme un jeu d’échecs où tout est calculé,
Non comme un match où tout est difficile,
Non comme un théorème qui nous casse la tête,
Mais comme une fête sans fin où votre rencontre se renouvelle,
Comme un bal,
Comme une danse,
Entre les bras de votre grâce,
Dans la musique universelle de l’amour.
Seigneur, venez nous inviter."

NOTES : -------------------------------------------------------------------

1) En ce sens, voir "JEUNES ET VOCATIONS" Janvier 1989 [ Retour au Texte ]

2) Tous les passages de M. DELBREL cités ici sont extraits de "NOUS AUTRES, GENS DES RUES" - Le SEUIL, 1966 [ Retour au Texte ]

3) Voir la belle biographie de Christine de BOISMAMIN "MADELEINE DELBREL" - NOUVELLE CITE, 1985. [ Retour au Texte ]