Dialoguer "à coeur ouvert"


Françoise GREFFE,
religieuse du Sacré-Cœur,
maîtresse des novices dans son Institut
et aumônier d’étudiants sur PARIS

Comment éveiller des jeunes, en recherche vers la vie religieuse apostolique, au charisme et à la spiritualité particulière d’un institut ? Françoise GREFFE, religieuse du Sacré Cœur, partage son expérience.

Comme maîtresse des novices d’un Institut apostolique, je suis particulièrement intéressée de voir arriver au noviciat des femmes dont le dynamisme est le fruit d’une liberté qui s’engage franchement et dans la joie, à la suite du Christ dans cet Institut précis. D’où l’intérêt de ce qui précède le noviciat, et en particulier du temps de recherche d’un Institut. Quand une jeune fille cherche à y entrer on peut se demander comment la proposition d’une spiritualité apostolique précise peut permettre de s’approcher librement les uns des autres : celle qui cherche pour pouvoir entendre les échos que cette spiritualité trouve en elle, et celle qui accueille pour essayer d’entendre si cette femme porte déjà en elle, au moins en germe, des éléments du charisme. C’est, me semble-t-il, l’enjeu d’un dialogue souvent décisif.

Sur ce chemin de liberté réciproque, je voudrais simplement essayer de dire ce que j’ai repéré dans mon expérience de religieuse du Sacré Cœur, car c’est évidemment ce que je connais le mieux...

Accueillir...

Au cours de ces dernières années plusieurs jeunes sont passées successivement dans les communautés de différents Instituts, habituellement en recherche d’une vie religieuse apostolique de type ignatien. Certaines sont entrées chez nous, d’autres ailleurs. Ces visites ou séjours ont toujours été très éclairants pour elles et les ont aidées à prendre une décision.

Myriam, par exemple, se reconnaissait bien dans notre mission éducatrice mais ne ressentait aucun attrait pour la spiritualité du Sacré Cœur, ni pour la fondatrice ; par contre, quand elle lisait les écrits de la fondatrice d’un autre Institut, elle y retrouvait sa propre expérience spirituelle, son visage s’éclairait quand elle en parlait. Je l’ai confirmée dans l’orientation vers cet Institut qui l’attirait déjà beaucoup d’ailleurs.

Jacqueline, au contraire, s’écriait avec joie et étonnement :
"Plus je lis des passages du Commentaire de vos Constitutions primitives (1) plus elles font écho en moi à des choses qui sont déjà là depuis longtemps et cela me donne des mots pour le dire."

Quant à Sylvie, elle voulait vivre une vie où son cœur puisse battre au rythme du Cœur du Christ. Après qu’elle eut séjourné dans plusieurs communautés de notre Institut pour en découvrir différentes facettes, je l’écoutais parler de ce qui la frappait le plus à travers les femmes qu’elle avait rencontrées, si différentes par l’âge, la formation, les implantations apostoliques. Cherchant un peu ses mots, elle me dit :
"C’est quelque chose comme un dynamisme vers l’avant, dans l’ouverture au monde, que je sens chez toutes, même quand elles sont âgées ; un dynamisme alimenté par une contemplation intérieure."

Je pourrais multiplier les exemples, mais il suffit peut-être de dire que lorsqu’une rencontre provoque ainsi une espèce de reconnaissance mutuelles, dans une surprise heureuse et réciproque, alors s’ouvre un chemin de liberté ; il permettra de suivre le Christ, pour le meilleur et pour le pire. Les difficultés ne manqueront pas, mais si les aptitudes sont là, le Seigneur fera toujours le chemin, et une vie s’épanouira dans le don à Dieu et aux autres.

Dans ce jeu de rencontre, il est très aidant et libérant pour la personne qui accueille d’être pleinement elle-même, dans son identité de religieuse du Sacré Cœur, par exemple, et d’en avoir une conscience suffisamment claire. Elle et son Institut sont cela et rien que cela. Nul n’est la Providence universelle ! C’est devant une identité bien posée qu’une jeune peut trouver plus librement sa route. Il me semble même que ce sont les limites d’une spiritualité qui permettent ce jeu de liberté. Les raisons pour lesquelles une femme entrera chez nous sont souvent les mêmes pour lesquelles une autre n’y entrera pas. Et je constate la même chose à l’égard d’autres Instituts.

Dialogues...

Suivant les cas, ces entretiens se déroulent d’une manière ou d’une autre. Si la situation s’y prête, j’aime que la personne en recherche parle un peu longuement d’elle-même, de ses expériences, de ses désirs. C’est à partir de cette parole que je vais faire dialoguer sur ce qui me paraît être constitutif de l’institut. Dans d’autres cas, la personne interroge beaucoup et c’est à moi de parler plus longuement de notre vie, de notre appel. Je fais de même, quand la personne cherche à savoir et à connaître, mais ne sait pas encore quelles questions sont à poser et à éclairer ; mais là j’essaie de lui donner quelques points de repères pour continuer sa confrontation à d’autres instituts : ex. la forme et la place de la vie communautaire dans cette vie apostolique, le type de femmes qu’elle y rencontre, comment sent-elle que la vie affective y est prise en compte, etc.

Et je l’invite à noter ce qu’elle ressent sur ces points pour pouvoir en reparler avec son accompagnateur ou son accompagnatrice habituel. Quelquefois l’utilisation d’un document favorise la parole de part et d’autre : par exemple, les pages centrales de la bande dessinée sur la fondatrice, un article sur notre spiritualité (2), une plaquette sur l’Institut ; un numéro de la revue de notre Province ou du journal international ; des passages des Constitutions ou du commentaire... Là aussi j’invite à noter ce qui attire, avec quoi on se sent en connivence, ou au contraire ce qui freine, ou même repousse.

Points d’écoute et d’explicitation

Quels sont donc les points d’écoute et d’explicitation à partir desquels deux libertés vont pouvoir dialoguer ?

  • En écoutant, j’essaie d’entendre dans une certaine discrétion, quelle expérience de Dieu a pu faire cette personne. Parle-t-elle de "Dieu" ou du "Christ" ou de "Jésus" ? Est-elle allergique à "Sacré Cœur" ou parle-t-elle plutôt du Saint Esprit ou de Marie ? Et de quelle façon ? Ou bien ne parle-t-elle pas du tout d’une expérience de Dieu ?
Exemple : je repense à une femme qui hésitait entre nous et une congrégation à projet uniquement missionnaire. Le Tiers-Monde l’attirait beaucoup mais elle voulait nous choisir à cause de la formation que nous proposions. Et ce sont ces deux seuls éléments que j’entendais dialoguer en elle et dans l’entretien ; on y revenait toujours, chaque fois que j’essayais d’orienter la conversation vers une expérience de Dieu un peu fondatrice, un attrait personnel pour Jésus-Christ qui est déterminant chez nous.

Une retraite lui a permis d’accueillir comme élection l’appel à rester dans la vie laïque où elle était et à y vivre avec plus de vigueur sa foi chrétienne. Elle m’a téléphoné pour me l’annoncer, avec beaucoup de paix. Cela m’a soulagée !

  • Se situer par rapport à la prière est capital. Prie-t-elle déjà ? A-t-elle du goût pour la prière même si ce n’est pas toujours facile ? Comment prie-t-elle ? A partir de la Parole de Dieu ou de prières toute faites ? Cette prière a-t-elle un lien avec sa vie actuelle et ce qui se passe dans le monde ? A-t-elle une espèce de vie intérieure, au moins en germe, et un attrait pour la faire grandir ? Elle est en effet dans un Institut fondé sur l’oraison et la vie intérieure, pour pouvoir y découvrir les sentiments profonds du Cœur du Christ, se laisser progressivement transformer par eux et agir selon eux.
La contemplation du Christ mort et ressuscité, à l’œuvre dans le monde, comme celle du Christ des évangiles pour se laisser enseigner par Lui, aura une grande place : a-t-elle du goût pour y consacrer du temps personnellement chaque jour dans l’oraison et la relecture des journées ? Ou bien ne peut-elle prier qu’en groupe ? Dans ce cas notre prière quotidienne communautaire ne serait pas adéquate pour elle, car elle est déjà alimentée par la vie intérieure de chacune dans sa propre vie apostolique.

Aider quelqu’un à trouver ce qui lui convient sur ce point-là, dans l’équilibre prière personnelle et communautaire est important et, suivant les Instituts, il n’est pas le même ou n’a pas la même coloration.

  • Je pense la même chose du rapport à l’Eucharistie. C’est un sacrement de la Vie chrétienne pour tous. Célébration de la mort et de la résurrection du Christ s’offrant à son Père pour le salut de tous ; mais elle nous invite aussi, comme religieuse du Sacré Cœur, à des moments d’adoration silencieuse dans nos oratoires, où le Christ ressuscité, dans cette présence mystérieuse, continue à s’offrir à son Père en regardant l’humanité à sauver.
Se sent-elle attirée par cette forme de prière qui va l’entraîner encore plus loin : livrer sa vie, jour après jour, dans une vie apostolique, devenir elle-même corps livré avec le Christ, pour être consacrée par l’Esprit Saint. C’est un moteur puissant de toute notre vie apostolique. Ce chemin l’attire-t-elle ou pas ?

J’ai rencontré chez une jeune, une partie de cet attrait pour l’adoration eucharistique, mais pour elle c’était la totalité de sa vie apostolique : prier pour toutes les grandes intentions de notre société et du monde. Elle est entrée, en effet, dans un ordre purement contemplatif où l’adoration eucharistique est centrale. Ajouté à un attrait pour d’autres éléments de la spiritualité de cet Institut, cet attrait m’avait paru y confirmer son appel.

  • Vouloir entrer dans une vie religieuse apostolique très active implique un goût pour l’esprit et la mission de l’Institut.
"Je voudrais être pour d’autres ce que certaines ont été pour moi, disait l’une d’elle, j’ai envie d’aider les gens à se mettre debout par eux-même, à être heureuse, à trouver le sens de leur vie, à goûter la tendresse et la miséricorde de Dieu". Elle rencontrait là notre service d’Eglise, l’éducation de la jeunesse où toutes nos tâches cherchent à être animées par l’amour du Cœur du Christ et le désir de le faire connaître, exprimés dans

- le souci de la croissance intégrale de la personne

- la soif de construire un monde de justice et de paix, en réponse au cri des pauvres

- la passion d’annoncer l’évangile.
Mais pour d’autres, une orientation apostolique plus large, une annonce moins explicite de l’évangile déploiera davantage leurs énergies. D’autres Instituts peuvent le leur proposer.

L’ampleur plus ou moins large du champ apostolique est toujours un point de repère que je donne à considérer à une jeune en recherche.

  • Il est un point que les jeunes abordent plus spontanément aujourd’hui, c’est celui de la vie communautaire. Un certain nombre ont fait l’expérience de vie en groupe ou même de communautés de jeunes. Cela peut être une aide pour elles ou une gêne si elles ont tendance à absolutiser la forme de cette première expérience. En effet chaque Institut attribue une place particulière à la vie communautaire en lien avec sa mission apostolique et cela structure ses membres d’une façon particulière. Simple plate-forme où l’expérience apostolique est relue ensemble pour être relancée ailleurs, ou bien lieu de ressourcement essentiel qui prime sur tout autre activité à un rythme fort , elle est déjà chez nous un lieu d’expérience apostolique où ces perspectives se jouent avec souplesse et dans une certaine manière de vivre ensemble.
Sentir les désirs de la jeune sur ce point et lui faire découvrir notre style de vie de communauté est déterminant pour son épanouissement et le nôtre. Un décalage important entre l’attente d’une jeune sur ce point et la proposition de l’Institut s’avère invivable par la suite.
De même, j’essaie d’entendre les réactions d’une jeune à la dimension totale du corps apostolique. Appartenir à un corps international de 4 500 femmes, d’une quarantaine de nationalités, stimulait manifestement l’une d’elle. Créer ainsi une parabole de communion entre nous, au-delà des différences culturelles, ethniques, politiques, l’attirait. Ses yeux se tournaient avec curiosité vers la carte du monde qui tapisse un mur de ma chambre. Elle est venue nous rejoindre. Tandis que j’ai vu Myriam littéralement se recroqueviller sur elle-même quand j’ai évoqué cette dimension de notre Institut. Cela m’a aidée à la confirmer dans son attrait pour un Institut de taille plus réduite.
Si cette dimension n’a pas toujours des incidences quotidienne sur notre vie, elle est toujours l’horizon sur lequel nous nous engageons, et par rapport auquel nous cultivons une disponibilité apostolique très forte. Nous entrons dans l’Institut et pas seulement dans telle ville ou tel pays. A-t-on les aptitudes pour l’envisager ?

Conclusion

J’en ai peut-être assez dit pour esquisser que le dialogue d’une spiritualité propre avec une jeune en recherche peut l’aider à discerner son propre chemin.

Progressivement une espèce d’évidence peut nous être donnée à l’une et à l’autre : "c’est bien là", ou "ce n’est pas là". Dans ce cas, connaître le charisme d’autres Instituts est précieux ; je peux renvoyer à tel ou tel suivant ce que j’ai entendu faire écho chez cette jeune et faciliter ainsi sa démarche.

Vivre ensemble dans une communauté une année de discernement est un moyen très précieux. Quand il est réalisable beaucoup d’Instituts le pratiquent. Nos sœurs de Belgique en ont fait une expérience intéressante en ce sens. (3)

NOTES -------------------------------------------------------------

(1) LA VIE RELIGIEUSE - D. SADOUX et P. GERVAIS - BEAUCHESNE, 1985 [ Retour au Texte ]

(2) UNE RELIGIEUSE DU S.C. ET SA TRADITION SPIRITUELLE - F. GREFFE - Christus n° 139 [ Retour au Texte ]

(3) UN LIEU DE DISCERNEMENT EN PLEINE VIE - Marie-Paule PREAT - Vie Consacrée n° 1 - 1990 [ Retour au Texte ]