Pastorale des vocations dans les Instituts


- Echos d’une enquête

- Des instituts s’expriment

 

Marc LEBOUCHER
laïc, membre de l’équipe du Service National des Vocations

PASTORALE DES VOCATIONS
DANS LES INSTITUTS
Insistances et difficultés
Au moyen des questionnaires, les différents instituts étaient invités à présenter l’organisation, les insistances et les difficultés de leur propre pastorale des vocations. Dans la synthèse proposée ici, il nous a semblé intéressant de relever surtout les deux derniers aspects, quitte à moins évoquer l’organisation concrète. Pour mieux aborder la question de manière stimulante.

I - A PROPOS DES INSISTANCES

A priori, dégager des insistances communes aux pastorales des vocations propres à chaque institut pourrait relever de la gageure. En effet, chaque institut se voit marqué par une histoire, un langage et une spiritualité propres, et cette particularité colore la pastorale des vocations. A chaque charisme va correspondre des insistances plus spécifiques...

Du coup, il devient très intéressant de relever les convergences les plus fortes, même si elles peuvent se traduire de manières différentes. Car ces convergences sont significatives d’une identité propre à la vie religieuse apostolique, au-delà des différentes congrégations et instituts.

De l’étude de ces insistances, on peut retirer trois points :

A - Des insistances communes

l/ Le souci d’éveiller au sens de l’évangélisation, de l’annonce de la Bonne Nouvelle. Ce premier point est très largement repris et ce, de manières différentes :

- sens de la mission (en particulier pour les instituts missionnaires)

- mission dans un monde sécularisé, en pleine mutation

- annonce de la Parole auprès des plus pauvres, des jeunes...

- lien étroit entre l’apostolat et la vie contemplative

2/ Le renvoi à l’appel_fondamental que constitue le baptême pour tout chrétien. C’est le second point fort.
Avant d’être orientation vers une vocation plus spécifique, la pastorale devra permettre à chaque jeune de mieux prendre conscience de sa vocation de baptisé. Car c’est dans l’appel baptismal que s’enracinent toutes les vocations spécifiques. Cette insistance va se traduire par :

- la proposition de temps forts, pour offrir des occasions de ressourcement aux jeunes

- le renvoi à la vie chrétienne là où les jeunes sont insérés habituellement, en paroisse, aumônerie, mouvement...

- l’invitation à réfléchir sur son engagement personnel, en Eglise

- l’importance d’aider les jeunes à découvrir le projet de Dieu dans leur vie.

3/ Le sens du service des plus pauvres

A travers la vie de pauvreté, de "minorité" auprès des plus démunis. Le sens du service des hommes, de la justice, qui ne se sépare pas d’un attachement à Dieu.

4/ L’éveil à la dimension communautaire de la vie religieuse revient aussi fortement. C’est la découverte, tout à la fois, des "dons et exigences de la fraternité". Ceci s’incarne par la nécessité de faire vivre aux jeunes en recherche des expériences de vie communautaire à travers le partage d’existence avec des religieux, la découverte de communautés particulières.

5/ L’importance de la prière

6/ L’appel à la vie consacrée, qui est une invitation à la conversion, à "se décider pour Dieu".

7/ Le souci de la dimension ecclésiale de toute vocation... L’ouverture a la vocation, à la mission de l’Église dans le monde, à la dimension de communion.

8/ L’attention à toutes les vocations présentes dans l’Eglise

- être veilleurs et éveilleurs de tous ces appels

- "déployer devant les jeunes la diversité des formes que prend l’appel du Christ à vivre l’Evangile"

9/ La découverte de l’Evangile

On le voit, le classement de ces différentes insistances n’est pas anodin.
La dimension apostolique (1) se révèle première pour une vie religieuse qui prolonge l’appel baptismal (2) à travers des signes de radicalité comme le sens de la pauvreté, la vie communautaire, la contemplation...(3 et suivantes..)

B - Des pastorales plus spécifiques

Parmi toutes ces insistances est rappelée aussi la nécessité pour chaque institut de mettre en valeur sa spécificité particulière :

- à travers la spiritualité qui la colore

- à travers la personnalité du fondateur

- à travers la découverte du projet de la congrégation

- à travers la découverte de ce que l’on vit dans l’institut.

Ceci peut se traduire par des inflexions bien évidemment différentes, comme le montrent ces quelques illustrations relevées :

- importance du passage par Marie, durant la recherche vocationnelle

- insistance sur la recherche de Dieu en toute chose (tradition ignatienne)

- découverte de la vocation missionnaire spécifique, pour les instituts missionnaires ad extra

- souci du respect de la création, de la nature (tradition franciscaine)

C - Des moyens indispensables

Le dernier aspect est sans doute moins développé. Il traduit bien cependant que les insistances, les principes fondateurs d’une pastorale, doivent passer par des points d’attention plus concrets :

- le souci d’un travail effectif avec le Service Diocésain des Vocations, indiqué par une réponse

- La nécessité que les religieux soient présents là où sont les jeunes (aumôneries, pèlerinages, etc.), ainsi que les jeunes adultes.

- La mise en place de lieux d’accueil pour les jeunes, pour offrir des moments de ressourcement, des temps forts

- L’information et la sensibilisation des frères pour les rendre plus attentifs aux jeunes et aux adultes en quête de discernement de leur vocation.

II - A PROPOS DES DIFFICULTES RENCONTREES

Elles étaient classées en trois rubriques distinctes, que nous reprenons successivement :

A - Au sein de l’institut

Deux mots reviennent très souvent pour évoquer les difficultés qui se présentent ici : vieillissement et découragement.

Cependant, pour mieux comprendre le contexte, il semble intéressant d’établir des distinctions plus fines :

l/ Le vieillissement des communautés :

C’est une difficulté largement soulignée. Les jeunes portent peu d’intérêt à des instituts vieillissants qui, fatalement, leur sont peu ouverts. Les "témoignages de vieux sont peu emballants", remarque une réponse. Et du coup, une distance se creuse avec le monde des jeunes :

- On trouve de moins en moins de religieux qui rencontrent des jeunes. Les liens se distendent avec eux.

- Il devient plus difficile de rejoindre ces jeunes dans leurs questionnements, leurs attentes.

- Certaines communautés ont même peur de les accueillir

2/ Le découragement est lui aussi très souvent avancé :

On baisse les bras devant "l’échec des vocations en France". On trouve peu de volontaires peur s’occuper de cette pastorale et l’on se dit marqué par une sorte "d’usure de l’appel".

Ce constat de découragement doit donc obliger à une conversion, à un sursaut de confiance : "nous avons à réveiller la foi en nous-mêmes", dit un religieux. "Il faut convertir des confrères qui n’y croient plus", ajoute un autre.

3/ La résistance des mentalités :

Ce type de difficulté pourrait sans doute être assimilé au découragement, lui-même lié au vieillissement. Pourtant il semble nécessaire de mieux cerner sa spécificité propre.

- Certains religieux, note une réponse, "ont peur de faire de la retape", du recrutement. "Il suffit d’être ce que nous sommes, disent-ils, pas besoin d’avoir une pastorale des vocations spécifiques". Pourtant, remarque aussi cette réponse, le climat change depuis quelque temps et la question semble mieux accueillie.

- Peu de frères, avance un autre religieux, sont "motivés pour situer leur vie, leur apostolat..., dans une dynamique vocationnelle". Un autre ajoute, plus sévèrement sans doute, que "les religieux ne savent pas témoigner du salut de Dieu apporté aux jeunes."

- Autre forme de résistance enfin : le souci de trop respecter la liberté des jeunes. Si ce souci est louable, remarque une réponse, il risque de stériliser les initiatives de pastorale des vocations. Comment garder alors une "intention droite" en la matière ?

4/ La difficulté de promouvoir une pastorale de l’appel adaptée :

Trois raisons expliquent cette difficulté :

- Il faut s’adapter aux jeunes tels qu’ils sont, avec leur diversité d’âges, de situations. Il faut aussi faire face a un décalage d’âge, de mentalités avec les religieux présents dans les instituts. D’où plusieurs questions :

a) comment éviter de disperser les jeunes dans des communautés âgées ? Cela suppose de ré-inventer une pastorale
b) comment pallier la dispersion géographique des communautés, regrouper les jeunes, reconstituer un réseau ?
c) quel avenir pour un jeune qui s’engage dans un institut ? le risque d’isolement est grand, de décalage avec ses frères plus âgés, ...
d) comment offrir un accompagnement authentique, un "dialogue pastoral personnalisé ?"

- Le visage de la vie religieuse proposé aux jeunes ne semble guère appelant :

a) la forme de la vie religieuse, telle qu’elle est actuellement vécue, ne paraît guère signifiante pour les jeunes
b) des théologies différentes s’affrontent à propos de la vie religieuse apostolique. Nous ne sommes pas "au clair" à ce sujet
c) la crise d’identité, qui marque également les prêtres diocésains, n’est pas sans toucher la vie consacrée. Ceci est contrebalancé cependant, note une remarque, par la chance que constitue un travail avec des baptisés.

- La marque d’un contexte, qui rend ce travail pastoral plus délicat :

a) les mutations de l’Eglise et du monde qui sont difficilement acceptées par certains
b) le peu d’ouverture, parfois, à certaines formes de vocations spécifiques, comme la vocation missionnaire à l’extérieur, par exemple

5/ Le manque de temps

Il n’est pas toujours facile de dégager du temps pour la pastorale de l’appel, qui nécessite un investissement avec des moyens propres

- dans certains instituts, personne n’est dégagé pour ce service

- les religieux, souligne une autre réponse, sont "trop pris par les tâches du ministère".

Après ces difficultés présentes au sein des instituts, il convient de prendre en compte celle provenant-des jeunes eux-mêmes.

B - Par rapport au monde des jeunes

Il est frappant de remarquer combien ces constatations rejoignent celles déjà faites au cours de l’enquête présentée a la session des Services Diocésains des Vocations, à VICHY, lors de la dernière Pentecôte. Même impression de distance avec le monde des jeunes, même sentiment de fragilité tous azimuts à propos de ces derniers.

D’où les difficultés suivantes :

l/ Un décalage croissant avec le monde des jeunes

- il est difficile de les rejoindre là où ils vivent et s’expriment. Il faut trouver du temps pour les rencontrer et les études les accaparent beaucoup

- les religieux sont peu présents au monde des jeunes, en particulier auprès des 18-25 ans. Il faudrait un plus grand accueil et une meilleure ouverture en ce sens... De plus, certaines implantations de communautés ne favorisent pas toujours cet accueil.

- les jeunes "ont peur que l’on mette la main sur eux". Peu sont intéressés par la vie religieuse. D’autres sont indifférents ou résistants face aux propositions vocationnelles.

- en ce qui concerne la vocation missionnaire, on note l’existence de barrières culturelles entre les jeunes français et les missionnaires qui reviennent pour l’animation.

2/ Des mentalités peu favorables

Les jeunes sont marqués par des traits de mentalité actuels, qui ne favorisent guère la naissance et la durée d’un projet de vocation :

- hédonisme ambiant, valeurs dominantes peu porteuses

- poids de l’incroyance (même en Action Catholique spécialisée) : il faut d’abord éveiller à la foi, persévérer en ce sens avant de parler de l’appel. Les jeunes manquent de points de repère.

- les choix qui impliquent un chemin de vocation ne sont pas reconnus par la société, qui ne les prend pas au sérieux.

- les jeunes sont comme "détournés des valeurs spirituelles"

- l’Eglise paraît à certains "hors jeu", décalée du monde

3/ Des fragilités diverses

Même si elles sont de registres différents, ces fragilités semblent traverser fortement les jeunes en recherche.

a) Fragilités psychologiques

- il n’est pas rare que les jeunes aient de gros problèmes psychologiques "Cela nécessite un accompagnement personnalisé, dans la durée... Mais les compétences manquent !". De plus, ajoute une réponse, comment gérer des groupes où cohabitent des personnalités perturbées ?

- la maturité affective ne va pas toujours de soi

- la maturité psychologique, l’autonomie, sont longues à acquérir : on a du mal à se déterminer, à décider. On reste plus longtemps dépendant

- certains jeunes refusent les différences, expriment davantage le désir d’un vivre ensemble "fusionnel".

b) Fragilités spirituelles

Une réponse introduit à ce sujet une distinction intéressante :

- les jeunes en proie aux difficultés psychologiques se tournent davantage vers la prière que vers la dimension apostolique

- ceux qui sont bien insérés dans la vie ont davantage de mal à entrer dans la prière personnelle et communautaire.

Dans les deux cas, il faut procéder à un ré-équilibrage et donc avoir toujours une vision personnalisée.

c) Peur en face de la durée

Cette peur va sans doute plus loin que la simple fragilité :

- les jeunes sont "allergiques à toute forme de recrutement" : ils craignent surtout l’engagement à vie, dans la durée

- le célibat est évoqué aussi comme une difficulté

- et surtout, cette peur de la durée influence le regard que les jeunes portent sur la vie religieuse elle-même :

* soit elle apparaît comme un idéal inaccessible, impossible à atteindre
* soit elle n’apparaît pas assez radicale, visible : certains jeunes réclament alors une vie religieuse plus identifiée, plus traditionnelle. Serait-ce alors pour se rassurer ?

On le voit, les difficultés rencontrées à propos des jeunes amènent tout naturellement à poser la question du signe de la vie religieuse aujourd’hui.

C - Par rapport au signe que représente la vie religieuse aujourd’hui

Si la vie religieuse paraît ignorée des jeunes, n’est-ce pas d’abord un problème d’identité, de visibilité ? Ce thème revient souvent dans les questionnaires.

l/ Une vie religieuse ignorée des jeunes

- beaucoup sont loin de la foi., de la vie chrétienne...

- beaucoup ignorent que la vie religieuse existe

D’ailleurs, la vie religieuse masculine n’est pas assez représentée dans les Services Diocésains des Vocations, remarque une réponse.

2/ Une vie religieuse gui ne semble pas assez repérable

Face à des jeunes qui voudraient une visibilité extérieure plus forte, les communautés religieuses actuelles ne semblent pas répondre à cette attente. Il est intéressant de reprendre ici les formules mêmes de ceux qui ont répondu à cette enquête :

- "nous manquons de repères précis qui expriment vraiment notre identité. Celle-ci est peu repérable, même si les jeunes connaissent un frère."
"sans doute sommes-nous trop comme tout le monde. Il faut nous approcher de près pour réaliser un peu ce qui nous fait vivre : vie fraternelle, mise en commun de biens, prière commune..."
"nous ne sommes pas assez significatifs dans notre manière de vivre la vie religieuse."

- le manque de visibilité semble aussi se retrouver dans les engagements apostoliques : "des engagements... qui ne sont plus signes du service des pauvres, malgré quelques insertions significatives."

- des communautés plus conventuelles et vieillissantes ne sont pas suffisamment signes d’une vie religieuse dynamique.


3/ Des jeunes qui hésitent

Nous retrouvons là des points déjà abordés plus haut :

- l’engagement à vie fait peur

- le caractère radical de la vie religieuse la fait apparaître comme impossible à vivre

- les congrégations sont nombreuses, il est difficile à un jeune de faire un choix

Cependant, au-delà du constat de ces difficultés, il est intéressant de voir que l’évocation du signe de la vie religieuse apostolique introduit des questions et des convictions stimulantes, qui viennent un peu contrebalancer le pessimisme dominant.

Deux questions :

l/ notre signe de "vie religieuse apostolique" est sans doute moins visible que celui de la vie monastique - plus repérable à travers l’habit, la liturgie - car il appartient davantage à l’ordre de l’être, de l’immersion au cœur du monde. Comment réinventer, approfondir cette visibilité ? Pas forcément avec des signes extérieurs.
D’autant, ajoute une autre réponse, que la vie religieuse en proximité avec les pauvres, les hommes d’aujourd’hui, n’offre plus le refuge et la sécurité que certains en attendent.

2/ comment réfléchir la relation vie religieuse / vie sacerdotale ?
Même dans la vie religieuse sacerdotale, la dimension "religieuse" de la vocation est importante à travers le désir d’intimité avec le Christ, la vie fraternelle...

Quelques convictions, enfin :

- l’importance signifiante d’une vie religieuse avec le chœur, présentée comme une aide pour le sacerdoce

- l’importance de la consécration à Dieu pour le service des jeunes : un signe permanent que Dieu les aime

- la difficulté de faire découvrir le sens de vœux comme des "contre-valeurs" peut constituer aussi une chance à saisir pour les mettre en valeur.

En guise de conclusion :

Comme on le voit, la réalité n’invite pas d’emblée à l’optimisme. Elle doit inciter davantage à la lucidité, pour être plus inventif et retrouver confiance dans le signe de la vie religieuse apostolique. Et découvrir ainsi de nouveaux chemins d’appels.