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Pour semer la parole
- Trois points d’attention -
Eric de CLERMONT-TONNERRE
o.p.
N.B. - Cette intervention reprend quelques idées déjà formulées dans l’article "SOLITUDE ET COMMUNION" paru dans "Jeunes et Vocations" n° 53 - avril 1989 - pp.59-63, et apporte d’autres éléments.
[Pour voir « Jeunes et Vocations » N° 53 ]
Pour un jeune qui s’intéresse à la vie dominicaine, ou qui s’y engage, il y a une chose un peu particulière - que l’on doit retrouver dans d’autres familles religieuses aussi -, c’est que la mission de l’Ordre des Frères Prêcheurs est très large et très vaste puisqu’il s’agit, comme le nom l’indique de la prédication de la Bonne Nouvelle ou, autrement dit, de l’évangélisation sous toutes ses formes ; mission large et vaste comme est le terrain d’action de l’Eglise.
C’est ainsi que le postulant qui entre dans l’Ordre peut encore assez longtemps fonder son projet de vie sur un certain imaginaire. Il arrive qu’il conserve longtemps ses rêves, voire ses fantasmes. Plus tard en effet, dans sa vie religieuse, lorsqu’il aura terminé sa formation initiale, il pourra être amené à faire des choses extrêmement diverses et à se trouver dans des situations et dans des lieux très différents.
Ceci est d’autant plus vrai que le postulant ou le novice rencontre autour de lui, en faisant connaissance avec ses frères, des activités très variées, des sensibilités très diverses, et de multiples manières de dire et de vivre le propos dominicain.
C’est une difficulté réelle. Mais peut-être est-ce aussi une chance, car il y a là le terrain favorisant une véritable expérience d’Eglise. D’où le premier point d’attention.
I - FAIRE l’EXPERIENCE DE LA REALITE DE l’EGLISE ET AVOIR DE LA SYMPATHIE POUR CETTE REALITE
Permettre une expérience d’Eglise au cours des premières années de formation, favoriser l’accueil de l’Eglise et de l’Ordre tels qu’ils sont, et la découverte de la dimension historique de la foi et de la vie chrétienne ; aider le jeune à se préparer à entrer dans cette histoire pour la continuer avec d’autres : tels sont les éléments constituant ce premier point d’attention.
Il s’agit bien pour nous d’introduire le jeune frère dans une communauté marquée par la diversité et par son histoire propre, et de l’accompagner dans la découverte du pourquoi de cette diversité et des moments forts de cette histoire.
Dans la vie dominicaine le jeune frère découvrira que ce ne sont pas seulement les tâches apostoliques qui sont différentes, mais aussi les manières de vivre et de prendre en compte les valeurs principales sur lesquelles la mission prend appui et que sont : la vie commune, la prière personnelle et liturgique, l’étude, la liberté et la responsabilité dans un mode de décision et de gouvernement communautaire. Ces valeurs, en effet, sont vécues par des frères et des communautés donnés avec leurs richesses et leurs faiblesses, leurs réussites et leurs échecs.
Le jeune frère découvre là la difficulté de la vie en communauté, en Eglise. Il découvre la réalité ecclésiale parfois éprouvante mais toujours riche.
L’attention particulière à porter consiste à aider les jeunes à accueillir, en dialogue les uns avec les autres et avec leurs aînés, la réalité qui leur est offerte, comme le lieu où ils sont appelés par Dieu à devenir des hommes, des chrétiens et des dominicains.
Au cours du noviciat, il est important pour moi d’essayer de développer le sens de l’histoire - les novices étudient l’histoire de la fondation de l’Ordre en la travaillant ensemble, et en se l’appropriant communautaire-ment -. Mais au moins aussi importante que l’histoire ancienne de l’Ordre, est l’histoire contemporaine de nos Provinces dominicaines avec ses beautés, ses réussites et ses échecs. Le jeune frère est plongé dès le début de sa formation dans un cadre de vie qui la met en relation avec des frères de différentes générations. Il est important que l’histoire récente leur soit racontée, non pas sous forme de "cours", mais en faisant "parler" les témoins de cette histoire, les frères eux-mêmes.
Bien sûr, il ne serait pas juste d’être attentifs à l’histoire sans développer aussi l’attention à l’actualité ecclésiale...
2 - ETRE DISCIPLE AVEC D’AUTRES
Beaucoup de jeunes chrétiens sont portés spontanément à situer leur vie chrétienne et leur vie religieuse en référence à des modèles choisis par eux et en termes d’observance.
Pour le service de la prédication et de l’enseignement de la foi qui sera le leur, il me paraît important d’aider les jeunes frères a entrer dans une véritable obéissance, celle qui consiste à accepter de se situer comme disciple dans l’existence et disciple avec d’autres (disciple et non pas maître, surtout lorsqu’on a pour tâche présente ou future de prêcher et d’enseigner). Cette expression "être disciple avec d’autres" manifeste la capacité d’être un membre parmi d’autres de la communauté religieuse et celle d’être, avec les autres chrétiens membres de l’Eglise, avec lesquels nous travaillons ou auxquels nous prêchons, disciples également de l’unique maître. Ceci est le fondement d’une réelle fraternité.
Il s’agit d’apprendre à être en position d’écoute dans la prière personnelle, dans la lecture de l’Evangile, dans le regard sur l’Eglise, dans le dialogue avec ses frères et avec les autres chrétiens, dans les activités ecclésiales et missionnaires.
Etre disciple avec d’autres et parmi d’autres nécessite que l’on fasse le double apprentissage de la solitude et du dialogue. Cet apprentissage se fait de manière privilégiée au noviciat qui réserve du temps pour chaque frère, pour la prière, la lectio divina, le travail d’étude en solitude, mais qui est l’occasion aussi - quand on a la chance d’avoir plusieurs frères novices en même temps - d’apprendre le sens du dialogue avec les autres.
Ce double apprentissage du disciple - solitude et dialogue en communion - est le chemin de l’humilité vraie gui consiste à trouver la position juste face à Dieu et à ses frères, la position du serviteur.
Ce double apprentissage développe ce gui est nécessaire à toute vie chrétienne religieuse et missionnaire au sens large :
la capacité à entrer en soi-même pour se connaître, prendre des distances par rapport aux événements et assumer les événements riches comme ceux gui sont pénibles,
la capacité à sortir de soi pour ajuster sans cesse ses comportements et sa conduite en fonction des besoins et des choix des autres, des groupes.
3 - PRENDRE EN COMPTE LE TEMPS DANS SA DEMARCHE
La prise en compte du temps me semble être la chose la plus difficile. Mais elle est, pour moi, particulièrement nécessaire à une époque où l’on a tout, tout de suite, à portée de la main.
Tout ce gui est de l’ordre du vivant et de l’humain prend du temps pour s’établir et pour grandir.
Reconnaître et accepter le temps qu’il a fallu, ou qu’il faut, pour comprendre quelque chose, pour assumer tel événement, pour changer de comportement dans telle situation, pour dépasser telle limite gui nous habite ; reconnaître et accepter les médiations nécessaires pour servir les autres en les écoutant, en les respectant et en les comprenant ; reconnaître et accepter qu’une communauté chrétienne est une réalité vivante et spirituelle gui demande le respect comme un être humain ; tout cela est nécessaire pour une formation à la vie religieuse au service de l’Eglise et des hommes.
Il faut en effet que celui gui sera prêcheur soit plus attentif à la fécondité de la parole semée qu’à son efficacité immédiate. Et dans la tâche de la prédication, semer la parole nécessite que l’on accepte, soi-même, d’être comme elle un grain jeté en terre (avec d’autres !) et gui meurt pour porter du fruit.
Prendre en compte le temps, ce n’est pas s’assoupir mais c’est apprendre à discerner dans sa propre existence et dans la vie de l’Eglise, au cœur des activités missionnaires, les moments où il faut être patient et ceux au contraire où il faut faire des choix. Choisir : planter ou arracher.
Pour terminer j’évoquerai volontiers un de mes soucis, une de mes préoccupations dans la formation : il s’agit de la solidarité à vivre dans la vie religieuse avec les plus pauvres, et du souci des plus pauvres dans la mission. Comment aider les jeunes frères à comprendre et à vivre ce souci des plus pauvres ?