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Un accompagnement personnalisé
Jacques D’HUITEAU,
F.E.C.
La question qu’il m’a été demandé d’aborder en un quart d’heure était formulée, dans un premier courrier, de la façon suivante :
"Du lieu où vous êtes, avec la spécificité de votre Institut ou de votre Ordre, quelles sont les dominantes, les insistances de votre accompagnement pour les jeunes en recherche ou en formation chez vous ?".
Dans la présentation générale de la session le mot "recherche" a disparu. Comment expliquer cette disparition ?
ou bien le rédacteur du programme général a estimé que le mot "formation" incluait l’idée de recherche,
ou bien il a voulu restreindre la question aux "jeunes en formation" au sens strict, c’est à dire à ceux qui ont fait une démarche d’entrée au postulat.
Personnellement dans cette intervention j’opterai pour la première hypothèse.
En effet, la formation de jeunes s’orientant vers la vie religieuse inclut nécessairement LA DIMENSION DE LA RECHERCHE. Celle-ci peut être formulée ainsi : discerner si le désir exprimé est la réponse à un appel de Dieu ou la quête plus ou moins consciente de la réalisation d’une image idéalisée de soi-même pour laquelle la vie religieuse apparaît offrir un cadre favorable.
De plus la formation d’un jeune doit tenir compte d’un trait actuel de notre culture qui retentit fortement sur les comportements : la difficulté à s’engager à long terme, à considérer qu’une décision puisse concerner une longue durée, voire la vie entière.
Ces deux raisons m’amènent à penser que recherche et formation sont inséparables.
Il en est une troisième : former à la vie religieuse ce n’est pas d’abord transmettre un certain nombre de connaissances, un savoir construit et systématique. C’est :
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Donner la possibilité d’avancer dans une expérience spirituelle fondamentale : celle de la recherche d’un Dieu à la fois tout-proche et tout-autre.
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Initier à la manière dont cette expérience est vécue dans un mode particulier de vie chrétienne, à savoir le type de vocation dont il est porteur et régulateur à l’Institut auquel le jeune veut s’agréger.
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Permettre de vérifier la cohérence entre cette vocation et le type de structuration humaine et spirituelle du jeune.
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Donner les éléments essentiels qui permettront d’assumer dans le quotidien les exigences de l’engagement contracté vis à vis de Dieu et vis à vis des frères afin que le jeune en fasse les éléments de la construction de son être d’homme et de fils de Dieu.
Dans le type d’accompagnement qui est le nôtre actuellement nous essayons de prendre en compte deux catégories d’éléments :
1.- Les éléments communs à toute vocation
2.- Les éléments particuliers à notre type de vocation.
Par rapport à la première catégorie, faute de temps, je me contenterai de mentionner :
- Le rapport du jeune à sa foi :
Quelle est son image de Dieu, de Jésus ? Comment s’exprime sa vie chrétienne dans le concret de son existence : vie sacramentelle, vie ecclésiale, vie professionnelle, vie sociale... Quelle connaissance a-t-il des éléments fondamentaux du mystère chrétien ?
- Le rapport du jeune à son expérience humaine.
Actuellement les jeunes qui entrent dans un processus de formation à la vie religieuse se caractérisent par une moyenne d’âge relativement élevée : à 1’inter-noviciat de Lyon, cette année, elle est de 27 ans (filles et garçons). Ils ont donc connu pour la plupart les exigences et les avantages d’une vie professionnelle ; ils ont vécu des expériences affectives plus ou moins fortes, plus ou moins réussies ; ils ont découvert certaines de leurs limites et certaines de leurs richesses. Une formation doit prendre en compte cette histoire humaine, permettre aux jeunes de la relire pour en percevoir le sens à la lumière de la Parole de Dieu, une parole qui permet de faire la vérité en ouvrant un avenir.
Sous quelle forme ? La plus adaptée est L’ACCOMPAGNEMENT INDIVIDUALISE, ce qui exige des personnes compétentes. Pour mon institut des frères plus spécialement chargés de la pastorale des vocations dans leur province ont à exercer cette responsabilité. Mais la dispersion géographique des jeunes qui s’intéressent à la vocation de Frère ne facilite pas cet accompagnement si bien qu’ils ne trouvent pas toujours un frère capable de les aider.
Peut-être, me direz-vous, peuvent-ils trouver un tel accompagnement dans le cadre des Services Diocésains des Vocations qui, certes, s’en soucient. Mais force m’est de constater que rares sont les Services Diocésains des Vocations où les jeunes peuvent trouver un accompagnateur connaissant de manière un peu approfondie la vocation religieuse masculine laïque apostolique.
Pour appuyer cette affirmation qui peut paraître provocante je puiserai deux éléments dans le compte-rendu de la dernière session nationale des vocations à VICHY.L’enquête effectuée auprès des jeunes fréquentant les S.D.V. signale "la quasi inexistence de liens avec la vie religieuse apostolique chez les garçons (1,5 %)". Faut-il en conclure pour autant que, en général, les garçons n’ont pas de liens ? Je pense plutôt, à la lumière de mes rencontres avec des jeunes en recherche, et des novices de diverses congrégations que ce n’est pas dans les S.D.V. qu’ils trouvent la possibilité d’aborder de façon précise ce type de vocation.
Un autre symptôme de cette difficulté apparaît dans l’évaluation effectuée en vue de la session de VICHY, par les S.D.V. Je lis à la p. 27 du numéro de "JEUNES ET VOCATIONS" l’expression du souci d’un accompagnement diversifié pour illustrer le fait que la mission d’accompagnement confiée au Service des Vocations doit être un travail d’Eglise. Mais l’exemple donné est celui d’un "groupe de recherche accompagné à la fois par un prêtre et par une religieuse". Apparemment on n’a pas pensé à des religieux laïcs. Pourtant ils sont présents dans les S.D.V. à des titres divers. Pour mon institut, en 1988 j’en ai dénombré 24.
Il s’agit donc d’offrir à des jeunes qui s’interrogent sur leur vocation un cadre où ils peuvent confronter le désir dont ils prennent conscience peu à peu et la vocation de Frère afin de vérifier si elle peut être pour eux le chemin de réalisation de ce désir.
C’est pourquoi a été mis en place le groupe de recherche lasallien, où des jeunes de 18 ans et plus partagent entre eux et avec des frères leurs questions et reçoivent une information, sous forme d’enseignement et de témoignage, sur la spiritualité formalisée par Jean-Baptiste de La Salle.
Cela m’amène à la seconde catégorie d’éléments dont la formation doit tenir compte : LES ELEMENTS PARTICULIERS A NOTRE TYPE DE VOCATION.
Les plus essentiels sont :
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Une spiritualité où l’expérience de Dieu est vécue dans une expérience humaine qui est l’expérience éducative. "Ne faites point de différence entre les affaires de votre état et celles de votre salut", disait J.-B. de La Salle.
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L’importance de la vie fraternelle comme signe et motif de crédibilité de l’annonce de la Bonne Nouvelle : vie fraternelle entre les membres de la communauté, vie fraternelle avec les collègues et les jeunes, en particulier ceux qui sont les plus démunis aux plans intellectuel, social, affectif, spirituel.
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Une mission commune de promotion humaine et d’évangélisation des jeunes, les deux étant indissolublement liés. Cette mission partagée avec des collègues laïcs, nous la considérons comme un véritable ministère ecclésial.
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Une vie religieuse vécue par tous les frères dans la condition laïque.
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une vie religieuse qui a une dimension internationale du fait que l’Institut est en contact avec des cultures très différentes et oeuvre dans des situations socio-économiques très contrastées.
Tenir compte de ces éléments nous conduits aux choix suivants :
- Permettre aux jeunes qui le désirent de connaître notre type de spiritualité.
Avant le postulat c’est le rôle du groupe de recherche lasallien dont je vous ai parlé, où les jeunes sont invités à relire leur vie humaine et chrétienne, leurs engagements à la lumière de l’expérience spirituelle de J.-B. de La Salle telle qu’elle s’exprime dans sa vie et ses écrits. Au postulat et au noviciat c’est un point essentiel.
- Le partage de la vie fraternelle communautaire commence à être vraiment effectif au postulat qui dure un à deux ans. Cependant une expérience est proposée avant, au cours d’une ou deux semaines dans un cadre de vacances qui est en même temps un lieu important de l’histoire de l’institut.
Quant à l’expérience d’une vie fraternelle dans une relation éducative, elle peut prendre des formes diverses : soutien scolaire, animation du centre de vacances, séjour en Tiers-Monde.
- Notre type de vocation est très marqué par notre engagement auprès des jeunes.
Or à en juger par l’enquête présentée a VICHY, les jeunes rencontrés dans le cadre des S.D.V. valorisent peu l’engagement, en particulier le Service des pauvres ; les "motivations centrées sur soi" sont, semble-t-il "dominantes", (cf. p. 20). Notre accompagnement et notre formation visent à faire découvrir aux jeunes que la rencontre de Dieu et du Christ peuvent se réaliser au cœur même de la relation éducative.
Quant à la prière notre fondateur nous a appris qu’elle se nourrit de la rencontre des jeunes et que la qualité de cette rencontre est un sûr moyen de vérifier la vérité de notre prière.
- Quant à la condition laïque, il s’agit pour nous d’en faire découvrir le sens et la richesse comme forme de vie religieuse,
Pour les hommes cela ne va pas de soi dans la mentalité commune du peuple chrétien et même du clergé. Il y aurait toute une réflexion à faire sur cette question où sont impliquées la théologie, en particulier la théologie de l’Esprit et l’ecclésiologie encore fortement marquée sinon dans les idées du moins dans les faits par le modèle clérical d’avant Vatican II.
- En ce qui concerne le caractère international de l’Institut, il peut permettre d’acquérir une vision du monde à la mesure des questions qui se posent à l’humanité aujourd’hui : le dialogue entre les cultures, la coexistence d’hommes d’univers culturels différents, les disparités économiques considérables entre le Nord et le Sud de la planète.
Concrètement cela signifie que dans la formation des jeunes frères il est prévu un séjour de deux ans en Tiers-Monde où peuvent être appréhendés deux aspects essentiels de la vie de l’Eglise : la présence auprès des plus pauvres et 1’inculturation de l’Evangile. Ces deux aspects existent en Occident mais un séjour en Tiers-Monde permet d’en prendre une conscience plus vive.
Voilà résumés le plus rapidement possible - temps imparti oblige ! - les points d’insistance de l’accompagnement pour les jeunes en recherche ou en formation avec les Frères des Ecoles Chrétiennes. Ces jeunes sont certes peu nombreux mais ils sont motivés. Et il ne saurait en être autrement car ils sont conscients que leur démarche ne concerne qu’une petite minorité. Aussi il revient aux formateurs de ne pas décevoir leur attente et de leur offrir un cadre de formation à la fois précis et assez souple pour qu’il puisse s’adapter à des personnalités et des histoires souvent très différentes.