"Jésus le regarda et l’aima"


Ricardo Tonelli
directeur de l’Institut de Pastorale des Jeunes
à l’Université Pontificale Salésienne de Rome

Un préliminaire

Quelques précisions sont nécessaires pour donner le sens et la limite de ma réflexion et pour définir une plate-forme commune d’échange. La première précision est facile. Je parle de vocation chrétienne, parce que le contexte dans lequel se situe ma réflexion m’autorise à faire référence, de manière explicite, à un projet de vocation construit à l’intérieur d’une expérience de foi chrétienne.

Plus difficile est la deuxième précision. Il y a encore quelque temps, quand on parlait de « vocations », l’attention se portait presque uniquement sur la vocation sacerdotale et sur les vocations (masculine ou féminine) à la vie religieuse. Aujourd’hui, heureusement, le terme « vocation » indique quelque chose de commun à tout homme et à tout chrétien. En conséquence, dans cette perspective, ma proposition concerne toutes les modalités diverses de réalisation de la vocation elle-même, les mille sentiers sur lesquels nous pouvons vivre concrètement la décision fondamentale de notre vie.

Je ne peux cependant pas me contenter de penser à la vocation en termes généraux. Je sens la joie et la responsabilité de suggérer aussi quelque chose qui concerne de manière explicite les vocations de spéciale consécration et les vocations sacerdotales. Dans cette perspective, je considère qu’il est urgent de chercher quelque chose qui soit en même temps commun à toutes les vocations et qui permette le saut de qualité radicale constitué par certains choix vocationnels précis. Dans ce modèle, la nécessaire diversification ne vient pas de l’affirmation des diversités (à tout prix... ou par des expressions qui, de prime abord, apparaissent vagues et génériques) mais de quelque chose qui comporte à la fois unité et diversité.

Un rêve à propos de la vocation chrétienne

Dans une époque comme la nôtre, caractérisée par un grand pluralisme, et face à des problèmes complexes et urgents, je suis convaincu qu’une réflexion sur la vocation exige avant toute chose le courage d’exprimer et de partager un rêve sur la vocation chrétienne. Les suggestions méthodologiques sont urgentes, certes ; mais elles sont secondes et apparaissent comme des conséquences du courage de rêver une figure idéale de vocation chrétienne.

Je vais tenter par conséquent, d’imaginer ce que devrait être la dimension commune à toute vocation chrétienne. C’est cette dimension qui garantit l’unité vocationnelle de fond, et qui permet ensuite l’ouverture à la diversité et à la radicalité (d’intensité et de prospective) qui caractérise chacun des choix de vocations spéciales.

Un critère fondamental

Rêver, c’est beau... mais c’est dangereux. Nous avons besoin de rêver en restant enracinés sur des fondements solides. Il n’est pas facile de trouver un fondement solide et il ne suffit certainement pas de le faire dériver de quelque déclaration solennelle.

Dans ma recherche et dans la confrontation fréquente avec de nombreux amis engagés sur ce terrain, j’ai fait souvent référence à la page du livre des Actes des Apôtres, dans laquelle on raconte l’élection du successeur de Judas (Ac 1, 15-26). Je ne considère pas que ces indications soient la solution du problème, mais un horizon valable auquel on peut se référer si l’on veut arriver, de manière plus responsable, à une proposition pour l’aujourd’hui de l’Eglise.

Je vous rappelle l’événement. Pierre a besoin d’indiquer à la communauté apostolique un successeur de Judas, le traître. Peut-être les prétendants sont-ils nombreux, trop nombreux pour un seul poste. Il faut choisir. Pour organiser le choix, Pierre propose avant tout une liste de critères de base :

  • Le choix d’une personne qui a connu Jésus de manière intense. Nous pourrions traduire : une personne fascinée par le Seigneur Jésus, capable de le placer au centre de son existence. En d’autres mots, il s’agit de choisir la nouvelle responsabilité en Jésus et pour Jésus... évidemment pour « la cause » de Jésus, en fidélité à ce que disent les Évangiles de Jésus et de son existence. Ne seront pas admises des personnes qui ont des arrières-pensées, fussent-elles les plus nobles du point de vue religieux.
  • Le choix d’une personne capable de devenir « témoin de la résurrection ». Être témoins de la résurrection signifie que l’on déclare dans les faits que le Crucifié est le Ressuscité : celui qui a été détruit, au point qu’on lui a enlevé son visage d’homme au nom de la loi, a vaincu la mort et sa victoire est pour tous. Le témoin de la résurrection est une personne d’espérance, qui inonde d’espérance et d’optimisme, par la puissance de Dieu, tous les actes de la vie quotidienne.

Ces deux critères opèrent déjà une première sélection. Ce n’est qu’après que Pierre fait intervenir l’Esprit, utilisant une stratégie que la culture de son temps lui met entre les mains : il tire au sort et trouve le successeur de Judas.

Voilà le style qui nous permet encore aujourd’hui de réaliser l’existence chrétienne : mettre Jésus comme référence au cœur de la vie au point de devenir toujours signes d’espérance.

À partir de ce critère une proposition

La perspective doit se traduire maintenant en projet et en processus. Voici donc la proposition d’une figure globale de la vocation chrétienne : au nom de Jésus, confessé avec joie et dans une prise de conscience de plus en plus explicite, faire de l’existence un service total pour la vie de tous, afin que cette vie soit pleine et abondante, et retrouve dans la confiance au mystère de Dieu le fondement d’une espérance capable d’aller même au-delà de la mort. Tous les mots ont été pesés avec attention, comme il convient du reste dans la formulation d’un objectif. Je rappelle quelques dimensions :

  • l’unification de l’existence autour d’un projet capable d’offrir synthèse et unité, contre la dispersion et la fragmentation,
  • le choix du service de la vie (la sienne et celle des autres) comme une cause capable d’engager toute l’existence,
  • un service de la vie qui sait donner de l’espérance, même face aux crises les plus fortes (la douleur et la mort),
  • dans un processus d’abandon confiant, continuel et intense à Dieu,
  • en compagnie de Jésus de Nazareth, le grand ami et serviteur de la vie.

Je veux maintenant approfondir quelques-unes de ces dimensions.

La cause de Jésus

Pour découvrir ce que signifie mettre le Seigneur Jésus au centre de notre vie, en faisant nôtre la cause qui était la sienne, nous devons méditer les Évangiles. Les Évangiles ne disent pas tout ce que nous aimerions savoir de Jésus. Mais il y a une chose que les Évangiles disent d’une manière forte et certaine :

Jésus est quelqu’un qui a une passion énorme pour une cause très spéciale. La cause de Jésus est très claire, elle l’a passionné tout au long de son existence et l’a conduit jusqu’à la mort sur la croix : faire naître la vie là où est la mort, au nom et pour la gloire de Dieu. Comme lui-même l’a déclaré, il a fait de la cause de la vie, « en plénitude et en abondance » pour tous (Jn 10, 10), la « perle précieuse » pour laquelle il faut être disposé à vendre tout le reste (Mt 13, 45-46).

La mission que le Père lui a confiée, Jésus la transmet à ses disciples. Jésus dit à ses amis : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21). Maillon après maillon se construit une grande chaîne de personnes, qui s’engagent pour le salut du monde. Les disciples en appellent d’autres et les envoient. Et ainsi la chaîne des appelés s’allonge : les nouveaux disciples en appellent d’autres avec la même passion avec laquelle ils ont prononcé leur oui à l’invitation, et ils les envoient. La mission qui nous est confiée est la même que celle qui a passionné l’existence de Jésus : la cause de la vie.

La vie quotidienne comme ressource pour une spiritualité renouvelée

La cause de Jésus, comme cela est suggéré dans les Evangiles, place le service de la vie et de son développement dans l’espérance au centre de toute vocation chrétienne.

Les modèles d’existence chrétienne dans lesquels nous avons grandi sont, en général, construits sur le futur. La vie quotidienne fonctionne comme une espèce de banc d’essai où il faut montrer notre désir d’éternité et opérer des choix corrects dans cette perspective. La conscience des difficultés qui investissent la vie quotidienne quand elle est projetée vers sa destinée définitive pousse à multiplier les contrôles et les recommandations.

Dans cette vision des choses, la vie quotidienne n’est pas considérée comme une ressource mais comme un problème. Les ressources, ce sont tous les instruments de formation qui peuvent contrôler la vie, qui tendent à placer ailleurs nos projets, qui assurent la capacité de passer du provisoire au définitif, du quotidien à l’éternel, du présent au futur.

Au contraire, celui qui partage l’objectif proposé ici reconnaît dans la vie, dans les personnes, dans nos rêves, nos expériences, nos projets..., la grande ressource pour nous lancer vers des réalisations plus hautes. Nous ne pouvons pas, en effet, faire de notre vie un service pour une plénitude de vie que si nous avons appris à aimer cette vie pour nous, pour la faire aimer aux autres.

Dans le fond, comme on le voit, c’est une question d’orientation de la vie à partit de l’expérience de l’Esprit de Jésus. Reconnaître la vie comme ressource pour la formation à partir de raisons théologiques ouvre la porte au renouvellement de la spiritualité.

Un amour de la vie selon la logique évangélique

C’est une chose étrange, semble-t-il, que l’invitation à risquer toutes les ressources dont nous disposons pour faire aimer la vie... surtout par rapport aux jeunes d’aujourd’hui, qui ont l’amour de la vie dans le sang et qui le respirent dans les modèles culturels qui nous entourent.

La constatation est sérieuse. Elle m’amène à une autre précision. Il s’agit de l’éducation à l’amour de la vie selon la logique de l’évangile : l’amour de la vie devient une passion pour que tous aient la vie... selon le modèle évangélique, l’unique qui donne authenticité à la vie et au service.

Le chrétien se voit doté d’une sensibilité extrêmement raffinée face à la vie et à toutes ses manifestations. Il possède une capacité de réaction spontanée en face de la mort et de ses expressions quotidiennes. Il en déchiffre la présence inquiétante, même quand tout lui paraît tranquille. Il perçoit le cri qui monte de tant d’hommes abandonnés, opprimés, déçus dans leur recherche désespérée de raisons de vivre et d’espérer. Ce cri, il le perçoit clair et distinct, même quand il lui parvient comme étouffé et perturbé. Sa passion pour la vie devient « compassion » pour la vie de tous : engagement patient et généreux, pour que tous aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.

L’appel à la logique évangélique, qui donne un contenu concret à la passion pour la vie, introduit une autre dimension originale : nous voulons devenir capables d’aimer et de servir la vie, mais en nous reconnaissant dans tous les cas « seulement serviteurs ». Cette attitude, Jésus la recommande explicitement : « Ceci vaut aussi pour vous ! Quand vous aurez fait tout ce qui vous aura été commandé, dites : Nous ne sommes que des serviteurs. Nous avons fait ce que nous devions faire » (Lc 17, 10). La référence concrète est Marie : mère de Dieu, mais en tant que « servante » de l’Esprit.

Dans la construction de la vie et de l’espérance, l’invitation de l’Évangile représente un point de référence original. Celui qui veut la vie se met comme Jésus au service de la vie, conscient que la vie est le grand don de Dieu. Cela exige effort et disponibilité. Mais aussi cette capacité de se décentrer en direction des autres, de se rendre attentifs à leurs besoins et à leur requêtes. Par-dessus tout, en première position, il y a l’exigence de « donner sa vie » pour que la vie soit pleine et abondante pour tous.

C’est pourquoi, le premier grand serviteur est Jésus de Nazareth. Dans les douleurs de la croix, il a préparé la fête de la vie, pour que tous - surtout les plus pauvres - puissent faire la fête. Son existence a été totalement un service pour la fête de tous. C’est pourquoi, le croyant lutte pour la vie et résiste à la mort en adoptant un style de vie qui se révèle souvent radicalement opposé au style habituel.

Dans la culture que nous respirons tous les jours, le désir de posséder signifie en fait la nécessité de conquérir les choses, de les accaparer, de s’accrocher à elles. Possède la vie celui qui la garde avec soin, comme un trésor précieux. Peut-être il va l’enfouir sous la terre, par peur des voleurs, comme l’a fait le serviteur sans cervelle de la parabole des talents (Mt 25, 14-28). Au contraire, dans le projet de Jésus, c’est celui qui sait la donner qui possède la vie, celui qui la risque par amour : comme le grain de blé qui ne produit la vie que s’il meurt (Jn 12, 24 , cf. aussi Mt 16, 25).

Perdre pour partager devient la condition pour s’assurer plus sûrement la possession. Le détachement n’est pas l’attitude manichéenne de celui qui déprécie tout en vertu d’un principe supérieur. Le détachement, au contraire, signifie conscience croissante d’une solidarité qui devient responsabilité. Les choses sont pour la vie de tous. Et tous ont le droit d’en jouir, surtout ceux qui en sont privés le plus par la violence et par l’injustice.

Cette recommandation est d’une extrême importance pour la qualité du service de la vie et donc, pour la vie elle-même. Jésus a un style particulier au service de la vie... nous ne pouvons pas en inventer un autre pour nous... mais nous devons en inventer un aujourd’hui qui soit dans la ligne de celui de Jésus. C’est à ce niveau que se situe non seulement un élément fondamental de toute vocation chrétienne mais aussi cette dimension de radicalité évangélique, typique de certaines vocations : le courage d’imprimer à notre existence le style de vie qui nous vient du futur, pour redonner à tous la capacité de regarder le présent à partir du futur.

Vers une « culture vocationnelle »

Le rêve évangélique sur la vocation chrétienne inspire les contenus concrets grâce auxquels je cherche à donner une épaisseur vérifiable à ce style de vie général que j’appelle « culture vocationnelle ».

Je parle de culture (dans ce contexte « vocationnel ») en donnant à ce terme aux multiples significations une signification anthropologique. Dans ce sens, je m’inspire de la définition descriptive de la culture qu’a suggérée l’UNESCO, au terme d’une conférence internationale sur les politiques culturelles, tenue à Mexico en 1982. « La culture - je cite à la lettre - peut être appelée l’ensemble complexe des traits spirituels, matériels, intellectuels et affectifs spécifiques qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle comprend non seulement les arts et les lettres, mais aussi les modes de vie, les droits fondamentaux de l’homme, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances... C’est la culture qui fournit à l’homme la capacité de réfléchir sur lui-même. C’est la culture qui nous rend spécifiquement humains, des êtres raisonnables, dotés de jugement critique et du sens de l’engagement moral. C’est par le moyen de la culture que nous discernons les valeurs et que nous opérons des choix. C’est par le moyen de la culture que l’homme s’exprime, prend conscience de lui-même, reconnaît sa propre imperfection, met en discussion ses propres conquêtes, cherche inlassablement de nouvelles significations et crée des œuvres par lesquelles il transcende ses propres limites. »

La référence à la culture devient facilement un rappel de notre vie quotidienne, imprégnée continuellement de culture et que la culture exprime et construit.

La culture comme acquisition de compétences

Pour respecter notre choix éducatif de fond, je traduis la culture et l’objectif du processus de formation en vue de la consolidation de cette culture dans une série de compétences. « Compétence » signifie capacité de s’orienter dans la diversité des situations. On dit en effet qu’une personne est compétente (en général ou dans un contexte particulier) quand, à travers la progressive valorisation de son authenticité personnelle, la clarification graduelle de son histoire personnelle et collective, l’acquisition de significations et de valeurs, elle est capable d’une lecture correcte de la réalité, sait réagir de manière équilibrée aux différents stimuli, est capable de décisions et d’actes cohérents.

Le domaine des compétences est un domaine très délicat en matière de formation. Elles doivent être pensées à l’avance, car elles servent à orienter concrètement les processus de formation. Il s’agit de les prévoir en pensant au type de personnalité vers lequel tend tout le processus de formation, dans une confrontation critique avec les modèles dominants, dans un temps et dans un contexte donnés. La recherche sur les compétences que l’on veut transmettre aux jeunes d’aujourd’hui répond par conséquent aux exigences d’une « culture vocationnelle » sérieuse. De fait, si dans une culture précise, il y a des styles de vie déficients, différents de ceux que demande le modèle de vocation vers lequel nous tendons, il faudra mettre en œuvre toutes les interventions éducatives susceptibles de les renforcer.

Une proposition de compétences pour aujourd’hui

Je suggère quelques exemples, à partir d’une confrontation critique avec les modèles culturels aujourd’hui dominants et avec une figure de jeune (même chrétien...) qui semble malheureusement en dériver :

  • rendre la personne capable de décision et de fidélité courageuse à la décision. Il s’agit évidemment de décisions et de fidélité à la mesure des choses qui comptent vraiment : le service de la vie et la compassion pour la vie de tous ;
  • reconstruire, dans une existence continuellement menacée d’extériorité et d’efficience, la dimension du mystère, pour pouvoir reconnaître que ce qui ne se voit pas est plus important que ce qui se voit ;
  • retrouver la signification incontournable des limites et, par voie de conséquence, de la souffrance et de la mort, comme une exigence de vérité et comme une condition pour redonner la vie, en faisant confiance à son mystère et à son Seigneur ;
  • une nouvelle manière de vivre la radicalité : le compagnonnage dans un service de la vie qui naît de la capacité sincère et intense de « se rendre proche » de l’autre, surtout des pauvres et des exclus ;
  • la redécouverte du sens indispensable du silence et de l’intériorité, pour respirer la vérité à partir du mystère que la réalité porte en elle ;
  • le sérieux et la responsabilité par rapport à la question du sens de la vie et du fondement de l’espérance, pour découvrir que ce n’est qu’en creusant le vécu et en faisant confiance au mystère que nous pourrons nous comprendre nous-mêmes et espérer ;
  • l’expérience évangélique d’une liberté, grande parce que surgie de la mort de Jésus, et celle du don de son Esprit, qui n’a comme unique frontière inquiétante que le service et la solidarité ;
  • le dépassement des visions étriquées (qui grossissent les petits problèmes) pour s’ouvrir effectivement aux dimensions du monde entier, d’où proviennent les défis les plus dramatiques : la pauvreté, l’exclusion et la domination, la faim et l’exploitation, souvent la guerre et la violence.

Des suggestions de méthode

Un bon objectif est important mais n’est pas suffisant. Il faut encore imaginer des stratégies appropriées pour assurer les conditions favorables en vue de l’objectif à atteindre. Pour cela, j’esquisse quelques démarches globales en traçant des pistes d’un itinéraire de maturation vocationnelle tenant compte de la situation actuelle de la jeunesse et de la culture.

Ma proposition est construite comme un chemin long et progressif : je commence par les premiers pas et je continue en indiquant ce qui exige un surplus d’engagement et de qualité .

J’ai choisi cette structure dynamique, parce qu’elle me semble mieux accordée à la vie, selon la logique évangélique de la semence qui devient un grand arbre, bien qu’elle porte déjà en germe tout l’avenir en elle.

Reconstruire une identité suffisamment stable autour d’une expérience mûrie de la finitude

Nombreuses sont les résistances par rapport à la vie envisagée comme vocation, dans la perspective qu’on vient d’esquisser, si l’on observe les modèles culturels dominants. Ceux-ci sont imprégnés d’une conception de la vie et de préoccupations pour sa réalisation si peu évangéliques qu’il devient difficile d’imaginer un jeune capable de partager les exigences les plus radicales de la vocation chrétienne et spécialement de la vocation sacerdotale et religieuse.

Cette constatation nous provoque.

Nous nous rendons compte de la difficulté de conduire des prêtres et des religieux vers la maturité quand la maturité humaine de base est en crise. C’est pourquoi nous travaillons dans le domaine des vocations, en nous mettant au service du développement en humanité. C’est ici que se trouve la prophétie de la vie sacerdotale et religieuse, engagée dans la croissance en humanité des hommes de notre temps, avec la même passion avec laquelle nos frères des siècles passés ont rendu une terre habitable et développé la culture.

Quatre points d’attention semblent urgents.

Avant tout, il est important de penser la formation de l’identité en se laissant provoquer par les défis qui nous entourent, ceux qui sont vrais et authentiques. Ce n’est qu’en prenant sérieusement en considération les problèmes de vie et de mort de tant d’hommes et de femmes que nous assumons la responsabilité de notre identité.

Comme on le voit, je considère que la construction et le renforcement de l’identité personnelle sont au cœur du problème de la formation. Cependant, je ne conçois pas l’identité en termes d’autoréférence. Je la conçois comme un processus relationnel : elle trouve dans la solitude personnelle une référence décisive et, dans le même temps, elle progresse à travers des confrontations, des ouvertures, des provocations venant de la réalité qui nous entoure et du mystère (de la vie et de Dieu) dans lequel nous sommes immergés.

En second lieu, il faut rappeler que nous avons un besoin urgent de silence et d’intériorité pour respirer à pleins poumons la vérité du mystère que la réalité porte en soi. Ce n’est que dans cet espace de contemplation que les voix qui nous inquiètent peuvent être lues et interprétées. Dans le silence de l’intériorité, la voix de l’Esprit devient la référence normative de l’existence. C’est pour cela que la définition de l’identité personnelle a besoin d’une éducation à la contemplation.

La définition de l’identité doit se mesurer avec les tâches que nous entendons assumer, pour répondre aux provocations qui nous ont inquiétés. C’est pourquoi, elle exige réalisme, sens du concret, prise de responsabilité progressive.

Enfin, il faut souligner le besoin de reconstruire une structure de la personnalité avec ce minimum d’organisation nécessaire et possible, autour de la reconnaissance des limites infranchissables qui traversent notre propre existence et du fond de laquelle nous élevons les bras en « invoquant » sécurité et réconfort. Je retourne ainsi à la racine de l’expérience religieuse elle-même, celle qui aujourd’hui est en forte crise par suite de la perte du sens des limites ou par la fuite dans la résignation ou dans le désengagement.

La rencontre avec Jésus le Seigneur

Le point de référence de la vie chrétienne est la rencontre personnelle avec Jésus, confessé dans la communauté ecclésiale comme le Seigneur. Tout l’itinéraire tend vers cet objectif et c’est sur cet horizon qu’il se vérifie et se consolide.

D’une part, il est important de demander aux jeunes ce qu’ils sont en mesure d’exprimer, prenant au sérieux et avec respect la « maturité relative » dont un jeune est capable ; c’est là un grand acte de foi dans le Seigneur, qui nous demande de devenir ses disciples selon les possibilités aux divers stades de l’existence. D’autre part, il est très important de tenter le maximum pour faire mûrir ce choix vers sa plénitude : la décision de placer la rencontre personnelle avec Jésus comme un facteur déterminant dans l’existence a besoin d’un engagement éducatif constant, pour soutenir les sollicitations intérieures de l’Esprit.

Il s’agit en définitive de faire mûrir progressivement la rencontre avec Jésus au cœur d’une réelle expérience de foi, capable de mettre en jeu toute l’existence. La rencontre avec Jésus se transforme en conversion continuelle de la vie à sa Parole et à sa cause, dans la célébration de la foi à l’intérieur de la vie liturgique et sacramentelle, dans une sequela courageuse de sa personne, qui amène à rompre avec le péché et avec les modes de vie qui en dérivent, dans la disponibilité à « porter joyeusement la croix » à tout moment de la journée pour vivre avec cohérence et authenticité la décision de la vie.

La passion pour la vie de tous dans la grande compassion de Dieu pour la vie

La rencontre avec Jésus reste toujours mystérieuse : c’est une aventure de foi. Sa vérification exige le choix des critères d’évaluation. À ce niveau, le chemin vocationnel devient exigeant.

Celui qui a rencontré Jésus ne mesure pas sa foi d’abord et avant tout sur la notion d’appartenance mais sur la passion pour le royaume : sur l’engagement à faire naître la vie là où se trouve la mort, au nom et pour la gloire de Dieu. C’est ainsi que naît une nouvelle qualité de la vie, solidement fondée sur la décision de faire sienne la cause de Jésus : le besoin de miser toute sa vie, au nom de Dieu, pour que tous (surtout les plus pauvres, ceux qui en sont le plus dépourvus, en référence à la situation concrète de leur existence historique) puissent retrouver la vie et son sens. La dimension personnelle (rencontre avec Jésus) et le critère d’évaluation (acceptation de son message) sont compris comme des aspects essentiels de toute cette orientation existentielle de fond. Ainsi, l’amour pour la vie, fondé sur le roc de l’abandon confiant à Jésus de Nazareth dans la foi, devient « compassion » pour la vie de tous. Pour une méthodologie correcte, je sens qu’il faut traduire ce cadre global en indications concrètes. J’en cite quelques-unes.

Avant tout il est nécessaire d’aider chaque jeune à découvrir les grandes ressources qu’il est lui-même et qu’il porte en lui. De cette découverte joyeuse naît le désir de faire fructifier les dons reçus Le premier grand don est la vie elle-même, qu’il faut apprendre à aimer, à gérer, à servir.

Le jeune ouvre alors les yeux sur lui-même et sur tout ce qui l’entoure et il découvre le lien de solidarité qui unit les personnes entre elles. La solidarité devient immédiatement responsabilité : engagement, continuel et concret, pour restituer à chacun la plénitude de sa vie.

La découverte de la vie comme un don et comme une responsabilité conduit le jeune à découvrir avec joie le Seigneur de la vie pour vivre son existence comme une réponse concrète à la présence du Dieu de la vie. Son engagement pour servir la vie devient partage de la compassion de Dieu pour la vie de tous.

En résumé, un chemin vocationnel sérieux demande un entraînement constant à la générosité et à la disponibilité. Ces deux dispositions d’esprit engendrent la joie de donner la vie pour la vie de tous. Dès lors, nous voici parvenus à un niveau élevé d’expérience chrétienne solide et d’expérience religieuse sérieuse.

Vers la radicalité

A la recherche d’un mode concret et personnel pour vivre la passion pour la vie : une seule vocation par mille sentiers, jusqu’à la voie de la radicalité. La passion pour la vie, dans la compassion du Dieu de la vie, est toujours une passion libératrice et agissante.

L’unique vocation s’exprime et se concrétise dans les différentes vocations. Je pense aux vocations spéciales (telle que la vocation sacerdotale et celle de spéciale consécration) à l’intérieur de l’unique projet vocationnel, centré sur la décision de faire de la vie une forte réponse vocationnelle. Mais je suis profondément convaincu de la nécessité de présenter aux jeunes des propositions vocationnelles explicites de consécration religieuse et sacerdotale, pour orienter l’unique vocation vers un « sentier » précis et urgent.

Le passage du général au particulier demande des points d’attention précis : sur la qualité de la proposition générale et sur la présentation d’une orientation spécifique. Ce passage n’est ni facile ni spontané aujourd’hui, en particulier pour des motifs culturels évidents. Il requiert une attention spéciale. La proposition se réalise sur le mode du « venez et voyez »… (et non sur le « tu y gagnes »… comme cela arrivait quelquefois). Il est urgent de spécifier la proposition afin d’éduquer la demande ; il est également urgent de renforcer la pleine capacité de décider « en pariant » et « en risquant », en enracinant ce style à un niveau élevé d’expérience spirituelle.

La décision vocationnelle exprime une expérience christologique exigeante et de haut niveau : elle a besoin d’être sollicitée, soutenue, vérifiée, élargie. La référence ici encore est celle des « critères » proposés par Pierre pour le choix du successeur de Judas, tels qu’ils ont été rappelés en ouverture.

Faire des propositions

La décision vocationnelle est certainement un grand don de Dieu. Elle parcourt les sentiers mystérieux du rapport très intime et personnel de deux libertés qui se rencontrent, se confrontent, dialoguent. Le processus un imprévisible et ce n’est pas nous qui pouvons dicter les conditions de son développement. Mais nous pouvons le favoriser ou l’entraver, le soutenir et l’encourager ou le laisser à la dérive.

Je me pose là-dessus deux questions, fortement liées entre elles : comment activer dans le concret le chemin de maturation vocationnelle, suggéré dans le paragraphe précédent ? Comment orienter les jeunes d’aujourd’hui, peu disposés à prendre des décisions à la mesure d’une responsabilité qui investit toute l’existence, et souvent fascinés uniquement par les modèles plus séduisants, à ne pas négliger dans la perspective vocationnelle le choix du sacerdoce et de la vie consacrée ?

La seconde question nous préoccupe de très près, car il y va du futur de la vie et de l’espérance des hommes et des femmes de notre période culturelle. Je la retrouve souvent en lien avec la première question, même si elle ne peut se résoudre seulement dans un bon itinéraire vocationnel général.

Certes, il est plus facile de déterminer les termes du problème que de prévoir des solutions. Pourtant je me dois de vous partager quelque chose là-dessus. Je le fais en donnant la parole à des réalisations intéressantes en acte.

Faire des propositions courageuses « en racontant »

La rencontre avec Jésus, fondement de notre passion pour la vie et de la compassion pour la vie de tous, naît d’une proposition « contagieuse » de croyants et de communautés qui l’ont déjà expérimentée.

Cette exigence réclame immédiatement, comme condition préalable, l’existence et la proximité de sujets sachant « faire des propositions ». Il s’agit de retrouver le courage d’« inviter » à partager la vie, en offrant des projets de vie concrets, capables de fasciner et de créer une vraie alternative.

Je suis convaincu qu’il n’est pourtant pas suffisant de reconnaître et de proclamer cette exigence. Je m’interroge sur la modalité pour la réaliser, surtout dans une époque telle que la nôtre, dans laquelle le droit à la parole semble réservé uniquement à celui qui accepte de dire des choses qui ne comptent pas ou à celui qui sait se conquérir l’exclusivité du pouvoir.

Nous devons retrouver le courage d’avancer des propositions. De quelle manière ?

Une proposition sérieuse de cheminement vocationnel peut passer par l’expérience concrète de personnes qui racontent, avec passion et compétence, un morceau de leur propre histoire pour que d’autres se décident pour la même expérience. L’éducateur dit aux autres ses expériences de vie, en racontant une histoire dans laquelle s’entrecroisent différentes histoires. Il y a les histoires des grands croyants et des hommes qui ont donné toute leur existence pour la vie des autres, des histoires qui vous coupent le souffle rien qu’à les entendre raconter. Mais il y a aussi l’histoire, petite et pauvre, de celui qui raconte. Celui-ci dit des paroles plus grandes que celles qu’il réussit à vivre, parce qu’il raconte les rêves qu’il fait sur son existence, avec la voix tremblante de celui qui connaît bien après tout la dureté de la réalité. Ce qui fait partie intégrante du récit de l’histoire particulière, ce sont aussi la vie, les espoirs et les souffrances de ceux à qui l’histoire est racontée, comme une parole irréductible. Tout cela constitue un morceau du récit : c’est ce qui en fin de compte le rend intéressant et convaincant.

Nous l’avons expérimenté bien des fois au cours des dernières années et nous en avons découvert un modèle intéressant et stimulant, capable de redonner force à la tradition exigeante de faire des propositions, sans risquer l’autoritarisme ou la fascination malsaine de la séduction. Nous nous sommes sentis un peu plus comme une communauté des saints, engagée au service de la vie et de l’espérance pour tous.

Nous avons découvert avec joie que nous pouvions dire des choses exigeantes en racontant, avec une autorité fondée non seulement sur notre passion et sur notre effort de compétence, mais surtout sur l’agréable compagnie de tous les amis qui ont déjà réalisé ce dont nous rêvons quand nous nous mettons à raconter.

Nous ne racontons pas des histoires pour faire des prosélytes ; nous n’inventons pas non plus des détails fascinants mais peu crédibles, sous peine d’être démentis par après dans nos prétentions.

Le choix est pour la vie : une vocation qui consiste à miser toute sa vie pour que tous aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. C’est là la force interpellante de la proposition.

Nous ne lançons pas la proposition vocationnelle dans l’espoir d’un retour de la vague, mais pour la plénitude de l’expérience vitale en ceux que nous aimons et que nous voulons servir.

Faire des propositions en faisant faire des expériences

Surtout avec les jeunes d’aujourd’hui, les propositions les plus efficaces, celles qui demandent une adhésion vitale, passent par le partage et le « faire l’expérience de ». L’appel à « faire l’expérience de » est aujourd’hui largement partagée. Pourtant, il existe bel et bien le risque de faire des expériences trop extérieures, entièrement fondées sur le pouvoir de séduction de certaines d’entre elles, ou, au contraire, dotées d’une capacité d’implication vraiment très limitée..

L’expérience devient proposition quand les jeunes sont sollicités et soutenus dans leur capacité de capter le message entre les lignes de l’expérience, et qu’ils se disposent à reconnaître et à vérifier même les messages moins séduisants.

Un tel argument mérite toute notre attention d’éducateurs. Il s’agit de faire des propositions unitaires avec une double référence :

  • des propositions attractives et capables de provoquer l’étonnement, afin de retenir l’attention dans un contexte tel que le nôtre, où l’étonnement est manœuvré avec art et où la fascination est réservée à certains personnages ;
  • des propositions qui favorisent le passage de la provocation à l’intériorisation, pour fonder la décision sur des motivations et non sur la force de la séduction.

Il ne suffit pas que le modèle théorique soit correct. Il faut aussi un espace de vie capable d’assurer l’identification au modèle.

A partir des réalisations que nous connaissons tous, je suggère quelques modalités concrètes de « faire l’expérience de » :

  • des engagements précis dans le service missionnaire et des activités de soutien dans la logique du « volontariat comme vocation » ;
  • des temps de prière ;
  • une vie de groupe : une attention spéciale est réservée au groupe de soutien et de discernement vocationnel ;
  • la direction spirituelle (qui revêt des modalités diverses : colloque, accompagnement, rencontres, correspondance personnelle, lectures utiles pour la formation…) ;
  • des temps spéciaux : retraites spirituelles, manifestations de jeunes engagés, journées vocationnelles, participations aux célébrations liturgiques spéciales (par exemple les célébrations de première messe ou de profession religieuse, célébrations de mariage d’animateurs et de jeunes considérés comme des points de référence…) ;
  • des témoins significatifs : celui qui a déjà fait un bout de chemin se met aux côtés de celui qui fait ses premiers pas, pour tracer ensemble l’itinéraire de la croissance, pour partager l’espérance malgré les difficultés, pour se laisser convertir par l’objectf qui fascine de loin ;
  • enfin, il est nécessaire de prévoir des temps et des moments pour apprendre à « interpréter les événements » à la lumière du mystère qu’ils portent en eux et comme provocation pour sa vie. Par exemple : des journées de convivialité, des rencontres avec des témoins privilégiés, des moments d’écoute de la Parole de Dieu, des temps de prière contemplative et de lectio divina

Du côté du don de Dieu : l’histoire de Lévi

J’ai analysé la question de la promotion d’une culture vocationnelle en Europe en fixant continuellement et explicitement mon attention sur les tâches et les responsabilités des éducateurs et de la communauté ecclésiale.

Je ne pouvais pas faire autrement. Cela était une exigence non seulement de la fidélité au thème proposé à ma réflexion, mais surtout d’une profonde conviction théologique qui oriente tout mon travail de recherche sur la pastorale des jeunes. La méditation sur l’événement de l’Incarnation m’a amené, en effet, à la constatation, joyeuse et inquiétante, que le don de Dieu qui enveloppe notre existence, demande un effort quotidien de compétence professionnelle éducative pour créer les conditions de sa « significativité » et pour renforcer les décisions personnelles d’accueil progressif (ou, malheureusement, de refus) de ce don. Les éducateurs et les communautés ecclésiales interviennent ainsi, de manière indirecte, en tant que médiations concrètes incontournables dans tous les processus qui regardent l’expérience de foi et d’espérance.

Cependant, l’itinéraire que nous traçons ne saurait dicter ses conditions à la mystérieuse puissance de Dieu. Il ne peut même pas être imaginé selon une logique linéaire, avec un début et une suite qui en découle. Dans la maturation vocationnelle, comme dans toute l’expérience de foi, le dialogue entre Dieu et l’homme se déroule selon des voies imprévisibles et indéchiffrables, qui déroutent toute logique.

Je l’affirme avec force, en conclusion de ce long parcours d’inspiration surtout méthodologique, en méditant une page décisive de l’Évangile : l’histoire de la vocation de Lévi. Je mets en parallèle Luc 9, 57-62 et Luc 5, 27-32.

Pour la dire mieux, en restant attentif aux problèmes qui nous inquiètent, j’ aime la remettre dans le contexte des vocations des apôtres et comme expérience d’une vocation imprévue, et selon cette modalité de communication de style narratif que j’ai indiquée brièvement plus haut, fondamentale pour toute proposition vocationnelle.

Jésus prend la parole. Il va tout de suite au cœur de la question. « Le Père m’a confié une grande cause, très exigeante : il veut que tous les hommes aient la vie et l’espérance en son Nom. Dans ces années, ensemble, nous avons fait bien des choses. Il y en a encore beaucoup de choses en l’air. Nous devons continuer. Voilà… c’est justement la question. Vous, vous êtes mes amis. Je vous ai choisis personnellement, l’un après l’autre, et j’ai partagé avec vous tout ce qui me tient à cœur. Vous êtes mes amis… vraiment.

Alors… vous voulez prendre ma cause sur vos épaules ? Il n’y a pas à hésiter. Et il ne faut pas chercher le truc pour servir deux maîtres. Face à une cause de cette importance, il faut choisir : c’est tout ou rien. Choisissez. Je vous assure : cela vaut la peine.

Mais… parlons clair. Je ne peux rien vous assurer de bon. Vous aurez des tribulations. Vous vous ferez un tas d’ennemis. Le travail et les peines vous enlèveront le sommeil et la faim. La croix deviendra la compagne quotidienne de votre existence ».

Ils sont restés de pierre. Ils espéraient… quelque chose de mieux. Ils étaient disposés à risquer… à condition que les avantages soient clairs et qu’ils puissent commencer à toucher avec leurs mains quelque chose de concret. Les seules choses tangibles que Jésus promet font dresser les cheveux : la souffrance, la peine, les persécutions. Pour tout le reste, il demande la confiance : le bonheur que provoquera la vie nouvelle… quand elle viendra.

Quelques-uns tentent la voie du compromis. Ils jouent au plus malin. « Jésus, je suis d’accord… mais laisse-moi quelques jours pour y penser. Tu me demandes un choix tellement radical… laisse-moi le temps de vérifier un peu ».

« Jésus, je viens. Tu m’as convaincu. Mais tu sais, mon père va mal… Je fais un saut au pays. Je le salue. Je prends quelques bricoles et je reviens. Deux ou trois jours au maximum… je t’assure ».

« Jésus, tu as raison. Ta proposition est belle et séduisante. Je serais bête si je me défilais. Dis-moi la vérité : l’avenir est-il aussi noir comme tu nous l’a laissé entendre ? Un petit avantage… nous pouvons l’attendre aussi pour aujourd’hui ? »

Le visage de Jésus s’attriste : « Est-ce possible ? Vous avez été avec moi pendant tant de mois… et vous ne vous êtes pas encore libérés des vieux schémas ». Et puis, sur le même ton, il s’en prend à ceux qui veulent retarder la décision : « Nous ne pouvons pas attendre. Nous ne pouvons pas demander à ceux qui se débattent dans les flots de la mort… d’avoir encore quelques jours de patience, pendant que nous irons saluer les amis ou ensevelir nos chers défunts. La cause passe avant tout : même avant la chair et le sang ».

« Seigneur, tu m’as convaincu. Je viens. Je ne te connais pas. Mais quelqu’un qui parle comme toi, on le suivrait partout. Finalement, j’ai découvert ce morceau de ma vie que je cherchais et que j’étais incapable d’appeler par son nom ». Ils se retournent tous vers l’inconnu qui s’était infiltré dans le groupe sans être invité. « Qui es-tu ? » Il répond, sans la moindre honte : « Je m’appelle Lévi et j’exerce un métier pas très beau : collecteur d’impôts. Je t’ai entendu parler pendant que j’ouvrais mon bureau. Je t’ai écouté : ma curiosité s’est transformée subitement en admiration. Je viens tout de suite… » Il s’arrête un instant. Il reprend la parole : « Tout de suite, tout de suite, non. Tu me demandes une chose terrible : abandonner tout, l’argent, les amis, le métier, pour venir avec toi et servir la cause de la vie. Tu ne me promets rien de bon. Et pourtant, je viens. Si tu me fais confiance et si tu as le courage de m’appeler ami, je suis d’accord.

Aujourd’hui j’ai vécu l’aventure la plus grande de ma vie. Je suis heureux, comme un jeune homme qui tombe amoureux pour la première fois. Je veux le crier à tous mes amis. Regarde… voici ce que je fais : un grand repas de fête. J’y invite tous mes compagnons d’aventure et d’ennui… pour dire à tous la joie d’abandonner ma fortune pour être avec toi. Je peux ? »

Les disciples regardent Jésus. Ils attendent un non décidé. Il avait défendu la visite aux parents et le retour à la maison pour un enterrement. Voyons comment il s’en tirera maintenant.

La réponse de Jésus ne se fait pas attendre : « D’accord. Viens avec moi… après le repas d’adieu. Je ne veux personne qui me suive avec une tête d’enterrement. Je veux des gens heureux. Pas de problème pour la pause du repas de fête. Tout de suite après, nous partons ensemble ».

« Merci, Jésus. Je viens. C’est entendu : au repas d’adieu, vous êtes tous invités. Mes amis doivent découvrir qui est ce Jésus qui a pris toute ma vie ».