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La vocation missionnaire
Raymond ROSSIGNOL
vicaire général de la Société des Missions Etrangères de PARIS
Un rappel -
Qui dit "Eglise" dit "Mission". Le Concile nous le rappelle avec force : "De par sa nature l’Eglise est missionnaire" (A.G.2). "Elle est tendue de tout son effort vers la prédication de l’Evangile à tous les hommes" (A.G.l)
Pour expliquer cela le Concile souligne que ce qui est premier ce n’est pas l’Eglise, mais la Mission. "L’Eglise tire son origine de la Mission du Fils et du Saint Esprit, selon la décision de Dieu le Père" (A.G.2).
Ce n’est donc pas parce qu’il y a une Eglise que la Mission existe. C’est à cause de la Mission que l’Eglise a été instituée. Il est vrai que dans cette phrase le Concile parle de la Mission du Fils et de l’Esprit ; mais la Mission de l’Eglise n’est pas différente de celle du Fils et de l’Esprit. C’est évidemment la même Mission qui continue. L’Eglise a été fondée pour "continuer et développer au cours de l’histoire la Mission du Christ lui-même" (A.G.5).
La nécessité pour l’Eglise de faire "oeuvre missionnaire" est donc tout à fait fondamentale et incontournable. Ce serait une erreur de considérer que l’Eglise a été fondée d’abord pour le "confort" des chrétiens. L’Eglise a été fondée pour annoncer l’Evangile à tous les hommes. Si elle cessait de le faire, ce ne serait plus l’Eglise telle que le Christ l’a voulue. (On parle peut-être trop souvent de "servir l’Eglise" et pas assez souvent de "servir la Mission"...)
En fait, de nos jours, il semble bien que personne ne conteste la nature missionnaire de l’Eglise. Ce qui est contesté, en revanche, c’est l’opportunité de partir faire oeuvre missionnaire ailleurs, au loin, alors que la Mission est à notre porte.
L’Eglise, qui doit annoncer l’Evangile à tous les hommes, ne devrait-elle pas commencer par ceux qui sont proches ? N’y a-t-il pas là une priorité dictée par le simple bon sens ? Pourquoi prendre sur soi les problèmes de la Mission à l’extérieur alors qu’on n’arrive pas à évangéliser de très importants groupes humains qui nous entourent ? La question est d’autant plus pertinente que l’Eglise est aujourd’hui implantée pratiquement dans tous les pays du monde. Nous ne sommes plus aux temps apostoliques ! Par suite on peut se demander si chaque Eglise particulière ne devrait pas se préoccuper d’abord d’assumer convenablement sa tâche missionnaire chez elle, avant d’envoyer des missionnaires ailleurs.
Oui, mais les Apôtres n’ont pas attendu d’en avoir fini avec l’évangélisation de la Palestine pour aller ailleurs. St Paul n’attendait pas d’en avoir fini avec l’évangélisation d’une ville pour partir vers une autre. Et par la suite, au cours des siècles, on retrouve souvent ce même dynamisme qui poussait certains chrétiens à quitter leur communauté chrétienne, leur pays, pour aller vers les non-chrétiens, ailleurs. (Il faut reconnaître cependant que ce dynamisme était plus ou moins manifeste selon les époques et selon les pays...).
Renoncer à la Mission à l’extérieur, ce serait donc renoncer à quelque chose qui a profondément marqué la vie de l’Eglise au cours des siècles, en particulier en France. Ce serait aussi faire fi de l’enseignement du Concile qui est, sur ce point, particulièrement explicite et insistant. En effet, selon Vatican II :
l/ AUCUNE EGLISE PARTICULIERE NE PEUT SE DESINTERESSER DE LA MISSION A L’EXTERIEUR, QUELLE QUE SOIT LA NECESSITE ET l’URGENCE DE LA MISSION SUR SON PROPRE TERRITOIRE |
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Vatican II a consacré tout un document, relativement long, à l’activité missionnaire de l’Eglise. Il s’agit bien dans ce document de la Mission à l’extérieur, comme l’indiquent clairement les premiers mots du document en latin : "ad gentes".
Dans le premier chapitre, sont énoncés quelques principes doctrinaux d’où il ressort que cette Mission à l’extérieur ne peut pas être considérée comme quelque chose de périphérique dans la vie, la vie de l’Eglise, mais comme une activité tout à fait centrale, essentielle, vitale.
- Le chapitre II rappelle les éléments de la Mission, ce qu’il faut faire pour faire "oeuvre missionnaire".
(Mais sur ce point, nous avons un autre document plus élaboré : l’Exhortation de Paul VI Evangelii Nuntiandi).
- Le chapitre III prend en compte l’émergence des "jeunes Eglises" en "pays de mission".
- Le chapitre IV parle des missionnaires (vocations missionnaires, instituts missionnaires, etc.)
- Les chapitres V et VI traitent de l’organisation de l’activité missionnaire et de la nécessite de mobiliser l’Eglise tout entière pour qu’elle se mette au service de la Mission partout dans le monde.
Il me semble qu’on peut repérer dans ces chapitres d’abord un certain nombre de principes et ensuite des directives concrètes et pratiques.
QUELQUES PRINCIPES :
Ils montrent clairement qu’aucune Eglise ne peut vivre repliée sur elle-même. Elle est tenue de s’intéresser à ce qui vivent les autres Eglises et de partager avec elles ses propres ressources en vue de l’extension du Corps du Christ.
1) Il y a tout d’abord le principe tout à fait fondamental de la SOLIDARITE ECCLESIALE :
"En vertu de cette communion (des Eglises particulières) chacune des Eglises porte la sollicitude de toutes les autres ; les Eglises se font connaître réciproquement leurs propres besoins ; elles se communiquent mutuellement leurs biens, puisque l’extension du Corps du Christ est la fonction du collège épiscopal tout entier" (A.G.38)
2) Il y a ensuite le principe de la CO-RESPONSABILITE DU CORPS EPISCOPAL vis-à-vis de la Mission.
La charge d’annoncer l’Evangile par toute la terre est en premier lieu l’affaire du corps épiscopal :
"Tous les évêques, en tant que membres du corps épiscopal qui succède au collège des Apôtres, ont été consacrés non seulement pour un diocèse, mais pour le salut du monde entier (...) avec Pierre et en dépendance de Pierre..." (A.G.38 - voir aussi L.G. 23)
3) Dans chaque diocèse l’évêque doit à la fois organiser l’évangélisation des non-chrétiens résidant sur son territoire (A.G. 20) et mobiliser les ressources locales pour l’extension du Corps du Christ partout dans le monde :
"L’évêque doit veiller en outre à ce que l’activité apostolique ne soit pas limitée aux seuls convertis, mais à ce qu’une part égale d’ouvriers et de subsides soit destinée à l’évangélisation des non-chrétiens"(A.G.30)
Voir aussi A.G.38 : vocations missionnaires, prêtres fidei donum, etc.
4) Le peuple de Dieu tout entier doit avoir une vive conscience de sa responsabilité missionnaire :
"Comme membres du Christ auquel ils ont été incorporés et configurés par le baptême ainsi que par la confirmation et l’Eucharistie, tous les fidèles sont obligés de coopérer à l’expansion et au développement de son Corps, pour l’amener le plus vite possible à sa plénitude (Ep 4, 13) (...) "prenant conscience de ce que 1’ACTIVITE MISSIONNAIRE EST LA LEUR, ils ouvrent leur cœur aux besoins si immenses et si profonds des hommes et leur viennent en aide." (A.G. 36)
5) Le renouveau des communautés chrétiennes passe par l’ouverture à la Mission universelle :
"La grâce du renouvellement ne peut croître dans les communautés à moins que chacune d’entre elles n’étende le rayon de sa charité jusqu’aux extrémités de la terre et qu’elle n’ait, pour ceux qui sont loin, une sollicitude semblable à celle qu’elle a pour ceux qui sont ses propres membres" (A.G. 37)
QUELQUES DIRECTIVES :
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Les évêques sont invités à organiser ensemble, à l’occasion des conférences épiscopales, la meilleure façon de contribuer à l’activité missionnaire de l’Eglise (A.G.37).
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Chaque évêque est invité à mobiliser toutes les ressources de son diocèse pour le service de la Mission :
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Il doit faire appel aux infirmes, aux malades... La Mission a besoin de leurs prières, de leurs mérites...
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Il doit encourager les vocations missionnaires, chercher des jeunes qui acceptent de se consacrer à la Mission,
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Il doit encourager les Congrégations diocésaines à "assumer leur part dans les Missions".
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Il doit promouvoir tout oeuvre qui vient en aide aux Missions et en particulier les Oeuvres Pontificales Missionnaires, auxquelles revient LA PREMIERE PLACE, parmi les oeuvres du diocèse, parce qu’elles favorisent "un aspect vraiment universel et missionnaire" et parce qu’elles "collectent des subsides au profit de toutes les missions, selon les besoins de chacune".
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Chaque Eglise particulière est invitée à prendre sur ses propres ressources (en personnel et en finances) pour aider les Missions (A.G. 38)
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Les prêtres "doivent comprendre à fond que leur vie a été consacrée au service des missions (...) Ils ordonneront donc leur sollicitude pastorale de manière qu’elle soit utile à l’expansion de l’Evangile chez les non-chrétiens" (A.G. 39).
Suivent quelques indications concrètes : le souci de la Mission doit influencer la catéchèse, la prédication, etc.
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Les religieux, les religieuses, soit qu’ils appartiennent à des instituts de vie active, soit qu’ils appartiennent à des instituts de vie contemplative, "doivent tous porter constamment le souci de la Mission à l’extérieur et faire tout ce qui est possible, compte tenu de la nature de leur institut, pour aider les Missions" (A.G.39)
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Diverses directives sont données aux communautés chrétiennes et aux laïcs. Par exemple il est demandé aux communautés chrétiennes de garder des liens avec les missionnaires originaires du diocèse, d’établir des liens particuliers avec d’autres communautés chrétiennes, etc.
Le Décret mentionne aussi la possibilité pour les laïcs de prendre part aux associations internationales, de participer aux recherches scientifiques, culturelles, etc. "en ayant toujours devant les yeux que la cité terrestre doit être fondée sur le Seigneur et dirigée vers lui" (A.G. 41 et L.G. 46).
Quand on lit ces pages du Concile sur l’activité missionnaire et en particulier les chapitres V et VI du Décret, on a vraiment l’impression que l’Eglise doit se sentir concerné par cette annonce de l’Evangile, partout et à tous les hommes, que tous les moyens doivent être mis en oeuvre dans ce but et que cela ne peut être fait que grâce à une coopération systématique de toutes les Eglises. L’Eglise tout entière doit s’organiser, soigneusement et à tous les niveaux, pour aller annoncer l’Evangile à ceux qui ne le connaissent pas encore.
Il s’ensuit que la Mission à l’extérieur n’est pas quelque chose de secondaire du point de vue de l’Eglise. C’est une activité dont l’Eglise ne peut pas se passer. Il y a peut-être d’autres activités que l’Eglise assume et auxquelles elle pourrait renoncer, mais tel n’est pas le cas de la Mission à l’extérieur. C’est là quelque chose d’essentiel.
2) LES ARGUMENTS AVANCES PAR UNE EGLISE PARTICULIERE, COMME CELLE QUI EST EN FRANCE, POUR REMETTRE A PLUS TARD OU LAISSER A D’AUTRES LA MISSION A L’EXTERIEUR SONT POUR LE MOINS CONTESTABLES. |
21. Il y a d’abord l’urgence de la Mission à l’intérieur et la pauvreté des moyens dont dispose l’Eglise de France pour l’assumer.
1943 : "La France, pays de Mission" par l’abbé Godin. C’était un cri d’alarme destiné à attirer l’attention des catholiques de France sur la nécessité et l’urgence de la Mission en France. Ce titre avait surpris.
Quarante six ans plus tard, ce titre ne surprendrait plus personne. Depuis, le pourcentage des catholiques pratiquants a fortement diminué, tandis que l’incroyance (ou la non croyance, ou l’indifférence) a, semble-t-il, nettement progressé. En outre on dénombre aujourd’hui parmi les Français un nombres substantiel de personnes qui professent une religion autre que la religion chrétienne. Il est donc évident que l’Eglise de France a un besoin urgent de nombreuses personnes qui acceptent de se consacrer à la Mission à l’intérieur du pays. Quelque soit l’aspect - ou l’étape - de la Mission que l’on considère (témoignage, proclamation de la Parole, dialogue avec les religions non chrétiennes, etc.) il est clair que la France a besoin de missionnaires. Nous en sommes tous conscients.
Or la France manque de personnel pour la Mission à l’intérieur. Les prêtres, les religieux, les religieuses sont de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés. Quant aux laïques, ils .sont, hélas, bien peu nombreux ceux qui sont suffisamment motivés et disponibles pour se consacrer à la Mission, soit à plein temps, soit à temps partiel. Face aux besoins de la Mission chez elle, l’Eglise de France ne peut que constater sa pauvreté. Peut-elle encore envoyer du personnel au-delà des frontières ?
211. Oui la France est un pays de Mission ; mais dans le seul continent asiatique il y a environ trois milliards de non-chrétiens.
Oui, la grande majorité des Français semble se désintéresser de l’Eglise, mais l’Eglise est encore présente dans la société française de multiples façons (ses bâtiments, ses écoles, ses couvents, ses monastères, ses publications, ses personnalités, etc.). Ce n’est évidemment pas le cas dans bien des pays à majorité musulmane, hindoue ou bouddhiste...
22. Il y a ensuite le fait que beaucoup de "jeunes Eglises" sont beaucoup moins démunies qu’autrefois. Certaines sont même relativement riches en personnel pour la Mission et ont déjà à la fois le souci et les moyens d’envoyer des missionnaires à l’extérieur.
Tel est le cas de plusieurs Eglises d’Asie et d’Afrique. Quant aux Eglises d’Amérique Latine, la plupart d’entre elles connaissent depuis quelque temps une très belle remontée du nombre des vocations. Dans certains diocèses du Brésil on compte davantage de séminaristes que de prêtres !
Dom Yvon LORCHEISTER, lors de son passage en France, en 1982, était stupéfait de constater que son diocèse de Santa Maria, dans le sud du Brésil, un diocèse traditionnellement très pauvre en vocations, comptait plus de séminaristes que l’ensemble des diocèses de Bretagne, qui furent longtemps l’un des meilleurs réservoirs de vocations pour l’Eglise en France et pour la Mission à l’extérieur.
Dans un tel contexte, on peut se demander si, en envoyant aujourd’hui des missionnaires à l’extérieur, le comportement de l’Eglise de France ne ressemble pas à celui d’anciens riches qui, bien que très appauvris, continuent à mener un train de vie qui achève de les ruiner.
221. Oui, l’Eglise de France est devenue pauvre en personnel. Mais la pauvreté est toujours relative.
Selon l’annuaire statistique de l’Eglise, on comptait encore 35 409 prêtres en France en 1986, soit davantage que dans toute l’Asie (28 087) et presque deux fois plus que dans l’ensemble de l’Afrique (18 353).
Il est vrai que l’âge moyen des prêtres en France est dramatiquement élevé. Néanmoins ces chiffres nous aident à prendre conscience de la nécessité de regarder autour de soi avant de se lamenter sur sa propre pauvreté.
23. En outre, lorsqu’on considère la difficulté de la Mission en France, on peut se demander si, dans le départ du missionnaire vers d’autres pays, il n’y a pas un élément de démission.
Il n’est certainement pas facile d’annoncer Jésus-Christ au milieu de l’indifférence quasi générale, comme cela arrive trop souvent en France. Cela demande beaucoup de courage, beaucoup de persévérance.
Partir vers d’autres pays, surtout s’il s’agit de pays où le travail missionnaire est relativement facile et fructueux, pourrait être une solution de facilité, d’autant que ce départ ne comporte plus les mêmes difficultés et les mêmes risques qu’autrefois. S’il fallait beaucoup de courage pour affronter les mers au XVIIème siècle, il en faut beaucoup moins pour aller prendre l’avion à Roissy...
231. Oui, il existe en pays, dit pays de Mission, de jeunes-Eglises extrêmement dynamiques, qui manifestent un bel élan missionnaire ; mais la plupart d’entre elles sont constituées par des communautés chrétiennes très minoritaires.
(Si on met à part le cas des Philippines où la majorité de la population est chrétienne, le pourcentage des catholiques en Asie n’atteint pas 1 % !).
En outre, d’autres Eglises, beaucoup plus pauvres, sont tout à fait conscientes de ne pouvoir se suffire et adressent des appels pressants aux Eglises de vieille chrétienté pour obtenir des missionnaires. C’est parfois une question de survie.
24. D’ailleurs il arrive que certaines personnes, dans les pays qui accueillent le missionnaire, se demandent si le missionnaire n’a pas fuit les responsabilités qui lui incombaient dans son pays d’origine.
Bien des missionnaires ont entendu des remarques dans ce sens. Ce sont parfois des remarques relativement bienveillantes : "Quand on pense à cette permissivité occidentale, on comprend qu’il soit difficile pour quelqu’un comme vous de vivre dans ces pays.."
Mais il arrive aussi que les remarques soient plus agressives : "au lieu de venir nous enseigner ici votre morale chrétienne, vous feriez mieux d’enseigner le respect de la femme et le caractère sacré de la famille à vos compatriotes français... Au lieu de venir prêcher la charité ici, vous feriez mieux d’aller prêcher la tolérance et la compréhension mutuelle aux chrétiens d’Irlande..."
Il existe une autre remarque, peut-être plus dure encore, que l’on entend de plus en plus souvent : "Au lieu de venir faire la charité chez nous... au lieu de venir conscientiser les pauvres du Tiers-Monde... allez plutôt faire campagne chez vous pour que les pays riches, considérés comme chrétiens, cessent d’exploiter les pays pauvres..."
241. Il n’est pas exclu que dans la motivation du missionnaire qui quitte son pays se glisse parfois un désir de se sentir utile, de voir ses services appréciés.
C’est en tout cas une considération qui n’est pas toujours étrangère au re-départ de certains missionnaires. Certains d’entre eux savent par expérience qu’ils peuvent faire oeuvre utile en Mission, tandis qu’ils se sentent peu aptes au ministère en France. Mais une telle motivation n’a rien de scandaleux ! l’Evangile n’interdit pas à l’Apôtre de chercher une certaine efficacité. Il l’invite plutôt à continuer sa route jusqu’à ce qu’il trouve des oreilles réceptives (Lc 9, 5 ; 10, 11 ; Ac 18, 5).
25. On peut aussi invoquer la nécessité pour les jeunes Eglises de se libérer, le plus rapidement possible, de leur dépendance par rapport aux Eglises de vieille chrétienté.
On peut invoquer la nécessité de 1’inculturation, une inculturation que seuls les autochtones peuvent mener à bien et que les missionnaires étrangers risquent de retarder. On peut aussi parler de la relative incompétence du missionnaire étranger qui n’arrive pas à maîtriser la langue et à comprendre la mentalité des personnes qu’il veut évangéliser.
251. Le pays qui accueille un missionnaire peut certes lui reprocher l’attitude non chrétienne et les fautes de son pays d’origine.
Mais des français peuvent de même reprocher au prêtre ou à la religieuse en France de n’avoir pas su évangéliser sa propre famille De telles considérations sont douloureuses pour l’Apôtre. Elles peuvent l’humilier. Elles ne peuvent pas le disqualifier car il a reçu son mandat, non pas de sa famille ou de son pays, mais de Dieu et de l’Eglise.
26. Du point de vue de l’Institut qui"envoie", on peut arguer que celui-ci s’est déjà acquitté de sa tâche :
Un Institut missionnaire qui avait comme objectif la fondation de l’Eglise peut estimer que son rôle est terminé dès lors qu’il existe une Eglise locale et qu’elle est confiée aux prêtres du pays. Une congrégation religieuse qui voulait "offrir son charisme" à une jeune Eglise peut estimer que son objectif est atteint dès qu’elle a mis en place des communautés locales qui partagent ce même charisme.
Les arguments ne manquent pas pour justifier la priorité de la Mission à l’extérieur et pour décourager le départ du missionnaire.
261. Il est vrai qu’une jeune Eglise doit s’efforcer de devenir adulte le plus vite possible et d’arriver à une certaine auto suffisance en personnel et en ressources.
Mais aucune Eglise, pas même une Eglise de vieille chrétienté, ne peut jamais considérer qu’elle est riche au point de pouvoir se passer de toute aide extérieure et de n’avoir plus rien à recevoir des Eglises sœurs.
Il est vrai que le missionnaire étranger est mal placé pour promouvoir 1’inculturation ? Mais il ne s’ensuit pas qu’il gêne nécessairement cette inculturation. En fait, de très nombreux missionnaires étrangers ont eu ce souci de 1’inculturation et l’ont facilitée. En outre, en tant que témoin venu d’ailleurs, le missionnaire étranger peut aider l’Eglise locale à bien situer cette inculturation dans le cadre de l’universalité et des services que toute Eglise peut rendre à l’Eglise universelle.
Il est incontestable que le rôle des Instituts missionnaires et des congrégations religieuses en pays de Mission a considérablement évolué au cours des siècles et en particulier pendant ces dernières décennies.
Cette évolution ne saurait être terminée. Face à un monde en évolution constante et rapide, aucun Institut, aucune famille religieuse ne peut prétendre avoir trouvé la formule définitive. Mais, pour autant que de nouvelles évolutions soient nécessaires, il ne s’ensuit pas que les Instituts missionnaires puissent s’estimer libérés de leur responsabilités vis-à-vis de la Mission à l’extérieur et renoncer à leur charisme missionnaire.
3/ LE DEPART DU MISSIONNAIRE VERS d’AUTRES PEUPLES ET d’AUTRES CULTURES SEMBLE S’INSCRIRE DANS LA DEMARCHE MYSTERIEUSE DE DIEU QUI VA VERS l’AILLEURS DES HOMMES. |
En effet, dans la Bible, le Mystère du salut nous est présenté comme la démarche d’un Dieu à la recherche de l’homme. Ce faisant Dieu semble "sortir" de lui-même pour aller vers l’ailleurs des hommes.
31. Il est vrai que dans l’Ancien Testament Dieu se révèle parfois comme le "tout proche" ; mais plus souvent il se révèle comme le "tout autre", comme "l’étranger".
Les premières pages de la Bible évoquent déjà une distance entre Dieu et sa création, entre Dieu et le premier couple (pourtant "créé à son image") une distance qu’Adam et Eve accentuent en voulant la gommer. Par la suite, tout au long de l’histoire des relations de Yaveh avec son peuple, Dieu se révèle comme proche de son peuple, mais aussi comme "Saint", "Très Haut", caché, incommunicable..., autant d’attributs qui soulignent non seulement la Grandeur et la Toute-Puissance de Dieu, mais aussi son altérité, son "étrangéité" (Is 55, 8-9).
L’histoire du salut nous est donc présentée comme une initiative divine, l’initiative d’un Dieu qui va ailleurs, vers d’autres qui sont radicalement différents de lui. Parmi eux, il sera en quelque sorte "en pays étranger" et lui-même sera aperçu comme différent, comme tout autre, comme "étranger".
32. C’est aussi ce qui arrive à Jésus. Il est certes l’Emmanuel, Dieu avec nous ; mais il est aussi celui qui vient d’ailleurs.
Il n’est pas de ce monde (Jn 8, 23). Il vient d’ailleurs et va ailleurs, géographiquement (Mc 1, 38) et théologiquement (Jn 17, 11-16). Il est Celui qui est venu parmi les siens et que les siens n’ont pas reconnu. Jésus, étranger parmi les siens, ne fut jamais pleinement compris des siens, pas même de ses Apôtres.
Ce Juif de naissance n’est pas qu’un juif. Il est le Seigneur (Kurios), l’image visible du Dieu invisible (Col.1, 15). Il est celui dont le nom, c’est à dire l’être, était au-dessus de tout nom (Ph 2, 6).
Son enseignement, ses pratiques vont à 1’encontre des attentes d’Israël. Il est perçu comme dangereux et condamné parce qu’il ne se conforme pas à ce qui est considéré comme des valeurs sûres et des positions acquises. Jésus, l’Emmanuel, manifeste son altérité. Il vit au milieu de son peuple, mais il s’en différencie. En ce sens, il est "étranger" à son peuple. (Le mot "étranger" n’est pas très heureux pour décrire les relations de Dieu avec son peuple ; mais il permet de souligner comment, dans sa démarche vers l’homme, Dieu sort de lui-même pour aller vers l’ailleurs des hommes.)
Le missionnaire qui part vers un pays étranger est un homme. (Il ne quitte certainement pas un "ciel" !). Comparer sa démarche à celle de Dieu est très risqué. Néanmoins il semble que la démarche du missionnaire s’inscrive en quelque sorte dans ce mouvement de Dieu qui, en particulier dans la personne de Jésus, part à la rencontre de l’homme, ailleurs.
33. Dans un premier temps, Jésus demande à ses disciples de quitter leur maison, leur travail, de vivre autrement et d’aller ailleurs (Mc 1, 38) avec lui (Mc 3, 14).
Il les envoie comme des brebis au milieu des loups (Mt 10, 16) en leur demandant de perdre leur vie à cause de Lui et de l’Evangile (Mc 8, 35). Avant de les envoyer "à toutes les nations", il les envoie d’abord aux différentes villes d’Israël, les aidant ainsi à briser peu à peu les limites locales et raciales (Lc 4, 43). (Ils iront effectivement de ville en ville et seront perçus comme des "étrangers", en ce sens au moins qu’ils étaient porteurs d’un message "étranger", différent de celui auquel leurs auditeurs étaient habitués ou de celui qu’ils voulaient entendre).
Après la Résurrection, d’abord, Jésus apparaît dans un corps tellement "étranger" que même ceux qui avaient été ses familiers se méprennent sur son identité. On le prend pour un jardinier, un voyageur, un fantôme en chair et en os... Mais l’Etranger explique aux disciples d’Emmaüs le sens des Ecritures. Leurs yeux s’ouvrirent sur des horizons nouveaux. Ils le reconnurent, puis il devint invisible. L’heure était venue... Jésus ressuscité, libre de toute limite physique ou raciale, pouvait maintenant envoyer ses apôtres à "toutes les nations", "par le monde entier", "à toute la création", "pour toujours et jusqu’à la fin du monde", "jusqu’aux confins de la terre". Comment eut-il été possible de mettre une limite à celui qui n’en avait pas ?
Nous savons comment, par la suite, l’Esprit poussa les Apôtres à quitter Jérusalem, comme l’Esprit poussa Paul de pays en pays (Ac 16, 9). L’Esprit pousse ses Apôtres ; il les envoie ailleurs, par delà les frontières religieuses ou raciales.
34. Au cours des siècles, l’Eglise, emportée par le souffle de ce même Esprit, s’en est allée à son tour, vers des mondes nouveaux.
L’Eglise ne s’identifie pas à un lieu, à un peuple, à une culture. Elle ne peut jamais être "installée". Elle est toujours en exode vers ce qui est au-delà, dans un départ continu. A ce sujet, l’utilisation fréquente de l’expression "Eglise locale" n’est pas sans danger. (Il est à noter que nous parlons souvent d’Eglise locale là où le Concile et Evangelii Nuntiandi parlent d’Eglise particulière). Elle pourrait laisser croire que le lieu est le principe d’identification, ce qui est récusé par le Nouveau Testament (Jn 4, 21-24).
En réalité, l’histoire de notre Eglise nous montre l’Esprit remettant continuellement en cause les succès ecclésiastiques et les belles synthèses culturelles (celle du Judéo-christianisme dans l’Eglise primitive, celle de la civilisation médiévale, etc.). Ce faisant l’Esprit oblige l’Eglise à se remettre à l’écoute des mondes et des milieux qu’elle connaît mal. L’Eglise missionnaire est une Eglise qui, comme l’arbre banian, en allant jeter ses racines ailleurs, y trouve de nouvelles énergies, de nouvelles façons de vivre la foi chrétienne et de nouvelles raisons d’espérer.
35. L’Eglise fait sien le projet de Dieu qui vise le rassemblement de toute l’humanité - et pas seulement l’unité d’un peuple particulier ou d’une race déjà quelque peu homogène.
Dieu veut le rassemblement des enfants de Dieu dispersés (Jn 11, 52), la réconciliation universelle (Col 1, 19-22 ; Ep 2, 11-17), une réconciliation au service de laquelle la nouvelle communauté devra se consacrer. Un tel projet porte en lui la nécessité permanente de dépasser les frontières, d’aller ailleurs, jusqu’au bout du monde, pour professer la Seigneurie universelle du "Kurios" à toute la création. Fidèles à l’Esprit de la Pentecôte, les chrétiens se doivent de continuer à "inverser Babel" pour assumer peu à peu dans le Christ tous les particularismes, tous les espaces humains, culturels, linguistiques et ethniques.
Ceci ne peut se faire que si les chrétiens passent les frontières, en Messagers de la Bonne Nouvelle, pour aller vivre leur foi ailleurs, dans d’autres milieux, dans d’autres cultures. Ces évangélisateurs seront d’ailleurs eux-mêmes enrichis, voire évangélisés, au contact d’autres personnes, chrétiennes ou non chrétiennes, enracinées dans d’autres cultures. En effet, Dieu a distribué la plénitude de ses dons dans une diversité de cultures. En allant à la rencontre de l’autre, surtout s’il est loin géographiquement ou culturellement, le missionnaire va à la rencontre de l’action de Dieu dans l’autre, ailleurs, dans d’autres milieux, dans d’autres cultures, dans d’autres peuples, tandis que lui-même peut témoigner de la façon dont Dieu a agi chez lui.
4/ LES PARTICULARITES ET LES EXIGENCES DE LA VOCATION MISSIONNAIRE |
Particularités
41. La vocation missionnaire comporte un départ vers d’autres peuples, d’autres cultures... c’est-à-dire une "sortie" de chez soi pour aller en "pays étranger".
Cela implique un déracinement. On quitte non seulement sa famille, mais aussi son milieu, sa culture, c’est-à-dire certaines façons de vivre, de sentir, de réagir... Le missionnaire devra apprendre non pas à sous-estimer - encore moins à mépriser !- sa propre culture, mais à la relativiser, à prendre conscience du fait que toute culture a ses richesses, mais aussi ses limites.
42. La vocation missionnaire comporte la rencontre d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres religions.
Elle comporte la rencontre de l’autre dans sa différence. Une différence qui n’est pas simplement due au caractère de la personne ou à son histoire individuelle, mais à la façon de sentir, de réagir et de s’exprimer du groupe auquel cette personne appartient.
Surtout au début, ces différences culturelles se présentent comme des barrières qui gênent considérablement la communication. Le missionnaire aura beaucoup de mal à "comprendre". Et pas seulement en raison des problèmes linguistiques. Peu à peu il se familiarisera avec la culture de l’autre et apprendra à l’apprécier. Mais cela demandera beaucoup de temps... En fait, la barrière ne disparaîtra jamais complètement. On peut estimer que la perspective de "devenir chinois avec les Chinois" relève de l’utopie, en ce sens que le français restera toujours Français...
43. La vocation missionnaire comporte aussi l’envoi par l’Eglise pour aller témoigner de sa foi en Eglise.
Le missionnaire n’est pas un explorateur qui s’aventurerait, à son compte, dans une aventure personnelle. Il est le serviteur de la Mission qui a été confiée à l’Eglise. Or le missionnaire appartient en quelque sorte à deux Eglises particulières :
celle dont il est originaire (et à laquelle il est redevable pour son Baptême, sa formation, son envoi...),
et celle qui l’accueille et qu’il veut servir.
A cause de cette double appartenance, source incontestable d’enrichissement pour lui-même, il est particulièrement bien placé pour établir et entretenir entre ces deux Eglises des liens particulièrement précieux.
Exigences :
44. Le passage d’une culture à une autre peut constituer une épreuve.
On la surmonte d’autant plus facilement qu’on a soi-même une bonne formation humaine et de solides racines culturelles. (Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’absence d’un bon enracinement culturel ne facilite pas l’accueil des différences culturelles...)
45. Le service de la Mission à l’extérieur demande normalement un long investissement.
Il faut beaucoup de temps pour apprendre les langues, pour étudier les religions non chrétiennes, pour se familiariser avec les us et coutumes du pays, pour comprendre la mentalité du peuple. A vrai dire, on n’en a jamais fini d’étudier, de découvrir. C’est l’affaire de toute une vie.
Le service de la Mission à l’extérieur demande donc que certains acceptent d’y consacrer toute leur vie - même si l’aide apportée par des personnes qui s’y consacrent pour un temps déterminé peut s’avérer fort précieuse.
46. Même si le missionnaire est conscient de posséder un trésor (sa foi), lorsqu’il arrive en pays étranger il fait l’expérience de la pauvreté.
Il doit solliciter l’hospitalité ; il doit ré-apprendre à vivre, à s’exprimer.
La Mission à l’extérieur est une école d’humilité. Humilité, d’ailleurs, sans laquelle il aurait du mal à découvrir tout ce qu’il y a de beau et de bon chez l’autre en dépit de sa différence. Les complexes de supériorité disqualifient le missionnaire.
47. Le Service de la Mission à l’extérieur demande une formation particulière (cf. A.G. 24,25,26).
Il demande aussi la continuité, le travail en équipe, la mise en place d’un dispositif approprié, autant de facilités que peuvent procurer les Instituts missionnaires et certaines Congrégations religieuses (A.G. 27).
CONCLUSION
L’Eglise est missionnaire de par sa nature. L’Eglise tout entière est missionnaire, si bien qu’aucun membre de l’Eglise ne peut se désintéresser de la Mission. Mais, pour que l’Eglise tout entière soit effectivement missionnaire, il semble nécessaire que certains se consacrent au service de la Mission avec une "radicalité particulière". C’est ce qu’essaient de faire ceux qui s’engagent pour la vie au service de la Mission à l’extérieur.
Par suite, à la question : "Les Instituts missionnaires sont-ils encore nécessaires dans l’Eglise ?", on peut répondre par une autre question : "Les Ordres contemplatifs sont-ils nécessaires dans l’Eglise... alors que tout chrétien doit s’adonner à la contemplation ?".
Pour que l’Eglise assume fidèlement toutes les fonctions qui lui incombent, certains de ses membres reçoivent divers charismes. Certains reçoivent le charisme de la contemplation ; d’autres reçoivent le charisme de la Mission à l’extérieur. Encore faut-il être attentifs et accueillants aux divers charismes que l’Esprit met à notre disposition. D’où la nécessité de savoir discerner et encourager les vocations missionnaires.