Points de repère et questions


François BOUSQUET

Il a donc été demandé aux deux théologiens de prononcer à présent une parole baptisée "de référence", ce qui est un exercice difficile, mais en même temps précis. Il ne s’agit ni des tables de la Loi, ni d’une bénédiction hâtive des résultats de notre travail. Mais bien d’un regard qui a son optique, sa technique, comme sa liberté propres, et mène à faire quelques propositions destinées elles aussi à contribuer au dynamisme qui nous anime dans cette aventure de "l’accompagnement spirituel des plus de 18 ans, pour un projet de vocation spécifique".

J’espère, mais il faut toujours être modeste dans ces cas-là, vous faire partager un peu, dans cette rapide esquisse, de mon enthousiasme pour le site où elle a été crayonnée, même si j’aurai moins à en parler : le site où se tiennent les jeunes, et l’Eglise, bref le monde de ce temps, mais avec sa composante de lumière et de plein vent qu’heureusement lui donne l’Evangile, tantôt doucement, tantôt très fort.

De toute façon, comme responsable S.D.V. je suis avec vous dans le champ et dans le tableau, même si en plus comme théologien je tente de partager avec vous deux ou trois choses que j’ai cru voir. Je ne regrette pas non plus d’avoir ré-écrit jusqu’à maintenant cette communication, parce que je crois que les résultats, comme les questions des carrefours et des ateliers, méritent vraiment d’être repris, et de prolonger notre méditation quand nous serons revenus dans nos chaumières.

Pour faire bref et faciliter l’exposition, j’adopte un plan où la volonté de clarté ne se soucie pas d’originalité, et je vais grouper les remarques autour de l’objet même de notre session. Je suis contraint d’être dense, mais pour prendre une métaphore culinaire, j’espère pour nous approprier une parole nourrissante qu’elle restera malgré tout digeste.

AUTOUR DE l’ACCOMPAGNEMENT

Trois questions : le fait d’être compagnons, la durée, la "relecture de vie"

• 1ère QUESTION : Sommes-nous vraiment des compagnons et comment le sommes-nous ?

Nous savons tous combien cet art subtil, cette opération forte et délicate à la fois, nécessite toutes les énergies de l’intelligence et du cœur. Un rôle qui ne se confond pas avec les rôles paternel et maternel, le rôle d’ami, le rôle de maître, et qui pourtant emprunte un peu à tous.

Sommes-nous attentifs à doser comme il faut, en un style qui nous soit naturel à chacun, les différents ingrédients selon les temps et les moments, les circonstances, les caractères : à savoir la proximité et la distance, la sympathie et la rigueur (intellectuelle et affective), la bienveillance et la lucidité, l’asymétrie de la relation et la vérité de la communication, etc. ? Savons-nous déjouer les pièges de la "fusion" et de l’imaginaire, comme on nous l’a rappelé hier, mais aussi les ruses de la volonté de puissance qui peut se nicher partout ?

Savons-nous, tandis qu’il s’agit de contribuer à ce que l’autre naisse à lui-même devant Dieu, et parfois re-naisse, rester tout simplement nous-mêmes, dans notre propre marche ? Sommes-nous libres, ou en train de nous libérer, grâce à l’Evangile ?
Sommes-nous heureux de Dieu , même dans les fichus quarts d’heure ?
Sommes-nous confiants ? Sommes-nous croyants ? Espérons-nous contre toute espérance ?
Les exigences que nous avons à poser procèdent-elles d’une bonté de source ? Et serions-nous à même de les vivre ? Et avons-nous, nous aussi, le goût de la vie ? Je le répète : COMMENT sommes-nous compagnons ?

Si c’est un véritable accompagnement que nous tentons de vivre, nous en serons tous transformés, accompagnés et accompagnateurs.

2ème QUESTION : Comment se vit, de part et d’autre, la durée ?

On nous a rappelé hier que dans tout accompagnement il doit y avoir un début, un espace de temps, et une fin. Je voudrais ajouter d’autres remarques de bon sens.

D’abord il faut se souvenir que la durée n’est pas vécue de la même manière des deux côtés : nous sommes, après avoir franchi quelques rouleaux, dans une zones plus stable ; quant à eux, leur temps est antérieur aux décisions de longues durée. Il est plus fragmenté (même si le nôtre aussi est éclaté) et, je dirai, moins lié par une mémoire. Proportionnellement, au niveau des décisions de fond, il se passe pour eux beaucoup plus de choses pendant ce temps-là. En même temps, nous participons tous aux sortilèges d’une culture médiatique de l’éphémère, où se succèdent à grande vitesse des instantanés...

Ensuite, au-delà des problèmes suscités par les différences de la mémoire, comme de la manière dont est vécu le présent, je voudrais insister sur le soin qu’il faut prendre de l’avenir.
Les projets, c’est la vie. Un projet de vie ne peut trouver sa consistance et son lieu propre qu’en s’inscrivant au sein ou parmi d’autres projets. Nous voilà tous invités en conséquence à ranimer nos institutions respectives pour qu’elles aient des projets à la fois vigoureux et raisonnables, en tout cas accueillants aux jeunes.

(J’en profite pour ajouter que cette stimulation mutuelle ne manquera pas de susciter ce qui ressemble à une "concurrence" ; et que sur ce point une déontologie pour les bons rapports entre tous est de plus en plus urgente. Il faut à tout prix éviter les effets de "zapping" où quelques-uns, sans concertation, se dépêchent de recueillir tel(le) ou tel(le) jeune qui renâcle devant une exigence raisonnable qui lui a été posée).

Sur cette question de la durée je voudrais rappeler enfin qu’au-delà de la précision et de la clarté d’exigences bien posées, importe tout autant l’espérance, ce mélange de confiance dans les ressources que Dieu met en nous, et de solide prudence humaine. Tout comme on pourrait aussi bien dire que Dieu met sa confiance en notre humanité et qu’il est notre espérance. La durée est tout de même bien, en même temps, affaire de grâce, de foi, et prise d’appui sur nos assises humaines. Car nous sommes pécheurs et par-donnés ; nous sommes infirmes et Dieu est notre force.

• 3ème QUESTION : Sommes-nous bien au clair avec ce que nous appelons la « relecture de vie » ?

Je ne parle pas de l’expression qui, dans les milieux où elle est employée, désigne l’importance et la prégnance de notre vie humaine, de l’histoire de chacun, unique et solidaire, pour le déchiffrement d’une vocation. Je parle des diverses manières que nous avons de l’entendre : nous n’avons pas les mêmes pratiques. La "relecture de vie" n’est peut-être pas immédiatement la "révision de vie", ou le "témoignage" charismatique, et bien autre chose encore. C’est donc à clarifier.

La question théologique ici est bien celle des signes, c’est-à-dire celle de la manière dont Dieu nous adresse un appel en faisant irruption dans nos vies, dans notre histoire. "J’attire votre attention, sans faire davantage la théorie du signe, sur le fait qu’il y a deux éléments, et qu’ils ne doivent être ni omis ni disjoints :

      • en quoi les signes sont-ils lisibles ?
      • en quoi suscitent-ils notre liberté, contre toute aliénation ?
  • "En quoi sont-ils lisibles, ces signes de Dieu ?", cela implique beaucoup de choses : qu’est-ce que je dis, quelle parole je prononce, authentifiable en dialogue, que je me risque à relier les événements de ma vie ?

    Est-ce que ce discours n’est pas prononcé dans une langue de bois, ou dans une fausse immédiateté spirituelle, ou encore dans l’importation d’une idéologie un peu rapide ? - en passant, quels sont nos textes préférés dans l’Ecriture, et que faisons-nous des autres ? - Ou encore : le langage qui dit notre expérience est-il compréhensible ou ésotérique ?

    Vous m’entendez bien : quand je dis "lisibles", je veux bien dire : quelle histoire celui que je nomme "Dieu" veut-il me faire construire ? A-t-elle un minimum de cohérence en rapport avec ce que je suis ? Est-ce qu’elle n’intègre pas trop vite, presque magiquement, l’obscur, 1’énigmatique ou le douloureux, m’empêchant ainsi de l’identifier et de le traiter comme il convient ? Cette histoire qui est mienne, unique et solidaire comme on a dit, est-ce qu’elle importe vraiment pour le Royaume, même dans son urgence, car si le Royaume est passion, il est aussi patience. ..

  • En second lieu, en quoi la "relecture de vie" suscite-t-elle la liberté, contre toute aliénation ? Une liberté concrète, une liberté pour, une liberté avec. Car la foi, et dans la même logique la vocation, a bien lieu, comme le langage dit bien, là où s’engagent des libertés.

    Il ne s’agit donc pas seulement, même si cela commence par là, de favoriser la netteté du lien entre accompagnateur et accompagné, et d’éviter toute pression ou arbitraire des groupes. Il s’agit bien, dans tous les cas, de placer cette pratique de la "relecture de vie" sous la catégorie du "devant Dieu". "Devant Dieu", cela implique le mystère de la vie de chacun et le respect qu’on en doit avoir. Cela dit aussi la nécessité de l’échange en vérité et en profondeur à ce sujet, dans la confiance et surtout la liberté, de ne sais pas d’avance, à la place de l’autre, quelle est sa voie, et nous cherchons ensemble devant Dieu.

J’en arrive par là aussitôt à mon deuxième groupe de remarques.

AUTOUR DU "SPIRITUEL"

En fait qu’entendons-nous par "Esprit Saint de Dieu" ?

- Je suppose résolue une question qui ne l’est jamais dans la pratique, et dont il faudra peut-être parler un jour : à savoir que nous parlons de l’accompagnement spirituel au sens précis et théologal du terme (aider quelqu’un à trouver son chemin vers Dieu), et non pas de l’accompagnement tous azimuts, y compris psychologique, même si, bien sûr, le chrétien ne peut advenir qu’ avec l’humain-.

Autour de l’Esprit Saint et du "spirituel", je ne conserverai que deux questions, sans oublier ce que j’ai dit, que le plus important est que nous-mêmes demeurions d’abord des chercheurs de Dieu.

• 4ème QUESTION : Le "spirituel" est-il bien pour nous affaire d’incarnation et de pâques ?

On oublie toujours que le Père est créateur. On oublie toujours l’humanité du Christ. On oublie toujours que l’Esprit est l’Esprit de Jésus et de son Père. On oublie toujours que le lieu du don de l’Esprit est le cœur de la croix trinitaire, où se nouent la verticale du rapport à Dieu et les bras ouverts vers les hommes, inséparablement.

En somme encore, on oublie toujours la moitié du travail de l’Esprit-Saint. On pense bien à la résurrection, à la divinisation, - comme à la renaissance du baptême et à la vie d’éternité -. Mais on est amnésique à propos de la première oeuvre de l’Esprit, dès la création, qui est de connaturaliser, d’approprier à nos mesures et limites humaines la vie de Dieu, de venir à nous, avec toute la gratuité de la grâce, à travers les épaisseurs de nature et d’histoire, à travers les médiations d’une liberté qui se conquiert et s’accueille en s’appuyant sur les nécessités qu’elle rencontre, consistantes, résistantes.

On oublie toujours que dans notre condition d’humanité le plus spirituel, est le plus charnel, ne serait-ce que pour que la pâque soit effective, et non pas imaginaire. On oublie toujours que l’Esprit a à voir avec l’incarnation, qu’il est question de Lui pour toute épiclèse sur les fruits de la terre et du travail des hommes, pour toute imposition des mains sur un homme, après qu’en se prosternant il ait fait corps avec la terre des hommes, au sein de l’Eglise et du monde qui l’entourent...

Le Souffle a toujours à faire avec l’engendrement et la croissance, avec l’incarnation et avec la pâque...

5ème QUESTION : Sommes-nous persuadés que l’Esprit travaille aux jointures ?

Je ne parle pas seulement des grands paradoxes qui nous font tenir ensemble dans la foi l’éternel et le temps, Dieu-comme-homme avec l’Homme-Dieu, la gloire au travers de la croix, devenir soi avec l’ouverture à l’autre, tout comme Jésus-Christ est à la fois unique et universel, etc. Mais je désigne aussi les tensions salubres et dynamiques qui doivent traverser la vie des chrétiens et des communautés : communion et mission, identité chrétienne et différence chrétienne, Parole et sacrements, sacrements et éthique, action et contemplation, etc.
La particule de la foi chrétienne, c’est bien la conjonction (et.... et...) et non pas la disjonction exclusive (ou bien... ou bien...) ! En ce sens l’Esprit Saint (et la vie spirituelle) nous apparaît comme nous poussant sans cesse à la réalisation dynamique de grands équilibres structurants et constructeurs.

Mais aussi, en troisième lieu, je voudrais que nous sentions le choc en retour sur nos pratiques d’un accompagnement qui se veut "spirituel". Un dialogue au cours de cette session m’a fait toucher du doigt une des fragilités de l’état présent de notre Eglise. On n’a jamais tant parlé du spirituel, mais on en parle dans la cacophonie. Et les jeunes de passer des uns aux autres, non sans déroute, au sens propre du terme.
N’est-il pas temps de décider ensemble de tout faire maintenant pour nous donner les moyens de décider ensemble, de tout faire maintenant pour nous donner les moyens d’approfondir cette question ?
L’Esprit travaille aux jointures, aux articulations (cf. Ep 4, 16) : n’avons-nous pas à mieux articuler, de toute urgence, nos pratiques de "l’accompagnement spirituel" ?

J’ai été bref autour du "spirituel", et je n’ose énumérer la multitude de questions qu’il aurait fallu ne serait-ce qu’évoquer, si le temps nous en était donné. Laissez-moi cependant vous dire ma conviction : l’Esprit qui a à faire avec l’incarnation et la pâque donne la joie de croire, d’une foi éprouvée, et la joie d’être appelé, d’une vocation reconnue et authentifiée. L’Esprit créateur, souffle de liberté, travaille aux jointures ; et dans le compagnonnage spirituel, il donne vraiment à tous les partenaires une autre mémoire de l’avenir... Si l’Esprit est capable d’unifier nos vies, il nous appelle à donner le signe en Eglise d’une diversité articulée, d’une communion dans la différence.

AUTOUR de l’EXPRESSION "les plus de 18 ANS"

Je grouperai deux remarques, ou deux points d’insistance qui sont apparus dans la session, autour de 1’ici-maintenant des jeunes.

6ème QUESTION : Sommes-nous prêts à quelques remises en cause à partir des mutations en cours ?

Ainsi, par exemple, n’avons-nous pas été sans exprimer, durant cette session, un certain nombre de "décalages" entre les jeunes et nous. Au moment même ou une plus grande simplicité de rapports se généralise dans l’Eglise (comme dans la société on s’y tutoie rapidement, mais il me semble que la communication sur les choses essentielles s’y fait infiniment plus vite), les décalages de génération entre classe d’âge se font sentir, et peut-être plus encore les décalages de culture. Nous avons même dit combien parfois le rapport des jeunes au monde ou leur approche de Dieu nous déconcertait.

Sommes-nous prêts à bien placer les exigences, mais en nous déplaçant nous aussi. Nous avons bien raison, ô combien, d’insister pour la solidité d’une vocation sur l’enracinement et l’engagement, humain et ecclésial. Mais tandis que "le monde change, l’Eglise aussi" (pour reprendre le titre d’une étude), n’avons-nous pas à éviter de projeter nos modèles d’engagement (d’ailleurs différents entre eux),tout en clarifiant ce qu’exigé par sa nature un authentique engagement.
Quant à "l’enracinement", n’avons-nous pas à éviter de vouloir reproduire notre propre histoire, tout en insistant sur les éléments sans lesquels ils ne pourront bâtir la leur ? Et ainsi de suite.

La moyenne d’âge de notre assemblée est réjouissante, et surtout la solidarité entre ses générations. Le vieillissement du corps des serviteurs de l’Eglise l’est beaucoup moins. Il ne s’agit certes pas, devant l’usure de certaines formes institutionnelles, de jeter le bébé avec l’eau du bain. On n’invente pas sans mémoire. Cependant, je le répète, nous devons continuer d’être attentifs aux valeurs porteuses qui traversent l’extrême diversité des jeunes que nous rencontrons, et leurs manières d’être.
Toutes les vocations spécifiques dans l’Eglise sont des vocations à faire signe ; l’accompagnement spirituel des jeunes du moment présent demande d’abord que l’Eglise fasse signe non par un décalage de générations, mais par une différence évangélique.

7ème QUESTION : Le temps n’est-il pas venu d’honorer davantage la demande de points de repère et de formation ?

Cette question aussi traverse notre session et ses préparations. Il n’est pas de mon ressort de travailler autour des problèmes institutionnels que cela pose. C’est notre affaire à tous, avec nos partenaires.

Pour autant, j’ai envie de dissiper quelques brouillards autour du concept de formation.

De la formation, oui, mais pas en nommant ainsi ou en faisant n’importe quoi. Ni en "bétonnant", ni en servant une "soupe" mal identifiée.

Ni en "bétonnant" :

Quelle que soit la demande de certitudes rapides, il est exclu de céder à la tentation de fournir aux jeunes quelque "niche écologique" intellectuelle au rabais. C’est sécurisant dans un premier temps (mais n’est-ce pas aussi sécurisant pour ceux qui font cela ?), c’est destructeur à long terme. Car on aura donné des réponses courtes et inadaptées, que la vie aura bientôt fait de bousculer.
En tout cas, une formation digne de ce nom, même très élémentaire, doit laisser voir sa charpente, et rendre compte de ce qui est la structure. Dans tous les cas encore (et c’est déjà valable en catéchèse), il ne faut pas seulement fournir des résultats, mais indiquer les chemins qui y mènent. Tout le reste est prise de pouvoir sur les esprits, y compris avec de bonnes intentions.

Ni en servant une "soupe" mal identifiée :

Cette fois j’insiste sur l’indispensable dimension critique de toute formation. Ceux qui annoncent formation, et qui servent une lecture non critique (c’est-à-dire à la fin non ecclésiale) de la Bible, même en la baptisant "spirituelle", ceux qui font une lecture non organique des documents de la Tradition ou du magistère, font des ravages. C’est leur nudité qu’ils couvrent d’un manteau d’emprunt, et bariolé, qui se fait passer pour tissu d’Eglise. Il n’y a pas besoin d’être savant pour être critique. (Il y a d’ailleurs des érudits parfaitement idiots. Le Père Madelin nous rappelait hier le proverbe chinois : le sage montre l’étoile, l’idiot regarde le doigt)

Non, c’est la foi tout court qui porte en elle sa propre puissance de questionnement. Et c’est seulement en écoutant ses questions que l’on en reviendra à une lecture savoureuse, naïve (mais d’une naïveté seconde), directe (mais non sans mémoire de la traversée), de la Bible et de la Tradition. Le principe de base reste celui-ci : il ne peut y avoir de mystique (chrétienne du moins) que critique. C’est encore plus vrai pour les jeunes du temps présent.

AUTOUR DU "PROJET DE VOCATION SPECIFIQUE"

Je groupe ici trois remarques.

8ème QUESTION : Ne convient-il pas maintenant de continuer à décanter ce que nous appelons "sens ecclésial" ?

Pour nous, le sens ecclésial est primordial. Nous l’avons dit et répété. Par ailleurs, au plan théorique, nous ne manquons pas d’un certain nombre de textes officiels récents donnant quelques "critères d’ecclésialité".

Mais le problème n’est pas seulement là. Il faut d’abord rappeler avec force que toute vocation dans l’Eglise doit être rapportée à la mission de celle-ci. Pour ne pas faire doublet, je ne reprends pas ce qu’a dit Odile Ribadeau-Dumas, mais m’y associe avec vigueur.

Il reste un autre point que je me dois de souligner, et auxquels nous, S.D.V., sommes très sensibles. Et donc en disant cela, nous nous adressons à nos partenaires. D’une part, l’Eglise "se réalise en un lieu", comme dit Hervé Legrand ; l’Eglise est locale, d’une manière ou d’une autre, dans sa diversité. D’autre part, par suite, l’Eglise c’est l’Eglise toujours plus grande, l’Eglise universelle, que l’Eglise particulière réalise en un lieu.

Nous ne pouvons nous taire là-dessus : le "sens ecclésial" manque d’une dimension tant qu’il n’a pu être expérimenté au sein de la richesse, de la diversité (d’opinions, de classes d’âge, d’états de vie, de responsabilités) de l’Eglise locale. Les missionnaires nous comprennent. Les contemplatifs aussi : toute vocation contemplative ne tient à la longue que de savoir qu’elle construit quelque chose de l’Eglise. Mais le vaste éventail des vocations religieuses, et tout autant celles s’inscrivant dans les Communautés nouvelles, y compris pour leur spécificité, ne peuvent se passer de cette expérience, même si elle est vécue de manière propre. Nous n’avons pas fini de vouloir échanger là-dessus entre nous.

De la même manière, à propos de la vocation au ministère presbytéral, nous ne pouvons pas ne pas nous rendre attentifs au fait qu’il y a dans ce ministère une respiration à deux temps qui ressemble à celle de l’Eglise, qui est convoquée, puis envoyée : le prêtre est ministre de la communion, il est aussi ministre de l’ouverture, du lien à la grande Eglise (dont l’universalité est une "note" essentielle, une béatitude). Il est aussi, dans la même foulée, ministre de l’Eglise envoyée en mission au milieu des hommes : sans cesse il aura à ouvrir le groupe chrétien dont il a la charge au reste de l’Eglise et au monde.

• 9ème QUESTION : Ne sommes-nous pas à même de mieux exprimer l’articulation entre vocation humaine et vocation spécifique ?

Nous avons dit tout le soin que nous prenions, l’attention qui était la nôtre, pour que soient d’abord debout et vivants, en plein vent, ceux et celles qui se posent la question d’une vocation spécifique. Nous-mêmes pouvons aussi témoigner, au-delà des jours à nuages, du bonheur tout simplement humain qu’il y a à répondre à une telle vocation.

Peut-être que si nos S.D.V. prennent toujours plus en compte, par nécessité de structure, et parfois par relais, la formation humaine et chrétienne des jeunes rencontrés, inversement le temps est-il venu de demander aux diverses institutions dans l’Eglise qui ont pour objet cette formation humaine et chrétienne des jeunes de prendre davantage en compte la question des vocations spécifiques.

Au plan théologique, je voudrais aussi aller un peu plus loin. Je constate encore quelques flottements. Or nous avons, au moment où les pratiques se déplacent, de quoi redire les choses simplement. Les pratiques se déplacent : les modalités d’exercice du ministère presbytéral ne cessent de bouger ; dans les mouvements, mais aussi dans toute l’Eglise, se recherche l’articulation de la co-responsabilité entre prêtres, religieux, religieuses, laïcs ; les pratiques des Communautés nouvelles croisent autrement les responsabilités spirituelles et celles qui dérivent d’une ordination. Nous devons dans cette évolution, pour le jeu même de la vie, de la marche, et bien jouer ce jeu, ne pas perdre la solidité et la souplesse de notre colonne vertébrale : le mystère organique de l’Eglise pour le salut du monde, en particulier le sens du baptême et de l’eucharistie, et la manière dont l’ordination et la consécration religieuse y sont reliées.

Ceci nous conduit à la 10ème QUESTION :
N’avons-nous pas, plus que jamais, à vivre tous plus que jamais, à vivre tous plus clairement l’articulation entre vocations spécifiques ?

A cette dernière tâche nous sommes attelés, et vraiment attachés, je n’y insisterai donc pas. Mais je pense que pour le bien commun, partout où nous sommes, nous ne devons pas cesser de nous dire comment nous vivons notre vocation propre, et comment elle nous paraît importante pour l’Eglise et pour la mission.

Comment conclure ?

"Le vent se lève, il faut tenter de vivre", comme disait le poète.

La session s’achève, il faut nous disperser. Et tenter maintenant d’inscrire dans les faits, dans les pratiques, les résultats de notre réflexion, en accentuant encore le soin que nous prenons de l’accompagnement spirituel des plus de 18 ans pour un projet de vocation spécifique.

Je voudrais terminer simplement en marquant la joie qui est la nôtre d’être les humbles serviteurs du travail de Dieu, du travail de l’Esprit, au cœur de notre humanité. C’est parfois lourd, parfois pesant, et il y a des échecs. Mais il y a aussi des réussites. Et de toute façon la joie est déjà dans la peine que nous prenons, avec ce premier compagnon qu’est le Christ. En regardant toute vocation, voilà que nous n’y sommes pour rien, et cependant tout notre travail compte énormément, bien plus, est un besoin absolu. Comment ne pas nous émerveiller activement, comme de bons jardiniers ?