De la poussière Il relève le faible


France et Bruno BAUCHET,
laïcs mariés, membres de la Communauté du « PAIN DE VIE »

Au cœur de son charisme particulier tourné fortement vers l’accueil des plus pauvres et l’adoration, la Communauté nouvelle du "PAIN DE VIE" accompagne aussi des jeunes qui se posent la question d’une vocation spécifique. Bruno et France BAUCHET partagent ici leur expérience en resituant bien la juste place de l’accompagnateur, au plan affectif notamment, et la place originale que peut tenir le milieu communautaire dans cette recherche.
"Je te remercie de bien vouloir devenir ma mère en qui je remets, toute ma vie, mon vouloir et mon avenir."

Ainsi s’exprimait, après son arrivée, O... accueillie à la communauté, dans une lettre glissée sous notre porte. Jeune femme intelligente, la trentaine, que les circonstances de la vie ont un jour blessée, mais qui cherche Dieu avec constance et sa vocation avec plus de détermination encore.

Quatre mois après, cette nouvelle réflexion de O.. témoignant de son évolution intérieure :

"De tous ceux que j’ai rencontrés, psychiatres ou accompagnateurs, tu es la seule qui n’as jamais joué sur mon affectivité. Tu m’as fait comprendre que je suis libre en Dieu. Avant j’étais angoissée à l’idée de ne pas trouver ma place dans l’Eglise. Maintenant je sais qu’il m’aime telle que je suis, mais tu sais... j’ai souvent eu l’envie de t’étrangler !".

Ceci n’est qu’un exemple pris sur le vif et pourtant assez représentatif de situations de plus en plus fréquentes.

Nombre de jeunes, accueillis dans la communauté suite à une difficulté rencontrée dans leur vie - abandon, drogue, alcool, prostitution, etc. - et présentant de grandes failles affectives et psychologiques ont expérimenté avant leur venue, ou expérimentent à la communauté, une véritable rencontre avec le Christ Vivant.

Ce "phénomène de conversion" et la recherche de nouvelles bases évangéliques ne sont pas sans bouleverser radicalement le comportement, l’assise des personnes. Plus ou moins rapidement, se dessine l’aspiration à une vocation particulière, au sein de l’Eglise. La personne éprouve alors un besoin vital d’accompagnement. Quels en seront les axes, les périls et les exigences ?

- Le besoin d’un accompagnateur

Tout d’abord, pourquoi O... a-t-elle expérimenté ce mouvement d’abandon de sa liberté personnelle, ce besoin de s’en remettre à quelqu’un ?

Au début de son cheminement on perçoit le jeune comme en recherche de parents. Il s’ensuit alors un rapport d’imitation ou parfois même d’identification avec l’accompagnateur. Il attend de celui-ci une appréciation sur sa vie de foi et sur son comportement. Il se place en dépendance affective. Si l’on est attentif à ce risque de rapports basés sur l’affectivité, et que l’on s’en garde, apparaît dans un deuxième temps un rejet de l’accompagnateur parce qu’il n’a pas voulu se placer sur le mode sensible et encourager la croissance spirituelle dans un rapport de dépendance. Ce rejet s’exprime parfois par une contestation vive des modes de vie de la communauté.

D’autre part, l’investissement affectif déçu se mue en agressivité. Là encore un recul est nécessaire - bien que difficile - pour faire comprendre que se vit alors le temps d’une émancipation humaine et spirituelle. Il lui faut accéder à cette toute nouvelle relation du Père avec son enfant. Les modèles humains sont souvent d’un appui médiocre.

Dieu existe, je l’ai rencontré ; Dieu m’aime, je l’ai expérimenté souvent avec profusion de Grâces au temps de la conversion, c’est à n’en pas douter : mais son amour de Père m’a créé libre et me garde libre.

Quelle attente se cache derrière ces comportements ? Dieu est tout et en retour je veux tout lui donner : mon corps, qu’il devienne chaste et pur ; mon intelligence, qu’elle ne se préoccupe plus que de Dieu ; et mon cœur, qu’il aime et partage.

Il est important de lire cette radicalité qui conduit naturellement à la recherche de sa vocation. Mais cette recherche est souvent vécue dans l’urgence - voire dans la précipitation. Le jeune veut savoir tout de suite où Dieu l’appelle, comment il va pouvoir Le servir, quel va être son apostolat.

Cette sorte de frénésie dans la recherche de la vocation paraît d’autant plus vive que son histoire personnelle a été troublée. N’y a-t-il pas parfois alors la recherche d’une fonction plutôt que d’une vocation ? d’un faire pour Dieu plutôt que d’un être en Dieu ?

Souvent se dessine chez les convertis une analogie - une confusion - entre vocation au sens où on l’entend traditionnellement (de type monastique, apostolique...) et la recherche de sa place dans le corps ecclésial et social, de la recherche légitime de sa fonction. Mais fonction n’est pas vocation. C’est un mouvement intérieur d’autant plus lié à l’évolution de la société que la crise d’identité va grandissante, entraînant une insécurité, et par voie de conséquence le désir vital de "creuser son trou".

On imagine bien le travail qu’il va falloir assumer avec la personne afin que sa foi en Dieu ne devienne pas une "assurance-vie". Mais il est vrai qu’aujourd’hui il est particulièrement malaisé de vivre sa foi sans recours structurels forts.

Quelle attitude adopter pour l’accompagnateur ?

Eveiller l’autre à la découverte pleine et entière de sa vocation implique qu’elle peut être autre que la nôtre bien que la personne partage un temps notre vie. autre que celle pré-supposée ; autre même que celle désirée a priori par là personne. Elle est parfois pressentie à la conversion, soudainement, mais peut n’être effective que longtemps après ; ou bien elle se découvre par touches.

Elle ne pourra en tout cas naître pleinement que si le Corps, qui l’accueille et qui l’accompagne, le fait avec une totale gratuité, sans aucun désir de captation. Cependant le jeune supporte difficilement aujourd’hui - et cela le touche jusqu’à l’angoisse - le temps de creusement, de réflexion, de vérification.

D’autres par contre, ayant tous les éléments pour discerner leur appel, son lieu d’incarnation, reculent devant la décision, l’enfouissement dans l’engagement, le renoncement à soi-même comme l’exige l’Evangile. La maturation est souvent lente et doit, chez l’accompagné comme chez l’accompagnant, prendre appui sur la patience et la miséricorde de Dieu.

- Des repères évangéliques pour l’accompagnement

Comment donc, tout en donnant des repères objectifs, évangéliques, aider le jeune à exercer de manière responsable sa liberté d’enfant de Dieu ?

Tout d’abord l’inviter à méditer la Parole de Dieu dans laquelle toute vocation prend racine. Cela va lui permettre de découvrir toute la pédagogie de Jésus qui apparaît dans les Evangiles, - voir Jésus et la Samaritaine à qui Il dit "seulement" : "va et ne pêche plus" - Eveiller aussi à la présence de l’Esprit dans chaque être ; cette présence se cherche par la prière communautaire et personnelle ; rappeler que l’Esprit de Dieu est "soumis" à notre esprit pour bien comprendre la liberté qu’il nous incombe d’assumer. Mais pour être vraiment libre, le jeune ne peut rester seul. Nous devons lui faire prendre conscience de l’importance du Corps de l’Eglise afin de ne pas tomber dans une privatisation de sa relation avec Dieu. Dans ce corps, le jeune va être aidé dans sa croissance par les sacrements, par la confrontation avec les autres dans leurs différences (paroisses, mouvements, communautés), et être accompagné par un ou plusieurs témoins.

La qualité de l’accompagnement est une part importante dans ce cheminement. La vie sacramentelle, pourrait-on dire, vient directement de Dieu. Dans l’accompagnement, intervient davantage l’homme conduit par l’Esprit, certes, mais naturellement coloré, faut-il le rappeler, de subjectivité.

C’est pourquoi il nous semble important, dans notre communauté, de situer l’accompagnement de diverses manières : accompagnements paternel, maternel, fraternel. Ainsi nous évitons le risque de l’emprise d’un seul sur le jeune en cheminement.

Ainsi, le "Père" est celui qui a reçu mandat pour engendrer, éduquer et conduire.

Il n’intervient qu’aux moments charnières : vocation, épreuves, grâces particulières... Il a davantage de recul, veille sur chacun mais a aussi le souci de la cohésion de tout le corps.

La "Mère" est là, accessible pour toutes choses, petites ou grandes, sait consoler les tristesses du jour, les conflits et exprimer ainsi la tendresse de Dieu, sans affectivité excessive.

Enfin le "Frère", présence souvent dévaluée parce que sans pouvoir de décision. C’est oublier la force d’un sourire, le soutien d’une parole, la joie de la complicité dans le quotidien. C’est un peu l’aîné dans une famille naturelle.

En plus de cette complémentarité à l’intérieur de la communauté, nous invitons les personnes à recourir, si ce n’est déjà le cas, à un témoin extérieur, moine ou prêtre.

Cette présence du corps entourant le jeune en recherche ne doit pas devenir un cocon douillet duquel il ne voudra plus sortir. Une autre prise de conscience est essentielle pour conduire à la vraie liberté : c’est que la vie avec le Christ n’est pas un chemin sans épreuves. Dieu comble de sa Paix et de sa Force non pour nous "retirer du monde", mais pour nous engager, guéris ou pas, fragiles ou non, sur le chemin des hommes.

Pour tous cette parole de Jésus retentit : "Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, se charge de sa croix chaque jour et qu’il me suive" (Lc 9, 23). Même si cette parole est dure à entendre et à assumer, il est de notre devoir de ne pas l’occulter pour ne pas conduire le jeune dans l’illusion.

- Des critères de discernement

Comment aider ensuite au discernement d’une vocation ? Selon quels critères ?

La vie communautaire est avant tout un lieu de croissance avant même de parler d’éclosion de la vocation. Elle favorise cette croissance non par la qualité de ses membres ou leur force de conviction, mais par sa propre rigueur à répondre à l’appel spécifique que Dieu lui a adressé.

C’est en vivant chacun notre vocation radicalement - et rien que notre vocation -, en acceptant dans l’Eglise d’être une toute petite cellule, sans empiéter sur la spécificité de l’autre, que nous encouragerons chacun à oser entrer pleinement dans sa propre mission.

C’est Dieu qui appelle, et Il sait prendre les moyens de parler directement au cœur des hommes, même s’il en choisit certains comme instruments de discernement. L’appel a été entendu dans la Parole et a résonné dans le profond du cœur. Il est important de ne pas interférer à ce moment-là ; simplement d’aider le jeune en recherche à découvrir ce que Dieu a inscrit en lui, ce Nom Nouveau.

Il s’agit d’encourager chacun à lire intelligemment sa propre histoire humaine. Dieu a semé en nos vies et nous avons plus ou moins fait fructifier cette semence. Mais avant qu’elle ne puisse sortir de terre, elle a pris racine dans le terreau de notre expérience. Là intervient parfois la douloureuse prise en compte de nos fragilités qui peuvent modifier notre orientation, tant il est vrai qu’il est ardu de s’engager dans un corps, une communauté d’hommes pécheurs, réunis par la grâce de Dieu.

C’est une question brûlante aujourd’hui et tant d’êtres dès l’enfance ne reçoivent pas les éléments nécessaires à une croissance équilibrée. Mais devront-ils renoncer parce qu’ils ne sont pas conformes ?

Dieu ne va pas non plus toujours définir avec précision la communauté dans laquelle je dois entrer pour me consacrer, l’engagement que je dois prendre ; à plus forte raison ce n’est jamais à l’accompagnateur de le faire ! Une femme nous partageait un jour : "Dieu est trop timide pour me demander d’être consacrée, alors c’est moi qui fais le premier pas". Délicatesse, respect inimitable de Dieu à notre égard !

L’incarnation de cet appel, l’engagement dans une oeuvre de Dieu ressemble fort à celui du mariage. Nous vérifions donc que les candidats à notre vocation sont mus par une tendresse lucide pour la communauté avec ses opacités voire ses défauts. Si ce n’est pas le cas nous faisons remarquer qu’il existe d’autres lieux avec une vocation proche. Mais dans la vie spirituelle comme dans la vie "tout court", le bon sens est essentiel. L’étape décisive du discernement sera donc d’essayer ! Et malgré des signes réels de vocation, si une personne s’essouffle, s’attriste graduellement en vivant avec nous, c’est que peut-être sa vocation est ailleurs. Il nous faut être alors dans une grande vérité si nous l’éconduisons et lui dire pourquoi.

Pourtant demeure en nous cette question lancinante : comment permettre en Eglise, aux plus blessés, membres à part entière d’un peuple en marche vers la sainteté, de se consacrer à Dieu ?

Dans l’absence de culture religieuse, sous le voile des imperfections de nature, parfois graves, ou des failles psychologiques, l’action souveraine de Dieu continue son oeuvre de sanctification de toute l’humanité. Et l’homme appauvri, opprimé, écœuré, a FAIM ET SOIF.

Nous n’avons pas de réponses toutes faites ; humblement nous apprenons, jour après jour, à fixer notre regard sur Jésus l’ami des boiteux et des estropiés.

"De la poussière il relève le faible
Du fumier il retire le pauvre
Pour l’asseoir au rang des princes
Au rang des princes de son peuple."

Psaume 112.