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Quelques aspects affectifs des 18-30 ans
Tony ANATRELLA (1),
psychanalyste, spécialiste de Psychiatrie Sociale.
L’ADOLESCENCE comme classe d’âge et comme groupe social est une REALITE RECENTE. Dans sa forme actuelle elle est née dès les années cinquante avec la génération des yéyés. Les structures psychologiques des personnalités juvéniles d’aujourd’hui se sont développées à partir de cette époque, même si chaque génération adopte des comportements différents de la précédente.Depuis le début du siècle nous assistons à un remaniement des différents âges de la vie dans nos sociétés développées. L’enfance se raccourcit de plus en plus, l’ADOLESCENCE s’ALLONGE, la période dite active se rétrécit et les âges qui suivent la cessation des activités professionnelles ouvrent à de nouveaux projets de vie devant le recul de l’âge de la mortalité. Nous ne pouvons pas examiner ce changement dans les limites de cet article en détaillant les aspects positifs et les problèmes que posent toutes ces modifications. Mais au regard de ce constat nous pouvons faire deux remarques qui éclairent les psychologies contemporaines.
- Une vie psychique plus importante à mettre en oeuvre
Les psychologies individuelles sont devenues plus complexes, plus difficiles à mettre en oeuvre car elles se trouvent face à un capital de tâches plus considérables à traiter que par le passé. L’affinement de la subjectivité est le résultat des changements de nos conditions de vie.
L’enfant dès son plus jeune âge est sollicité dans ses sens, dans ses émotions et dans son intelligence à cause du type de relations que l’environnement engage avec lui et grâce aussi aux moyens techniques qui sollicitent ses réactions. Très tôt le téléphone, le magnétoscope et l’ordinateur domestique deviennent des outils familiers du jeune enfant. Il les utilise avec une facilité qui étonne souvent les adultes.
Les attentes affectives à leur égard obligent aussi les enfants à réagir au plus près des demandes des adultes qui souhaitent des gratifications pour eux-mêmes. Les économies affectives, pourtant différentes entre les enfants et les adultes, se confondent au risque de s’égarer dans les plaintes de la tendresse. Alignés sur les réflexes de l’enfance bien des adultes les accentuent dans la vie de leur progéniture et s’installent dans les impasses de l’affectivité infantile. Ils se trouvent tous confrontés aux mêmes problèmes et à des tâches infantiles inachevées au sujet : de la filiation / parenté, du conflit incestueux, de l’identité sexuelle, de la relation entre le réel et l’imaginaire, des frustrations de la sexualité infantile et de la sexualité objectale (sens de l’autre) inaccessible.
La personnalité est le résultat de la résolution de ces quelques conflits de base. Leur extension et leur approfondissement perturbent souvent les individus qui ne savent pas toujours comment avoir une prise sur leur vie intérieure. Le sentiment d’étrangeté, d’inconnu, d’impuissance de soi au lieu d’être travaillé pour lui-même va se trouver projeté dans des réalités auxquelles des pouvoirs seront attribués. Dans ce cas l’attrait pour l’irrationnel, le magique, le spirituel sera important et recherché par des individus qui ont du mal à habiter leur espace interne. Ils le mettent en location auprès de représentants ou d’idées imaginaires. Tout en justifiant leur attitude de façon logique et cohérente, le discours reste fermé et repose sur une structure délirante.
Les comportements délirants, dans bien des domaines, expriment à la fois une incapacité et une tentative de contrôler ce qui peut être ressenti comme un désordre auquel on donne un sens illusoire pour se convaincre de sa maîtrise des réalités. Le succès des sectes comme des leaders charismatiques s’articule sur une subjectivité sauvage dont les ressorts psychologiques sont bien connus depuis longtemps grâce aux études de l’ethnopsychiatrie.
Les psychologies sont donc plus riches d’un capital de subjectivité à exploiter qui peut rester en-deçà de ses possibilités, se mettre en oeuvre intérieurement et devenir capable de relations bien situées avec les autres.
La superficialité des personnalités contemporaines signe souvent leur échec à vivre avec les divers intérêts de la vie psychique. Elles sont plus sensibles aux aspects extérieurs comme pour se limiter à ce qui semble accessible.
Les modes du look, toutes en surface, ont façonné des relations, des comportements et des individus qui ont laissé le soi des personnalités aux vestiaires. Les personnalités sont moins unifiées, ni vraiment elles-mêmes. Si la moindre difficulté déprime elles font également preuve d’une certaine capacité à l’adaptation. Dans le contexte actuel, ce n’est pas négligeable. Chez les jeunes on parle souvent chiffons, fringues, chaussures et d’autres attributs contribuant à tenir dans son corps sans pour autant qu’il soit réellement intériorisé. Les processus d’intériorisation sont souvent en panne chez de nombreux jeunes car leur relation aux adultes comme à l’environnement socioculturel n’est pas symboliquement enrichissant. La toxicomanie, la boulimie ou l’anorexie, les conduites sexuelles infantiles expriment les maladies de l’intériorité juvénile.
La vie religieuse peut aussi être emportée dans cette tendance du look. Les actes religieux seront multipliés pour donner l’assurance d’être au plus près de Dieu. Il est fréquent de rencontrer des individus qui utilisent le discours religieux pour mettre à distance ce qui se passe en eux. La relation au Christ frère sera, par certains, d’autant plus idéalisée de façon homosexuelle que leur image personnelle du père est négative ou faible. L’action de l’Esprit Saint sera vue en permanence dans les modalités de la vie quotidienne parce que la mégalomanie et le sentiment de toute puissance de l’enfance ne se sont pas élaborés dans le psychisme de l’adolescent. L’éducation de l’homme intérieur reste à faire pour ne pas confondre les productions de son inconscient avec la relation avec Dieu puisqu’il est le tout autre au-delà du psychisme.
- Les délais de maturité sont plus longs
L’adolescence se prolonge et tend à devenir interminable du fait de l’allongement de la formation qui retarde l’insertion sociale mais aussi et surtout du fait d’une élaboration plus profonde des psychologies.
Les problèmes d’une lente maturation sont aussi bien vécus chez des jeunes qui ont des responsabilités professionnelles que chez ceux qui sont encore étudiants. Il ne faut pas croire que l’expérience favorise la maturité psychique. Tout dépend de ce que l’individu en fait. La maturité est essentiellement le résultat de la mise en place ou non des fonctions principales de la personnalité. C’est pourquoi on pense souvent, à tort, que des jeunes ayant fait des études, ayant travaillé ou ayant une certaine expérience de la vie seront nécessairement plus matures pour entrer au séminaire à la différence de leurs aînés qui ont suivi la filière petit séminaire / grand séminaire. L’une comme l’autre ont leurs avantages et leurs inconvénients. Il peut être pertinent de s’interroger sur l’état de l’affectivité d’un candidat de 30 / 45 ans pour comprendre à quoi correspond son désir d’être prêtre ou religieux. Il est tout aussi vrai de constater chez d’autres une progressive conversion à partir du moment où ils ont reçu l’appel au sacerdoce qui a modifié leur existence.
De nombreuses tâches psychiques occupent le travail interne de la personnalité entre 18-30 ans. Cela explique l’exaspération des positions narcissiques de bien des jeunes. Le résultat de ces tâches engage le destin de la personnalité, en particulier celles des transformations de la sexualité infantile en sexualité objectale c’est-à-dire altruiste. L’autre va être introduit dans sa vie pulsionnelle. La pulsion ne sera plus recherchée pour elle-même comme pendant l’enfance mais finalisée par la présence d’autrui. Le plaisir sera vécu, lors de la maturité, comme la conséquence d’une réussite relationnelle ou d’un travail accompli. Le plaisir va être soumis au principe de réalité.
- Les transformations de la sexualité infantile
Lors de la puberté le garçon comme la fille vivent une métamorphose déstabilisante de leur corps. Ils perdent leurs points de repères corporels avec, selon les sensibilités individuelles, une certaine angoisse. Ce changement explique l’impression d’étrangeté qui envahit le jeune et qui peut durer très longtemps ; surtout chez ceux qui n’acceptent pas l’image de leur corps sexué.
L’adolescence commence lorsque la puberté s’achève vers 17 / 18 ans. Les préoccupations deviennent plus psychologiques et s’ajoutent à celles relatives au corps en formation. Ce sont surtout des questions de reconnaissance de soi qui vont dominer la période au milieu d’incertitudes masquées par des défenses dont le but est de protéger l’unité de la personnalité. Les défenses peuvent être à l’origine de névroses, de fuite dans la marginalité ou dans l’illusion, ou d’emprise. Certains ont parfois le sentiment d’être sous l’influence de puissances bénéfiques ou maléfiques et projettent ainsi à l’extérieur d’eux ce qui se passent en eux. Cette fuite dans la pseudo mystique évite d’avoir à travailler avec soi-même et avec son cinéma intérieur tout en se livrant à une sorte de combat dans le monde extérieur.
Cette difficulté à se reconnaître s’enracine souvent, chez les adolescents contemporains, dans une vie imaginaire faible et peu élaborée. Elle reste surtout grégaire et primitive. Un imaginaire plat et très maternant dont le film "Le grand Bleu" est le symptôme. A l’inverse cela donne des personnalités relativement réalistes comme pour compenser une subjectivité superficielle. La vie religieuse qui se développe en extension à cette psychologie manifeste un besoin d’extraordinaire quasi sensoriel. Le narcissisme est projeté sur des pouvoirs supra humains et attribué à des forces du bien et du mal avec lesquels le Dieu de Jésus-Christ risque d’être revêtu.
Ce manichéisme des philosophies orientales est aussi l’héritage de la dualité interne du psychisme humain. Comme cette dernière n’est pas traitée pour elle-même elle devient la source à partir de laquelle les hommes se construisent des dieux. La révélation chrétienne nous délivre de cette production en forme de miroir pour nous inviter à découvrir le Dieu de Jésus-Christ. Il faut redire avec insistance combien les religions risquent d’être la proie aujourd’hui de ces déplacements psychiques au détriment de leur doctrine car la psychologie de l’homme contemporain reste au plus près de ses états premiers.
Il suffit de voir, pour s’en convaincre, les dernières publications destinées aux jeunes : "Les Crados" dont les images représentent à l’état brut les excréments de l’analité et de l’agressivité de l’oralité. L’éditeur présentant ces fascicules lors d’un journal télévisé a naïvement affirmé que c’était sans doute moins méchant que le conte du Petit Chaperon Rouge. Dans son besoin de justifier un peu trop rapidement ses productions il faisait preuve d’une incompétence notoire en oubliant la construction symbolique de cette histoire imaginaire. Tel n’est pas le cas des "Crados" où le fantasme apparaît à l’état brut sans aucun travail de sublimation. Il traduit une violence prête à passer à l’acte. L’imaginaire ne parvient pas à se construire et l’intériorité demeure très fragile au point de ne pas être capable de réfléchir sur soi et sa vie. Les individus vont plus procéder par affirmation sur eux-mêmes que par questions, analyse et réflexion.
La transformation de la sexualité infantile en sexualité objectale va déterminer ou pas la personne juvénile à se différencier vis-à-vis de ses parents et des autres.
La sexualité infantile est sans objet, imaginaire, masturbatoire et agressive. Au moment de l’adolescence la pulsion sexuelle commence à se modifier en introduisant la présence de l’autre, elle devient objectale. L’appartenance comme l’orientation du désir sexuel sont incertaines à l’époque où la pulsion sexuelle va devenir altruiste et c’est parce qu’elle devient objectale (sens de l’autre) que se pose le problème de l’identité sexuelle.
La puberté fait éclater l’organisation présexuelle et oedipienne de la personnalité en mettant en doute les théories sexuelles infantiles. Cette tâche relève d’un travail psychique et non pas de la multiplication des expériences qui ne favorisent pas toujours la maturation. Les relations dites amoureuses peuvent se développer dans le contexte d’une affectivité infantile où il n’y a pas de différences dans le fait d’aimer son ours en peluche, son ami(e) ou ses parents. Le jeune continue de choisir des relations à l’image des besoins de son enfance.
Il faudra beaucoup de temps pour que la pulsion sexuelle soit associée à l’affectivité qui va qualifier la sexualité : il ne s’agit pas de vivre le sexe pour le sexe ou l’émotion pour l’émotion mais l’un avec l’autre. Avant de parvenir à cette stabilité l’adolescent ou le postadolescent pourra alterner dans un sens ou dans un autre, signe de l’immaturité de ses fonctions affectives.
L’économie affective durant cette phase est sous l’influence de la tendresse. Si l’amour humain commence par la tendresse il n’est pas la fin de l’amour. La tendresse est l’amour passif par lequel l’enfant et l’adolescent demandent à être aimés. Une exigence de tendresse n’est pas nécessairement le signe que des jeunes n’ont pas été ou sont mal aimés, mais plutôt leur incapacité à renoncer, à faire le deuil d’un amour absolu impossible. Ceux qui réclament de la tendresse ou ceux qui veulent en donner sont en fait incapables d’aimer. La valorisation de la tendresse au point de remplacer le sens de l’amour indique combien les affectivités contemporaines sont proches de celles des nourrissons. Si l’avenir est à la tendresse alors nous finirons dans les couches. L’enfant devient de plus en plus un objet tendrement érotisé. Pour vivre avec lui les adultes se croient obligés de régresser à son niveau et d’être comme lui. Les personnalités perverses profitent de cette faille psychique pour aller plus loin et abuser sexuellement des enfants car les conditions sont réunies pour favoriser ce passage à l’acte pathologique. Il faut être prudent et réservé devant des pédagogies de la tendresse qui servent de prétexte à la manipulation affective.
Dans l’amour tendresse l’autre n’est pas estimé pour sa propre valeur comme dans l’amour altruiste mais pour la protection qu’il apporte. La personne parvenue à la maturité de l’identité sexuelle sait aimer l’autre pour sa valeur personnelle et originale et non pas pour sa fonction d’amour, de sécurité, de valorisation qu’il peut remplir.
La tendresse ce n’est pas l’amour. Elle va se transformer lors de la postadolescence pour accéder à la relation à l’autre considéré pour lui-même. La tendresse placée sous le primat de l’amour actif de l’autre devient seconde et se modifie en attitude de respect, d’attention, de prévenance, de probité, de politesse. Autrement dit lorsque les mouvements de tendresse sont prioritaires ils maintiennent des frustrations impossibles à satisfaire. Par contre lorsqu’ils ne sont plus prioritaires la personnalité acquiert une aisance affective, elle sait rester cohérente et attentionnée mais elle sait également dire non à des demandes qui ne conviennent plus à son état affectif. L’amour de l’autre ne consiste pas à dire oui à tout sous prétexte de générosité mais de vivre ce qui convient.
Les représentations sociales de la vie affective ne sont pas toujours porteuses pour des jeunes en pleine mutation à ce sujet. Ils arrêtent leur développement à peine commencé prenant le début pour la fin. Il y a des discours spirituels confondant la tendresse et l’amour au point d’inciter des jeunes à s’installer dans les régressions émotionnelles d’un archaïsme religieux qui n’a rien de chrétien. A l’épreuve du réel certains fuient leurs propres responsabilités dans une pseudo-mystique en pensant que Dieu va tout arranger comme le super-papa-tout-puissant et d’autres en prenant l’amour de Dieu comme justification de leur immaturité se perdront dans des relations sans limites jusqu’à transgresser des rôles sociaux.
L’utilisation du prénom à la place du nom de famille ou du titre social indique l’infantilisme dans lequel on se tient et l’incapacité d’accéder à une identité sociale. Bien des prêtres ont cru qu’en se faisant appeler par leur prénom et tutoyer ils allaient nécessairement être plus près des autres. Or la relation n’est possible que dans la distance et non pas dans la proximité. On assiste à une perversion de la relation où l’on ne sait plus qui est qui et qui fait quoi. Cet imbroglio affectif étonne les plus matures et attire les manipulateurs. La relation pastorale a sans aucun doute besoin d’être clarifiée à ce sujet comme l’hygiène corporelle et vestimentaire qui sont aussi douteuses et peu sociables.
L’hyper émotivité religieuse loin d’être un gage de la découverte du Dieu de Jésus-Christ et de sa parole s’empare de façon narcissique des données de la foi chrétienne pour exprimer les besoins magiques des données de la foi chrétienne pour exprimer les besoins magiques inhérents à la psychologie de la tendresse. Dieu serait partout et agirait en tous domaines parce que l’on ne sait pas être soi-même. Il n’est plus question de dialogue entre Dieu et l’homme mais de fusion maternelle pour ceux qui ne savent pas trouver ou rester à leur place.
Dieu est Dieu et l’homme est homme. Une affirmation difficile à entendre pour des personnalités narcissiques qui vivent l’autre dans le prolongement d’eux-mêmes.
En observant les aléas du développement psychique juvénile on mesure les interactions qui se produisent avec l’environnement. Notamment dans le domaine affectivo-sexuel.
Il faut également évoquer à propos des mutations de la pulsion sexuelle des questions directement sexuelles, voire génitales. Les problèmes liés à la bisexualité psychique vont se poser. Le conflit entre des tendances homosexuelles et hétérosexuelles va se présenter à la conscience de façon directe ou masquée. Certains postadolescents vivent aussi bien l’une et l’autre des relations en quête d’identité. Un choix homosexuel n’équivaut pas, psychiquement, à un choix hétérosexuel surtout lorsque le sujet n’a pas pu accéder à l’hétérosexualité. Le débat interne à ce sujet est souvent escamoté. La tendance est retenue comme telle sans s’interroger, surtout chez certains jeunes qui veulent s’orienter vers le sacerdoce ou la vie religieuse.
La masturbation est aussi une conduite fréquente. Elle est une pratique de la sexualité infantile dont les significations sont multiples : celle de la puberté qui découvre son corps ; celle de la première adolescence qui intériorise les émotions liées à la volupté corporelle ; celle de la deuxième adolescence pour décharger une tension agréable ou désagréable ; celle du postadolescent où l’organe sexuel tient rôle d’objet, de partenaire imaginaire.
Lorsqu’elle se prolonge la masturbation révèle une fixation à la sexualité infantile et une recherche de satisfaction avec des partenaires imaginaires. La sexualité reste castrée. L’acte physique de la masturbation n’est pas nuisible en soi, mais le fantasme qui s’y attache peut devenir porteur d’influences nocives. D’une façon générale, la masturbation qui se prolonge à la postadolescence ou durant la vie adulte manifeste le besoin d’avoir recours à des modes de gratifications infantiles et réactive le conflit oedipien. Le sujet se masturbe le plus souvent avec des représentations mentales qui sont issues d’images composites créées à la suite des expériences relationnelles parentales. D’une certaine façon il se masturbe en pensant inconsciemment à ses parents. C’est pourquoi la masturbation, indépendamment de toutes influences morales, développe un sentiment de culpabilité latent ou manifeste qui peut être détourné et apparaître à travers des angoisses, des inhibitions, des timidités, des frayeurs ou des troubles psychosomatiques.
Enfin la plupart des expériences sexuelles jusqu’à 22-23 ans sont vécues sur un mode narcissique ; il s’agit surtout de s’éprouver soi-même à travers l’autre plus que de le rencontre véritablement. Ainsi certaines relations hétérosexuelles sont vécues pour prouver sa normalité, se guérir de la masturbation ou pour être sûr de ne pas être homosexuel. Ce sont des relations réactionnelles, transitoires et sans avenir. Elles peuvent aussi provoquer des fixations affectives non évolutives. L’affectivité peut limiter son développement au stade où elle a découvert un plaisir intense avec un besoin irrésistible pour le retrouver.
Le couple n’est pas la solution aux problèmes affectifs de l’adolescence et vouloir épuiser le sexuel uniquement dans l’affectif revient à ne plus faire du social et de la culture avec la pulsion. Au moment où s’éveille la pulsion sexuelle beaucoup pensent, à tort, qu’il faut la réaliser dans une élection amoureuse avant de socialiser son affectivité. Le champ affectif restreint dans cette élection perd en expansion et en approfondissement. La plupart de ces relations n’aboutissent pas et ne durent que peu de temps, les individus finissent par avoir une vision frustrée de l’amour humain commencé alors qu’ils n’ont pas encore les compétences psychiques pour l’assumer et se développer avec. La base n’est pas assurée. On favorise l’immaturité dépressive en voulant réaliser la sexualité infantile au lieu de la transformer dans la sexualité objectale.
Toutes les populations juvéniles sont conditionnées par l’idée qu’il faut avoir eu des relations sexuelles pour être sûr de soi. Même dans les séminaires cette pression existe. Un tel climat indique une certaine carence de l’intériorisation et de la réflexion au bénéfice de l’agir qui exploite à l’état brut la pulsion. La mise en place des compétences de la vie psychique n’implique pas d’abord un agir ou des expériences mais elle est le résultat d’un dialogue interne.
(1) auteur de l’ouvrage Interminables adolescences - Les 12-30 ans - Cerf/Cujas [ Retour au Texte ]