Eveiller à la liberté selon l’Evangile


Bernard PITAUD,
prêtre de Saint Sulpice, supérieur du séminaire 2ème cycle d’ISSY-LES-MOULINEAUX

Eveiller à la liberté selon l’Evangile, c’est-à-dire à la disponibilité pour aimer, pour répondre à l’appel du Seigneur . . . !

Tout éducateur chrétien porte en lui ce désir. A plus forte raison celui qui a reçu mission de conduire des jeunes sur le chemin de leur vocation. Nous allons essayer de décrire un certain nombre de points sensibles dans le cheminement d’un jeune vers le ministère presbytéral. Certains de ces points sont d’ailleurs communs à toutes les vocations. Le ministère presbytéral les colore simplement d’une manière particulière. D’autres sont plus spécifiques. Certains valent pour toutes les époques, d’autres relèvent plutôt de la situation présente.

Reconnaître les médiations humaines

Devenir libre c’est, pour une part, apprendre à se situer dans le réseau complexe des médiations humaines qui interviennent dans un cheminement vers le ministère.

Un jour ou l’autre, la question se pose : "est-ce bien moi qui dis ’je désire devenir prêtre’ ?". Un séminariste doit commencer à reconnaître toutes les influences qui ont joué dans sa vocation. Non pas pour les rejeter mais pour découvrir si elles ont joué comme des contraintes ou si au contraire elles ont éveillé sa liberté pour l’aider à assumer personnellement sa décision.

Comment a opéré, par exemple, l’influence d’une famille profondément chrétienne : comme une présence discrète et respectueuse qui a su montrer la beauté d’une vocation sans l’imposer ? Comme une pression qui a entraîné des dépendances dont il devient peu à peu difficile de se déprendre : "Que va-t-on dire dans mon entourage si je décide d’arrêter mon cheminement vers le ministère presbytéral ?" ?

Inversement, une famille hostile à la vocation peut créer d’autres dépendances : quand un jeune exprime un désir de vocation dans un climat d’opposition à sa famille, ce climat peut occulter des questions nécessaires ; c’est pour lui devenu une affaire d’honneur, d’amour-propre que de poursuivre dans la voie dans laquelle il s’est affirmé face à son entourage. Avant de s’engager librement, il a sûrement besoin de se libérer de cette contrainte qui risque de le fixer spirituellement à un certain stade et de l’empêcher de progresser.

Un jeune peut aussi se laisser décourager par les difficultés que lui crée son environnement : "Tu ne vas tout de même pas devenir prêtre ! Tu es le seul garçon de la famille !" ou bien "ce n’est pas un métier" ou encore "comment tiendras-tu dans le célibat ? regarde tous les prêtres qui ont quitté". Ces insinuations habilement répétées finissent par entamer la détermination. Le rôle de l’accompagnateur est alors très délicat : il va encourager, aider à se situer face au ministère, sans pour autant créer une sorte de contre-pouvoir en s’opposant lui-même à la famille ou au milieu : le jeune serait alors tiraillé entre deux pôles et cela ne faciliterait pas l’émergence de sa liberté : L"accompagnateur va plutôt l’aider à reconnaître comment les questions posées par l’entourage retentissent en lui et lui permettent de se resituer face à un appel exigeant.

De façon générale, d’ailleurs, quand quelqu’un exprime habituellement des réactions trop vives (positives ou négatives) par rapport à son milieu, c’est souvent le signe qu’il ne s’est pas encore assez pacifié intérieurement et qu’il demeure empêtré dans un réseau de dépendances. Il doit les reconnaître peu à peu et s’en détacher pour pouvoir dire : "je".

Généralement les prêtres jouent un rôle très positif dans l’histoire des vocations. Tel prêtre, par son exemple, par sa manière d’exercer le ministère, va donner à un jeune le goût d’aller dans la même direction. Mais un jour vient où, là encore, il faut dire "je". Il ne suffit pas de suivre le sillage de l’aîné. Il faut engager sa propre trace. Il arrive que des prêtres, sans le vouloir, exercent une certaine fascination sur des personnalités qui se cherchent. Mais il ne s’agit pas d’ "être comme". Il s’agit d’être soi-même dans l’exercice d’un ministère qui dépasse tous ceux auxquels il est confié. Reconnaître l’influence positive d’un prêtre dans l’histoire de sa vocation, c’est peut-être aussi reconnaître qu’on ne peut reproduire ce qu’il est, parce qu’on a ses propres qualités et ses propres limites qu’il faut d’abord mesurer à l’objectivité du ministère.

D’ailleurs dans un cheminement vers le ministère, il y a une étape décisive à franchir : celle qui consiste à entendre l’appel des hommes qui ont besoin de prêtres. Tant qu’un jeune en reste à un stade d’identification exclusive ou de dépendance excessive, il ne se met pas en mesure d’entendre pleinement cet appel et il ne permet pas à sa liberté de se déployer. Car la liberté est ouverture, capacité de reconnaître un besoin pour y répondre. La liberté est écoute pour un meilleur don de soi. L’exemple d’un prêtre est souvent une médiation bénéfique dans l’histoire d’une vocation au ministère presbytéral. Encore faut-il qu’il permette l’ouverture aux besoins des hommes et des communautés chrétiennes qui sont le lieu d’où le Christ fait retentir son appel.

Beaucoup de jeunes restent aussi très liés à l’expérience ecclésiale qu’ils ont connue et qui les a façonnés tels qu’ils sont. Quelquefois ils y ont trouvé la foi, souvent ils s’y sont "convertis", ils y ont retrouvé un souffle spirituel. La difficulté pour eux est de comprendre que l’Eglise est plus large que leur expérience de l’Eglise. Une chose est de se convertir pour vivre en chrétien selon sa grâce, autre chose est de devenir prêtre pour une Eglise aux diverses composantes.

Etre prêtre ce n’est pas seulement témoigner de son expérience. Même si on ne peut pas évacuer cette dimension du témoignage du ministère presbytéral, elle ne constitue pas à elle seule le ministère. Etre prêtre c’est aussi comprendre l’expérience d’autres personnes et les aider à progresser sur le chemin sur lequel Dieu les appelle. Pour cela il faut devenir libre par rapport à ce qui nous a marqué nous-mêmes sinon le risque est grand de vouloir faire suivre à tous les autres la même voie que nous.

L’accompagnateur doit donc aider les jeunes à accueillir leur expérience ecclésiale comme un don de Dieu mais aussi à ne pas l’absolutiser.

Enfin, il faut ajouter que le respect de la liberté des jeunes qui pensent au ministère s’impose d’autant plus qu’ils sont aujourd’hui moins nombreux. Il est très important que les diocèses créent un climat favorable aux vocations et fassent retentir l’appel. Mais il faut veiller en même temps à ce que des jeunes qui s’engagent dans une démarche ne ressentent pas comme une pression le fait que leur diocèse compte beaucoup sur eux. Cela ne faciliterai pas le nécessaire examen des questions légitimes qu’ils se posent et la liberté de leur discernement.

On ne devient pas prêtre sans la participation d’autres chrétiens. Tout au long de sa route, un jeune expérimente ainsi de multiples médiations (famille, communautés diverses, amis, prêtres...), elles peuvent être pour lui des obstacles, des freins, sources de crispations inconscientes ou au contraire des aides précieuses, signes de l’appel du Seigneur à sa liberté.

Les éducateurs, par leur écoute patiente, par leur questionnement, joueront un rôle décisif dans la manière de vivre le rapport à toutes ces médiations, sans oublier qu’ils en font eux-mêmes partie.

Reconnaître ses limites et son péché

Devenir libre c’est aussi apprendre à se situer de manière juste face à ses propres limites et à sa condition de pécheur.
  • DES LIMITES
Elles sont le fruit de ce que notre histoire personnelle comporte de lacunes, de pauvretés, voire de traumatismes.

Il est fréquent aujourd’hui d’entendre dire que beaucoup de jeunes sont blessés par la vie. Et c’est vrai que les conditions de la vie moderne, les difficultés familiales particulièrement, éprouvent fortement l’affectivité, la rendent fragile. Ces blessures ont plusieurs types de conséquences :
Elles peuvent conduire la personnalité à se replier sur elle-même, à chercher refuge dans un univers religieux consolant.
Elles peuvent aussi éveiller le désir de soulager des détresses semblables, de se mettre au service des hommes qui souffrent, qui sont traumatisés.

Les deux conséquences peuvent d’ailleurs aller de pair. Dans l’un et l’autre cas, il est urgent d’aider la personne à regarder en face ce qui l’a blessée, à l’accepter, à l’assumer, à le reconnaître paisiblement devant Dieu.

Ces blessures d’abord source de repliement peuvent devenir source d’ouverture. Les guérir en acceptant de laisser se poser sur elle le regard aimant de Dieu est tout à fait essentiel à l’éveil de la liberté. L’accompagnateur, par son attitude, est témoin de ce regard de Dieu. Il permet d’exprimer les blessures, de les reconnaître, de les situer. Le jeune alors apprend à aimer sa propre histoire, il comprend qu’elle est aussi source de dynamisme et pas seulement de déficit. Elle n’est pas un obstacle à la vie, mais au contraire un lieu d’où la vie peut jaillir.

Le jeune n’a pas besoin de se réfugier dans l’Eglise, mais celle-ci devient au contraire un lieu où il apprend à aimer paisiblement sa propre histoire et d’où il peut affronter la vie. Pour un futur prêtre, on saisit tout de suite l’importance de ces réalités. Il y va de la possibilité pour lui de ne pas rester enfermé dans l’Eglise mais de s’ouvrir à la mission et de susciter un dynamisme missionnaire dans la communauté dont il aura la charge.

Une autre conséquence de la blessure, nous l’avons dit, c’est d’éveiller le désir de soulager des détresses semblables. Mais on peut se retrouver soi-même dans la détresse de l’autre. Il peut arriver que des désirs sincères d’aider les autres relèvent en réalité d’un narcissisme inconscient. On cherche à se guérir soi-même en guérissant l’autre. Dès lors, il est très important, là aussi, de comprendre son histoire, de l’assumer, de l’aimer pour mieux l’objectiver et prendre par rapport à elle la distance nécessaire. Il y va pour le futur prêtre de sa capacité à s’ouvrir à une communauté diversifiée, à ses besoins multiples sans projeter en permanence ses propres questions sur ceux qu’il rencontre.

  • LE PECHE
Des limites mal acceptées entravent la liberté, le péché non confessé aussi.

Pour un futur prêtre, l’humble reconnaissance de son péché est essentielle à la qualité de son attitude pastorale. Elle évite les attitudes moralisatrices ou dures. Le prêtre est frère des chrétiens, serviteur pour eux du mystère du Christ. Sa liberté suppose qu’il se reconnaisse lui-même objet de la miséricorde qu’il annonce. C’est à ce prix qu’il entre en vérité en relation avec les gens dont il a la charge.

Conduire quelqu’un vers la liberté c’est donc pour une part le conduire à cette reconnaissance de sa vérité d’homme pécheur.

Il y a d’ailleurs de multiples manières de refuser cette vérité. Par exemple en n’acceptant pas de regarder en face tel ou tel problème, telle ou telle difficulté. On pense qu’ils vont disparaître comme par enchantement à partir du moment où on sera prêtre par exemple, comme si le fait d’avoir une fonction sacrée devait évacuer tout problème. On trouve ainsi des gens capables de s’aveugler longtemps avant de reconnaître la réalité et de la prendre en compte. Faire apparaître ces questions est libérateur. Un vrai discernement spirituel ne peut se réaliser qu’à ce prix.

L’importance de cette acceptation en profondeur de soi-même pour un engagement au célibat n’échappe à personne. Si elle se réalise mal, c’est la qualité des relations qui s’en ressent. On risque alors d’avoir affaire à un homme non pacifié intérieurement, maîtrisant mal sa sensibilité, perpétuellement en réaction vis-à-vis de ce qui lui arrive, acceptant difficilement les autres, avec toutes les conséquences que cela entraîne dans la manière de vivre son affectivité et sa sexualité.

Au contraire, celui qui a reconnu ce qu’il est devant Dieu, évalue mieux ses propres forces, comprend la différence comme une richesse, facilite la parole de l’autre. Quand il fait le choix du célibat, il l’expérimente comme une autre possibilité d’aimer.

Sur ce plan de l’affectivité et de la sexualité, il est nécessaire de permettre au jeune la parole pour qu’il puisse objectiver ce qu’il vit, se sentir accueilli dans ses difficultés et sa recherche, exprimer son désir avec ses ambiguïtés et sa vérité profonde. Grâce pour une part à une écoute patiente, il devient libre pour aimer.

Il peut arriver que des blessures provenant de conflits familiaux ou bien telle ou telle expérience vécue dans l’enfance ou dans l’adolescence l’ait marqué en profondeur plus qu’il n’y paraît, ou qu’il ne le croit lui-même. Faire venir au jour une souffrance, une culpabilité, avec la délicatesse nécessaire n’est jamais du temps perdu, au contraire. Cela permet peu à peu de prendre la juste mesure du traumatisme, de le situer plus objectivement devant Dieu dans une histoire, d’écarter ce que la culpabilité peut avoir de morbide, de mieux évaluer les conséquences et ainsi de voir s’il est prudent ou non de s’engager dans le célibat. De toute manières, c’est un chemin de liberté. Bien des crises survenues parfois beaucoup plus tard s’expliquent du fait que ce travail n’a pas pu être réalisé en son temps.

Purifier le dynamisme spirituel

Devenir libre c’est aussi reconnaître les ambiguïtés d’un dynamisme spirituel pour le purifier progressivement.

Au point de départ d’une vocation, il y a souvent un désir fort, mélange d’une grande générosité et d’une certaine crispation de la volonté. "Je veux devenir prêtre" ; dans ce "je veux" peut s’exprimer la certitude absolue de celui qui vient de découvrir que Dieu l’appelle et qui est tellement investi dans son projet qu’il supporte mal un conseil de patience, de prudence.

Le travail de l’éducateur va consister à aider à "se déprendre", à découvrir qu’on ne peut dire "je veux" que si on a d’abord posé la question : "Que veux-tu de moi ?". C’est un des plus beaux moments dans la tâche d’un formateur que celui où un futur prêtre devient capable de dire : "Je désire du plus profond de moi-même devenir prêtre, mais ce désir je le remets entre les mains de Dieu". Celui qui peut dire cela comprend expérimentalement qu’être libre selon l’Evangile, c’est faire la volonté de Dieu.

Cela suppose évidemment la découverte de la médiation de l’Eglise qui transmet l’appel du Seigneur. Dieu m’appelle mais ce n’est pas seulement une affaire entre lui et moi. Il me parle par l’Eglise. Non seulement celle-ci m’invite, me porte dans la prière, me soutient dans ma démarche, mais elle juge aussi de mes aptitudes et de la qualité de mon désir.

Devenir prêtre c’est se mettre au service du peuple de Dieu pour y représenter le Christ-Pasteur. Qui pourrait s’attribuer à soi-même cette charge ? Il faut la recevoir comme un don. C’est dans un long dialogue avec l’Eglise qu’un futur prêtre vit cette dimension essentielle de sa vocation : dialogue de confiance, dialogue exigeant qui invite à la conversion pour se rendre chaque jour un peu plus apte à mieux servir.

La liberté croît peu à peu dans ce dialogue : celui-ci se réalise sur le terrain pastoral avec les laïcs et les prêtres avec lesquels les séminaristes vivent une expérience d’Eglise. Il se réalise au séminaire avec les autres séminaristes et avec les formateurs représentants de l’évêque qui, finalement, appelle au nom du Christ.

Dans ce jeu complexe de relations, un futur prêtre apprend que la vraie vérité consiste à recevoir l’appel de Dieu comme un don, à travers la médiation d’autres personnes, signes de l’appel de Dieu ; la reconnaissance de leurs rôles divers et complémentaires construit un homme libre, capable de dialoguer et de travailler avec d’autres dans le respect de la diversité des fonctions et des ministères.

On le voit, cette attitude engage l’avenir. Elle est d’autant plus importante qu’aujourd’hui les jeunes sont "travaillés" par une quête d’identité. La crise des vocations, la perspective du petit nombre des prêtres dans les années à venir, la difficulté de l’accueil de la foi aujourd’hui, le caractère minoritaire de l’Eglise dans le monde, la transformation des relations prêtres-laïcs, autant d’éléments qui peuvent dynamiser mais aussi troubler quelqu’un qui désire consacrer toute sa vie à l’annonce de l’Evangile.

Il est difficile aujourd’hui d’être à la fois enraciné dans la Tradition et ouvert à l’avenir, ferme dans ses convictions et capable de dialoguer avec tous. On peut voir se développer des attitudes de fuite en avant ou de peur ; on ne sait plus bien alors qui on est, on est tenté par des compromissions pour que l’Eglise garde la confiance du monde ; on hésite sur les responsabilités propres au ministère presbytéral. C’est une manière de perdre sa liberté.

Mais on voit aussi naître des attitudes de crispation ; à force de vouloir affirmer son identité on finit par devenir rigide ; à force de vouloir manifester la visibilité de l’Eglise on peut devenir envahissant voire provocateur ; à force de prononcer des certitudes on peut rebuter celui qui cherche. C’est une autre manière de ne pas être libre. Car la vrai liberté est patiente, elle accepte la lenteur des cheminements, elle reconnaît la nécessaire progression dans l’appropriation de la foi, elle ne se laisse pas ébranler par des positions différentes, elle les accueille au contraire pour entrer dans un dialogue vrai.

Aider à construire des hommes de conviction mais en même temps accueillants, qui ne procèdent pas par exclusion mais qui maintiennent le dialogue ouvert, est une des tâches les plus belles et les plus urgentes auxquelles sont confrontés les formateurs aujourd’hui. Il y va de la qualité de l’esprit missionnaire et du sens de la communion dans l’Eglise.

Dans cette éducation, beaucoup d’éléments entrent en ligne de compte : l’apprentissage d’une certaine confiance en soi et aussi de la confiance en l’autre et en l’Eglise ; la formation au sens de 1’histoire qui permet de ne pas absolutiser ce qui est relatif : l’acceptation d’une vraie confrontation avec les autres.

Le risque en effet est grand de juger trop vite et trop brutalement de telle ou telle méthode pastorale, de décider par avance et de manière trop exclusive de ce qu’on fera quand on sera prêtre. On projette ainsi sur l’avenir une certaine image du ministère qui n’est pas suffisamment confrontée à la réalité, qui est parfois plus inspirée par l’insécurité que par un véritable sens du ministère presbytéral.

Dans cette ligne, on ne dira jamais assez l’intérêt d’un travail intellectuel rigoureux où le futur prêtre accepte de se confronter avec ses propres questions sur la foi et les questions du monde qui l’entoure. Sur ce point comme sur les autres, la politique de l’autruche est néfaste. La foi vit aussi de l’intelligence qu’elle prend d’elle-même dans un travail exigeant où s’élabore peu à peu une Parole vivante, fruit de la confrontation entre la Parole de Dieu et les questions humaines. On sait bien que les réponses trop vite données cachent souvent l’insécurité de celui qui les énonce. La vraie réponse, celle qui satisfait à la fois l’esprit et le cœur ne peut prendre corps que si l’interrogation a été loyalement prise en compte. La possibilité d’un dialogue fécond avec ceux qui ne croient pas ou qui croient autrement que nous est à ce prix.

En décrivant peu à peu tous ces obstacles à la liberté, en montrant les différents seuils à franchir, on suggère que le progrès dans la liberté se vérifie au progrès dans l’amour  : amour humble de soi-même, tel qu’on est, avec ses limites et ses richesses pour répondre chaque jour un peu mieux à l’appel du Seigneur ; amour de l’Eglise où nous recevons le don de la foi et le don de la vocation, amour de l’Eglise telle qu’elle est avec son dynamisme et ses pesanteurs ; amour reconnaissant envers tous ceux qui ont été pour nous témoins de l’invitation du Seigneur à servir ; amour des hommes au service desquels nous désirons nous mettre ; amour des hommes tels qu’ils sont, avec leurs espérances, leurs pauvretés, leurs refus. C’est bien à la qualité de cet amour que nous vérifions la disponibilité d’un futur prêtre à servir ; amour qui s’enracine dans l’amour du Père pour les hommes et dans l’expérience que chacun en fait à son propre égard.

C’est peut-être là, en définitive, que s’effectue le plus profondément l’éducation à la liberté ; s’il est vrai que la liberté selon l’Evangile est disponibilité pour aimer, celui qui fait dans l’Eglise l’expérience de l’amour du Père devient chaque jour un peu plus libre pour aimer les autres, et donc pour servir.

Tel est le creuset véritable où se forge cette charité pastorale dont nous parle le Concile Vatican II, et qui qualifie les prêtres pour leur ministère : la relation au Seigneur devient ce lieu où prêtres et futurs prêtres rencontrent et aiment les hommes qu’ils ont et auront à servir. Elle est aussi ce lieu où ils peuvent recevoir le célibat comme un don et s’y engager par amour.

Il reste alors à vérifier comment cet amour est concrètement exprimé, pour qu’il ne soit pas seulement un rêve ou un beau sentiment.