A l’écoute de la brise légère


ACCOMPAGNEMENT PERSONNEL ET EXPERIENCE SPIRITUELLE

André METZ,
jésuite, membre de l’équipe du S.D.V. de STRASBOURG

Au cours de son ministère, André METZ a eu l’occasion d’accompagner personnellement de nombreux jeunes en recherche de vocations. Un travail en profondeur, au cœur d’une rencontre entre la liberté humaine et les sollicitations de l’Esprit...

Avant l’ordination d’un prêtre, l’évêque demande si le candidat a les "aptitudes requises". Le responsable de formation l’affirme, sur la foi de "chrétiens qui ont été consultés" et de personnes "à qui il appartient d’en juger". On a donc délibéré sur les aptitudes d’un jeune, sur sa maturité humaine, spirituelle, ecclésiale... Or le directeur spirituel qui connaît le jeune "au for interne" n’a pas eu droit au chapitre, avec raison.

Pourtant c’est cet accompagnateur de la vie spirituelle du jeune qui le connaît le mieux ; il a été le témoin de l’Expérience Spirituelle, vécue au cœur du jeune. Lui, a été introduit au secret d’une conscience où ont été entendus les appels de Dieu et les réponses du jeune homme ; il a assisté à la naissance de ce dernier, à lui-même et à sa mission : peu à peu la prise de conscience est arrivée au constat clair qu’il y avait vraiment correspondance entre le désir du jeune et le fond de lui-même, en cet espace où l’Esprit sollicite et révèle. On mesure alors combien est précieux ce service d’accompagnement spirituel.

Aider à construire la vie à partir de l’expérience spirituelle

Accompagnateurs de jeunes en recherche de leur vocation, nous sommes comme les prédécesseurs des directeurs spirituels des séminaires et noviciats. Nous ne sommes pas des orientateurs professionnels, chargés de tester des candidats sur leurs aptitudes humaines, intellectuelles ou psychologiques, à une fonction ou à un état de vie, dans l’Eglise. Certes, nous avons à prendre en compte et à favoriser le développement des potentialités des accompagnés, surtout quand ils nous arrivent très jeunes, car sans développement et affirmation de l’être, pas de vie spirituelle, sinon pâlotte ou dénaturée. Nous avons donc à nous situer au niveau de L"EXPERIENCE SPIRITUELLE du jeune. Nous croyons que l’unité d’un être et d’une vie, spécialement appelé par Dieu, se situe justement à cette profondeur. Nous sommes persuadés que si nous négligions de nous situer à ce niveau, pour aider le jeune à voir clair, à entendre juste, et à construire sa vie à partir de ces prises de conscience, tôt ou tard (à moins de corrections ultérieures) nos jeunes séminaristes, prêtres ou consacrés vivraient un déchirement intérieur entre leur être réel et la vie quotidienne qu’il leur faudrait assumer.

Nous avons donc à aider les jeunes, autant que faire se peut, a vivre toute la densité de leur expérience spirituelle. Ce n’est pas peu !

Expériences spirituelles initiales et diverses des jeunes

La chance qui nous est donnée, c’est qu’en général, dès la première rencontre, le jeune nous conduit bel et bien à l’essentiel, à son expérience personnelle. Avec une simplicité sans doute plus grande que ses devanciers, chacun parlera avec ses mots, pour exprimer ce qu’il éprouve - le temps du vocabulaire stéréotypé et bien huilé a fait son temps !

  • L’un dira, très déterminé : "Je me suis converti en telle occasion, à tel jour, et voilà ce qui s’est passé entre Dieu et moi : une certitude de sa présence, une relation forte avec Lui, une joie, un émerveillement de son amour pour moi ; une sortie de l’anonymat, de la banalité, de la petitesse de vie, par la découverte d’une densité d’existence extraordinaire ; puis, la montée d’un désir irrépressible : aimer Dieu, aimer le Christ en retour, le servir de toute mon âme, de toute ma vie !". C’est claudelien : "Dieu existe ! Il m’aime ! Il m’appelle !".
    La demande : "Il me faut trouver ma vocation précise, vérifier ce qui m’arrive !"
  • Un autre ne connaît pas cette brûlure du buisson ardent. Il n’a vécu qu’au cœur d’un peuple en exil dont il se sent solidaire et lui-même ne se situe qu’à la frange de l’Eglise. En lui, trois mouvements dominent : la passion tenace et active d’aider les gens dans leur misère ; un malaise, une douleur de ne pas pouvoir leur ouvrir la porte de la véritable espérance ; la certitude que l’Eglise de Jésus-Christ possède la nourriture spirituelle capable d’accomplir sa vie et celle de ses frères humains. Expérience spirituelle comme en creux ! Appel, mais pas encore capacité de réponse !
  • Il demandera beaucoup : la découverte du Seigneur, d’un Evangile à vivre, d’une Eglise qui fait vivre, de sa place de serviteur auprès de ses frères les hommes, dont la misère universelle lui colle à l’âme.
  • Un troisième jeune, lui, arrive du cœur (chœur) de l’Eglise, comme dans la foulée de son vécu habituel : il participe à un groupe chrétien (scout, M.E.J., animation du culte, groupe de prière, Action Catholique...). Il a vécu des temps forts. Or malgré toutes les lacunes du groupe qu’il relève lucidement, il aime "faire Eglise" avec d’autres, réfléchir sa foi, vivre des expériences chouettes qui le regonflent et le relancent dans l’action. Déjà il anime des groupes de servants de messe, de profession de foi...
Son expérience spirituelle, c’est cette vie chrétienne et la conscience d’un appel - plus ou moins fort, quelquefois oublié ou refoulé - appel à se mettre tout entier au service de l’Eglise, pour faire vivre les chrétiens davantage de foi et d’amour, pour aider cette Eglise à aller vers les hommes. Il arrive d’ailleurs qu’à ce jeune quelqu’un ait posé la question : "Tu n’y as jamais songé... ?"

 

Sa demande : il faut causer de tout cela et aussi approfondir certaines questions qui déjà le retiennent : l’engagement à vie, la solitude, le célibat...

Que ferons-nous de ces expériences ainsi livrées ?

Pour les jeunes ces expériences initiales sont infiniment précieuses ; elles constituent la Vie de leur vie, et ils sentent que là se trouve le terrain vivant de la construction de leur avenir. Ils demandent d’être bien "entendus" quand ils viennent se confier. Cette exigence est si radicale chez certains que si leur Eglise ne les comprenait pas, ils seraient prêts à passer à la secte.

Accueillir la personne et sa découverte

Il nous faut donc d’abord ACCUEILLIR la personne du jeune et sa découverte. Une gentillesse naturelle n’y suffira pas. Cela demande une écoute, une attention respectueuse, un véritable amour. Or ceci n’est possible, et digne de l’histoire sainte qui s’ouvre à nous, que par une préparation dans la prière, par un regard de foi, exercé par avance. Il faudra ne pas craindre des plages de silence, avec des "si j’ai bien compris" ou la reprise, comme en écho, de la dernière phrase dite, pour permettre une nouvelle prise de conscience et un approfondissement du récit.

Dans ces dialogues est nécessaire une intuition spirituelle qui saisisse ce qui n’est dit qu’à mi-mot, et aussi cette bienveillance qui interprète en positif tout ce qui pourrait être compris autrement, sans oublier le souci permanent de la vérité qui rend libre.

Situer l’expérience dans l’ensemble d’une vie

Ces expériences spirituelles demandent toujours d’être situées dans l’ENSEMBLE D’UNE VIE. Nous explorerons donc l’entourage de la vie du jeune : son milieu, sa famille, ses racines, ses diverses relations, sa vie de travail, ses manières de vivre et de réagir aux événements de sa vie et de la vie du monde plus ou moins proche...

Déjà nous apparaîtra un visage intérieur plus nourri. Sans doute découvrirons-nous quelques jeunes dont la vie humaine et chrétienne s’est construite de façon harmonieuse et étoffée. Nous serons émerveillés de contempler en tous des pans de vie d’un style très évangélique, très vigoureux et chaudement humain. A certains moments, ils nous apparaîtront comme directement enseignés par l’Esprit tellement leurs pensées ou réactions sonneront bibliquement juste, sans qu’ils n’aient jamais rien lu ou entendu de ces sujets. Mais nous découvrirons souvent des constructions bancales : manques de pierres d’angle, de colonnes, de charpente, de ciment ; des murs entiers ne nous offriront que des vides béants !

Prendre grand soin des carences humaines

Nous voilà souvent en présence de carences humaines importantes, de beaucoup d’ignorance religieuse, d’une vie chrétienne plus ou moins harmonieusement vécue, et d’une richesse spirituelle unique, plus ou moins affirmée, la certitude "le Seigneur m’a appelé". Ceci peut fort bien cohabiter. Que le Seigneur choisisse "ce qui est faible pour confondre ce qui est fort" est même assez dans les mœurs de Dieu. S’il fallait qu’il n’appelle que des êtres harmonieux, Il attendrait longtemps !

Un mot sur les carences et les fragilités humaines. Ce monde sans repères, des familles éclatées, des enfances malmenées... cela donne des êtres aux plaies souvent profondes. Or aucune expérience spirituelle, même très authentique, ne tiendra sur un terrain humain instable ou miné. Il faudra en prendre grand soin.

"Le Seigneur m’a appelé" : bien l’entendre !

Nous passerons du temps à soupeser le poids de cette "certitude" : "le Seigneur m’a appelé", écoutant la tonalité de cette voix du Seigneur, en goûtant la force et la chaleur (le contenu précis si elle en possède un), pour rendre grâces et y trouver un tremplin pour l’avenir. Habituellement, le jeune n’en dira pas grand chose, sinon que "cela s’impose à lui". Attention au danger de nous laisser enfermer dans cette expérience spirituelle passée, comme en un moment de paradis perdu ! Dieu est fidèle, ses paroles perdurent de manière dynamique dans l’homme. Même si la prise de conscience est ponctuelle et inattendue, la parole est incarnée, elle est chair et sang dans le jeune, enfouie au plus profond pour soulever la pâte humaine.

Introduire davantage dans le mystère du Christ

Après le premier appel, Jésus se mit à instruire les apôtres longuement. Nous ferons de même, pour combler l’ignorance religieuse et dynamiser la vie chrétienne. Il faut introduire dans LE MYSTERE DU CHRIST : faire découvrir le vrai visage de Dieu et de l’homme, de la vie quotidienne et des sacrements, introduire à la méditation de la Parole, faire découvrir l’importance de la solitude un peu longue avec le Seigneur... Des sessions, des retraites à base de théologie spirituelle et biblique, dans un climat ecclésial aideront à développer la foi. Le groupe de recherche y aidera beaucoup. Tout ce qui fait grandir la foi, une foi saine et intelligente apparaît important.

Il y a encore trop de devoirs à accomplir, de règles morales à observer, coupés de leur Source, le Dieu de lumière et d’amour. Par la foi, accueil de la Révélation, la lumière de Dieu brillera sur toute chose ; par elle s’établira une relation forte et dynamique entre le Christ et le jeune.

La prise en compte du vécu

Bien sûr, à quoi sert la foi, si elle n’opère pas par la charité (St Paul, St Jacques) ? Certes elle éclaire le chemin, mais seul celui qui s’engage sur la route, en expérimente la vérité, celui-là "entre dans l’expérience spirituelle : il devient vivant intérieurement. Sa foi éclairera son vécu qui augmentera sa foi. Il connaîtra le Seigneur toujours davantage, il le servira toujours mieux. Il deviendra solide, convaincu, témoignant, il aimera vivre d’amour-don-de-soi, dans la force et la joie de la foi. Ces convictions sur l’importance du vécu de la foi, nous obligeront à nous interroger : les exigences évangéliques s’incarnent-elles dans le quotidien du jeune ? quel esprit l’anime ? quelles sont ses initiatives ? a-t-il rejoint le groupe de jeunes dont nous avions parlé ensemble ? Bien sûr, de nos jours, il est difficile de dégager le temps nécessaire à la formation et à l’engagement chrétiens ! Un minimum semble pourtant nécessaire !

Il est vrai, d’un entretien à l’autre, nous n’aurons bien souvent qu’à relire les événements banaux de l’existence. Mais rien n’est banal ! La chance qui nous est donnée, c’est que le Seigneur nourrit tout homme qui a faim, c’est-à-dire tout être de désir qui se laisse provoquer par ses paroles. Il n’y a pas d’épluchures dans la cuisine du Bon Dieu. Tout est manne précieuse sur le chemin qui mène vers Lui.

Le travail sur les motions intérieures

Le jeune, vivant de sa foi, éprouvera inévitablement de fortes motions intérieures : de joies, des consolations, des attraits... aussi des peurs, des dégoûts, des impatiences, des découragements... A ce stade, qui peut commencer très tôt dans nos entretiens, nous soulignerons l’importance de ces états et mouvements intérieurs, de ces signes par lesquels parle Celui qui gouverne l’homme essentiellement par le cœur. Le jeune notera ce qui se passe en lui, pour en parler régulièrement. En rencontre, dans le respect infini de sa liberté, nous aurons à l’aider à prendre conscience des messages contenus dans ces signes. Nous serons là, pour lui permettre l’expression et une meilleure prise de conscience, pour poser une question ou souligner un mot qui amènera à forer plus profond, pour souligner une réaction passée inaperçue et peut-être importante, pour oser une attitude du Christ ou une phrase de l’Evangile et attendre la réaction, pour faire le lien entre certaines expressions... Il ne sera pas toujours facile d’arriver à l’attention aux profondeurs : l’agitation de surface, l’habitude de vivre à l’extérieur de soi-même, ont décollé l’homme de son monde intérieur. Une retraite ignatienne de cinq jours d’apprentissage à discerner les esprits, sera d’un grand secours. Elle aidera le jeune, non à se laisser flotter pendant quelques jours dans une ambiance priante, mais, grâce à une certaine rigueur, à apprendre de manière active la méditation personnelle, à devenir plus attentif aux motions intérieures, à déchiffrer le sens de ces signes, et à commencer à pouvoir s’orienter selon les choix de Dieu.

"Cette fois-ci, j’ai compris qu’il me faut travailler sur moi-même, pour savoir ce que Dieu attend de moi" disait un jeune au retour de la retraite. Mieux entrevu, le travail peut reprendre. Souvent il faudra beaucoup de temps pour saisir les"constantes", les attraits de "qualité supérieure" ou d’un "fruité particulier"..., pour que le jeune arrive à la décision du choix de vie. Quelquefois le jeune veut aller trop vite. Il faudra toujours confronter les attraits intérieurs avec les fruits spirituels du vécu. Il faudra le rapprochement réaliste de la vie future que le jeune envisage, avec le désir qui l’habite : mon désir de devenir prêtre, face à la vie concrète du prêtre aujourd’hui ; le désir de devenir religieux face aux vies de religieux vécues aujourd’hui... Important d’observer les effets produits dans ces deux expériences !

La retraite de choix de vie

C’est la retraite de choix de vie, souvent après une ou deux années d’accompagnement personnel, qui portera l’expérience spirituelle à son niveau supérieur et déterminant. Les exercices spirituels de retraite aideront le jeune, autant que faire se peut, à être purifié de toute recherche de lui-même, en totale disponibilité au Seigneur, en grande sensibilité à Jésus-Christ et à ses désirs même crucifiants sur lui.

Ils l’établiront en cette liberté intérieure unique, où "Dieu se communique lui-même à l’âme" et "lui fait sentir ce qui le servirait le mieux" (St Ignace). Il lui sera donné de choisir librement ce que Dieu choisit pour lui, avec lui. Les signes de confirmation en seront la paix, la joie, le courage, la force venant de Dieu.

Dieu n’était pas dans l’ouragan ou la tempête, mais dans la "brise fine" éprouvée au creux du rocher. Expérience spirituelle d’hier et d’aujourd’hui, pour les hommes d’hier et d’aujourd’hui ! Expérience spirituelle si centrale à l’être, si inoubliable, que le bénéficiaire doit s’y conformer, s’y identifier, s’il veut demeurer fidèle à lui-même et à son Dieu.
Parole de Dieu inscrite tellement dans les fibres mêmes de l’être qu’elle unifie tout l’être et contient déjà la capacité d’y répondre demain. "Celui qui a l’épouse, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il l’écoute, et la voix de l’époux le comble de joie. Telle est ma joie, elle est parfaite. Il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue". Délicate, exigeante et nécessaire mission de l’accompagnateur !