Oui, c’est possible


Passionné pour une recherche de vocations, aujourd’hui oui, c’est possible.

Paul DESTABLE,
prêtre, responsable du SDV de CLERMONT FERRAND

"Quelles sont les potentialités et les difficultés rencontrées chez les jeunes qui, aujourd’hui, portent explicitement un projet de vocation ?" Ma réponse n’est pas une analyse globale mais un témoignage.
Comme la plupart des Services Diocésains des Vocations, nous ne rencontrons que quelques jeunes chaque année. A partir d’un si petit nombre il est bien difficile de dégager des traits communs. Ce qui revient en premier à l’esprit ce sont plutôt des visages précis, d’autre part, même en se limitant aux plus de 18 ans, nous rencontrons de grands écarts quant à l’âge : jusqu’à trente ans et parfois plus, ce qui correspond à des étapes très différentes de la vie.
Je pense qu’il est bien difficile de distinguer nettement ce qui est potentialités et difficultés. Il y a plutôt un rapport complexe entre les unes et les autres dans chaque aspect de la vie des jeunes. Les convictions que nous nous sommes forgées ou les attitudes que nous avons adoptées comme accompagnateurs (un prêtre et deux religieuses) sont également un indice de ce qui peut favoriser ou faire obstacle à une recherche de vocation.

LA SITUATION SOCIALE ACTUELLE

Difficultés :

En fait, parmi les jeunes rencontrés dans le groupe "Recherche" très peu sont marqués directement par la précarité sur le plan professionnel mais le contexte les marque beaucoup. A juste titre ils prennent très au sérieux la question de l’avenir professionnel. Pour ceux qui ont un travail stable c’est avec beaucoup d’inquiétude qu’ils envisagent un arrêt de leur activité.

Chez les plus de 25 ans, j’ai rencontré beaucoup de gens endettés, coincés par des questions de crédit à rembourser. Depuis quelques temps, nous sommes amenés à donner ce conseil : "Règle toutes tes dettes avant d’entrer en formation". Cette situation s’est présentée cinq fois cette année.

Les trois quarts des personnes accompagnées ont déjà pris des habitudes d’autonomie par rapport au logement, aux finances, etc. Lorsqu’ils envisagent de continuer une recherche ou d’entrer en formation, des questions apparaissent qui peuvent sembler très matérielles mais, qui en fait, bousculent profondement. Il leur est parfois dur d’envisager une certaine rupture : "est-ce que je pourrai garder la maison ou l’appartement que je viens d’acheter ?... est-ce que je pourrai entretenir une voiture ?"

En ce qui concerne le travail lui-même, il est nécessaire de distinguer entre ceux qui ont un travail intéressant et ceux qui ont une profession qui n’a pas beaucoup d’intérêt pour eux.

Potentialités :

Ces difficultés, ce contexte peu favorable ne font que mieux ressortir l’audace de ces jeunes, dans leur désir de répondre à un appel du Seigneur. C’est un fait, malgré tout, des jeunes qui ont un travail stable et d’autres qui sont engagés dans des études intéressantes, trouvent quelque chose de passionnant dans le ministère ou la vie religieuse.

Cela surprendra peut-être le lecteur mais personnellement je ne m’y habitue pas. Je suis toujours surpris quand je rencontre cette fille, professeur dans un L.E.P. , passionnée par son travail et qui envisage la vie religieuse, ou ce gars très doué dans ses études artistiques, qui prend très au sérieux la question du ministère.

Etre au service des vocations suppose de garder une capacité d’émerveillement en face d’un jeune, d’un adulte qui s’interroge sur qu’il va faire de sa vie, comment il pourrait répondre à l’appel de Dieu. Même si personnellement, j’ai eu à vivre un tel choix, je reste toujours impressionné quand je rencontre d’autres personnes en train de le faire.

Au général, ils ont plutôt du mal à apprécier comment leur expérience professionnelle, les épreuves traversées ou bien leur formation humaine peuvent être déjà un élément de leur formation à la vie religieuse ou au ministère. Nous, accompagnateurs, avons toujours pensé important de les amener à approfondir cette question.

LA FAMILLE

Potentialités :

Même lorsque la famille n’est pas d’accord avec le projet, elle joue en fait un rôle capital. Je ne fais ici que rappeler une évidence : la famille a un rôle déterminant dans la structuration humaine des jeunes en recherche. Pour qu’un tel projet soit porté valablement et qu’une décision soit prise pour une entrée en formation, nous avons à discerner :

- la capacité à entrer en relation avec d’autres

- la capacité à durer dans une réflexion, des engagements

- la capacité à prendre, tenir et partager des responsabilités

- un rapport au réel qui soit sain (ne pas fabuler)

Il est bien évident que la vie en famille a tenu une grande place dans l’éclosion de ces capacités. Personnellement j’ai toujours invité les jeunes à ne pas prendre des décisions brusques par rapport à leur famille.

En ce qui concerne le foi, le rôle de la famille varie beaucoup. Dans la plupart des cas rencontrés, ce rôle a été très positif, j’ai même entendu cette belle expression de la part d’un jeune qui est maintenant religieux :

"Je n’ai pas fréquenté le catéchisme mais ma mère m’a fait découvrir l’Evangile."

Difficultés :

En fait, les familles même croyantes ont souvent fait des difficultés. Durant le temps de recherche, nous avons toujours respecté une grande discrétion car certains mettent beaucoup de temps à en parler, même à leur famille proche. Ces difficultés ont plusieurs causes : indifférence religieuse, peur du célibat (ne pas avoir de petits enfants), peur de voir leur fils ou leur fille prendre des risques sur le plan de la situation sociale.

Il me semble qu’une note particulière est à apporter concernant la vie religieuse féminine. Dans presque tous les cas que je connais, le choix de la vie religieuse a été vécu douloureusement par la famille et plusieurs fois il a entraîné des ruptures. Cela n’est pas nouveau, surtout en ce qui concerne la vie monastique. J’ai rencontré des religieuses de plus de 80 ans qui me racontent des choses semblables.

Cette question de la famille est certainement celle où il est le plus difficile de distinguer difficultés et potentialités. Il y a plutôt un rapport dialectique entre les unes et les autres.

- En effet, les questions posées, les objections soulevées par la famille et portant sur tous les points (vie affective, célibat, situation professionnelle, avenir, etc.) sont en fait une occasion de mûrissement. Cela est parfois dur à vivre et je connais des jeunes pour qui cela a été un affrontement durant plusieurs années. Au bout du compte je pense que ces difficultés provoquent à donner une réponse plus libre, plus responsable, plus réfléchie.

A l’inverse lorsque des parents sont heureux de la vocation de leur fils ou de leur fille, ne serait-il pas bon qu’ils gardent un certain recul ? Je ne suis pas absolument sûr que le fait que des parents explicitent trop leur joie durant le temps de la recherche et de la formation soit un élément favorable.

Chaque histoire individuelle, chaque cheminement a quelque chose d’unique. Il faudrait donc ajouter quelques nuances à cette question que je viens de formuler sous forme de paradoxe.

INSERTION DANS l’EGLISE

Difficultés :

Le faible impact de l’Eglise auprès des jeunes. Lors de la venue du pape dans notre région Centre-Est, la plus grande partie des réponses renvoyées par les jeunes reflétaient cette interrogation : l’Eglise existera-t-elle en l’an 2000 ?

En fait, si on regarde de plus près les réponses elle varient suivant que les jeunes appartiennent ou non à un mouvement.

Je pense que cette confiance au présent et à l’avenir de l’Eglise est la question n° 1 concernant les vocations. On ne monte pas dans un bateau si on pense que celui-ci est en train de prendre l’eau.

Malgré l’importance que jouent les mouvements et les communautés chrétiennes dans l’appel et le soutien des vocations, il faut reconnaître que dans certains cas ce rôle est à peine perceptible. Pour certains je me suis toujours demandé : "comment cette question a-t-elle bien pu surgir dans sa vie ?" Humainement je ne vois pas quel aspect de la réalité ecclésiale a pu intervenir.

Potentialités :

Ceux qui ont vécu dans un mouvement ou une aumônerie qui les a forgés comme jeunes et comme croyants, ont une image beaucoup plus consistante de ce qu’est l’Eglise, le ministère, la vie religieuse.

Récemment un jeune de 28 ans qui n’avait toujours eu de contacts qu’avec sa petite paroisse, était tout surpris de découvrir que dans l’Eglise il y avait des tensions. Cela remettait en cause une conception idéaliste de l’Eglise qu’il avait jusqu’alors et, par contre coup, interrogeait profondément sa vocation. Je pense qu’une autre personne ayant vécu plus intensément une communauté d’Eglise n’aurait pas eu cette réaction.

Dans le groupe "Recherche-Vocations" nous proposons quatre piliers :
1. Etre inséré ou chercher à s’insérer dans un groupe d’Eglise
2. avoir un accompagnateur personnel
3. participer au groupe "recherche" (une fois par mois)
4. vivre l’étape du "viens et vois" (rencontrer une communauté religieuse ou une équipe sacerdotale).

Même si l’insertion dans un groupe d’Eglise nous paraît prioritaire, nous pensons qu’un groupe "recherche" est nécessaire : en effet il n’est pas évident pour un jeune de partager une question de vocation dans une équipe de révision de vie ou dans tout autre équipe. Il peut déjà avoir mûri cette question avant de la partager

Comme service des vocations nous avons à être des compagnons de route. En permettant à des jeunes d’expliciter leur vocation, d’avoir un lieu où ils expriment librement leur désir de vivre le ministère ou la vie religieuse, nous leur permettons de passer du rêve à la réalité et pour certains, de la peur à la confiance.

Plusieurs fois, j’ai entendu des gars me dire : "il y a longtemps que je pensais être prêtre mais je croyais que je n’étais pas assez doué pour cela". Notre rôle d’accompagnateur est un service rendu au nom de l’Eglise.

Une des convictions qui nous anime, c’est de toujours baser la recherche sur une expérience fondatrice de vie avec le Christ. Chaque année nous prenons comme toile de fond l’Evangile de l’année. Nous le présentons au début puis nous y revenons plusieurs fois lors des rencontres.

RAPPORT AUX PERSONNES DEJA ENGAGEES

Je ne rencontre pas chez ces jeunes la volonté de reproduire un modèle. Par exemple nous sommes peu souvent interrogés par eux. D’autre part, nous ne sentons pas qu’il y ait chez eux tel prêtre, tel religieux, telle religieuse qu’ils tiendraient à imiter. Cela me paraît plutôt bon pour créer un espace de liberté. En même temps cela pose des questions d’enracinement. L’histoire ne commence pas avec nous.

Oui, il est bien difficile de "trier" les difficultés et les potentialités, et ce n’était pas mon intention.
Pour conclure, j’ai simplement envie de rappeler une conviction : aujourd’hui le Seigneur appelle, et un témoignage : je rencontre des jeunes gui sont bien de leur époque par leur formation, leurs études, leur mentalité et qui portent en eux la question du ministère ou de la vie religieuse. Alors, au-delà des analyses bien nécessaires, je me dis : oui, c’est possible.