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A cause du Christ et de l’Evangile
A PROPOS DES VOCATIONS DANS LA COMMUNAUTE DU CHEMIN NEUF
Jean-Hubert THIEFFRY,
de la communauté du CHEMIN NEUF,
médecin, en formation théologique et biblique à plein temps
Comme l’exprime le témoignage de Jean-Hubert, c’est aussi à travers un terreau communautaire que peut s’exercer une recherche de vocation...."JEUNES ET VOCATIONS" me demande ce qui appelle ou, à l’inverse, ce qui peut être "points de résistance" à un engagement dans l’Eglise au sein de la Communauté du CHEMIN NEUF.Il m’a semblé plus juste de ne pas me limiter à ceux qui se préparent à un ministère ordonné, car pour eux, cet appel s’articule avec ce que vivent les autres membres de la Communauté. Cela m’a donc valu d’interroger des couples, des célibataires, hommes et femmes, et bien sûr de provoquer un échange entre ceux qui se préparent au ministère presbytéral.Je vais donc rapporter ici :
ce qui amène la plupart à s’engager dans la Communauté
la nature des résistances les plus fréquentes
puis dans un troisième temps je préciserai ce qui concerne spécifiquement les vocations presbytérales.Les quelques lignes qui suivent ne sont pas des paroles définitives. La Communauté est en "chemin"...
LE RENOUVELLEMENT DE TOUTE NOTRE HUMANITE
Un point demeure constant chez tous ceux que j’ai interrogé. Une des premières interpellations a été pour eux la constatation d’une cohérence entre la Parole de l’Evangile et une possibilité de la vivre aujourd’hui. "Ces personnes, ce groupe vivait de la parole, en faisait l’expérience dans toute leur humanité". "A partir de ce moment-là, c’était très simple, il me fallait aller jusqu’au bout." (Patrick, marié, père de trois enfants).
Pour Dominique, sa femme, la rencontre de la Communauté a été "la découverte d’un visage du Christ crédible, visage de joie, de plénitude d’existence et d’exigences passionnantes.".
D’une part Dominique percevait le visage du Christ disant à chaque homme : "Si tu savais le Don de Dieu" et de l’autre, ce monde appelé à une "plénitude d’être" et pourtant malade parce qu’une dimension essentielle n’y était pas vécue. "C’est cela qui m’a donné envie de m’engager, c’est-à-dire de participer à ce corps qui témoigne." Pour François, qui se pose la question d’être prêtre, ce qui a été important c’est la découverte d’une communauté qui accueille la Parole de Dieu et se laisse transformer par elle dans toute son expérience humaine :
"Ce qui a conduit à me déterminer, c’est une cohérence entre une intuition très profonde, un appel à une radicalité évangélique entendu dès l’âge de 14-15 ans, et une réalité visible dont j’étais témoin. J’allais passer de l’imaginaire à la réalité. J’ai reconnu dans la communauté les moyens qui m’étaient donnés pour avancer vers cette radicalité. Je voyais des gens grandir humainement et porter du fruit."
Quant à Daniel, il y découvre un lieu d’unification de la personne.
Hasso, après deux ans de séminaire en Allemagne, a choisi la vie communautaire : ce qui l’a attiré c’est de pouvoir suivre le Seigneur avec tout ce qu’il est et de découvrir la richesse de la mixité, homme-femme, famille et célibataire, permanents au service de l’Eglise et engagés dans le monde.
LA VIE FRATERNELLE
La vie fraternelle est une deuxième constante. Elle n’est pas seulement perçue comme une réponse à une situation d’isolement... mais comme un espace d’accueil ouvert à la différence (sans être dupe des limites des lois d’un groupe).
Dans cet espace, les relations sont transcendées par l’amour, à témoin "cette capacité d’accueil de l’autre, qui me dépasse, que je reconnais ne pas être mon fait et qui réalise des relations humaines plus que satisfaisantes.." (Noémie)
Cette vie fraternelle est aussi lieu d’interpellation par les frères et les responsables. Cela prévient contre l’enfermement et les limites de notre propre jugement. Pour Dorothée (qui se marie au mois de septembre) la vie fraternelle "c’est ce témoignage qui dépasse mon propre engagement et qui me permet de dire : ’Viens et vois’. C’est aussi le moyen de passer des oeuvres POUR Dieu, aux oeuvres DE Dieu, passer du témoignage individuel, de mes talents, mes capacités, mon oui, au ’sacrement du frère" ; c’est découvrir la fécondité du corps qui dépasse mon propre témoignage."
LA MISSION EN EGLISE
La Communauté n’a pas son centre en elle-même. Elle est au service de l’Eglise, de l’unité au cœur des églises.
La première phrase de nos Constitutions rappelle : "Frère ou sœur si tu t’engages avec nous, c’est uniquement à cause du Christ et de l’Evangile."
Pour François, ce fut important de découvrir la Communauté non pas à côté de l’Eglise, ni face à face, mais appelée à être une cellule vivante de ce grand Corps, recevant sa mission des évêques ou, pour les frères non catholiques, des responsables de leur propre église. Ce fut le cas pour Jean-Pierre de l’Eglise réformée de France qui vient d’être nommé à Vienne.
"J’ai découvert par là une vision de l’Eglise Corps du Christ avant d’être un corps hiérarchique" (François)
Cette dimension ecclésiale c’est aussi l’enracinement dans la Tradition et dans une spiritualité : celle de Saint Ignace de Loyola, de Sainte Thérèse d’Avila et du renouveau charismatique.
Denise, consacrée au célibat et engagée à vie, décrit son itinéraire comme "le grain de blé tombé en terre et qui meurt"... Elle a renoncé à un idéal "religieux" pour redécouvrir le radicalisme du baptême et être témoin dans un corps de baptisés qui renaît.
LES RESISTANCES A l’ENGAGEMENT
Pour certaines familles, les enfants ont pu être une question majeure quant à l’engagement :
"Dans les premiers temps, ce qui nous a fait hésiter à entrer dans la Communauté c’était une crainte pour nos enfants : comment réagiraient-ils par rapport aux autres enfants de leur classe ? comment respecter leur liberté ? Avec ceux qui étaient en mesure de le faire nous avons pris du temps pour mûrir la décision, cela fait trois ans et demi que nous sommes engagés, et nous constatons qu’ils sont en fait les premiers bénéficiaires de la qualité des relations que nous vivons. Christophe, notre fils aîné, s’est beaucoup ouvert."
Ce qui est vrai pour Christophe nous pouvons le vérifier pour beaucoup d’autres. Le compagnonnage avec d’autres adultes offre un réseau plus large que les simples relations familiales qui demeurent toutefois privilégiées.
Un autre point de résistance est le partage des biens. Entrer dans un chemin de simplification de vie, réévaluer ses vrais besoins, cela prend du temps.
Il faut aussi du temps pour découvrir la fécondité du discernement avec les frères et les responsables, lorsque des choix personnels ou missionnaires sont à poser. C’est un apprentissage à "sentir avec l’Eglise".
LES MINISTERES ORDONNES
C’est dans le "terreau" communautaire que se précise la vocation de chacun. Certains entendent l’appel à un ministère ordonné. Pour Henri, Etienne, Bruno..., ce sera comme prêtres, pour quelques-uns ce sera comme diacres permanents (actuellement il s’agit uniquement d’hommes mariés) ; pour François D..., membre de l’Eglise réformée de France, c’est comme pasteur qu’il y répondra.
Du fait de la mixité homme-femme, famille-célibataires consacrés, on constate souvent que l’appel au ministère presbytéral vient se greffer sur une vocation au célibat déjà reconnue. Pour d’autres, l’appel au presbytérat précède celui du célibat et demeure un point de résistance tant qu’il n’a pas trouvé son sens.
En outre, devant la possibilité de suivre radicalement le Seigneur dans le mariage, le célibat consacré ou le diaconat, la spécificité du prêtre est toujours à redécouvrir.
Pour certains, c’est de "donner le Christ dans l’Eucharistie et pouvoir être canal du pardon de Dieu" qui est premier, pour d’autres c’est le ministère de l’unité entre les différentes réalités d’Eglise qui a été le point d’appel, pour d’autres encore c’est l’annonce explicite de l’Evangile. Pour la plupart l’exercice de ce ministère demeure inséparable de la vie communautaire.
Actuellement nous sommes une quinzaine en formation biblique et théologique à temps plein. C’est un moment privilégié pour nous enraciner dans la tradition de l’Eglise, mais aussi pour nous laisser façonner par la prière personnelle et communautaire, la parole, la vie fraternelle et la mission. Ces quatre aspects : prière, formation, vie communautaire et mission cherchent à se vivre dans une tension féconde...
Quant à l’exercice de ces ministères ordonnés, l’évêque et le responsable de la Communauté décident ensemble du lieu de mission ; ils veillent à son enracinement communautaire.
Emmanuel, prêtre, en est un exemple : incardiné dans le diocèse de CORBEIL, et nommé à EPINAY S/SENART, il vit avec quatre familles et Bruno (futur prêtre) sur le lieu de son ministère.
Voilà donc quelques éléments de réponse à la question posée. Je mesure pourtant combien il est difficile de décrire avec des mots ce qui est en train de naître. J’ai simplement essayé de rendre compte de ce que j’ai vu et entendu, et de l’espérance qui est en nous.Enfin, avec le cardinal DECOURTRAY, je rends grâce aussi pour tous les autres signes de la présence de l’Esprit du Seigneur qui est à l’œuvre aujourd’hui, comme il l’était hier et le sera demain. (Les Communautés nouvelles, F. Lenoir, Fayard 1988, p. 14).