Bibliographie


- ouvrage analysé -


  • "SAISIS PAR l’INSAISISSABLE" - Paul BARRAU - 200 pages - Ed. Résiac - 53150 MONTSURS

"Les prêtres ont-ils la foi ?.." Question apparemment absurde. Et pourtant, question qui a tourmenté bon nombre de chrétiens de ce temps. Déjà secoués par les transformations dans la liturgie, le discours et l’habillement de leurs prêtres, n’entendaient-ils pas les publications intégristes accuser allègrement le clergé de trahison ?

A la question "Les prêtres ont-ils la foi ?" ce livre apporte sa réponse.

Pas de méprise, cependant, car la réponse apportée ne relève ni du plaidoyer, ni de la démonstration. Le livre ne cherche pas à prouver que les prêtres ont la foi. Il donne simplement la parole à des prêtres. Et ceux-ci disent leur expérience de croyants.

Qui sont ces prêtres ?

En 1968, le Père HAUBTMANN, recteur depuis peu de l’Institut Catholique de Paris, demande au Père BARRAU, alors directeur de la revue "MASSES OUVRIERES", de mettre en place une Année de Formation destinée aux prêtres en besoin de recyclage. Cette initiative s’inscrivait dans une visée d’ensemble. En fidélité au Concile qui venait de terminer ses travaux, faire se rejoindre l’enseignement de la théologie et l’expérience des pasteurs : l’intelligence et le terrain ! Le futur cardinal POUPARD, devenu lui-même recteur quelques années plus tard, devait soutenir de toute son influence le nouvel organisme. C’était l’époque où un grand hebdomadaire catholique ne trouvait pas indécent de titrer sur la largeur d’une page : "La formation permanente du clergé, une entreprise de démolition".

En dépit de (ou peut-être grâce à) ce contexte difficile, l’intuition initiale des fondateurs s’avérait payante. L’Année de Formation Permanente du Clergé, déjà ouverte aux religieux, s’ouvrait aussi aux religieuses et devenait Année de Formation aux Ministères. Au long de cette transformation, un élément-clé demeurait cependant inchangé : la conviction que le progrès dans l’intelligence de la foi et le crédit accordé à l’expérience vécue dans la foi vont de pair. Les cours suivis auprès des professeurs de l’Institut Catholique étaient mis à profit pour réinterpréter et, au besoin, ré-évaluer ou critiquer l’expérience vécue dans le ministère exercé depuis l’ordination ou la profession religieuse.

Cet élément-clé de l’Année de Formation a été mis en oeuvre par de multiples moyens. L’un des plus fructueux consistait, pour chaque participant, à faire le récit de sa propre histoire pour y dégager son propre itinéraire de croyant.

Parler d’itinéraire, c’est admettre d’avance la multiplicité des chemins possibles ; c’est aussi envisager la possibilité de vitesses différentes ; c’est même reconnaître un sens à l’éventualité de tâtonnements, de pas en arrière, de lâchages et de reprises. Alors, les mots utilisés ont du sens. Ce qu’on entend ou qu’on lit n’est pas "discours sur la foi". C’est une parole de croyant... Chacune des années à partir de 1968 a comporté un contingent d’une cinquantaine de participants. On voit à partir de là, à la fois le nombre et la diversité des itinéraires mis en forme et partagés. Paroles de croyants et de croyantes. Paroles assurées parfois, souvent balbutiantes. Mais toujours, paroles disant l’expérience d’une vie vécue dans la foi.

Il eut été dommage de ne pas faire bénéficier de cette moisson tous ceux qui aujourd’hui s’interrogent sur la foi des prêtres.

Dans ce but, le Père Barrau a repris, classé et systématisé les paroles échangées par les participants de l’Année de Formation durant quatorze ans. Il a souligné des constantes, dégagé et analysé les différences. Son travail a donné un volume de 200 pages.

La première partie est formée de sept "itinéraires" reproduits in-extenso. Leur diversité permet de comprendre à quel point des prêtres peuvent se trouver dans des situations différentes en raison du ministère qui leur est confié. Les simplifications auxquelles se livrent parfois ceux qui parlent des prêtres et de leur foi apparaissent ici bien illusoires.

La deuxième partie de l’ouvrage reprend l’ensemble des itinéraires recueillis en les abordant successivement sous divers aspects : les débuts d’une vie, les étapes parcourues, les épreuves endurées, les aspects de la foi que chacun ou chacune a particulièrement perçus dans l’exercice de son ministère et à partir du contact avec les hommes.

En finale, une rétrospective générale repère les lieux où la foi s’est nourrie et permet de formuler des convictions et orientations à partir desquelles elle continuera de s’approfondir.

Ceux et celles dont la parole de croyants et de croyantes nous est livrée dans ce livre y sont présentés, du fait du titre, comme "saisis par l’insaisissable". Ce ne sont pas des hommes ou des femmes sûrs d’eux-mêmes. Mais ils sont sûrs de Celui qui les a saisis (pp.125-136). Leur parole n’est pas un discours de doctrinaires. Ils partagent une expérience qui a ses limites. Une des limites les plus évidentes tient au fait que leur expérience a souvent commencé en terre de chrétienté et se poursuit (ou même s’est déjà déroulée) en des zones humaines déchristianisées. La foi qui les anime ne peut même pas dissimuler ses limites sous le masque de quelque prestige idéologique. Elle a subi le choc de la rencontre et souvent de la fréquentation prolongée d’hommes, de femmes, de milieux incroyants. C’est une foi qui a dépouillé toute autosuffisance. Elle a eu le temps de prendre les plus belles couleurs qui lui sont propres : celles du Don reçu de cet Insaisissable par qui on a été saisi.

Parce qu’elle a traversé le doute et dépouillé toute autosuffisance, la foi dont témoignent ces pages est une foi qui reste libre par rapport aux nouvelles incantations : celles du retour du religieux. Autant cette foi met à genoux pour la prière (pp. 172-173 ; 181-184), autant elle récuse toute prière qui constituerait ceux qui la pratiquent en "zone franche" par rapport à la vie des hommes leurs frères (pp. 173-176 ; voir aussi dans la 1ère partie, les pp.12-13 ; 21-28).

Sous ce dernier aspect, le livre que nous donne le Père Barrau peut constituer un apport majeur pour ceux qui s’intéressent à une pastorale des vocations au ministère presbytéral mais aussi aux diverses formes de vie religieuse et de ministères. Ces deux cents pages forment un dossier plus significatif que bien des enquêtes. La diversité des enracinements et des situations concrètes n’y est pas gommée. Mais la référence à ces aspects d’ordre sociologique n’aboutit pas à gommer le mystère de la personne du croyant. C’est dans ce mystère qu’on voit se dessiner les contours de l’appel initial et des diverses formes que revêtent les réponses.

Certes les structures dont l’Eglise disposait encore il y a un demi-siècle, surtout en certaines régions, lui permettaient de quadriller rigoureusement le terrain et de ne "laisser perdre" aucune "vocation possible". Mais on est surtout frappé, en lisant les témoignages, de constater que l’élément essentiel des récits est la liberté avec laquelle, en dernière instance, l’enfant, l’adolescent, le jeune adulte d’il y a vingt ou trente ans, répondaient à l’appel de Dieu. Cette liberté résidait en grande partie dans le fait que le "Oui" n’était pas un oui dit à un projet. S’il en avait été ainsi, les intéressés auraient eu, depuis, mille raisons de se reconnaître floués et de reprendre leur parole.

Leur "Oui" répondait à un appel qui leur venait d’un visage mystérieusement présent à leurs propres profondeurs. Le dialogue amorcé alors a pu continuer même aux heures de ténèbres. C’était une Alliance. Cette Alliance a tenu. Quand il a fallu vivre la foi sous des formes différentes, inédites ou imprévues, on a continué de croire parce que Celui en qui on avait cru restait le même.

Les paroles de croyants que le livre du Père Barrau nous fait entendre rappellent opportunément que Jésus-Christ n’appelle pas à réaliser un projet mais appelle à Lui. A ceux qui sont allés à Lui, tout le reste est donné, a commencer par la Foi avec laquelle ils continuent de Le suivre.

M.-A. Santaner, cap.