Solidaires avec les jeunes


Mgr André LACRAMPE,
évêque auxiliaire de REIMS

Les quelques lignes qui suivent, doivent être situées et s’appuient sur des occasions très ponctuelles de rencontres avec des jeunes : préparation à la confirmation, participation à la vie des mouvements, rassemblements, rencontres avec une aumônerie de lycée ou d’étudiants, marches de jeunes, rencontres personnelles.
Ces réunions me permettent d’entendre la voix des jeunes et je me rends compte que "les jeunes" n’existent pas. En revanche, j’y retrouve DES jeunes qui réagissent selon leur milieu social, leur pays d’origine, leur âge, leur sexe, le type d’études suivi, leurs espoirs quant à l’avenir, la réussite professionnelle, l’éducation reçue, en particulier par rapport aux valeurs transmises et bien entendu, par rapport aux pratiques et croyances religieuses.
Cette réflexion entamée ici m’a amené à une relecture de mon ministère et de mon expérience d’évêque.

Je constate que la réflexion sur les jeunes et l’Eglise, les jeunes et la foi, mobilise bien des secteurs de la vie de l’Eglise diocésaine : prêtres et religieuses, accompagnateurs, adultes et membres des communautés chrétiennes.

Au dernier synode sur "La vocation et la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde", vingt ans après le concile, une insistance a été portée sur la place des jeunes générations dans notre Eglise. Le message final leur a fait place :

"Nous avons reconnu à la jeunesse une véritable place dans l’Eglise d’aujourd’hui et de demain. Les jeunes reçoivent de notre part une attention spéciale dans notre sollicitude."

Le pape Jean Paul II n’a pas manqué de souligner cette attention, qu’il exprime dans son homélie de clôture du synode :

"Il s’est dit des choses profondes et stimulantes à ce sujet, et j’aurais soin, dans les mois à venir, de les rassembler et de les présenter à tout le peuple de Dieu."

Dans ma sollicitude et mon attention pastorale, que me font donc découvrir les jeunes ?

Distance et présence des Jeunes, par rapport à la foi et à l’Eglise

Dans le dialogue qui s’établit avec eux, trois réalités les marquent profondément : la famille, l’avenir, les copains.

• Ils me parlent de la famille pour dire tout d’abord son importance comme lieu principal de sécurité, de dialogue et de confrontation. Il leur est difficile de la quitter pour un week-end, pour une session.

Mais la famille est aussi facteur d’insécurité, d’instabilité quand elle est "cassée". Elle augmente alors l’absence de références et de points de repères.

• Reviennent aussi des expressions fortes pour dire l’importance de la réussite professionnelle et, en même temps, la fragilité provoquée par l’absence de perspectives :

"Pour nous les jeunes d’aujourd’hui, le point numéro un, c’est le travail, car sans travail stable on ne peut pas faire grand chose"

Des étudiants me parlent d’une course au surarmement intellectuel nécessaire pour prendre leur place dans la société, au détriment de leur vie de relation.

• Ceci les amène à ne pas disposer du temps nécessaire à des rencontres de réflexion sur la vie, sur la foi... Et pourtant, ces aspects d’une vie "ensemble" sont soulignés comme des éléments essentiels tant sur le plan religieux que sur les autres plans :

"Ce qui branche le plus les jeunes en ce moment !... la fête, les copains, la danse, la musique, les rassemblements, les célébrations... Ils ont besoin de liens... d’amitié..."

Une expression qui court dans bon nombre de rencontres, tant pour décrire une réalité que pour traduire une aspiration : "Se sentir bien"...

• Au cœur de ces réalités qui pourraient être développées et élargies ici, il n’est pas facile de vivre de Dieu...
Une absence quotidienne du religieux marque le monde dans lequel vivent les jeunes, de plus en plus nombreux à vivre sans passé chrétien ! Jésus-Christ leur est inconnu ou bien vague dans leurs pensées. Une très grande absence de culture religieuse, ne disait un professeur, entraîne une absence de confrontation au fait religieux, au fait chrétien, à la foi.

La plupart des jeunes sont marqués par cette difficulté de croire, de rendre compte de leur foi, de se situer en chrétiens, de se dire chrétiens. Que de témoignages dans les lettres de jeunes confirmands l’expriment : "Pour la foi, ce n’est pas clair du tout !".

De ce contexte difficile découle un questionnement extraordinaire de la part des jeunes, chance de rajeunissement pour l’Eglise appelée à rappeler le Dieu d’Abraham qui invite sans cesse à quitter son pays de certitudes et d’évidences.

C’est une chance pour l’Evangélisation qui suppose une mise en recherche, une attente active et sans cesse à renouveler.

• Les jeunes découvrent, avec un regard neuf, le Christ et l’Eglise. Une Eglise qui accueille et fait place aux questions, aux projets :

"Une Eglise que je peux faire vivre et qui bouge, une Eglise qui va vers les autres, ceux qui sont exclus surtout."

Quand ils sentent Dieu proche des hommes, les jeunes se rapprochent de l’Eglise. Une Eglise où "ils ne veulent plus être de simples spectateurs."

Plusieurs me disent vouloir être partie prenante de l’Eglise, et certains avouent en même temps leur déception d’être peu nombreux et parfois mal accueillis par les adultes chrétiens.

Au travers de ces difficultés ou critiques, des convictions se font jour et ils les expriment aussi. Pour eux l’ambiance des rencontres, et des rassemblements, la place des temps forts, sont des choses importantes et qui les marquent fortement. Des lieux de rassemblement, des groupes animés et solidaires les mobilisent : "là au moins, on vit en Eglise !"

Etre croyant, ce n’est plus être seul ! Combien de fois l’ai-je entendu souligner. Sans que l’Eglise soit le plus souvent explicitement nommée, ils disent abondamment leurs convictions, leur besoin de groupes pour vivre et exprimer leur foi, pour relire la vie même, parfois tout simplement pour "tenir au milieu d’un monde où ils se perçoivent la plupart du temps minoritaires et mal compris. La convivialité, les petits groupes c’est là l’important pour eux.

Ils sont volontiers convaincus également d’avoir une parole originale à exprimer au sein des communautés, des rassemblements du peuple de Dieu , et de mériter qu’on y laisse plus de liberté. Une telle conviction s’affirme dans les préparations de messe, dans les comités d’évangélisation ou les Conseils pastoraux qui se mettent à l’écoute des jeunes.

• C’est une génération capable d’enthousiasme. Ils sont prêts à se mobiliser pour des actions concrètes ponctuelles (l’action-école, les restaurants du cœur, l’aide au Liban...). Ils sont généreux pour certaines causes, ils ont le souci des plus pauvres :

"Nous voulons faire quelque chose de positif, défendre une cause juste..."

Le besoin de la prière est aussi exprimé, souvent coloré par un désir de simplicité, de vérité, et joie, de chaleur et de retrouvailles.

Au terme de ces aspects fort divers et incomplets que j’ai soulignés, je voudrais reprendre quelques convictions et tenter de re-préciser des chemins importants dans cette rencontre avec les jeunes, afin de faire Eglise avec eux.

Quelques convictions

Les jeunes d’aujourd’hui constituent pour nous un grand défi ! La société elle-même s’interroge sur la jeunesse, ses désirs, ses refus ou son insertion.

Cette jeunesse éclate dans toute sa diversité ! Que pouvons-nous souligner d’important et d’urgent, pour nous responsables de la foi ?
Je voudrais ici indiquer quelques chemins.

- L’IMPORTANCE POUR LES JEUNES DE RENCONTRER DES TEMOINS

Cela demande de les écouter, de les accueillir, de nous laisser être accueillis, questionnés et contestés. Cela demande aussi honnêteté intellectuelle et rigueur pour dire ce à quoi nous tenons et ce qui nourrit la foi. Nos communautés chrétiennes sont invitées à chercher pour comprendre autant les difficultés rencontrées par les jeunes que les valeurs qui les font vivre, leurs enthousiasmes et leur désir d’être créateurs à leur tour.

Dans la société comme dans l’Eglise, ne doit-on pas oser leur proposer des lieux de "participation créatrice", des lieux de concertation et d’action ?

Qu’ils trouvent auprès d’eux des témoins fraternels qui sachent rendre compte de l’espérance qui les habite ! Paul VI, dans l’Exhortation apostolique sur 1’Evangélisation y invitait tous les témoins authentiques à être "non des évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais des ministres de l’Evangile dont la vie rayonne de ferveur".

Les jeunes ont besoin de témoins. La force de leur foi met les jeunes en marche et les stimule. Puissions-nous répondre à cette attente !

- L’EGLISE EST SANS AVENIR, SI LES JEUNES N’Y SONT PAS ACTEURS, AUJOURD’HUI

Les jeunes aspirent à être reconnus comme de vrais partenaires. Ils le sont déjà dans différents groupes et mouvements, où ils vivent une expérience d’Église. Cette vie en groupe, en communauté, est importante pour réfléchir, agir, célébrer, se conforter dans la foi, avoir le sentiment d’une foi commune et éclairée. Ils prennent là des responsabilités, veulent vivre leur vocation mieux comprise de baptisés.

Parmi eux, certains se posent la question d’une vie donnée à Dieu comme prêtre ou religieuse. J’en connais qui sont en recherche, sage et réfléchie, dans cette direction. C’est là une invitation à prendre les jeunes au sérieux, à leur donner leur place dans l’Eglise, à leur faire découvrir qu’ils sont apôtres au milieu des jeunes, témoins irremplaçables auprès d’eux. Le monde nouveau des jeunes sera évangélisé de l’intérieur, par les jeunes. L’Eglise des jeunes doit être faite par les jeunes, mais leur foi et leur questionnement nourrit et féconde notre propre foi d’adulte. Encore faut-il écouter et accueillir, nous impliquer davantage pour en porter ensemble le souci et recevoir le don de Dieu. Il est urgent de continuer à éveiller des laïcs, jeunes et adultes, en responsabilité d’accompagnement auprès des jeunes, et d’investir dans cette tâche à la formation. Cela avec le souci d’assumer la présence du ministère presbytéral et de s’entre aider dans une co-responsabilité prêtres-laïcs.

- "BATIR LA FOI DES JEUNES"

Etre chrétien, c’est aller à contre-courant de ce qui se vit autour de nous. Il faut du courage pour ne pas avoir peur du regard des autres, pour accueillir les interrogations de ses proches et rendre compte de l’espérance qui nous habite.

Il est urgent de maintenir et de créer des lieux de formation, afin de permettre aux jeunes de s’approprier les sources de la foi, de leur permettre d’être "branchés", "à l’aise dans leurs baskets"..., d’avoir aussi une capacité de discernement, d’analyse sérieuse des situations vécues, pour faire des choix réels, prudents et durables.

Je pense à des jeunes de B.T.S. qui demandent à l’aumônerie d’être un lieu de discussion parce qu’il n’existe rien d’autre pour eux ailleurs, souhaitant qu’on les aide "à faire leurs choix en leur indiquant des points de repères".

Il est urgent de permettre aux jeunes d’exprimer dans leur propre langue, ce qui les peine ou les réjouit, ce qui les fait vivre, les attache au Christ et à l’Eglise, accueillant ainsi ce qu’ils expriment déjà.

A l’Assemblée des évêques de Lourdes 1987, nous avons lancé un appel à la solidarité. Ne doit-elle pas se vivre aussi en direction des jeunes ? C’est là une invitation pour que l’Eglise sache écouter, parmi eux, les pauvres, ceux des HLM, des LEP, laissés pour compte de la société et de l’école. Rejoindre les exclus, cheminer avec les sans-droits, c’est rendre actuel l’Evangile ; le vœu du Christ si souvent exprimé par Lui.

Les jeunes que nous rencontrons sont à la recherche de repères pour y confronter leurs questions, sur la vie, les relations, la foi, l’avenir.

"Fais de ton Eglise, Seigneur, un lieu de vérité et de liberté, de justice et de paix, afin que tout homme puisse y trouver une raison d’espérer encore !"