Des chemins pour la Bonne Nouvelle


En aumônerie de l’Enseignement Public

Jean-Louis VINCENT,
prêtre du diocèse de CLERMONT-FERRAND,
Secrétaire national de l’Aumônerie de l’Enseignement Public

Les Aumôneries de l’Enseignement Public rencontrent aujourd’hui des jeunes très divers dans leur rapport à la foi. C’est l’un des défis majeurs pour l’annonce de l’Evangile dans un contexte fortement imprégné par la laïcité.
Le monde de l’Enseignement Public est une énorme machine qui pose de nombreuses questions. C’est là que se prépare l’avenir de près de 80 % des jeunes. La tradition laïque a fortement marqué l’évolution de cette institution. Pourtant les chrétiens y sont présents tant parmi les jeunes que parmi le personnel, enseignants, administration, personnel technique et de service.
L’Aumônerie de l’Enseignement Public, pour sa part, est témoin et acteur de l’annonce de la foi dans l’Enseignement secondaire. Ces pages voudraient se faire l’écho de ce qui se vit dans les aumôneries à travers la France.

LES JEUNES QUE l’AUMONERIE REJOINT

Avant de parler de l’annonce de la foi, il est intéressant de regarder un peu quels sont les jeunes rejoints par les aumôneries de l’Enseignement Public.

• DES EFFECTIFS MODESTES

En moyenne, l’aunônerie rejoint un peu moins de 10 % des jeunes scolarisés dans les collèges et les lycées. Ce pourcentage, plus fort en 6ème, décroît au fil des années avec deux paliers de chute : après la 6ème et la profession de foi qui marque encore pour beaucoup de familles la fin de la catéchèse ; au passage du collège au lycée parce que la transition est difficile à assurer entre ces établissements.

L’évolution des effectifs tient beaucoup à la motivation personnelle des jeunes : en 6ème-5ème, où la fréquentation est très liée à la décision des familles, la baisse des effectifs est supérieure à la baisse démographique ; sans doute perçoit-on là le décrochage des parents par rapport à l’Eglise. Par contre on assiste à une certaine augmentation des effectifs à partir de la 4ème quand les jeunes viennent plus personnellement et souvent à l’invitation des copains. En second cycle l’évolution tient beaucoup à la qualité de l’équipe qui accueille et des propositions qu’elle fait.

De plus en plus de jeunes arrivent à l’aumônerie en 6ème sans avoir été auparavant ni catéchisés ni quelquefois baptisés. Cela paraît être en cohérence avec ce qu’a révélé l’enquête de LA VIE en octobre 1987, sur les chrétiens non pratiquants : beaucoup ne pratiquent pas ou n’envoient pas leurs enfants au catéchisme non par refus positif, mais à cause de la difficulté de rencontrer l’Eglise dans leur vie quotidienne. L’information sur l’existence de 1’aumônerie au moment de l’inscription au collège donne l’occasion de démarrer une démarche.

• DES IMPLANTATIONS DIVERSES

L’aumônerie est beaucoup mieux implantée dans l’enseignement classique que dans le technique et le professionnel. La quasi totalité des lycées classiques ont une aumônerie officielle, comme la majorité des collèges. Par contre en lycée technique ou professionnel, les pourcentages sont beaucoup plus faibles. Cela tient sans doute à leur développement plus récent et aussi à l’origine sociale des animateurs en aumônerie qui les rend moins sensibles à la rencontre de ce monde. Depuis quelques mois un effort considérable est entrepris pour faire des propositions concrètes aux jeunes des lycées professionnels, la plupart du temps en étroite collaboration avec la J.O.C.

Il est difficile aussi de rejoindre les jeunes qui ne réussissent pas à l’école : les élèves de C.P.P.N. (classes pré-professionnelles de niveau) et de S.E.S. (sections d’éducation spécialisée). Là aussi, l’investissement est difficile mais des efforts nouveaux se déploient avec un réel succès.

DES JEUNES QUI CHANGENT VITE

Les jeunes que rencontrent les aumôneries sont très divers et ils évoluent rapidement. Les animateurs sont frappés par la succession des générations. Une proposition qui a très bien marché une année peut échouer complètement l’année suivante...

• DES SCOLAIRES

La caractéristique commune à tous ces jeunes, c’est que ce sont des scolaires. Tous vont au collège ou au lycée et cette réalité tient une place importante dans leur vie :

- D’abord, bien sûr, par le temps qu’elle prend : les heures de cours (très importantes en particulier dans le technique et le professionnel) mais aussi les temps de transport et le travail personnel : une fille de seconde me disait récemment passer 10 heures le week-end pour faire ses devoirs.

- Mais aussi par l’enjeu que représente la réussite des études. La crise économique et le poids du chômage font que les jeunes, dans toutes les catégories sociales, attachent une importance capitale à la réussite de leurs études et à l’obtention d’un diplôme (ils savent bien qu’un diplôme, quel qu’il soit, donne un avantage considérable pour la recherche d’un emploi).

En conséquence, les jeunes ressemblent peu à leurs aînés des années 68-75. Ils ne contestent plus globalement l’école. Ils veulent travailler et sont très exigeants pour leurs enseignants. S’ils parlent de malaise, c’est parce que les enseignants ne les prennent pas assez en compte comme des personnes et ne leur laissent pas suffisamment de responsabilités dans leur travail.

• MARQUES PAR LA VIE DE LA SOCIETE QUI LES ENTOURE

Les jeunes que rencontrent les aumôneries sont comme leurs camarades très marqués par le monde qui les entoure :
. rythmes de journées très chargées,
. poids de la vie et des crises familiales (près de la moitié des jeunes qui fréquentent les aumôneries de Paris vivent dans des familles désunies ou monoparentales...),
. place des médias et de la musique... . présence forte de la question des droits de l’homme...

On pourrait multiplier les notations. Il faudrait souligner que comme les adultes, les jeunes sont marqués par la recherche de leur épanouissement personnel.

• DES JEUNES DIVERS DANS LEUR RAPPORT A LA FOI

Les jeunes qui viennent dans les aumôneries ne sont pas tous croyants. Ceux qui se reconnaissent croyants se situent de façons très diverses. Pour le rapport à la foi comme pour les autres aspects de leur vie, il faut se garder de généraliser. Mais on peut noter quelques tendances :

- Une grande place à l’IRRATIONNEL.
Cette dimension déroute souvent les animateurs : l’irrationnel, la magie, le spiritisme...intéressent de nombreux jeunes. Cette recherche peut tout à fait coexister avec des pratiques chrétiennes classiques.

- Une forte demande de PRIERE et de CELEBRATION pour certains.
Dans un certain nombre d’aumôneries, la prière et la célébration ont fait un retour en force. On ne peut que s’en réjouir, à condition du moins qu’elles soient réellement chrétiennes. Il est important, en particulier à l’âge de l’adolescence, de rester vigilant sur ce point et de permettre aux jeunes la rencontre avec Jésus-Christ et avec son Père par une réelle confrontation à l’altérité de la Parole de Dieu.

- D’autres jeunes viennent à l’aumônerie avec une DEMANDE BEAUCOUP PLUS VAGUE
Ils apprécient la qualité de l’accueil et des relations qui se nouent entre eux et avec des adultes, la liberté qui leur est laissée, la possibilité d’agir avec des copains. Il faudra parfois beaucoup de temps avec eux pour que surgissent des questions plus fondamentales sur le sens de la vie ou la foi. Les animateurs qui font des accueils-café pour les jeunes de lycées professionnels disent qu’ils vont parfois très loin dans le partage de foi avec ces lycéens mais qu’il a fallu auparavant beaucoup de temps à parler de réalités très quotidiennes...

- Des jeunes souvent porteurs de MOINS DE PREJUGES FACE A l’INSTITUTION EGLISE. Là aussi l’évolution est importante. Elle est due pour une part à l’ignorance mais aussi, pour ceux qui ont été catéchisés en primaire, à la réussite d’une catéchèse beaucoup moins saturante : les jeunes ont commencé une démarche mais ils ne se sont pas sentis agressés par une volonté de leur faire ingurgiter tout un ensemble de connaissances.

Il est difficile pour les responsables et les animateurs des aumôneries d’accueillir la diversité de ces jeunes. Cela donne toute son importance à la création d’équipes d’aumôneries diversifiées capables d’accueillir des jeunes aux attentes très différentes.

LES PROPOSITIONS DE l’AUMONERIE

• UNE EXTREME DIVERSITE

Tenir compte de la diversité des jeunes et des situations locales, de la diversité des attentes des animateurs amène l’aumônerie à une grande variété de propositions d’accueil et d’accompagnement.

En 6ème-5ème, les fonctionnements sont, en général, classiques puisque les aumôneries utilisent les parcours officiels de la catéchèse. Ces parcours sont souvent plus difficiles à mettre en oeuvre après la fin du premier trimestre de cinquième.
Au-delà de la 5ème, les propositions et les modes de fonctionnement se diversifient : temps forts, soirées avec des foyers d’accueil, accueils-café, permanences dans les établissements scolaires, alternance de vie de petites équipes, d’ateliers (bible, tiers-monde, théâtre, information, soutien scolaire..) et de regroupements plus larges (veillées et week-ends). La liste pourrait s’allonger.
Une rencontre nationale des responsables et animateurs d’aumôneries des lycées publics, qui se tiendra à Paris les 19 et 20 novembre prochains, permettra de prendre une plus juste mesure de cette diversité.

• MAIS QUELQUES REPERES COMMUNS

Cette diversité essaie de ne pas être éclatement et dispersion. Il y a un certain nombre de repères auxquels tiennent les responsables et qui sont un peu les caractéristiques du projet d’annonce de la foi des aumôneries de l’Enseignement Public :

-Le souci de l’ACCUEIL de chacun tel qu’il est.
L’aumônerie veut être d’abord un espace de liberté où chacun, quel qu’il soit et où qu’il en soit de son cheminement personnel, puisse être accueilli, écouté, reconnu, où il puisse prendre la parole et grandir dans une relation aux autres.

- Des MODES DIVERS DE REGROUPEMENTS
Les propositions de l’aumônerie doivent permettre à chacun de trouver sa place. Il ne peut y avoir un modèle unique de fonctionnement. La petite équipe avec son animateur est importante, mais il y a d’autres formes possibles de participation à l’aumônerie qui tiennent compte des rythmes des jeunes : les permanences où chacun passe quand et comme il veut, l’accompagnement personnel que demandent de plus en plus de jeunes surtout en lycée, les regroupements larges de temps forts ou de week-ends qui permettent la rencontre entre des petites équipes et aussi l’accueil de jeunes aux participations plus ponctuelles.
Cette diversité de modes d’appartenance à l’aumônerie dit quelque chose de ce que peut être aujourd’hui une participation à la vie de l’Eglise.

- La possibilité offerte aux jeunes d’être ACTEURS DE LEUR VIE et de prendre DES RESPONSABILITES
Il est particulièrement important, pour accompagner des adolescents qui passent vers l’âge adulte, de leur permettre de prendre leur place dans la vie sociale et d’assumer de réelles responsabilités. L’aumônerie ne saurait être seulement un lieu de rencontres chaleureuses et de discussions passionnantes. Elle doit aussi offrir des possibilités d’agir, de prévoir des activités et de les mener jusqu’au bout. Ces activités, très diverses, peuvent se situer à l’intérieur de l’aumônerie, mais aussi ouvrir sur l’établissement scolaire, sur l’environnement du quartier, avec des associations ou des mouvements (J.E.C., Amnesty, A.C.A.T.....) ou encore en direction du Tiers-Monde (souvent avec le C.C.F.D.).

- Des chemins pour une INTELLIGENCE DE LA FOI et une VIE SACRAMENTELLE.
Cette dimension reste un pôle particulièrement important du projet des aumôneries.
L’intelligence de la foi doit se faire en articulation étroite avec ce que vivent les jeunes et en particulier avec ce qu’ils découvrent au cours de leurs études. Il y a là, pour les aumôneries, un défi difficile à relever car les animateurs ont souvent du mal à s’intéresser vraiment à ce que les jeunes vivent au collège ou au lycée.
Les sacrements, et en particulier les sacrements de l’initiation chrétienne ont retrouvé une importance considérable dans la vie des aumôneries : baptême, confirmation et eucharistie sont des points de repère habituels. Leur préparation et leur célébration sont l’occasion de démarches remarquables tant pour les jeunes que pour ceux qui les accompagnent. De plus en plus souvent aussi les aumôneries sont amenées à préparer des premières communions.
Le sacrement de la Réconciliation n’est pas oublié. Mais il est urgent d’entreprendre une réflexion sérieuse pour aider les animateurs et les jeunes à se situer personnellement par rapport à ce dernier.

Ces quelques repères fondamentaux du projet de l’aumônerie appellent les responsables à être attentifs aux liens avec l’école dans laquelle les jeunes passent une part si importante de leur vie, mais aussi avec les autres communautés de la société et de l’Eglise. L’aumônerie ne remplit pas sa mission si elle se renferme sur elle-même et si elle ne porte pas en permanence le souci des autres lieux où vivent les jeunes et en particulier de ceux où ils iront en quittant, après le temps du lycée, les communautés d’aumôneries.

DES QUESTIONS QUE PORTENT LES AUMONERIES

Pour terminer ces réflexions sur la vie des aumôneries, je voudrais relever quelques-unes des questions que se posent aujourd’hui les responsables des aumôneries.

• Quels chemins pour REJOINDRE ceux gui ne sont pas sur la voie royale de la réussite scolaire ?

J’ai évoqué plus haut le réel effort déployé actuellement pour rejoindre les jeunes des LEP, des SES et des CPPN et les quelques réussites qui se dessinent. Il reste à poursuivre la recherche en particulier pour former des animateurs capables de rejoindre ces jeunes et de les accompagner à la rencontre du Dieu de Jésus-Christ, en leur permettant de trouver leur place dans la cité.

• Comment ne pas se laisser accaparer par les pratiquants ?

Beaucoup d’animateurs aujourd’hui ont le désir très fort de partager la foi qui les anime et donc d’annoncer très explicitement la Bonne Nouvelle. Ils sont donc plus spontanément à l’aise avec les jeunes qui sont demandeurs d’une formation chrétienne solide, qui sont prêts à prier et à célébrer. Et c’est vrai qu’il y a de la demande dans ce sens. Mais il ne faudrait pas que ces jeunes, qui ont souvent déjà beaucoup reçu, empêchent de voir tous ceux, beaucoup plus nombreux, dont les attentes sont moins claires, les démarches plus hésitantes et qui ont pourtant, autant que les premiers, le droit d’être accueillis et d’entendre une Bonne Nouvelle qui puisse les rejoindre. L’aumônerie doit trouver le contact avec eux en collaborant à l’œuvre de l’école publique pour une éducation humaine authentique.

• Comment permettre une éducation de la foi qui soit bien en prise avec ce que les jeunes découvrent au collège et au lycée ?

Au service des jeunes de l’Enseignement public, l’aumônerie doit leur permettre de vivre leur foi dans ce monde, et le plus en cohérence possible avec ce qu’ils y découvrent. Le défi d’une vie chrétienne libre et épanouie dans une société laïque est à relever.
Cela suppose une formation solide des animateurs qui les sensibilise davantage à ce qui se vit dans les établissements scolaires aujourd’hui. Cela suppose des relations régulières avec les chrétiens (en particulier les enseignants) qui travaillent dans cette institution.

• Comment ouvrir les jeunes à d’autres communautés d’Eglise ?

Cette question préoccupe les responsables des aumôneries. Ils ont en main une partie de la réponse. Mais une autre leur échappe. En effet l’ouverture à d’autres communautés d’Eglise suppose aussi l’ouverture de ces communautés et leur souci de permettre que des adolescents aient une place et des responsabilités dans leur sein.

• Où trouver et comment former des ANIMATEURS qui acceptent la rencontre décapante avec des jeunes qui ne sont pas toujours sur les chemins de l’Eglise ?

L’aumônerie a, là encore, envie de se tourner vers les autres communautés chrétiennes pour les inviter à être attentives à cette dimension de la mission qui met en jeu l’avenir de l’Eglise tout entière.

CONCLUSION

Le pari de l’Aumônerie de l’Enseignement Public, c’est donc le pari de l’éducation de la foi dans le contexte de la laïcité.

C’est du même coup, le pari d’une collaboration avec un service éducatif dont l’Eglise n’a pas la maîtrise. Les aumôneries sont accueillies dans l’Ecole Publique. Elles veulent découvrir dans ce que vit et transmet cette école, dans ce qu’y vivent les jeunes, les chemins d’une annonce de la Bonne Nouvelle.