Découvrir la vocation de l’Eglise


La mission de France

H. B.,
prêtre, pour l’équipe de formation de la Mission de France
Bruno LERY,
prêtre, pour le « Service Jeunes » de la Mission de France

Evangéliser les jeunes, ce n’est pas seulement leur offrir des temps forts où ils peuvent se ressourcer, mais c’est les inviter aussi au témoignage, à l’annonce de la foi...
Aujourd’hui plus que jamais, les prêtres et les séminaristes de la Mission de France ont le souci, à travers leur "Service de jeunes" de permettre à des jeunes chrétiens de vivre les intuitions de la M.D.F. là où ils sont, et de s’ouvrir à leur responsabilité missionnaire, en se confrontant à la question de l’annonce de Jésus-Christ avec d’autres jeunes.
Comment leur arrive-t-il d’annoncer Jésus-Christ auprès d’autres jeunes ? Qu’est-ce que cela provoque dans leurs propres itinéraires ? C’est ce que voudraient éclairer les trois exemples suivants, rapportant trois expériences situées dans des lieux différents au cours de l’année passée.

LE TRAIN DES JEUNES A PAQUES 87

"LE TEMOIN DE l’EVANGILE EST UN VOYAGEUR DONT LA VOCATION EST LA RENCONTRE".

Cette phrase, prononcée au congrès missionnaire de Lisieux en 1984, allait être à l’origine d’un projet de temps fort itinérant, proposé par des jeunes chrétiens de 20-25 ans à des plus jeunes de 16-20 ans, chrétiens ou non : un train pour voyager, pour aller à la rencontre d’autres visages, pour entrer en communication, et aussi pour se risquer vers l’avenir.

"DEMAIN PEUT EN CACHER UN AUTRE" : le slogan allait exprimer la conviction que l’avenir n’est jamais bouché pour qui prend sa vie en main avec d’autres, et que cela, les jeunes chrétiens ont à le vivre et le dire à d’autres. La publicité avait surtout rejoint les aumôneries et les lecteurs de "La Vie", mais beaucoup de jeunes sont venus aussi par le bouche à oreille, attirés et séduits par ce projet de voyage inhabituel !

Au moment du départ, était lue une lettre :

"Je ne suis pas croyante et je n’ai jamais été baptisée. Si je fais ce voyage, c’est parce qu’il m’intéresse, et pas parce qu’il est organisé par la Mission de France. Serai-je libre ?"

Et l’animateur reprenait :

"A toi qui écris cela, je voudrais te dire : oui, c’est vrai, ceux qui ont eu l’idée de ce projet un peu fou l’ont eu à cause de Celui qui, il y a 2000 ans, n’a cessé de voyager sur les routes de Palestine pour annoncer la bonne nouvelle d’une fraternité universelle. Oui, ce premier d’une race de nomades - les chrétiens -, nous l’avons invité dans ce train. Peut-être bien, en fait, que c’est Lui qui s’est invité... Mais tu sais, sa présence est discrète, Il n’est pas du genre à s’imposer. S’il y a une chose à laquelle Il tient par-dessus tout, c’est à ta liberté !"

En écho à cet appel, voici les réactions de deux jeunes après le train :

"L’Eglise, ça ne me branche pas vraiment. Mais là, je suis bluffé ! C’est donc pas si ringard d’être catho !"

Une autre lettre significative :

"Une présence fut remarquée, celle de Jésus-Christ. Elle fut peut-être discrète mais réelle. Ce Dieu présent parmi nous pendant le voyage. Celui-là je crois en Lui. Celui qui apparaît quand on regarde un inconnu, Celui qui est avec nous quand on parle au pauvre ou à l’opprimé, là je dis : oui, je crois."

Ainsi Dieu accompagnait-Il le voyage, en respectant l’aventure de chacun. Cela fut signifié plus fortement dans deux lieux-temps symboliques : la célébration de l’Eucharistie à Bordeaux, et tout au long du périple un espace de silence et de prière dans le wagon panoramique en bout de train.

Alors que se déroulaient des forums et des Ateliers (recherche scientifique, art, agriculture, masques, etc.) des rencontres avaient lieu : avec des chrétiens engagés, avec des prêtres ouvriers, avec des séminaristes dont le look était le leur. Dans les conversations de compartiment, comme aux Ateliers "vocation" et "bible" ils pouvaient témoigner les uns pour les autres de leur foi en Jésus-Christ, partager leurs questions, leurs hésitations et leurs choix.

"LA FOURMILIERE", LIEU D’ACCUEIL A PARIS

Créée par Roger Huguet, prêtre de la Mission de France alors responsable de la pastorale ouvrière dans le 16ème arrondissement de Paris, "La Fourmilière" a d’abord accueilli les jeunes employés de maison travaillant dans les beaux quartiers et logeant dans les mansardes. Puis le public s’est diversifié : gens de l’hôtellerie, emplois précaires... Aujourd’hui il s’agit surtout de jeunes de 18 à 30 ans qui débarquent de province, avec en poche l’adresse d’une chambre de bonne ou d’un job. Leur caractéristique commune : ils crèvent de solitude...

Ce lieu ouvert à tous, situé dans les locaux paroissiaux, soutenu par le diocèse de Paris, est animé par une petite équipe responsable, dont le souci est d’accueillir les jeunes tels qu’ils sont, et de permettre à ceux d’entre eux qui sont chrétiens d’être signes pour les autres. A la base de ce témoignage, un parti-pris : les écouter et les prendre au sérieux. Leur vie et leurs problèmes comptent pour l’Eglise, et pour Dieu... dans la mesure où Dieu est une question pour eux. Pour les chrétiens de l’équipe, Dieu a quelque chose à voir avec la dignité de chacun et la profondeur de son existence.

Un groupe de partage d’évangile a été mis en route par un séminariste de la Mission de France en insertion pastorale à "La Fourmilière" :

"On fait cela au grand jour, dit-il, tous savent quels sont ceux qui viennent à ces réunions. Il y a eu des questions : pourquoi y allez-vous ? Puis certains jeunes non-croyants sont venus voir. J’ai toujours essayé de les accueillir, tous... On se met ensemble devant un passage de l’évangile et on "se balade" dans le texte. Je suis étonné de ce qu’ils en retirent : ils se sentent concernés immédiatement dans leur vie. Par les découvertes qu’ils font et les questions qu’ils se posent, ils s’évangélisent mutuellement. Une des filles prépare son baptême. Dans l’histoire de la Samaritaine, elle a découvert qu’elle existe aux yeux de Dieu, et que Celui-ci l’aine comme elle est."

Les jeunes qui sont écoutés en ce lieu, ont peut-être davantage de chance de reconnaître Dieu comme l’Autre cessant d’être étranger. Annoncer Jésus-Christ, dans ce lieu d’accueil, c’est moins peut-être parler de Lui que permettre aux jeunes de se découvrir les uns les autres interrogés par le Christ Lui-même.

NOËL DANS LE METRO

24 décembre 1987, 20 heures, station "Châtelet-Les Halles". Dans le grand hall au-dessus du R.E.R., une vingtaine de jeunes mettent la dernière main à la décoration d’un podium. En fond de scène, au-dessus de silhouettes en carton, apparaît un jeu de mots de couleurs : "Cette nuit, fête la lumière !". L’idée du projet est simple et risquée... : jeter l’ancre là pour la soirée de Noël, pour chanter notre espérance dans le respect et l’accueil du tout-venant des gens de passage, et leur permettre de vivre cette soirée-là avec un peu plus de fête, de lumière, de chaleur humaine. A l’autre bout de la nuit, deux passants nous diront : "Pour avoir fait ça cette nuit, vous devez être chrétiens... !" . Ces deux hommes sont musulmans !

Immigrés sans famille, bandes de jeunes sans projet ce soir, petits revendeurs de drogue des Halles, étudiants étrangers, chanteurs de métro, personnes seules après un rendez-vous raté : un peuple de passage prend corps dans la musique et les contes, autour de l’arbre mort qui se recouvre de fleurs en papier, avec la terre glaise où prennent forme des animaux et des hommes d’une crèche de plusieurs continents ! Des cartes de vœux circulent, pour être adressées à des prisonniers.

Cela fait maintenant sept ans qu’existé le rendez-vous de "Noël dans le métro". Une tradition, déjà, pour ce groupe de jeunes qui le prépare : ce groupe se renouvelle d’une année sur l’autre, mais reste reconnaissable à plus d’un trait : il s’agit de jeunes chrétiens motivés par la mission de l’Eglise, voire en recherche ou en formation : novices xavières, picpuciens, jésuites, jeunes cheminant vers la Mission de France soit au séminaire, soit au "Service Jeunes" comme laïcs. Leurs amis aussi sont là. Vivre ensemble cet événement et sa préparation n’est pas neutre : ce qui se passe dans les coulisses du spectacle, sa préparation pendant deux mois, est donc tout aussi intéressant... De façon informelle et sur la base d’une action commune à préparer, pouvoir en rencontrer et en connaître d’autres cheminant dans des traditions d’Eglise différentes, pouvoir situer sa réponse et son itinéraire parmi d’autres possibles.

D’autre part, avec eux oser la rencontre des hommes et des femmes d’un soir de Noël dans les couloirs du métro parisien, pour y rendre compte d’une même espérance, avec des mots et des gestes toujours à inventer.

Des temps forts et missionnaires

Ces trois expériences (Noël dans le métro, La Fourmilière, le Train de Pâques 87) appellent quelques réflexions qu’il est bon, croyons-nous d’amorcer maintenant.

Sous des formes différentes, elles mettent en oeuvre une même intuition : on n’envisage souvent les "temps forts" que pour "se regonfler", "se ressourcer", pour mieux témoigner ENSUITE de l’évangile ; pourquoi ne pas privilégier des temps forts qui soient déjà temps et lieux d’évangélisation, où de jeunes chrétiens puissent, au cœur d’événements vécus ensemble, exprimer leur foi à d’autres pour qui Dieu est encore lointain ?

Cela est possible et nous en voyons le fruit, avec trois remarques pourtant.

  • La première, c’est que dans la plupart des cas ces initiatives demandent aussi un accompagnement par des adultes ! Leur présence, si possible discrète, assure les pas du groupe, de l’équipe qui se lancent dans ces projets souvent peu balisés d’avance ; l’âge, l’expérience permettent alors de relativiser les peurs, d’encourager dans les difficultés, de rappeler parfois aussi quelques points de réalisme.
    Parmi ces adultes, la présence de prêtres signifie aussi la fidélité de ces projets à l’évangile de Jésus-Christ, et à la vocation de son Eglise.
  • La seconde remarque, c’est ce que les jeunes qui vivent de telles démarches découvrent de la mission : en empruntant son mouvement même, ils découvrent qu’elle est pour l’Eglise sortie de soi, décentrement sur son Seigneur, Lui qui la précède aux carrefours des nations ; ils découvrent que la mission est alors une entrée en réciprocité avec ceux et celles qu’ils rencontrent.
  • Enfin, il est sûr que ce genre de découverte éveille le désir d’approfondir et de nourrir leur propre foi, d’une part en célébrant le don de Celui qui nous envoie vivre la Parole dans le monde - et au bout de la nuit de Noël, l’Eucharistie allait rassembler environ 45 jeunes -, d’autre part en "se formant" davantage : beaucoup d’entre eux demandent à participer à des "parcours de croyants" les initiant à la Bible et la théologie, le temps de cinq week-ends dans l’année.
    Cette formation elle-même se veut être non la simple transmission d’un contenu de savoir, mais une initiation ecclésiale où, ensemble, des jeunes puissent s’ouvrir à la vocation de l’Eglise dans notre monde.