Une Eglise qui embraie sur le salut du monde


Robert JORENS,
prêtre, curé de la paroisse St François de Sales à PARIS

Une phrase qui a résonné fortement à LOURDES... Bien autre chose qu’un slogan, mais une nécessité pour que l’appel soit entendu. L’urgence d’une Eglise qui sache allier contemplation et service efficace de l’homme.

La vocation des jeunes à devenir prêtre est liée à un visage de l’Eglise. En chacun d’eux, il y a une énergie qui est prête à sourdre pour se donner à une action qui en vaille la peine. Il faut que les jeunes perçoivent dans l’attitude, dans la pensée et l’action des adultes chrétiens, la vie d’une Eglise qui embraie sur le Salut du monde.

Que faut-il entendre par là ? Prenons, dans l’Evangile de St Matthieu, les deux récits de la multiplication des pains. Tout d’abord au chapitre 14, il nous est dit :

"En débarquant, Jésus vit une foule nombreuse. Il eut pitié d’eux et guérit leurs infirmes." Or le soir venu, les disciples demandèrent à Jésus de renvoyer les foules. "Alors, après avoir ordonné de faire étendre les foules sur l’herbe, prenant les cinq pains et les deux poissons, il leva les yeux au ciel, dit la bénédiction, et, rompant les pains, les donna aux disciples et les disciples aux foules. Tous mangèrent à satiété".

Et de même au chapitre 15, il nous est dit :

"Des foules nombreuses vinrent à lui, ayant avec elles des boiteux, des estropiés, des aveugles..., et il les guérit... Cependant, Jésus appela à lui ses disciples et dit : ’j’ai pitié de cette foule’... Ayant alors prescrit à la foule de s’étendre à terre, Jésus prit les sept pains et les poissons, il rendit grâces, il les rompit, et les donna aux disciples et les disciples aux foules. Tous mangèrent à satiété."

Quel chrétien ne sent ici le geste sacré de nos eucharisties ? Nos eucharisties tombent dans ce monde tel qu’il est. L’évocation de notre monde de souffrance, pour n’être pas banale, est délicate.

Mais il faut qu’il soit, pour tous, évident que le Christ continue dans son Eglise le même acte sauveur au milieu de la souffrance du monde pour le guérir.

Nos communautés chrétiennes vivent trop souvent dans un repli cultuel. Le paradoxe de ceux qui affirment ainsi le Christ relevé d’entre les morts devrait éclater au grand jour. Que la célébration fasse de chaque chrétien un fidèle livré avec joie au service du relèvement de ses frères.

Simone WEIL disait : "Je reconnais que quelqu’un est passé par le creuset de l’amour divin, non pas à la façon dont il me parle des choses du ciel, mais à la façon dont il me parle des choses de la terre." Nous savons bien . qu’il ne saurait s’agir ici de discours mais de ces rares paroles qui disent une existence.

UN APPEL DE DIEU, ENTENDU

Récemment, dans notre paroisse, six jeunes, dont certains sont étudiants et d’autres déjà au travail, ont été ensemble au Nord-Togo pendant l’été. Ils sont partis, soutenus par l’équipe du CCFD et, au retour, ils ont voulu témoigner devant l’ensemble de la communauté de ce qu’ils avaient découvert. Dans leurs paroles, on sentait que leur découverte donnait déjà, dans la préparation de leur avenir, l’esquisse d’un certain projet réalisable dans des situations tout à fait différentes. Ils vivaient une Eglise préoccupée du salut des hommes.

D’une autre façon, au cours d’une journée où l’ensemble des chefs et cheftaines des Groupes Scouts ont fait une retraite, ils avaient choisi pour thème l’Eucharistie comme engagement de nos vies dans un service. Les uns et les autres expérimentent déjà ce service par rapport aux plus jeunes, Louveteaux, Jeannettes, Guides ou Scouts. Et à travers ces relations simples, ils expérimentent déjà comment le Christ fait vivre.

Dans ce contexte, un appel de Dieu est entendu.

Mais, il dépend beaucoup de l’ensemble des chrétiens et des prêtres parmi eux que cet appel soit transmis.

Un appel n’est pas forcément un appel au ministère. Mais il importe que chacun sache avoir une initiative et une action dans l’Eglise. Il importe aussi que chacun ait, au sein d’une Eglise vivante, un désir, une intention autres, et qu’il n’hésite pas à le transmettre.

Peut-être ne savons-nous pas suffisamment faire partager nos trésors. Lorsqu’un jeune vient parler un peu de sa vie, pourquoi ne ferions-nous pas comme Jésus qui propose une continuité, sans mettre bien sûr la main sur une liberté ? Tout cela dépend avant tout d’une disposition d’esprit.

Mais il est un temps où on ne peut pas se contenter de parler. Comme on l’indique souvent dans la pédagogie des plus jeunes, où il suffit parfois de se mettre à « faire » au milieu d’eux pour leur donner envie de se mettre au travail, beaucoup plus que d’expliquer ce qu’il faut faire. Il est vrai que les situations où les initiatives d’actions sont ainsi parlantes, sont difficiles à réaliser.

LE SERVICE EFFICACE DE l’HOMME

Aujourd’hui, dans l’Eglise de France, nous voyons beaucoup de jeunes se décider à orienter leur vie vers le ministère envisagé comme un service de communauté rassemblée devant Dieu pour la célébration de la louange (Assemblée de prière) où la célébration des sacrements (eucharisties). En même temps, leur souhait est que les conditions de leur ministère leur permette de vivre eux-mêmes le rythme et le soutien de la vie religieuse communautaire. Il faut tenir compte de cet aspect de la vitalité de l’Eglise.

Mais il faudrait aussi, avec plus d’évidence, manifester une autre forme de la vitalité de l’Eglise qui ne discrédite pas ce premier aspect : celle qui s’incarne, comme ce fut le cas en d’autres temps, dans le service efficace de 1’homme.

Dans les "Relations" des Jésuites de la Nouvelle France au XVIIème siècle, on sent passer un souffle étonnant. Le grand appel de ceux qui avaient envie de faire connaître le nom et la vitalité de Jésus, comme le fit Isaac JOGUES, qui partait de la demeure paisible d’une famille aristocratique de la province française pour aller vers ce qu’il appelait les "sauvages" du Canada.

Comment serait-il possible que l’évangélisation, la première annonce de la Bonne Nouvelle retrouve le même souffle dans une société développée, mais aussi désertique pour la semence de la parole de Dieu ? Comment serait-il possible de retrouver un attrait aussi fort ? Que veut dire annoncer, sans romantisme, la conversion pour ce peuple de la compétition professionnelle, de la culture technique, des moyens de diffusion de masse ?

Qu’annoncer ?

Qui annoncera ?

Sans romantisme, mais avec enthousiasme.

Partout où il y a des expériences de ce genre où des groupes de jeunes retrouvent ce souffle, comment serait-il possible de le communiquer ?

Il fut également un temps, aux origines de l’Eglise, où la naissance de la vie religieuse tant sous sa forme communautaire que sous la forme érémitique, fut conçue comme un substitut du martyre. Le sentiment qu’il fallait sortir d’un monde trop facile pour retrouver les conditions d’un vrai combat pour recevoir le don de Dieu.

On ne peut, sans doute, vivre et annoncer Dieu dans notre société de confort, sans se préoccuper de quelques-uns de ces grands défis que les évêques de France viennent de nous désigner pour les années qui viennent (1).

Et ceci pour que le nom de Dieu ne soit pas "méprisé parmi les nations".

Une Eglise où s’attestent la force de la contemplation et le service exigeant et humble de l’homme, une Eglise qui embraie avec évidence sur le Salut du monde.

NOTES

(1) Des défis qui sont en particulier :

- le refus d’une société duale où il y aurait d’un côté les dynamiques, les performants et de l’autre des hommes livrés à la précarité relevant de l’assistance,

- le respect du système de protection sociale qui est une forme d’exercice de la solidarité,

- le fait que les plus pauvres ont sur nous des droits prioritaires, vérité intra-universelle pour laquelle les chrétiens se savent convoqués au nom de 1’Evangile et qui requiert de nous pour les peuples démunis de pain, de culture ou de liberté un engagement effectif.
Le système éducatif qui doit permettre aux jeunes dans notre société de trouver chacun une possibilité effective d’une formation pleinement humaine, donc une formation ouverte à la dimension religieuse, le respect de la vie sous toutes ses formes, des enfants les plus exposés et sans discrimination, que les malades soient entourés, que les mourants soient accompagnés jusqu’au bout.

- Les défis de la cellule familiale, les immigrés qui ont droit de réaliser peu à peu une véritable intégration et, enfin, le fait de ne pas mépriser les conditions du débat démocratique. [ Retour au Texte ]