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Vocation commune des baptisés et ministères spécifiques
Bernard QUINOT,
prêtre, de la Formation Permanente – diocèse d’ARRAS
Dans un numéro tout entier consacré à la mise en responsabilité des laïcs dans la pastorale des vocations, l’on comprendra sans peine la nécessité d’une réflexion théologique proprement dite ; deux faits typiques de la situation actuelle en France en montrent l’exigence :1. La participation de nombreux laïcs (hommes et femmes) à des tâches précises jusqu’ici accomplies par les prêtres pose un jour ou l’autre l’interrogation : pourquoi certaines tâches restent cependant réservées aux prêtres ? N’est-ce pas l’aveu que la responsabilité des laïcs reste secondaire, quoi qu’on en dise !2. Dans la mentalité courante, c’est encore en faisant appel aux religieuses que l’on peut suppléer à l’absence du prêtre dans telle paroisse où à sa surcharge d’occupations pastorales. N’est-ce pas l’aveu que la vocation religieuse n’est pas perçue dans son originalité propre ?La réflexion théologique a pour mission d’éclairer les raisons qui aboutissent à de telles pratiques, d’expliquer si possible leurs limites ou leurs erreurs, de proposer enfin d’autres perspectives pour mener une action... C’est le but que je poursuis dans cet article de quelques pages seulement ; comme un apéritif qui donne de l’appétit pour que les lecteurs en discutent, réagissent et s’interrogent peut-être sur les références théologiques qui sous-tendent leur action dans la pastorale des vocations...
I - D’où viennent nos difficultés actuelles ?
Les deux exemples donnés plus haut manifestent bien sur quel fonctionnement l’activité de l’Eglise est envisagée.
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S’il y avait assez de prêtres, l’on aurait moins besoin des laïcs ; et certains prêtres parfois, se plaignent d’être dépossédés de tel contact avec les enfants par les catéchistes, par exemple. D’ailleurs dans la prière pour les vocations, la demande "Seigneur, donnez-nous des laïcs", n’était guère formulée. L’appel fait aujourd’hui aux laïcs ne serait-il qu’un simple élargissement du "groupe des chefs" jusqu’à certaines limites ?
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Faire appel aux religieuses peut paraître à certains comme une mise en valeur des femmes dans l’Eglise ; mais n’est-elle pas aussi la preuve qu’on a simplement modifié la répartition des tâches dans les activités courantes : et voici les religieuses reconnues comme les auxiliaires de la pastorale, parce qu’il le faut bien !
Prêtres, religieuses, laïcs seraient-ils comme des catégories de chrétiens que les difficultés du moment mettent en compétition mutuelle, parce que le recrutement de telle catégorie faiblit alors que ces trois composantes fonctionnaient jusqu’ici harmonieusement ... ?
Le théologien est ainsi poussé à chercher si ce fonctionnement auquel nous sommes habitués n’est pas lié à une situation historique donnée, dont il s’agit de dénouer les fils : car les Eglises sont toujours dans le monde tel qu’il est à chaque époque et dans telle région, au nom même de la mission qui leur est confiée par le Christ : "Allez, de toutes les nations, faites des disciples.." (Mt. 28, 19). Et le Concile Vatican II a volontairement placé la mission de l’Eglise DANS le monde de ce temps, dans sa quatrième session, en 1965.
II - Deux façons de voir la place de l’Eglise dans la société entraînent deux façons de voir le fonctionnement ecclésial..
Les historiens nous rendent un fameux service : prendre conscience que les choses changent, que ce qui existe aujourd’hui n’a pas toujours existé ainsi ! Utilisant leurs études, nous pouvons brièvement décrire comment celles-ci éclairent le fonctionnement d’où viennent les difficultés signalées plus haut.
1 - UNE PRISE DE POSITION "ECOLESIOCENTRISTE" VIS-A-VIS DE LA SOCIETE, ENTRAINE UN FONCTIONNEMENT CLERICAL DE l’EGLISE
Dans cette orientation "ecclésiocentriste", l’ensemble de l’Eglise se perçoit et se définit comme la société parfaite : c’est-à-dire une société qui se suffit à elle-même pour se penser, s’organiser, agir... Elle conçoit sa mission vis-à-vis du monde comme un devoir de l’enseigner, de le juger afin de le convertir. Dieu n’est-il pas le créateur de l’ordre naturel du monde ? A l’Eglise revient de garantir cet ordre divin du monde. Les valeurs de la terre n’ont de valeur que si elles sont rapportées aux vérités éternelles de Dieu qui s’est révélé à l’Eglise et en fait la gardienne. Cette option ecclésiocentriste conduit les responsables de l’Eglise à estimer qu’ils ont en réserve la solution aux questions que l’histoire pose aux hommes : encore au XIXème siècle, le combat pour les droits de l’homme apparaissait comme un défi aux droits de Dieu sur ses créatures.
Ce rapport Eglise/Société se répercute dans la conception de l’Eglise en tant que communauté de foi : le pape Pie X le disait clairement dans l’Encyclique "Vehementer nos" adressée à la France (février 1906) :
"L’Eglise est, par essence, une société inégale, c’est-à-dire comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le troupeau, ceux qui occupent un rang dans la hiérarchie et la multitude des fidèles... Dans le corps pastoral seuls résident le droit et l’autorité nécessaire pour promouvoir et diriger tous les membres vers la fin de la société."
Les prêtres, dès lors, faisant partie de la hiérarchie, sont perçus - et s’identifient - à travers les figures du notable, du chef, du père ; ils sont parfois en conflit avec l’ordre civil séculier sur des points comme la liberté de conscience. Ils sont ceux qui savent, qui ont le pouvoir, qui gèrent l’institution Eglise et par elle, la société elle-même au moins dans le domaine religieux, l’éducation, la morale... Ils se présentent comme les signes de Jésus-Christ pour les laïcs et les religieux.
Ainsi une conception fermant l’Eglise à l’autonomie du monde entraîne un fonctionnement clérical de l’Eglise tout entière, et une figure cléricale du prêtre.
2 - UNE AUTRE FAÇON DE VOIR APPELLE UN AUTRE FONCTIONNEMENT
Vatican II sera dans l’Histoire le Concile qui a profondément modifié la façon dont l’Eglise se perçoit dans la société. Rappelons-le brièvement :
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Tout d’abord, le Concile applique au monde et à son histoire la promesse du Royaume de Dieu dont Jésus s’est fait le prophète. C’est ce monde qui s’ouvre au salut en accueillant le Règne de Dieu dont Jésus est le visage... De ce Royaume déjà là et pas encore réalisé pour le monde, l’Eglise est comme le sacrement. Sa mission est de l’annoncer, de l’instaurer par son action, d’en être le germe (L.G. n°5). Désormais le rapport de l’Eglise au monde passe par ce troisième terme : le Règne de Dieu.
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Dès lors, peut être reconnue l’autonomie des sociétés humaines, la valeur propre de la sécularité comme de tout ce qui fait la vie humaine, en positif comme en négatif... De ce fait, Eglise et monde ne sont plus face à face ; l’Eglise est dans la société comme une réalité sociale de l’histoire ; avec une mission : y être comme un levain, un ferment du Royaume, en dialogue avec tout ce qui se vit ; à son tour, elle écoute et apprend du monde lui-même (cf. G.S. n°44).
Cette nouvelle façon de voir du Concile entraîne un autre fonctionnement ecclésial ; vingt ans après Vatican II, il se met peu à peu en place.
a) Priorité à la vocation commune de toute l’Eglise
Située dans un monde placé sous l’horizon du Règne de Dieu, l’Eglise s’identifie alors par ce qui est commun à tous ses membres, par ce à quoi tous sont appelés : n’est-elle pas le Peuple que Dieu appelle à devenir Corps du Christ, corps que celui-ci fait vivre de son Esprit dans l’histoire des hommes ?
L’accent n’est plus mis d’abord sur la distinction entre prêtres et laïcs mais il est mis sur ce qui est la vocation commune de tous :
Nous avons tous une même DIGNITE dont le baptême est la célébration.
Nous avons tous une même VOCATION A LA SAINTETE, à la suite du Christ et avec son Esprit.
Nous avons tous une même LOI : celle de vivre à la lumière de l’Evangile et d’agir en conscience en témoins du Seigneur.
Nous avons tous la même ESPERANCE : faire réussir ce monde auquel Dieu ouvre son Règne.
Nous sommes tous RESPONSABLES solidairement de la mission confiée à l’Eglise par son seul Seigneur Jésus-Christ.
Autrement dit, l’Eglise se saisit d’abord collectivement, comme un tout par rapport auquel prennent sens les différentes fonctions, services, spécialisations nécessaires à la vie de ce tout... Vatican II est très clair sur ce point :
"Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres cependant, quant à la dignité et a l’activité commune à tous les fidèles, il règne entre tous une véritable égalité". (L.G. n°32)
Dès lors, on comprend que le maître-mot d’un fonctionnement adapté à cette vocation commune sera le mot nouveau de CO-RESPONSABILITE. Et l’on devine déjà quelles implications peuvent en résulter pour un service des vocations.
b) Un fonctionnement ecclésial reposant sur la co-responsabilité de tous les baptisés
Ce renversement "copernicien" ne peut se faire qu’avec le temps nécessaire à la transformation des mentalités, ce qui n’est jamais facile. Le mot "co-responsabilité" peut aussi induire des significations multiples :
Est-ce à dire, par exemple, que chacun devient responsable de tel domaine, de telle sorte qu’il n’ait plus à en rendre compte à qui que ce soit ?
Est-ce à dire qu’il suffit désormais de répartir les tâches entre tous les baptisés de façon démocratique, ou administrative ?
Est-ce à dire qu’il y aura au-dessus de la vocation commune des vocations spéciales, particulières venant s’ajouter à la première ?
C’est bien pourquoi les théologiens qualifient souvent cette co-responsabilité de tous d’un adjectif : "DIFFERENCIEE". Avant d’y venir, soulignons deux caractéristiques fondamentales de cette co-responsabilité de tous : son enracinement et sa qualification.
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elle s’enracine dans les sacrements du Christ qui constituent tout chrétien comme chrétien : le baptême, la confirmation et l’eucharistie, c’est-à-dire les sacrements qui font l’Eglise et que fait l’Eglise. Cette co-responsabilité n’est donc pas d’abord démocratique mais sacramentelle,
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elle trouve sa qualification dans l’Esprit Saint et la diversité de ses dons : c’est donc au sein même de la vocation commune que s’inscrira la variété des charismes que l’Esprit du Christ donne aux baptisés pour qu’ensemble et diversement, ils accomplissent la mission qui leur est confiée.
Autrement dit, c’est la vocation commune qui requiert la diversité des vocations personnelles.
III - Vocation et mission des baptisés-laïcs dans ce fonctionnement en co-responsabilité
1 - EVITER LE PIEGE DU DUALISME SACERDOCE / LAICAT
Le chemin parcouru nous y invite ; si nous situons de nouveau prêtres et laïcs en compétition dans la mise en oeuvre de la mission de l’Eglise, nous tournons le dos à Vatican II ! Nous oublions en effet que les uns et les autres sont d’abord des baptisés bénéficiant tous de la dignité commune.
Le piège prend souvent la forme de la question : "Qu’est-ce que l’ordination ajoute au baptisé laïc ?". Visée tout à fait pré-conciliaire qui conçoit l’Eglise en classes qui s’additionnent. Eh bien, non ! On ne définit pas les laïcs par soustraction comme des baptisés qui n’ont pas le droit de présider l’Eucharistie. On ne définit pas les prêtres par soustraction comme des chrétiens qui ne sont pas mariés ou professionnalisés...
C’est pourquoi l’expression sacerdoce-laïcat est à abandonner, même si elle a pu constituer un réel progrès au cours du siècle. Car la dignité des laïcs évoquée par le terme "laïcat" dans les mouvements d’Action Catholique se retrouve bien dans la dignité et la responsabilité de tous les baptisés, donc des laïcs. Celles-ci vont de pair avec la reconnaissance de l’autonomie humaine, de la consistance des projets et des valeurs humaines, de leur "laïcité" pourrait-on dire, dans un monde séculier appelé à s’ouvrir au Règne de Dieu.
Pour éviter le piège, on ferait mieux d’adopter le rapport COMMUNAUTES ECCLESIALES / CHARISMES ET MINISTERES pour caractériser ce fonctionnement en co-responsabilité d’une Eglise qui est dans le monde à cause du Royaume. On évite ainsi un autre travers souvent véhiculé par la dualité sacerdoce / laïcat : celui qui mettant les laïcs dans la société, semble en exclure les prêtres. Ce ne sont pas les laïcs seulement qui doivent prendre en charge les affaires du monde ; c’est toute l’Eglise qui reçoit la mission d’être sacrement du salut de ce monde ; cela fait partie de la vocation commune à tous les baptisés, donc des prêtres et des évêques !
C’est pourquoi il faut bien comprendre ce que signifie le "caractère séculier propre aux laïcs". A son retour du synode, Mgr COFFY notait que le synode d’octobre 87 a parlé de la "sécularité de l’Eglise" pour bien montrer que celle-ci est dans le monde et ne peut s’en désintéresser... Il ne s’agit donc pas de renvoyer les prêtres aux seules activités ecclésiales sous prétexte de laisser les laïcs s’occuper du monde de façon exclusive (cf. LA CROIX, L’EVENEMENT, 19-11-1987). Parler du caractère séculier des baptisés laïcs, c’est parler de leur mission propre : construire avec les autres une société qui permette à tout être humain d’accueillir librement le Royaume de Dieu (paix, justice, droits de l’homme, vérité, etc.) et ainsi témoigner du "monde nouveau" qui vient en Jésus ressuscité.
Mais pour sortir vraiment du piège, il nous faut rendre compte théologiquement de ce fonctionnement ecclésial basé sur le rapport communautés ecclésiales / charismes et ministères. L’apport des sciences humaines va nous y aider.
2 - UNE AIDE QUI VIENT DES SCIENCES HUMAINES
Celles-ci nous font découvrir comment se construit l’identité de l’être humain. Il ne suffit pas d’être un petit d’homme pour devenir humain ; il faut surtout être introduit dans les rapports sociaux qui humanisent chaque individu : famille, langue, cuisine, coutumes du pays, imaginaire social, pratiques rituelles de fête, de deuil, histoire du groupe, interdits moraux, etc. La diversité de ces usages font que l’humanisation se fait diversement selon les groupes : chaque individu en effet s’identifie de façon différente car ces divers éléments jouent un rôle symbolique , non pas au sens classique de serpent qui symbolise la ruse mais dans un sens neuf que les exemples suivants montrent bien : coller sur sa vitre de voiture "Ecole libre vivra" ou "Laïcité-Liberté" disent bien en 1984 à quel groupe on s’identifiait ; se placer derrière une banderole CFDT ou CGT permet aussitôt de s’identifier mutuellement même si ces deux individus ne se sont jamais rencontrés. La fonction symbolique jouée par ces objets appelle la communication et confère à chacun son identité propre. La vignette ou la banderole joue un rôle symbolique : elle fait tenir ensemble, elle fait exister le groupe dans lequel chacun trouve son identité personnelle.
Ainsi chaque groupe humain a ses symboles d’identité, chacun reçoit son identité des autres ; chacun contribue par son action à renforcer l’identité des autres ou à se marginaliser.
3 - LA FONCTION SYMBOLIQUE DES MINISTERES POUR l’EGLISE
Il en est de même pour l’Eglise, quand elle se reconnaît comme une réalité sociale de l’histoire humaine, selon la perspective de Vatican II que nous avons développée plus haut. Mais cette réalité sociale est originale ; l’Eglise ne se donne pas sa mission, elle la reçoit de Celui qui l’envoie, Jésus Ressuscité ; l’Eglise ne se donne pas son identité, elle la reçoit avec la force de l’Esprit, de Celui qui la fait vivre de son Corps et de son sang. D’où la nécessité d’une fonction qui dans la communauté ecclésiale et vis-à-vis d’elle, joue ce rôle symbolique : LES MINISTERES.
Confiés à quelques-uns, les ministères rappellent à tous les baptisés ce qu’ils sont, ce qu’ils ont à vivre. Par leur présence et leur action propre, ils permettent à la collectivité des fidèles de s’identifier comme Eglise du Christ, tenant de lui sa vocation, sa mission, son existence. Les ministères et particulièrement les ministères ordonnés, servent 1’ecclésialité des communautés chrétiennes.
Ce qui implique une mise en rapport entre les communautés et les ministres ; car c’est bien de ce rapport que la fonction symbolique tire sa force d’identification : mettre un tee-shirt jaune à Manille il y a deux ans, c’était dire sa prise de position pour Cora Aquino, dont le mari, vêtu de jaune, avait été éliminé par le président Marcos. De même c’est le rapport entre communautés chrétiennes et ministères qui est opérateur d’identité ecclésiale pour les uns comme pour les autres :
les ministres trouvent leur identité ministérielle dans le rapport à ce peuple qui n’est pas le leur mais celui de Dieu,
les communautés trouvent leur identité ecclésiale dans le rapport à ces ministres qui ne sont pas ses dirigeants mais les pasteurs que le Seigneur leur donne.
Ainsi est dépassé le schéma d’opposition ou de concurrence entre prêtres et laïcs par exemple ; il s’agit désormais d’un rapport de reconnaissance mutuelle entre l’Eglise et ceux qui en son sein ont reçu des ministères précis. Comme l’écrivait Jean RIGAL :
"Toute la communauté célèbre les sacrements ; quelques-uns remplissent dans la célébration, un rôle particulier ; tous portent la responsabilité de l’évangélisation, quelques-uns l’exercent dans un mouvement. Toute l’Eglise vit dans la fidélité à la foi des Apôtres ; certains sont habilités à exercer un ministère de discernement au service de cette fidélité. Bref, la signification de quelques-uns est toujours ordonnée à la signification de tous."
(Des COMMUNAUTES POUR l’EGLISE, col. Dossiers Libres, CERF, 1981, p.24
4 - UNE ARTICULATION TENANT COMPTE DE LA VOCATION COMMUNE
De l’articulation ainsi établie entre tous et quelques-uns résulte une conséquence importante pour le fonctionnement ecclésial de la co-responsabilité. La fonction symbolique des ministères fait comprendre que ceux-ci ne s’ajoutent pas aux communautés ecclésiales, comme un élément extérieur, qui viendrait les coiffer ; ils révèlent plutôt l’origine, l’identité, le "mystère" de toute communauté ecclésiale suscitée par le Christ pour témoigner du salut universel là où vivent les groupes humains.
Ce fonctionnement original, lié à l’identité même de l’Eglise de Jésus-Christ permet de saisir qu’aucun ministère ne fait disparaître la responsabilité de tous les baptisés ; il ne la réduit pas non plus à un degré mineur car tout ministère ne se justifie que pour servir la mission que la communauté elle-même reçoit du Seigneur lui-même. Par exemple, pour que telle Eglise locale puisse célébrer l’Eucharistie (ce qui fait partie de sa mission) il lui faut la fonction du ministère ordonné ; par lui et avec lui, l’Eglise locale manifeste son obéissance à la foi des Apôtres et son lien avec les autres communautés ecclésiales ; ainsi peut-elle communautairement exercer son sacerdoce baptismal, rendre grâce au Père avec le Christ dans son sacrifice pascal en y apportant sa participation propre, fruit de l’Esprit qui lui est donné.
Cet éclairage du fonctionnement ecclésial en co-responsabilité différenciée permet aussi deux ouvertures notables :
- D’une part, ne pas céder à la tentation d’appeler ministère toute responsabilité exercée par les baptisés, même si celle-ci demande des compétences et a de l’importance : ceci aboutirait à reconstituer une classe de "super chrétiens", surtout à un moment où l’initiation chrétienne (baptême, confirmation, eucharistie) est loin d’avoir retrouvé toute sa signification ecclésiale et missionnaire ; aux yeux même des baptisés.
- D’autre part, faciliter la reconnaissance de ministères variés et des charismes latents dans le Peuple de Dieu ; à l’inverse de ce qui s’est produit pendant longtemps au point de concentrer tous les ministères en la même personne et sous la même désignation : les prêtres... Vatican II a commencé en précisant le ministère épiscopal et en rétablissant le diaconat permanent pour les hommes.. Paul VI a continué ; dans bien des diocèses aussi le déploiement s’effectue dans tous les domaines de la mission de l’Eglise ministères reconnus, charismes mis en oeuvre, responsabilités exercées commencent à jouer leur fonction symbolique : faire apparaître à l’ensemble des baptisés qu’ils ont à vivre concrètement leur responsabilité commune dans cette société humaine placée sous l’horizon du Règne de Dieu.
IV - Quelques Implications d’un tel fonctionnement ecclésial pour une pastorale des vocations
Déjà l’on a senti qu’un fonctionnement ecclésial de co-responsabilité différenciée entraîne une autre manière d’employer le mot "Vocation" lui-même ; il ne peut plus être réservé à désigner les vocations sacerdotales et religieuses puisqu’il concerne l’Eglise entière. "L’Eglise est le sujet premier de la vocation", disait le Père Yvon BODIN, à l’ouverture du congrès national des vocations (Lourdes 87). Mais sans vouloir être exhaustif, voici quelques implications qu’entraîne la perspective ouverte par Vatican II quant au fonctionnement de l’Eglise.. Nous reprenons les titres par lesquels nous avons tenté de le caractériser.
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PRIORITE A LA VOCATION COMMUNE DE TOUTE l’EGLISE
Ceci implique qu’au lieu de dire : il y a la mission des prêtres, des religieux et des laïcs, l’on souligne d’abord que l’Eglise est mission. L’appel aux différentes vocations, ne doit-il pas être ré-équilibré par le souci prioritaire que l’Eglise en tant que collectif humain est le fruit de l’appel du Dieu-Trinité dans ce monde à qui est promis le Royaume.
Ainsi la Pastorale des Vocations n’est plus située à l’intérieur de l’Eglise pour son organisation interne mais elle touche au rapport de l’Eglise à la société de son temps, à ses besoins comme à ses défis puisque c’est dans cette société-là que l’Eglise est appelée à exister "à cause de Jésus et de l’Evangile" (vocationnée).
Le service des vocations est concerné par tout ce qui se passe dans la société, qu’il s’agisse de la distance prise par beaucoup de jeunes vis-à-vis des Eglises comme de la recherche éthique que réveillent actuellement les applications possibles de la biologie.
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UN FONCTIONNEMENT ECCLESIAL REPOSANT SUR LA CO-RESPONSABILITE DE TOUS LES CHRETIENS
Ceci implique qu’en Pastorale des Vocations, on évite de présenter de manière échelonnée les différentes vocations, comme si les unes étaient supérieures aux autres : ainsi l’état religieux souvent présenté comme "la norme et l’exemplaire de la perfection chrétienne". Cela ne veut pas dire que l’accent ne soit pas mis sur le manque cruel de vocations dans tel secteur de la mission ; mais il n’est pas sain de voir que l’appel au ministère presbytéral devienne quasiment le seul qui compte ! Il y a bien d’autres domaines de la mission de l’Eglise où les baptisés ne sont pas des chrétiens actifs.
Ceci implique aussi qu’on évite un tout autre échelonnement : les gens de tel milieu social plutôt que de tel autre, les hommes plutôt que les femmes, etc. Le poids des habitudes pèse ici bien lourd, c’est évident ; mais là aussi, la Pastorale des Vocations aurait à veiller à ce que même dans la discipline actuelle de l’Eglise, la co-responsabilité ne soit de fait tronquée du seul fait qu’on soit femme, qu’on soit rural, ou qu’on soit ouvrier...
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EVITER LE PIEGE DU DUALISME SACERDOCE / LAICAT
Faut-il encore parler de la vocation des laïcs ? Non, dans la mesure où ce terme désigne un groupe qui s’oppose à celui des prêtres et des religieux ; c’est mépriser de nouveau la vocation commune à tous les baptisés ! Non encore, dans la mesure où ce terme recoupe encore pour beaucoup une répartition malheureuse : les laïcs dans le monde ; et les prêtres, dans l’Eglise ! Non enfin à cause de l’équivoque liée en français au mot lui-même : laïc / laïcité.
A ce sujet, la Pastorale des Vocations n’aurait-elle pas à insister sur deux points :
d’une part, personne ne se donne sa vocation, ni l’Eglise qui la reçoit de Dieu, ni les ministres ordonnés qui la reçoivent de l’Eglise par l’évêque, ni chaque baptisé qui la reçoit de la communauté locale, compte tenu de sa vie humaine : ainsi teLle mère de famille qui devient catéchiste, tel étudiant qui devient théologien, tel ouvrier qui devient apôtre, martyr. Car toute vocation est la mise en oeuvre des dons de l’Esprit (les charismes) à tout être humain initié à la foi et aux sacrements qui font le "laos", le Peuple de Dieu. Ainsi les laïcs ne sont plus sectorisés à part.
D’autre part, personne ne s’approprie exclusivement les tâches ou les actes auxquels sa vocation le dispose : l’évêque ne dirige pas son Eglise, mais celle du Christ, le prêtre ne célèbre pas sa messe, mais celle de l’Eglise, la religieuse ne poursuit pas sa sainteté, mais le service du Royaume de Dieu dans son témoignage communautaire ; de même, les laïcs ne sont pas affectés aux choses profanes dont d’autres seraient dispensés (travail, mariage, politique) mais agissent de telle sorte que la société humaine, où qu’elle soit - même dans cette réalité sociale qu’est l’institution-Eglise - soit construite par des hommes dans les tonalités du Royaume qui vient (justice, partage, paix, fraternité, dignité, etc.).
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UNE ARTICULATION TENANT COMPTE DE LA VOCATION COMMUNE
Ceci implique que la Pastorale des Vocations ne se contente pas d’énumérer les différents types d’engagements, de ministères, de services, de groupements dont l’Eglise a besoin pour son équipement missionnaire comme s’il s’agissait de pourvoir à tout un ensemble de tâches.
Cette façon de faire conduit à masquer la fonction symbolique des ministères dont nous avons vu l’importance pour l’identité même de l’Eglise. Il faut au contraire distinguer nettement tout ce qui permet, dans les domaines du témoignage de foi, du service de l’homme et de la communion sacramentelle, de mettre en oeuvre la vocation commune à tous les chrétiens ET l’appel aux ministères qui, dans ces trois domaines, manifestent l’origine divine, la source christique et pneumatologique de cette responsabilité de tous.
Autrement dit, dans l’appel aux vocations, il faut distinguer pour articuler ! L’équipe, le service ou la communauté a besoin du ministère du lecteur pour s’identifier comme Eglise rassemblée par la Parole de Dieu ; elle a besoin du ministère diaconal pour s’identifier comme Eglise tout entière envoyée pour servir ; et le prêtre a besoin du ministère du diacre pour mieux vivre son propre ministère presbytéral... Chacun s’identifie dans son rapport aux autres puisque c’est dans cette mise en rapport que l’Eglise perçoit ce qu’elle est : le sacrement du Christ et du Royaume de Dieu... "Avec vous je suis chrétien, pour vous, je suis évêque", disait St Augustin à la communauté d’Hippone.
En conclusion
Nous sommes encore au début d’un fonctionnement ecclésial en co-responsabilité. Mais les historiens de demain noteront peut-être en positif ce qui paraît souvent dramatique : la diminution importante des prêtres en exercice ; ils constateront peut-être avec joie que cet événement brutal a rendu possible, nécessaire même le passage à la co-responsabilité des autres chrétiens ; ils noteront aussi sans doute des conflits de pouvoir, des abus, des blocages ; mais aussi, nous l’espérons, des réalisations typiques d’un nouvel équilibre ecclésial qui se profile dès maintenant. S’appuyant sur les orientations du Concile Vatican II, cet équilibre rejoint ce passage de la Lettre aux Ephésiens :
"Il y a un seul Corps et un seul Esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance... A chacun de nous cependant la grâce a été donnée selon la mesure du don du Christ." (Eph 4, 4-7)
Mais entre les Ephésiens et Vatican II, voici un grand témoin de la Tradition patristique, Léon le Grand que cet équilibre ecclésial nouveau évoque aussi :
"L’Eglise universelle est organisée selon des degrés différents, afin que la diversité des membres assure l’intégrité de ce corps sacré. Cependant, comme dit l’Apôtre, ’tous nous ne faisons qu’un dans le Christ’. Aucun de nous n’est séparé d’un autre par sa fonction au point que la plus modeste partie du corps ne serait pas reliée à la tête. Donc, dans l’unité de la foi et du baptême, nous constituons une société sans classes, mes bien-aimés, et nous avons une même dignité, selon l’Apôtre Pierre qui nous dit : ’vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu’ (1 P 2, 9)... Ainsi, en dehors du service particulier de notre ministère, tous les chrétiens qui vivent selon l’Esprit et selon la logique de leur vocation doivent se reconnaître comme participant à la race royale et à l’office sacerdotal."
(Homélie pour l’anniversaire de son ordination épiscopale, P.L. 54, 145-146)
QUELQUES LIVRES OU ARTICLES POUR APPROFONDIR LA QUESTION
l/ Vocation et mission des laïcs dans l’Eglise et le Monde, Lineamenta pour le synode des évêques - Ed. du CENTURION, 1987 : pour la reprise des perspectives de Vatican II sur le sujet.
2/ Initiation à la pratique de la théologie - CERF, 1983, tome 3 : pour la théologie des ministères ordonnés dans l’Eglise
3/ L’Eglise icône de la Trinité - Bruno Forte - Ed. MEDIASPAUL, 1985 : brève ecclésiologie et mission de l’Eglise dans le monde.
4/ Alexandre FAIVRE : Les laïcs aux origines de l’Eglise - CENTURION 1984 le point fait par l’historien.
5/ B. QUINOT : Un lien symbolique pour l’Eglise : le rapport des prêtres aux laïcs, dans Masses Ouvrières, n° 409. Pour l’apport des sciences humaines touchant la fonction symbolique
6/ Gaston PIETRI : Baptisés responsables en Eglise, en fidélité à Vatican II - revue des Aumôneries d’hôpitaux - n° 115 - juillet 1987
7/ J.-M. PERRIN : Le laïc, un baptisé - NOUVELLE CITE, 1987