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Prêtres diocésains : quel appel ?
Lucien LACHIEZE-REY,
responsable S.D.V. pour le diocèse de CAHORS
et délégué pour la région Midi-Pyrénées
Ces quelques pages n’apporteront guère de nouveauté. Telle n’est pas leur ambition ; elles veulent seulement contribuer
à situer la vocation au ministère de prêtre diocésain dans le projet que Dieu a pour l’Eglise et pour l’humanité, tel que la lecture de la Bible et la Tradition de l’Eglise nous le laissent entrevoir ;
à renouveler notre regard sur l’Eglise locale particulière qu’est le diocèse, afin de renouveler notre regard sur le ministère de prêtre diocésain ;
à rappeler quelques convictions ou repères susceptibles d’ouvrir des avenues pour aujourd’hui et pour demain.
AU COEUR DE LA VOCATION ET DE LA MISSION d’UN PEUPLE
En parcourant l’Ancien et le Nouveau Testaments
Dès l’Ancienne Alliance, Dieu appelle un peuple, sans se lasser. Peuple-témoin dont le Seigneur veut faire comme le point d’ancrage d’un appel adressé à toute l’humanité ; c’est moins un privilège qu’un signe (Is. 2, 9) : En appelant Israël, Dieu fait signe à l’humanité et les prophètes vont disant cela de plus en plus fort.
Dieu appelle aussi des personnes : Abraham, Moïse, les Juges, David, les prophètes, et, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testaments, Jean-Baptiste, Marie..., mais ces personnes sont toujours appelées dans la perspective de ce projet de Dieu de se constituer un peuple.
Paraît Jésus, l’Appel divin fait chair (et aussi la réponse parfaite, l’Amen) l’envoyé qui envoie.
L’invitation de Dieu qui veut rassembler son peuple pour que, dans cet Israël renouvelé, se rassemble l’humanité entière sans exclusive aucune, est définitivement redite dans les paroles de Jésus, dans ses gestes et dans le mystère de sa Personne - en particulier dans sa mort offerte et dans sa résurrection.
C’est donc, dans l’accomplissement des promesses, le Peuple de Dieu qui est invité à se constituer, prélude des derniers temps annoncés. Ce peuple a un caractère messianique, comme le souligne le concile Vatican II (L.G. 9).
Les fondations de ce peuple, ce sont les Douze que Jésus choisit et à qui il demande de le suivre.
Ce peuple du Signe levé parmi les nations, dont il a jeté la semence, pour lequel il a offert sa mort, va éclore à la première Pentecôte. L’Esprit du Seigneur est répandu sur toute chair (Ac. 2, 17), c’est-à-dire sur tout être humain disposé à le recevoir ; il fait le rassemblement et l’unité de tous en respectant les diversités : chacun entend Pierre dans sa propre langue (Ac. 2, 8).
L’appel radical de Dieu, manifesté en Jésus de Nazareth, n’a pas été étouffé par la mort de celui-ci sur la croix : bien au contraire, le voici répercuté avec audace après la résurrection.
Les premiers disciples, les premiers croyants l’ont très bien senti. Ils sont l’Eglise, l’Ekklêsia, communauté d’appelés, de convoqués.
A travers ce mot, on perçoit la conscience aiguë qu’ont ces hommes et ces femmes de répondre à une vocation :
faire partie | de la famille de Dieu Père |
de la fraternité de Jésus Messie | |
de l’assemblée habitée par l’Esprit Saint |
où ils font l’expérience du salut, du Royaume qui a commencé d’arriver et qu’ils vont travailler à faire grandir dans le monde par leur vie, leur action et leur prière (cf. les demandes du "Notre Père"). Groupés autour des Douze. Appelés et appelants.
La cellule-mère de Jérusalem se ramifie très tôt en de multiples cellules locales(Damas, Antioche, Corinthe, Ephèse, Rome, etc.) qui se reconnaissent en chaque endroit Eglise de Dieu. Eglises-soeurs en communion entre elles. Eglises multiples et pourtant Eglise une, dans un monde à la fois diversifié et un.
On notera plusieurs aspects essentiels, aujourd’hui plus que jamais, du mystère de l’Eglise comme communauté de vocation :
peuple de Dieu au cœur du monde qui a sa source, son cœur et son aboutissement dans la Trinité Sainte ;
communion fraternelle en un point précis et entre communautés dispersées ;
sacrement de salut, signe, réalisation commencée, promesse et attente du Royaume.
Nous avons tous la vocation
Tous les membres de cette communion, de cette fraternité le sont à part entière, car la vocation du Peuple de Dieu n’est pas divisible, pas plus que sa mission. Il s’agit d’un peuple sacerdotal, prophétique, royal, qui participe aux richesses et aux activités de la Tête, Jésus glorifié, dont il est le Corps.
Il ne s’agit pas d’une vocation au sens large et dilué, ou de deuxième zone, ni d’un appel lointain et informe : être chrétien, c’est se savoir appelé et envoyé.
Nous avons tous la vocation. Nous sommes tous appelés a la sainteté.
En particulier, les laïcs sont tous concernés par la vitalité, le dynamisme et la fidélité des communautés, de l’Eglise entière. Ils sont tous concernés par la croissance du Royaume dont l’Eglise est le signe aujourd’hui là où elle est, le point repérable ; tous ont part à sa mission (L.G. 31).
Il y a un ministère global de l’Eglise qui s’enracine dans le baptême-confirmation, auquel participent, de façon diverse, tous les chrétiens laïcs.
Tous, quelques-uns
Les ministères comportant l’ordination, qu’on appelle encore "ministères apostoliques" sont d’une autre nature, car ils se rattachent au ministère des apôtres qui est le ministère fondement (Ep 2, 20).
L’Eglise des premiers temps était fondée sur les Douze et sur ceux qu’ils s’étaient associés (leur dénomination a pu varier avant de se fixer). L’Eglise d’aujourd’hui reste fondée sur ceux qui ont succédé à leurs fonctions. Pour grandir harmonieusement dans le monde, pour y vivre et y annoncer fidèlement le message du Salut, dans de nouveaux contextes et au cœur de situations très diverses, l’Eglise a besoin de tous ses membres mais en particulier du ministère apostolique : en premier lieu les évêques, et aussi les prêtres et les diacres.
TOUS sont appelés à vivre cette merveille de la Nouvelle Alliance, TOUS sont envoyés comme témoins ; QUELQUES-UNS sont appelés à un titre spécial, dans la suite des Apôtres, pour être comme la charpente de l’Eglise, les colonnes sur lesquelles s’appuie la construction en cours, oeuvre de l’Esprit-Saint.
Vocation spécifique de QUELQUES-UNS au service et au carrefour de la vocation de TOUS.
Evêques et prêtres, avec l’aide des diacres, ont un ministère structurant pour l’Eglise ; ils la fondent et l’aident à se développer de façon cohérente par le service de la Parole, des sacrements et de la conduite pastorale.
Ils sont chargés de maintenir et de développer dans l’Eglise le souffle de l’Esprit et la ligne évoquée dans les Actes (2, 42-47), au plan de
la parole : fidélité à l’enseignement des apôtres
de la vie et de la solidarité fraternelle : communion fraternelle
des sacrements et de la prière liturgique : fraction du pain et prières
ainsi que du rayonnement missionnaire : nouveaux fidèles qui s’adjoignent
Les ministres ordonnés sont DE la communauté (frères des autres croyants) et cependant dans un certain vis-à-vis de la communauté. "Pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien" (St Augustin, sermon 340).
Il n’y a pas lieu de parler d’antériorité de la communauté sur le ministère ordonné, ni du ministère ordonné sur la communauté : l’un renvoie à l’autre.
Ils naissent tous deux de la même intention du Christ, l’Esprit suscite l’un et l’autre dans le même mouvement ; la parole et l’eucharistie en sont le nœud.
Des personnes sont constituées sacramentellement pour que, par les sacrements, l’Eglise soit toujours plus sacrement du Salut. Signes du Christ qui rassemble et envoie, signes de la communion dans la communauté et entre communautés.
Cette charge apostolique, par la grâce de l’ordination, marque très profondément et radicalement ceux qui en sont revêtus. Elle ouvre pour eux un chemin original de sainteté, un lieu de conversion, de consécration au service de la mission.
le sens de l’ordination
Comme l’indique le mot, ceux qui la reçoivent sont ordonnés à un ministère ; "ordonnés" est plus fort que simplement "délégués". Il y a là une grâce, une marque qui introduit une nouveauté dans les gestes et comportements, dans les tâches, une nouveauté aussi au plus profond de ceux qui la reçoivent. Choix et grâce de Dieu pour ceux qui en sont revêtus, mais également tout autant pour toute la communauté, pour toute l’Eglise.
Ce choix et cette grâce de Dieu sont signifiés depuis les origines par le geste de l’imposition des mains : celle-ci, héritée du judaïsme, est pratiquée par l’Eglise au baptême et à la confirmation et dans d’autres circonstances encore ; dans l’ordination elle signifie la mise à part pour la mission, pour un ministère : envoi et bénédiction.
Dans l’Esprit-Saint, le Christ ressuscité continue de vivre avec son Eglise -c’est le mystère de l’Eglise- mais cela ne peut se faire sans le ministère ordonné qui est précisément signe de cette présence agissante du Christ.
Celui qui est ordonné, qu’ils soit évêque, prêtre ou diacre, tout en restant un chrétien parmi les autres chrétiens, un frère - dimension essentielle -, devient un chrétien-pour-les-autres ; un signe, une manifestation, une "personnification" du mystère de Jésus ressuscité agissant aujourd’hui et ici, dans son Eglise et dans le monde ("in persona Christi"). Il participe à la visibilité de l’Eglise ; pas n’importe laquelle, mais une visibilité nécessaire, à laquelle contribuent les autres chrétiens, qu’il faut réinventer aujourd’hui en l’incarnant dans une réalité locale, où il a sa part spécifique par son ministère.
Ce ministère ordonné, c’est d’abord dans l’évêque qu’il faut le comprendre, en ce sens qu’il est dans la ligne directe des Douze et des apôtres, "successeur des apôtres" ; en ce sens qu’en sa personne il signifie dans sa globalité - donc pour la communion - et le mystère du Christ et le mystère de l’Eglise ici et aujourd’hui.
Mais en leur confèrent l’ordination, il s’associe directement et sacramentellement des collaborateurs qui ont un lien privilégié avec lui, par ce que sacramentel, pour 1’Eglise-sacrement.
Les prêtres sont associés à son "épiscope", à sa sollicitude de pasteur et d’apôtre, et les diacres à sa "diakonia", c’est-à-dire aux multiples formes que peut et doit revêtir le service.
Tout ceci ne doit pas être tranché au couteau : c’est dans la collaboration, dans la complémentarité que se révèle le mystère de l’Eglise du Christ et que se vit sa mission dans le monde.
Sur un plan plus intime, les divers ministères ordonnés configurent plus spécialement à tel aspect du ministère de Jésus-Christ lui-même, et donc colorent la relation avec lui (cf. le rituel des ordinations).
APPELES DANS UNE EGLISE LOCALE. DIOCESAINE _
L’Eglise est communion
La théologie des derniers siècles, en présentant l’Eglise comme une société parfaite et d’abord hiérarchique, pour faire pièce aux prétentions des Etats ou aux changements sociaux et culturels, avait eu tendance à insister sur des caractères visibles, voire extérieurs de l’Eglise, et à en donner une image de plus en plus uniformiste et rationalisée.
Dans ce schéma-là, l’universalité de l’Eglise, elle aussi, apparaissait comme abstraite et centralisée, et bien des catholiques gardent encore l’idée d’une organisation pyramidale dont l’origine et la source seraient à Rome, et dont tout le reste ne serait qu’émanation ou subdivision.
Mais "une Eglise universelle antérieure (aux Eglises locales) ou supposées existant en elle-même en dehors d’elles toutes n’est qu’un être de raison. L’Eglise en son mystère ne se rencontre que dans les Eglises locales"
(H. de LUBAC)
Le concile de Vatican II a remis en évidence cette place, enracinée dans la plus authentique Tradition, des Eglises locales.
Parmi les très nombreux textes qui abordent ce thème, retenons-en quatre :
* "L’Eglise du Christ est vraiment présente en tous les légitimes groupements locaux de fidèles qui, unis à leurs pasteurs, reçoivent dans le Nouveau Testament, eux aussi, le nom d’Eglises. Elles sont, en effet, chacune sur son territoire, le peuple nouveau appelé par Dieu dans l’Esprit-Saint et dans une grande assurance..." (L.G. 26)
* "Formées à l’image de l’Eglise universelle, c’est en elles et par elles qu’existé l’Eglise catholique une et unique". (L.G. 23)
* "La plus haute manifestation de l’Eglise de Dieu (se fait) dans la participation plénière et active de tout le saint peuple de Dieu aux mêmes célébrations liturgiques, surtout à la même eucharistie." (S.L. 41)
* "Un diocèse est la portion du peuple de Dieu, confiée à un évêque pour qu’avec l’aide de son Presbyterium il en soit le pasteur ; ainsi le diocèse, lié à son pasteur et par lui rassemblé dans l’Esprit Saint grâce à l’Evangile et à l’Eucharistie, constitue une Eglise particulière en laquelle est vraiment présente et agissante l’Eglise du Christ une, sainte, catholique et apostolique". (CHR.DOM. 11)
Il faut donc dire avec force que l’Eglise est une communion ; sa réalité concrète et profonde tient à ce qu’elle est communion d’Eglises particulières qui donnent, là où chacune d’entre elles est plantée, visage au mystère même de l’Eglise une.
L’Eglise et son mystère prennent vraiment consistance et signification là où vit et grandit un peuple croyant et organisé autour d’un successeur des apôtres membre du collège épiscopal. C’est là qu’elle est appelée à incarner et à rendre visible la vie avec et selon le Christ, en se construisant dans l’Esprit-Saint, en célébrant l’Eucharistie, en sachant aussi que, en d’autres lieux, dans des contextes plus ou moins différents, d’autres Eglises existent, et que ce même Esprit du Seigneur les met les unes et les autres en communion de foi, d’espérance et de charité.
On le sent, l’expression "Eglise particulière" appelle des précisions : "particulière" ne s’oppose pas à "universelle" comme dans la langue courante, car l’unicité, ou catholicité, de l’Eglise est présente dans chacune des Eglises concrètes en communion avec les autres, et nous savons que, selon la grande Tradition, le qualificatif d’"Eglise catholique" s’applique aussi bien à chaque diocèse et à son évêque qu’à leur ensemble.
Communion n’est pas fédération. Une fédération, ce sont des groupes différents et autonomes qui renoncent, par une décision commune, à une part de leur autonomie : c’est de l’ordre politique et juridique.
La communion des Eglises est d’un autre ordre qui est mystique au sens fort ou "mystérique". Le même mystère de salut, le même sacrement de salut se réalise en plusieurs lieux, dans la vertu du Christ ressuscité et de l’Esprit répandu, à travers un même Evangile et un même Credo (ce que saint Irénée appelle la même "règle de foi"), à travers les mêmes gestes sacramentels, en particulier l’eucharistie, à travers*le même ministère, qui sont reconnus d’une Eglise à l’autre, tout en étant marqués par des diversités nécessaires d’expression et de connotation culturelle dont l’ensemble s’enrichit.
De ce fait, les Eglises particulières ont chacune leur existence propre et leur identité sans être autonomes ni autarciques pour autant.
Cette communion des Eglises a pour présidente et garante l’Eglise de Rome, celle de Pierre et de Paul "avec laquelle doit s’accorder toute autre Eglise" (St Irénée), qui "préside à la charité" (St Ignace d’Antioche) dont l’évêque, le pape, occupe dans le collège des évêques une place très spécifique. La primauté de l’évêque et de l’Eglise de Rome est service de la communion dans la foi, l’espérance et la charité.
L’Eglise de Dieu qui est à Jérusalem, l’Eglise qui est à Corinthe, l’Eglise qui est à Rome, l’Eglise qui est à Alexandrie, l’Eglise qui est à Lyon, l’Eglise qui est à Paris, l’Eglise qui est à Sao Paulo, l’Eglise qui est à Cahors... la liste, dans le temps ou dans l’espace, serait longue. C’était ou ce sont des diocèses (le mot est anachronique pour les plus anciennes de ces Eglises) plus ou moins importants.
L’Eglise locale diocésaine
Les diocèses, à qui le nouveau code de Droit Canon réserve peut-être trop exclusivement le nom d’Eglises particulières, et que H. LEGRAND propose d’appeler Eglises locales diocésaines, ne sont donc pas de simples subdivisions administratives comme le sont, par exemple, les départements français, même si, de fait, pratiquement les territoires coïncident. Dans ce dernier cas, tout part de l’Etat centralisé qui a ses rouages démultipliés, sous la conduite des préfets, hauts fonctionnaires à qui est déléguée une partie des pouvoirs de l’Etat. Il est arrivé, il arrive encore qu’on voit les évêques comme leurs équivalents religieux et les diocèses comme des circonscriptions où tout dérive du Vatican. Certaines pratiques dans l’Eglise actuelle vont parfois encore dans ce sens.
Chacun de nos diocèses en communion avec les autres est véritablement la réalité de l’Eglise, manifestation, en un lieu, du Corps un et indivisible du Christ, icône de l’Eglise universelle, sous la conduite pastorale d’un successeur des apôtres.
A travers la succession des évêques d’un diocèse, ce sont des couches diverses d’inculturation de la foi dans un terreau humain qui présente ses constantes et ses variantes, avec des avancées et des reculs de l’évangélisation, des sommeils et des réveils, des initiatives originales pour répondre à des besoins spécifiques, l’influence de tel ou tel personnage (c’est la litanie des saints du diocèse, mais il en est aussi qui n’y figurent pas et qui ont joué un rôle important),de tel ou tel courant spirituel, de telle ou telle action pastorale, tout ceci dans un contexte humain qui a été diversement marqué au cours des siècles, et qui façonne aujourd’hui croyants et non croyants.
Chaque Eglise diocésaine est aussi caractérisée par le fait que sur son espace est implanté un lieu de pèlerinage ou un monastère ou telle ou telle congrégation religieuse.
L’enracinement d’une Eglise locale dans une histoire, dans une culture particulière, avec ses valeurs et ses questions, ses traditions et ses mutations, constitue un trésor, et la communion d’Eglises diverses enrichit la catholicité de chacune et de toutes. Il s’agit de la convergence et de la rencontre de voies originales pour vivre les réalités de la foi.
Il faut donc redécouvrir le lieu théologal, spirituel et missionnaire qu’est une Eglise diocésaine, non par je ne sais quel particularisme ou repli stérile, mais parce que le mystère du salut s’ancre et se rend visible en des lieux précis. Il importe de donner aux chrétiens une mémoire diocésaine et ce sens profond de l’Eglise diocésaine. La vision de l’Eglise en est totalement renouvelée.
La communion inter-diocésaine
Mais "si l’Eglise diocésaine est une manifestation plénière de l’Eglise de Dieu, et même sa plus haute manifestation, cependant elle ne peut 1’être de façon isolée... Il est donc évident que, si une Eglise locale succombait à l’isolement volontaire ou à l’autosuffisance, elle ne pourrait se prévaloir d’être une manifestation plénière de l’Eglise de Dieu. Au demeurant, si l’Eglise de Dieu a reçu les promesses que ’les portes de l’Enfer ne prévaudraient pas contre elle’, cela n’a jamais été dit d’aucune Eglise locale".
(H. LEGRAND)
Il est donc essentiel d’être attentif à la communion à ses divers échelons :
échelon des patriarcats
échelon des continents ou des nations dont les problèmes et les aspirations traversent les Eglises qui y vivent
échelon des régions ou provinces qui permet à des Eglises voisines d’entretenir des liens, de se concerter, de travailler ensemble, d’avoir des services communs
relations de jumelages entre Eglises par-delà les frontières nationales ou continentales, qui actualisent la tradition bimillénaire d’entre aide matérielle et spirituelle en développant la solidarité avec des Eglises plus démunies (Tiers-Monde) ou plus éprouvées (Eglises des pays de l’Est ou d’Amérique latine, par exemple).
Cette communion entre Eglises se manifeste dans les diverses formes de la collégialité épiscopale (réunion de régions, conférences épiscopales, synodes, visites ad limina, conciles de divers types, etc.) mais aussi dans des réseaux qui se situent davantage à la base : visites de délégations, rencontres inter diocésaines de laïcs, de diacres ou de prêtres...
Il n’est pas inutile d’ajouter que la vitalité de bien des diocèses ne peut exister que moyennant diverses formes de collaboration inter-diocésaine. Pour prendre un exemple, certains diocèses ont leur grand séminaire, et un mouvement semble actuellement se préciser dans ce sens en plusieurs endroits, ce qui se comprend, car cela permet de ne pas couper la formation des futurs prêtres des réalités du diocèse et de maintenir ce signe incontestable de l’appel au ministère, mais en contre-partie, que de petits diocèses qui ne peuvent réunir un nombre suffisant de "candidats" (à moins de prendre un peu n’importe qui, ce qui serait grave pour l’avenir de l’Eglise), ou qui ne peuvent constituer un encadrement idoine ! Et , même dans le cas où c’est possible combien il est important que les futurs prêtres d’un diocèse puissent connaître ce qui se vit ailleurs !
Le diocèse : non pas des frontières étanches, mais un espace, comme on dit aujourd’hui.
Les prêtres diocésains
C’est dans ce cadre qu’il faut situer et comprendre le ministère des prêtres diocésains, au service de la croissance et de la mission de cette Eglise qui est catholique, c’est-à-dire universelle, mais concrète.
Il n’est pas question, surtout à notre époque, d’enfermer les prêtres dans les limites souvent étroites de leur diocèse : il est souvent excellent de voir ailleurs, de travailler un certain temps dans un diocèse voisin, ne fût-ce que pour mieux apprécier ce que l’on a chez soi ou, au contraire, pour prendre des idées neuves, et aussi pour ne pas tourner en rond, surtout dans les petits diocèses où le clergé est souvent dispersé et isolé, où certains prêtres ne trouveraient pas un ministère correspondant à leur formation ou leurs possibilités.
Les occasions de travailler et de se connaître "hors frontières" sont donc à encourager. Les échanges de prêtres ou les contrats du type "fidei donum" aussi, mais, justement, dans ces cas-là c’est l’Eglise qui est en tel endroit qui envoie un de ses prêtres pour un certain temps à l’Eglise qui est en tel autre endroit ; et si les choses se passent normalement, non seulement le prêtre garde des liens avec son diocèse d’origine, mais des rapports se nouent d’Eglise à Eglise, d’évêque à évêque, de paroisses à paroisses.
L’incardination par laquelle un prêtre est rattaché à un diocèse ne doit pas être comprise dans un sens seulement juridique : elle est l’expression canonique d’un lien profond, et en quelque sorte mystique, avec l’Eglise locale et avec l’évêque qui la conduit. Bien sûr, il ne faut pas la sacraliser ni la comprendre de façon trop étroite, mais elle entraîne des droits et obligations réciproques, des liens mutuels.
Prêtres diocésains : le pluriel est important. Une Eglise compte toujours plusieurs prêtres, autour d’un évêque ou d’un siège épiscopal. Ces prêtres sont plus ou moins nombreux, mais ils constituent, sous la présidence de l’évêque, le Presbyterium que l’on pressent dès les épîtres pastorales, et qui apparaît clairement attesté dans les lettres de saint Ignace d’Antioche (vers 110-115). Le Presbyterium, réalité profondément ancrée dans la Tradition, dont les expressions sont multiples.
Le Code de Droit Canon souligne le rôle du conseil du Presbyterium dans chaque diocèse, dont l’existence est obligatoire (livre II, titre 3, ch.3), composé de prêtres choisis ou délégués par leurs confrères au moins pour moitié. Conçu pour aider l’évêque dans le gouvernement de son Eglise (c.A-95), le Conseil du Presbyterium est un lieu où se forge et s’approfondit la conscience diocésaine des prêtres.
D’autres lieux de concertation plus restreints existent à l’échelon des zones, doyennés ou secteurs (la terminologie est variable) où les prêtres se connaissent, se rencontrent et se sentent attelés à des problèmes pastoraux semblables.
L’évêque peut aussi, en certaines occasions, rassembler ses prêtres, et la concélébration de ceux-ci autour de lui donne un visage sacramentel à ce Presbyterium qui se fonde dans l’ordination.
Le Presbyterium est une réalité de communion dans le même ministère presbytéral exercé quotidiennement dans des formes fort diverses. Prêtres de paroisses rurales ou urbaines, seuls ou en équipe, aumôniers d’Action Catholique, d’établissements scolaires ou hospitaliers, prêtres détachés à diverses fonctions diocésaines, prêtres "au travail" -qu’il s’agisse de prêtres-ouvriers ou de prêtres instituteurs et professeurs, collaborateurs plus directs de l’évêque (vicaires généraux, vicaires épiscopaux, économe diocésain dans le cas où celui-ci est prêtre), ils prolongent le ministère de l’évêque dans des milieux et des situations très diverses, dont le Conseil du Presbyterium doit donner un reflet, en lien avec d’autres instances de communion comme le Conseil Pastoral Diocésain et les Conseils Pastoraux de secteurs ou doyennés, ou les Conseils Paroissiaux, représentant chacun à son échelle les diverses catégories du peuple de Dieu, ainsi que tous autres lieux de concertation avec les laïcs.
Tous ces organes, réunissant soit uniquement des prêtres, soit des représentants des diverses catégories du peuple de Dieu, peuvent être sentis et vécus comme des rouages bureaucratiques ; le danger n’est pas chimérique d’une Eglise qui fait marcher ses mouvements d’horlogerie ou qui serait comme le moulin de Maître Cornille dont la meule continue de tourner même quand il n’y a plus de blé... Mais, bien compris, ils sont un effort pour traduire institutionnellement, avec une certaine imagination et une certaine souplesse, la construction de l’Eglise dans l’Esprit-Saint.
"Service de la croissance et de 1’anination de l’Eglise diocésaine, ce ministère (des prêtres) ne peut s’exercer qu’en articulation avec les autres ministères et vocations dont l’Esprit pourvoit aussi l’Eglise. Il lui reviendra donc de réengager, si nécessaire, les croyants à leur propre responsabilité, quoi qu’il n’ait pas, dans bien des cas, à la leur déterminer complètement." (H. LEGRAND)
Pour une spiritualité des prêtres diocésains
Il faudrait retrouver et approfondir les fondements et la dynamique d’une spiritualité propre aux prêtres diocésains. On l’a dit depuis longtemps déjà et les textes du concile ouvrent des perspectives.
Il est évident, mais on le rappellera utilement, qu’une telle spiritualité ne peut se situer qu’à l’intérieur et sur la base de la vie théologale et sacerdotale propre à tous les chrétiens et qu’elle a un fondement baptismal : "avec vous je suis chrétien".
On saisit mieux aujourd’hui l’impasse et l’erreur qu’il y aurait, et à laquelle on n’a pas toujours échappé, de vouloir concevoir une spiritualité pour les prêtres en l’isolant de celle des autres chrétiens, ou de minimiser celle-ci pour exalter celle-là. Il est souligné dans Lumen Gentium 32 que prêtres et laïcs sont frères. Un prêtre est un disciple de Jésus-Christ et cherche toujours plus à l’être ; il vit fondamentalement la même aventure spirituelle que les autres croyants, en particulier ceux dont il est le pasteur. Dans la célébration des sacrements, chargé de proclamer la parole à ses frères et sœurs, il n’en est pas moins avec eux et comme eux à l’écoute de cette Parole, et lorsqu’il dit "prions, rendons grâce..." il s’inclut lui-même dans cette invitation. De même, comme eux, il cherche à découvrir la volonté du Seigneur dans les événements de sa vie quotidienne.
Aussi peut-il être très fructueux et très tonique que des prêtres se retrouvent avec d’autres croyants (qu’ils relèvent ou non de leur charge pastorale) pour faire une récollection, une démarche spirituelle, une retraite, ou simplement prier un moment ensemble ou "partager l’Evangile".
C’est sur cette spiritualité commune que se greffe une spiritualité de prêtre, et de prêtres diocésains, qui se nourrit de l’objet même de leur ministère. La grâce de l’ordination, reçue pour le service de l’Evangile, pour la construction du Corps du Christ dans la société, se greffe sur la grâce du baptême.
Il est sûr qu’un prêtre est marqué par une relation originale au Christ-Pasteur, en se laissant de plus en plus habiter par cette dimension pastorale (aussi bien offrande qu’intercession), en se pénétrant de plus en plus de cet aspect de service que comporte l’autorité de son ministère.
Son rôle particulier dans l’annonce de la Parole et dans les sacrements, sa prière de pasteur unie à celle de l’Eglise entière et nourrie de ses rencontres avec leur poids de joies et de peines, vont colorer profondément la trame de sa vie spirituelle de chrétien-pour-les-autres à la suite de Jésus et de ses apôtres.
Le lieu et le cadre précis où s’exerce son ministère, les relations avec les diverses catégories de personnes qu’il rencontre (adultes ou jeunes, chrétiens engagés ou non, pratiquants ou non, croyants ou non), le souci de ceux et celles qu’il ne rencontre pas suscitent chez un prêtre des désirs et des questions, provoquent sa foi de chrétien et de pasteur : c’est là le terreau où s’incarnent sa vie de prière et son dynamisme intérieur.
Un prêtre diocésain a un lien spirituel avec l’évêque qui préside à la vie de son Eglise, quelle que soit la personnalité de celui-ci : c’est SON évêque.
Il relira volontiers aussi bien ce que disent les pères les plus anciens de l’Eglise sur cette unité de l’Eglise locale autour de son évêque, sur l’unité du Presbyterium avec lui, que les textes du concile Vatican II, dans Lumen Gentium et Presbyterorum ordinis notamment. Même s’il peut y avoir des divergences, ou parfois des tensions, l’évêque n’est pas un "patron" comme les autres. Le lien sacramentel avec lui est capital et suppose chez les prêtres participation à ses préoccupations de premier pasteur (auxquelles celui-ci se doit de les associer le plus possible) ; le fait de le nommer dans la prière eucharistique n’est pas une simple formalité.
Un prêtre diocésain se sait aussi en fraternité avec les autres prêtres. Ceux qui lui sont le plus proches dans une unité pastorale, par un travail commun ou d’anciens liens d’amitié. Mais aussi ceux dont il peut se sentir très éloigné par les choix et priorités, par la sensibilité ou simplement par le caractère ou le tempérament. Mais aussi ceux qui sont malades ou marginalisés.
Il est capital d’entretenir ou de restaurer la fraternité propre au ministère fondée dans la grâce d’une commune ordination et dans le fait qu’aucun prêtre ne fait à lui seul le Presbyterium gui, par nature, est pluriel et diversifié.
Des démarches communes, allant de la simple détente à des temps de prière et de retraite, sont très utiles pour retrouver les sources de cette fraternité au-delà des affrontements et des divergences. Mais aussi des signes d’amitié gratuite, ou du moins de fraternelle estime.
Un prêtre diocésain se sait juridiquement, mais d’abord mystiquement lié à l’Eglise diocésaine par son ministère.
Ce ministère, il s’y investit personnellement et ne l’accomplit pas comme un fonctionnaire, mais comme un serviteur de l’Evangile qui en est habité - d’où à la fois sa souffrance et sa joie - Le ministère, il n’en fait pas non plus sa chose, se souvenant que c’est l’Eglise qui lui a confié cette tâche et que celle-ci n’a de sens que pour que celle-là fasse honneur à sa mission. Même s’il quitte le diocèse pour diverses raisons, en particulier un service plus large, ce lien garde valeur.
Un prêtre diocésain se souvient que, là où il est et dans le réseau précis de relations où il exerce son ministère, il a une vocation au service des autres vocations, au cœur de l’unique vocation de l’Eglise. Son ministère le porte à aider d’autres chrétiens à s’engager, à prendre leurs responsabilités dans la communauté croyante et dans la société ; il sait qu’il les renvoie ainsi à leur vocation de baptisés et de confirmés, et qu’eux aussi peuvent le stimuler et le renvoyer à sa vocation de chrétien prêtre. Appui mutuel, au cœur duquel il aura soin de discerner si certains pourraient être appelés au même ministère que lui.
Un prêtre diocésain garde en mémoire qu’il participe au ministère apostolique et qu’il ne peut indûment déserter ce poste, car son rôle c’est, modestement et en communion, de faire grandir dans l’Esprit-Saint la portion de l’Eglise qui lui est confiée, de contribuer pour sa part à lui donner visage.
Nota bene
Nous ajoutons un mot seulement sur les associations sacerdotales.
Les prêtres diocésains ne sont nullement tenus d’en faire partie pour être de bons prêtres. Par ailleurs, ces groupements proposés aux prêtres, groupements qui s’inspirent de divers courants spirituels sont légitimes. Les associations sacerdotales ne se substituent pas à cette spiritualité fondamentale des prêtres diocésains que nous avons essayé d’évoquer. Elles offrent un appui qu’un prêtre diocésain peut souhaiter, tout comme des laïcs peuvent le souhaiter aussi, mais elles le renvoie, c’est clair, à son ministère comme lieu de conversion et de sanctification.
APPELER AU MINISTERE. DE PRETRE DIOCESAIN ?
Questions d’aujourd’hui
Un certain nombre de gens, y compris des prêtres, hésitent à interpeller des jeunes, voire à les engager dans la direction du ministère de prêtre diocésain.
Certains pensent qu’en conscience on ne peut les encourager dans une voie de plus en plus difficile et même sans issue. Il faut laisser se raréfier les prêtres diocésains jusqu’à extinction : pour les uns, les communautés auront alors à se prendre vraiment en charge sans prêtre, ou elles désigneront parmi elles ceux qui auront à le devenir ; d’autres pensent que la solution viendra de communautés sacerdotales de type religieux et que c’est ce visage que devra prendre désormais toute vocation au ministère apostolique.
Ces questions sont a prendre au sérieux, et il est sûr que les tâches qui attendent les prêtres de demain dans nos diocèses risquent de devenir de plus en plus lourdes, si l’on veut reconduire le système pastoral actuellement en vigueur.
Il est clair aussi que, peu nombreux au milieu d’un clergé plus âgé et d’une population souvent passive ou indifférente, les jeunes prêtres risquent de se sentir mal à l’aise et qu’une formation sérieuse, tant au plan pastoral que spirituel, ne résout pas tout.
Mais cet ensemble de questions ne constitue pas un constat d’impossibilité. Il faut, plus que jamais, continuer à interpeller et à encourager, mais à certaines conditions et dans certaines perspectives.
Pratiques et convictions de l’Eglise
au cours de son histoire
A ce moment de notre réflexion, il est bon de rappeler rapidement par quelles étapes sont passées la conviction et la pratique de l’Eglise, surtout en Occident, en matière de vocations au ministère apostolique, pour éclairer nos convictions et notre pratique en 1987.
Dans le Nouveau Testament, la vocation fondamentale des chrétiens et la vocation pastorale et apostolique apparaissent comme deux pôles complémentaires et indissociables, la seconde restant ordonnée à la première, dans la naissance et la croissance de l’Eglise. L’une et l’autre viennent du Christ agissant par l’Esprit-Saint pour la gloire du Père.
Dès cette époque et à travers la tradition postérieure, on voit que la vocation au ministère peut prendre plusieurs chemins :
* Choix des communautés qui proposent des hommes pour l’ordination (Ac. 7)
* Choix des apôtres qui donnent des responsables aux communautés (Ac. 14, 23 - Tit. 1, 5)
* Disponibilité personnelle à vérifier (1 Tim 3, 4)
Ces chemins doivent se rencontrer, se conjuguer pour devenir appel de l’Eglise par la médiation de l’évêque.
- L’Eglise ancienne a perçu la relation de la vocation apostolique à la vocation fondamentale et commune d’une Eglise locale de façon très objective, cette Eglise locale ayant part au choix de ses ministres ou, du moins, le ratifiant (ce qu’on appelle la "réception" du ministère) ; l’ordination exprimait par un don spécial de l’Esprit l’irréductibilité de ce ministère à la seule vocation baptismale pour la rattacher à la mission pastorale des apôtres. Quant au consentement des intéressés, il entrait peu en ligne de compte.
- La période médiévale, pourtant hantée par la"vita apostolica"(vie à la manière des apôtres) a, semble-t-il, été globalement tiraillée entre deux voies contraires : le ministère tendait à devenir peu à peu un pastorat fonctionnel et ritualisé, ou inversement on l’assimilait à la vocation monastique.
Les bons prêtres se tournaient du côté des modèles monastiques et les médiocres étaient des sortes de fonctionnaires du sacré sans grande dimension intérieure.
- L’école française, dans la suite du Concile de Trente, a eu à partir du XVIIème siècle, le mérite de vouloir réunir le ministère concret avec une dynamique intérieure de la vocation, le pasteur étant l’homme qui se sanctifie par son zèle pour ses brebis, ressourcé dans la configuration au Christ, Pasteur des hommes et religieux de Dieu ; naturellement le danger était d’en faire LA vocation, au détriment de la vocation baptismale, un en-soi, et aussi de favoriser une conception trop personnelle de l’appel identifié au désir.
La question agitée au début du siècle sur l’essence de la vocation (Branchereau -Lahitton), appel de l’Eglise ou désir intérieur, a amené à redire le rôle fondamental et objectif de l’appel ecclésial médiatisé dans celui de l’évêque, les critères étant l’aptitude et l’intention droite.
Mais, ceci posé, le concile Vatican II a retrouvé l’aspect mystérique de l’Eglise comme communauté de vocation dans laquelle il faut situer la vocation au ministère apostolique. Et puisque le même concile a retrouvé aussi la théologie de l’Eglise locale diocésaine, la théologie de l’Eglise communion, nous sommes aujourd’hui à même de mieux intégrer les divers éléments et couches de la tradition ecclésiale.
Cette attention à la vocation au ministère presbytéral diocésain dont le concile rappelle l’importance, on ne peut la dissocier d’une perspective globale de l’Eglise diocésaine comme nous avons essayé de l’esquisser, tout en en maintenant l’irréductibilité et l’originalité.
Ne séparons jamais souci du renouveau de l’Eglise, avec la participation de tous en vertu de leur vocation baptismale et des charismes variés qu’y suscite le Saint-Esprit, et souci des vocations ; associons les diverses catégories de fidèles et à ce renouveau global et à cette attention aux vocations spécifiques.
Ce renouveau ecclésial est d’ailleurs absolument nécessaire, car un ministère trop totalisant et trop isolé deviendrait un poids insupportable pour les épaules des futurs prêtres, et il perdrait son sens en tournant sur lui-même.
Acteurs de l’appel
Dans ce renouveau de l’Eglise diocésaine, et de l’Eglise tout court, qui peut être aujourd’hui appelant ?
* Les prêtres ne sont pas les seuls concernés, nous croyons l’avoir assez dit, et le souci de voir des hommes prendre leur relève dans leur ministère n’est pas celui de voir se perpétuer un corps social.
Mais ils sont concernés.
Il faut les aider à fonder toujours davantage leur vocation apostolique diocésaine dans la tâche et le désir de faire grandir l’Eglise diocésaine dont ils sont les pasteurs avec d’autres, et dans le souci d’éveiller toujours plus leurs frères et sœurs à la vocation chrétienne. C’est dans cette perspective qu’ils pourront et devront sainement proposer à certains d’avancer vers le ministère presbytéral.
* On a posé la question de communautés presbytérales pour répondre aux besoins pastoraux et donner un visage attirant au ministère.
Dans quels cas est-ce possible ? dans bien des diocèses, les prêtres sont peu nombreux et dispersés, et souvent ne sont pas préparés à une véritable existence communautaire.
A quelles conditions serait-ce souhaitable pour être appelant et signifiant ? Il faut une réelle con-vivance humaine (différente de la juxtaposition qui est le fait de bien des équipes), un partage spirituel suffisant et aussi une présence apostolique.
De telles communautés, religieuses ou non, peuvent incontestablement apporter un dynamisme neuf ; des diocèses font appel à elles, des fraternités sacerdotales se créent, mais elles ne peuvent être des en-soi, elles n’ont de sens qu’intégrées au cœur d’un réseau de relations beaucoup plus large, en étant reliées à divers groupes chrétiens et humains, en étant enracinées dans les réalités locales et en communion avec l’ensemble des prêtres et l’évêque.
* Faut-il chercher du côté d’équipes pastorales diversifiées, comprenant laïcs, religieuses, diacres, prêtres ?
Des diocèses ont déjà commencé cette expérience et parfois l’ont généralisée ; cela peut être bon et contribue à donner un visage diversifié à l’Eglise, mais à condition de ne pas s’en tenir au simple fonctionnement, à la préparation de réunions ou de célébrations, et de donner à cette responsabilité pastorale vécue à plusieurs, sa dimension "mystérique" qui suppose un ressourcement spirituel commun, une grande ouverture au-delà de l’équipe animatrice et de ses collaborateurs immédiats ; articuler la responsabilité commune avec la spécificité du ministère presbytéral.
* Le rôle des conseils pastoraux, à divers échelons (paroisse, zone, diocèse) des Mouvements et des groupes variés peut être important. Ce sont des lieux où l’action commune et la responsabilité doivent amener les uns et les autres à mieux percevoir la vocation chrétienne qui est au cœur de tout cela, et aussi le rôle indispensable des ministres ordonnés.
Car ce qui est en jeu derrière ces Conseils, ces groupes ou équipes, c’est de rendre aux chrétiens un juste sens de l’Eglise locale en communion avec d’autres et de l’expérimenter, là où ils sont, comme communauté de vocation et de mission, d’en avoir une pratique réfléchie et dynamique, de porter peu à peu un vrai souci des vocations particulières en découvrant à quel point leur vocation est solidaire aujourd’hui et demain de celle des prêtres, et celle des prêtres solidaire de la leur.
Rôle des Services Diocésains des Vocations
Quel peut-être, dans cette perspective, le rôle des Services Diocésains des Vocations ?
Une équipe S.D.V. n’est pas un "staff" de spécialistes en vocations, encore moins de recruteurs professionnels et patentés.
Son rôle, dans le diocèse, serait bien plutôt d’être un catalyseur et aussi un lieu repérable d’interpellation.
Cela est encore plus évident pour les diocèses qui n’ont pas sur leur territoire de grand séminaire ou d’institution spécifique comparable. C’est le Service Diocésain des Vocations qui, dans ce cas, donne visibilité à l’appel.
Mais en tout état de cause, c’est, chez nous, un relais, semble-t-il, à peu près indispensable pour que la dimension vocationnelle soit signifiée dans l’activité chrétienne, tant à la base (groupes de catéchèse, équipes de Mouvements, activités paroissiales...), qu’à l’échelon global du diocèse : rassemblements divers, équipes fédérales des Mouvements - en particulier ceux de jeunes -, Conseils diocésains de laïcs, Conseil du Presbyterium, etc.) et à l’occasion de certains événements, comme des ordinations, des réorganisations pastorales, des jubilés...
Dans d’autres cas, le Service Diocésain des Vocations peut être à l’origine d’initiatives spécifiques : temps forts de réflexion sur le thème de la vocation presbytérale diocésaine, veillées dans les paroisses, articles, montages ou émissions, relais de prière.
Et aussi, de façon plus continue, animation d’équipes de jeunes en recherche (à diverses étapes de leur vie). Ces équipes de "diaspora" peuvent aider des jeunes à découvrir l’Eglise et sa mission, et aussi ce que peut être un appel à être prêtre : loin de faire double emploi avec des aumôneries ou Mouvements, elles apportent - dans la plus grande ouverture - une dimension spécifique à la réflexion de ces jeunes chrétiens.
Certains diocèses font aussi la proposition de Foyers où des jeunes peuvent, sur leur demande, vivre en communauté sans se couper de leurs camarades qu’ils retrouvent à l’école ou dans des activités de loisirs et dans certains engagements. L’important est de ne pas procéder à une mise à part prématurée et de structurer la liberté de ces jeunes dont l’environnement, aujourd’hui et demain, baigne dans l’incroyance.
Il est absolument nécessaire à un Service Diocésain des Vocations de travailler en lien étroit avec tout ce qui est forces vives de l’Eglise et tout ce gui apparaît porteur d’avenir, par des "antennes" ou "relais" et aussi par une collaboration inlassable avec divers partenaires, jeunes ou adultes.
Le S.D.V. remplit bien son rôle s’il travaille avec des gens de toutes générations, des jeunes bien sûr, mais aussi des adultes qui s’investissent dans la vitalité de leurs communautés locales, et encore des personnes âgées et des malades dont la prière ne demande qu’à voir s’ouvrir de nouvelles avenues.
Sans oublier les diverses congrégations religieuses, de vie apostolique ou contemplative, sans oublier, évidemment, les prêtres... ni les séminaires.
Les Services Diocésains des Vocations ont donc à porter une attention particulière à l’éveil des communautés et des groupes à cette dimension vocationnelle qui est inscrite au cœur du mystère de l’Eglise dans la double dynamique du baptême et de l’ordination ; attention particulière aussi, avec la collaboration des communautés et des prêtres, à des jeunes (même parfois très jeunes) en responsabilité humaine et ecclésiale, pour éventuellement leur poser, à bon escient, la question du ministère presbytéral, les faire cheminer dans la liberté, les former et les introduire progressivement dans une découverte plus profonde d’une vocation spécifique.
Il ne s’agit pas de faire nombre. Faire nombre n’est pas un but. Certes, il est désirable que les prêtres soient assez nombreux, et il y aurait une sorte d’inconscience à prétendre que leur rareté serait un bienfait. Mais il est essentiel que, même s’ils sont moins nombreux et surtout s’ils sont moins nombreux, ces prêtres de demain soient des hommes d’une certaine densité humaine, spirituelle et apostolique ; non pas parfaits, mais en prise avec les aspirations de leurs contemporains et capables d’en recueillir le meilleur, passionnés pour le service de Jésus-Christ et animés d’un amour lucide et indéfectible pour son Eglise.
C’est à des jeunes, même à des enfants, c’est aussi à des adultes disposés à entrer dans ces perspectives qu’il faut proposer une réflexion. Non pas à une élite intellectuelle ou autre, mais à des gens ayant "la tripe évangélique" ou susceptibles de l’avoir et de la communiquer. Des hommes libres et capables d’éveiller à la liberté chrétienne.
Tous ceux-là ne seront pas prêtres, mais c’est parmi eux que l’Eglise pourra en choisir pour continuer d’être sacrement du salut.
Dussions-nous nous répéter, nous rappelons en terminant qu’il y a toujours un va-et-vient de la vitalité des communautés à l’appel au ministère presbytéral, et des vocations à ce même ministère au dynamisme des communautés.
Pour le présent et l’avenir de nos Eglises, de notre Eglise, restons mobilisés par ce double appel.