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Susciter des témoins
Le Scoutisme
Arnaud VIEULES *
SUSCITER DES TEMOINS...
Comment un éveil auprès des 10-15 ans peut-il se concrétiser à travers le scoutisme ? C’est ce que nous sommes allés demander à un jeune chef scout, Arnaud VIEULES, qui rencontre régulièrement vingt-six jeunes de 11-14- ans, et nous a fait part de son expérience.
JEUNES ET VOCATIONS : Quel type de jeunes rencontres-tu ? Quelle est ta pratique avec eux ?
ARNAUD VIEULES : Ce sont tous des jeunes de 11-14- ans, scolarisés au lycée et issus de milieux plutôt favorisés, sans difficultés particulières. La démarche de notre Mouvement n’est pas catéchétique, mais propose des activités éducatives dans un climat qui se veut chrétien. Cependant, nous attachons une importance essentielle à cette dimension de foi. Même si nous accueillons des jeunes non-chrétiens, même si nous n’avons pas à être rigides quand nous parlons de notre foi, reste qu’il faut être clairs quant à notre identité.
J. et V. : Tu parles de "climat chrétien". Comment se traduit-il en réalité ?
A. V. : Nous essayons de faire que les jeunes se sentent responsables d’eux-mêmes, se prennent réellement en charge. C’est pour nous la condition nécessaire d’un "être chrétien", d’une croissance de la foi.
Cette foi va inviter les jeunes à se dépasser, à aller plus loin dans ce qu’ils font déjà, à mieux vivre entre eux. Dans la vie du groupe scout, cela peut se traduire par des moments intenses, ou moins exceptionnels. Nous proposons dès que l’occasion s’en présente d’aller à la messe ensemble, de prendre des temps de prière plus ou moins informels. Et l’on remarque vite que lorsque c’est un jeune qui a préparé le moment de prière, lorsqu’il n’est pas imposé, les autres sont davantage présents, attentifs...
J. et V. : Comment la pédagogie même du Mouvement s’articule-t-elle à cet éveil à la foi ?
A. V. : Notre projet pédagogique invite à répondre à cinq défis, par rapport à Dieu, à l’Homme, à la nature, au Monde et aux autres.
Chaque jeune doit choisir l’un de ces axes et, pour mieux relever ce défi, prendre au sein du groupe un rôle qui s’y rapporte : trappeur, soigneur, entraîneur, pilote... Dans son rôle, son domaine, le jeune doit réaliser quelque chose de concret.
Or, parmi ces rôles, existe aussi celui de témoin, chargé d’animer un peu la vie de foi du groupe.
J. et V. : N’est-ce pas difficile à mettre en oeuvre ?
A. V. : C’est vrai : les jeunes ne savent pas toujours comment s’y prendre, ont du mal à aborder concrètement la question. Mais ils se sentent responsabilisés, motivés. A la Maîtrise d’aider dès lors le témoin, de l’accompagner de lui montrer qu’il peut faire aux autres des propositions pour leur vie de foi. Ainsi en concevant un coin "prière", en préparant une méditation ensemble.
Il faut souligner aussi que le rôle du témoin constitue un engagement personnel à être attentif aux autres, à être réconciliant, à débloquer certains rapports entre les personnes.
J. et V. : N’y a-t-il pas un danger à enfermer le jeune dans ce rôle de témoin, à en faire le "croyant" du groupe, celui qui est "bien gentil" avec ses copains ?
A. V. : Bien sûr il ne faut pas qu’il devienne le "petit curé" de l’équipe ! A l’accompagnateur, là aussi, de veiller pour moduler son engagement, lui proposer en même temps des activités plus concrètes, techniques.
J. et V. : Comment les jeunes réagissent-ils par rapport à ce rôle ?
A- V. : Il est attendu par certains, mais d’autres l’appréhendent davantage. L’on doit leur faire voir alors qu’il n’a rien de rébarbatif, d’irréalisable, voire de quasi "mystique".
S’il paraît vécu de manière concrète, le rôle de témoin sera abordé avec conviction, persuasion. Pour les autres jeunes du groupe, le message de foi passera mieux s’il est transmis par un jeune comme eux, un témoin de leur âge. Ils écouteront le chef par obligation, mais si c’est un copain, un jeune, qui parle, cela prend une autre dimension. La prière, par exemple, devient plus impliquante.
J. et V. : Quels obstacles vois-tu à cet éveil de la foi ?
A. V. : Pour un Mouvement comme le nôtre, qui met beaucoup l’accent sur le jeu (ainsi nous avons consacré du temps au foot cette année...), l’imagination, il faut bien distinguer l’aspect ludique de la vie de foi. Les confusions dans l’imaginaire des jeunes sont toujours possibles, et l’on doit se garder du mélange des genres. Nous avons le souci aussi de rejoindre chaque jeune là où il en est. Il faut donc respecter des allures différentes en ce domaine. D’autant que le Mouvement compte aussi pas mal de non-chrétiens, même parmi ses chefs.
J. et V. : En parlant tout-à-l’heure du rôle de témoin, tu as déjà dit des choses bien suggestives pour un éveil aux vocations spécifiques. Mais quelles sont tes convictions et ta pratique éventuelle, sur ce point particulier ?
A. V. : Nous n’avons fait aucune action directe, concrète, dans cette direction car il n’est pas facile de l’aborder d’emblée avec des jeunes de cet âge. Mais il est fort possible qu’on sème quelque chose, à travers un climat chrétien, un vivre ensemble qui va marquer les jeunes pour longtemps. En suscitant un dynamisme humain propice à la foi.
J. et V. : Quels points d’appui vois-tu pour la naissance de vocations particulières ?
A- V. : Je suis frappé par le rôle des personnages de références, comme stimulant dans la vie des jeunes. Les scouts que je rencontre ont eu un chef louveteau devenu séminariste : cela les amène à se poser des questions. Cette personne les a manifestement marqués et ils en parlent souvent, s’y réfèrent. Que quelqu’un qu’ils ont apprécié puisse choisir de devenir prêtre les interpelle sans aucun doute. C’est très ténu, mais peut-être que certains se disent : cela pourrait m’arriver à moi aussi...
J. et V. : Qu’est-ce qui peut favoriser aussi cette interpellation ?
A. V. : La présence d’un prêtre proche du groupe, d’un aumônier, va également dans ce sens. Nous avons un aumônier jeune, que le groupe a pu rencontrer pour la première fois durant un pélé dans le diocèse, proposé par les scouts et les guides. Là aussi la rencontre directe avec un prêtre peut offrir un point de référence précis à la foi des jeunes.
Il est important que les jeunes sentent qu’ils peuvent aller le voir, discuter avec lui. A lui d’avoir un langage bien parlant, de faire des propositions de foi. Car les jeunes sont assez demandeurs de cette dimension.
J. et V. : Justement, comment peut-on permettre qu’ils aient conscience d’appartenir à l’Eglise ?
A. V. : Nous insistons sur la démarche de prière, sur les temps forts, comme ce pélé diocésain dont j’ai parlé par ailleurs. La pédagogie du jeu, gui insiste sur la dimension de l’être ensemble, de l’esprit d’équipe, de la complémentarité de chacun dans le groupe, peut permettre cette ouverture à un sens ecclésial plus large.
J. et V. : Perçois-tu des difficultés dans ce souci d’éveil ?
A- V. : Oui. Il n’est pas évident pour les jeunes d’aller à la messe en paroisse. Il faut vraiment qu’un temps de prière soit bien amené, préparé, placé au bon moment. La surcharge des prêtres ne facilite pas, de plus, une rencontre régulière avec les jeunes. Et plus généralement, le Mouvement doit réfléchir les situations inédites gui s’imposent à lui de manière croissante : diminution du nombre des prêtres et responsabilité des laïcs dans l’annonce de la foi, accueil de chefs et des jeunes non-chrétiens en plus grand nombre...
J. et V. : Pour conclure, qu’aurais-tu à ajouter à propos de l’avenir des vocations ?
A. V. : Personnellement, ma vie de foi a été réellement relancée par ces jeunes. Ils m’ont beaucoup apporté comme joie, comme appels et ce ne sont pas des mots !
A travers ce que nous vivons ensemble, je comprends mieux que le Christ m’appelle moi aussi à le suivre, sans doute d’une manière plus radicale. Voilà pourquoi il m’apparaît essentiel d’aider ces jeunes à se prendre en charge, pour mieux témoigner de cet appel du Christ.
* Arnaud VIEULES, étudiant, est chef-scout à VINCENNES (Val-de-Marne) [ Retour au Texte ]