Parle-moi, j’ai des choses à dire
au MRJC,
en Diaspora
Pascal BARDET *
"PARLE-MOI. J’AI DES CHOSES A TE DIRE "
"Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir" (Gn 12, 1).
C’est d’abord ainsi que je traduirai la rencontre des jeunes. Ils me sont sans cesse cette invitation : quitte tes certitudes, tes projets tout faits... pour rejoindre ce monde des jeunes, pour cet exode dans un pays qui t’est inconnu.
Car c’est une grande tentation, pour un jeune prêtre, que de se croire jeune, que de vouloir rester (apparemment) jeune. Alors que les temps, les événements nous ont changé. Rajeuni peut-être, mais c’est différent.
J’ai la chance, de par mon ministère, de rencontrer différemment le monde des jeunes :
- d’une part LA PAROISSE où je suis, en équipe avec deux autres prêtres. Je devrais plutôt dire la petite ville-dortoir (la paroisse ne rassemblant pas trop les jeunes) : 5 000 habitants, dont une population jeune importante (660 jeunes en collège, lycée, descendent chaque matin à Reims).
Une vingtaine de jeunes se retrouvent en équipes, c’est dire la faible proportion. Un Foyer de jeunes existe : c’est un des lieux où je peux rencontrer les jeunes, avec la rue... Mais combien de fois ai-je le loisir d’aller à pieds !!
- D’autre part, le M.R.J.C. (Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne) dont je suis l’un des aumôniers. Ce Service d’Eglise me permet de rencontrer principalement des scolaires de tout style : lycéens, collégiens, jeunes en L.E.P...., ainsi que quelques jeunes engagés dans la vie professionnelle.
- La DIASPORA enfin, qui rassemble régulièrement sur le diocèse une quinzaine de jeunes de la ville et du rural..
Je vais reprendre ces trois lieux, car il est impossible, hors d’un cadre, de parler de la relation avec les jeunes. J’ajouterai que, heureusement, mon ministère ne s’arrête pas aux jeunes, et que leur rencontre peut être aussi indirecte (par les parents, les accompagnateurs d’équipe ; mais aussi par de plus jeunes : prise en compte du temps, de l’histoire).
"TOI, PRETRE ? MAIS T’ES PAS MISOGYNE"
Cette remarque m’avait été faite quand j’étais séminariste, par l’amie d’un co-équipier (je jouais alors dans une équipe de football). Ce n’est que peu à peu que l’équipe avait découvert ce que je faisais. Cela, et d’autres remarques semblables, m’a marqué dans ma relation avec les jeunes.
Bon nombre de jeunes - et cela d’autant plus qu’ils vivent éloignés de l’Eglise - ont une certaine image du prêtre (et de l’Eglise) qui ne les engage pas au contact : image de "vieux garçon", dépassé par son époque, qui ne comprend pas le monde des jeunes. Je me demande parfois d’où vient cette perception, si c’est de leur expérience ou de leurs parents.
Toujours est-il que ma relation avec les jeunes, dans ce cas, est d’abord un "être-avec", parfois même un "être comme". Leur perception me provoque à casser avant tout ce décalage qu’ils ressentent ; briser le moule tout-fait ; essayer d’être de leur pays (avec toutes les réserves qui s’imposent) avant de leur présenter le mien, si l’occasion s’en présente.
Cet "être-comme" me semble propre à ouvrir une relation de confiance : confiance personnelle, car ce qu’ils vivent, ce qu’ils pensent, n’est pas rejeté ; qui plus est, peut être accueilli, en partie intégré. C’est de cette démarche même que peut jaillir la différence, le questionnement, peu à peu. Non plus comme un a-priori, mais comme réalité profonde. Que de questions m’ont été alors posées, principalement sur le célibat, le pourquoi de la vocation, le rôle du prêtre... Et elles ne sont pas aussi extérieures que l’on pourrait le croire. Elles sont l’expression de la recherche du sens.
Face à ces jeunes tout en question par rapport à leur avenir, mais aussi par rapport au sens de la vie, de 1’amour, de la relation, face à leur générosité latente, je crois important ce témoignage d’une vie fondée sur un choix radical, en toute liberté (c’est cette difficulté que je perçois chez ces jeunes, difficulté de poser un choix qui engage toute une vie. Or tant qu’un choix n’est pas fait, il n’y a pas de vie réelle, profonde). Témoignage qui appelle l’autre à se poser dans la vie.
Mais ces rencontres sont plus ponctuelles que suivies ; d’où une relecture difficile ; un témoignage est donné, le reste est oeuvre de l’Esprit.
La limite de telles rencontres en est l’aspect personnel. Tout en désirant donner une autre perception du prêtre, je sens bien qu’elle est liée à ma personne plus qu’à l’Eglise.
"VOUS VOUS SOUCIEZ DE NOTRE VIE DE JEUNES "
Etonnement de ces jeunes, nouveaux venus, au bout de deux jours de stage M.R.J.C. Surpris Pascal, Vincent, Nadège, Nathalie... qu’on les prenne au sérieux, avec leurs désirs, leur projet de salle pour les jeunes, que l’on essaye de les aider à les formuler, à les réaliser.
Je traduirais la démarche à ce niveau par un "être-pour". Permettre au jeune de se réaliser avec d’autres dans un projet commun. Lui donner la parole. L’écrire. La prendre au sérieux.
Ces projets, très divers, sont porteurs d’une attente : un vivre autrement, plus convivial (recherche sur l’animation locale), plus responsable (à l’école - délégués, formation, orientation -, en agriculture, par la recherche d’autres voies de production permettant à chacun de demeurer en place), plus ouvert (avec l’interrogation du Tiers-Monde), refusant au nom de l’Homme une certaine fatalité économique.
C’est le projet qui permet une relation plus soutenue, plus régulière (mais il faut que la relation ait déjà existé pour que ce projet soit formulé). Une relation qui est d’abord celle à un groupe et dans laquelle joue la relation inter-personnelle.
L’enjeu est de taille. A travers ces actions, les jeunes se posent comme responsables d’un projet avec et pour d’autres. Ils dépassent, par l’analyse, le stade de la simple générosité pour donner cohérence à leur projet, un projet qui les rend missionnaires auprès des autres jeunes en essayant de les intégrer dans leur dynamisme. L’importance est donnée à la place de chacun - mais surtout du plus pauvre -, au droit d’expression de chacun, au changement de cadre et de mentalité par l’action.
C’est pour les jeunes une découverte autre de l’Eglise, qu’ils connaissent - et refusent pour certains - à travers le cadre paroissial. Ils voient dans le prêtre l’homme du sacré et n’en attendent pas grand chose ; mais lorsqu’ils réalisent que leur vie est "sacrée", ferment du Royaume, que les valeurs qu’ils portent se trouvent intégrées au projet de Dieu, un Dieu à leur port(é)e, leur foi change.
Ma relation avec les jeunes s’enrichit alors de toute cette relecture, de cette référence faite à ce que Jésus a pu vivre, et de la célébration qui en naît...
Etre prêtre là, signifie pour moi être créateur de liens : lien entre eux, lien avec Jésus-Christ..., plus que lien avec moi ; être révélateur de Celui qui les fait vivre.
Je voudrais dire combien ma foi, mon espérance sont nourries par ces actes posés, et que se joue finalement une relation où chacun donne et reçoit. Avec les plus anciens, lors de la préparation de mon ordination, est apparue cette relation aboutissant au partage : "Finalement, disait un jeune, nous sommes responsables de ta vocation".
"VIENS... ET SUIS-LE"
En Diaspora enfin, je retrouve un certain nombre de jeunes ayant au fond d’eux-mêmes un projet avec Dieu.
Ils attendent que ce projet se vérifie, se confirme, s’affermisse ; de pouvoir le confronter avec d’autres ; mais aussi de pouvoir dans notre monde, le vivre : d’où une forte demande d’approfondissement de la foi.
Mais surtout, d’abord, pouvoir en parler. Cela suppose une écoute pour que le projet puisse venir à jour, et par là-même, puisse être considéré, porté.
Je suis là directement situé en tant que prêtre. A la fois comme semblable et différent : semblable car, comme eux, un jour j’ai porté un projet qui m’a nourri, fait grandir, dérouté... Différent car un pas radical a été franchi, et ce pas est pour l’autre un appel.
J’ai eu une découverte de l’Eglise qui a enrichi mon cheminement, une rencontre de Dieu qui m’a libéré, une rencontre du Christ qui m’a ravi, une perception de l’Esprit-Saint qui m’a empli d’espérance... C’est tout cela que j’ai envie de leur transmettre pour que leur chemin soit aussi JOIE... sur fond de Béatitudes.
Je suis parfois étonné des points de départ de ces cheminements. Mais ils me renvoient au mien, au chemin parcouru, et me sont l’occasion d’une action de grâce pour ce Dieu qui a eu tant de travail, et qui en a encore.
Là, encore, j’essaye d’être homme de lien :
- vis-à-vis des JEUNES : quand je propose à un jeune la diaspora, je lui demande : "T’es-tu déjà posé la question de suivre Jésus-Christ, veux-tu te la poser avec d’autres jeunes ?"
- vis-à-vis des PRETRES aussi : tout un effort a été mené sur le diocèse pour les rencontrer, les inviter à être appelants et à mettre les jeunes en lien avec la diaspora. Car nous n’avons pas à reproduire des prêtres à notre image, mais à partager ce qui nous fait vivre, à rendre compte de l’espérance qui est en nous pour que ce service se renouvelle au sein d’une Eglise fidèle à sa mission.
"PARLE-MOI, J’AI DES CHOSES A TE DIRE"
En guise de conclusion, ce titre d’un livre qui résume bien la relation : cet appel des jeunes qui demandent à ce que l’on entre en relation avec eux pour pouvoir se dire ; cette relation engagée avec des jeunes, car je possède en moi - grâce à d’autres, en Eglise - un trésor à leur confier, car il est vie, il dynamise toute une existence vers un Autre, vers les autres, en donnant et transformant chaque fois le visage de la vérité, de la liberté, de l’amour.
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Le Père Pascal BARDET, prêtre du diocèse de REIMS est dans l’équipe SDV de ce diocèse. [ Retour au Texte ]