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Evangélisation des jeunes : le défi
Marc LEBOUCHER*
EVANGELISATION DES JEUNES LE DEFI
Echos du colloque des Mouvements de jeunes, Services et Aumôneries"
(CHEVILLY-LARVE, 19-20 Décembre 1985 - PARIS, 22 Janvier 1986)
S’il faut revenir en quelques lignes sur cette rencontre, c’est moins sans doute pour en rendre exhaustivement compte, que pour marquer l’événement qu’elle a représenté. Evénement qui fut à sa manière un réel temps de partage sur l’éveil, au sens large du terme. Evénement qui vient rappeler à nos Services que leur souci n’est pas un à-côté, mais qu’il rejoint la préoccupation évangélisatrice de toute une Eglise, diversement incarnée dans des Mouvements, des Aumôneries, des Services.
C’est a la Commission épiscopale "ENEANCE-JEUNESSE" que nous devons l’initiative d’un tel colloque. Réunir autour d’un même thème : "Difficultés et chances de l’évangélisation des jeunes aujourd’hui", dix évêques, six Mouvements d’Action Catholique, six Mouvements éducatifs et spirituels, huit organismes, Services ou Aumôneries, aurait sans doute été impensable il y a quelques années.
Suite à l’Année internationale de la Jeunesse et dans la perspective du synode de 1987 sur le laïcat, les évêques ont eu cependant l’heureuse audace de faire cette proposition de dialogue. Proposition bien accueillie par tous, puisque la plupart étaient là, le plus souvent représentés par de jeunes laïcs. Echange qui n’aura pas de suites concrètes dans l’immédiat, mais qui a permis de se mieux découvrir, de faire tomber quelques a-priori et d’entamer une bonne réflexion sur les jeunes.
S’il ne faut pas surestimer l’importance d’un travail de cet ordre, effectué, rappelons-le, entre responsables nationaux fatalement un peu éloignés des réalités du "terrain", force est de reconnaître qu’il ouvre quelques pistes dont il faut faire cas ici.
I - RICHESSE ET DIFFICULTES D’UNE RENCONTRE
L’expérience essentielle et immédiate du colloque aura sans doute résidé là, dans cet apprentissage de la différence existant entre Mouvements divers et Services. Différence qui a appelé tour à tour l’émerveillement et l’apprivoisement, qui a invité à passer souvent de Babel à Pentecôte. Différence qui n’entame pas un trait à tous commun : l’attention au monde des jeunes, dans sa diversité, ses joies et ses espoirs, avec le même dé-, sir de voir ces derniers rencontrer Jésus-Christ. Même s’ils ont chacun des manières de parler et d’agir qui leur sont spécifiques, Mouvements et Services font un même acte de foi dans ces jeunes, dans leurs potentialités vivantes.
Et pourtant, à bien regarder, que de diversité parmi tous ces acteurs ! Entre ceux qui insistent sur la croissance spirituelle de la personne (le M.E.J. par exemple), sur son plein épanouissement (le Scoutisme), ou d’autres qui adoptent une thématique du changement social (M.R.J.C.), voire de l’agir collectif (J.O.C.), que de perspectives divergentes ! Le colloque a permis cependant de bien vivre cette différence, de l’expérimenter comme un enrichissement mutuel. Comme l’a souligné le Père CORNET, évêque du PUY, cette différence n’a pas créé entre nous de "murs infranchissables".
Deux raisons expliquent peut-être ce climat de reconnaissance réciproque. D’une part, comme l’a bien fait remarquer le Père GRANGER, théologien, les différences sont caractéristiques d’une Eglise qui se doit de déployer toujours plusieurs missions si elle veut être fidèle à l’Evangile. La diversité des projets, des langages, des pédagogies, apparaît comme consubstantielle à la pluralité des signes que l’Eglise doit offrir à travers le service des pauvres, le témoignage et l’annonce de la Parole, la célébration et la prière. Les différences ne relèvent pas du hasard, mais se conjuguent dans une tension féconde avec le mystère de l’Eglise-Une.
D’autre part, comment ne pas reconnaître aujourd’hui l’existence d’un meilleur climat d’écoute mutuelle, d’un souci de rassemblement jusque-là difficile à percevoir entre Mouvements et Services ? Aux oppositions parfois dures du passé font place désormais des glissements positifs, des évolutions marquantes, voire des apports mutuels. Les exemples de tels changements abondent : C’est telle revue du M.E.J. qui, à l’approche des élections, publie un dossier sur la politique ; c’est le M.R.J.C. qui, à l’écoute des jeunesses mariales, s’interroge sur la place qu’il donne à la prière ; ou la J.O.C.F. qui insiste sur la nécessité de faire aux jeunes des propositions explicites sur la foi...
Mais pour autant, la joie du dialogue n’élimine pas toutes les difficultés. On a parfois bien du mal à se comprendre et l’on se découvre souvent piégé parce qu’un même mot, comme celui de relecture, possède plusieurs sens. Entre la révision de vie chère à l’Action Catholique et les relectures, collectives ou personnelles, en vigueur dans les autres Mouvements, les nuances ne manquent pas. Chacun a ses étroitesses : peur frileuse de perdre son identité propre au cours de la confrontation, utilisation de "mots fétiches" qui permettent parfois de ne pas aborder les difficultés (le peu de jeunes touchés, par exemple), de ne pas regarder les jeunes tels qu’ils sont. Pourquoi, a pu relever justement le Père LESCANNE, sociologue, la musique et l’image tiennent-elles si peu de place dans le discours des Mouvements, alors qu’elles se révèlent centrales dans la culture actuelle des jeunes ? Et ce Dieu présenté par les Mouvements, voire cette image de l’homme proposée, n’ont-ils pas souvent les traits de "super-militants", d’êtres "theillardiens" toujours en croissance ? Où donc est passée la figure du Dieu pauvre, désarmé, sans doute plus proche de jeunes fragiles, affrontés à un
univers difficile ?
A ces difficultés s’ajoute une limite propre au colloque : n’avoir pas pu ou pas su prendre en compte certains courants plus traditionnels (dans le Scoutisme, par exemple), ainsi que la forte demande de spirituel qui s’affirme à travers le Renouveau ou dans des lieux comme Taizé, Lourdes, les Foyers de Charité....
II - REALITES ET QUESTIONS
A travers cette rencontre tâtonnante et riche, l’attention au monde des jeunes s’est révélée vite source de questions pédagogiques et pastorales.
Sans doute les propos, fatalement un peu abstraits, échangés sur les jeunes ne furent guère vraiment nouveaux.
Constat désormais classique d’une culture de l’individuel et du fugitif, du "vraisemblable et de l’immédiat" (1), où dominent les valeurs de convivialité, d’authenticité, d’expérience. Prise en compte d’une indifférence massive, où la foi ne fait plus question, ni opposition. Contexte où, comme l’ont remarqué les Services et Mouvements, il est dur de croire et de vivre, d’avoir confiance en soi et de réaliser sa vie. Monde où les crises de tous ordres se conjuguent : à l’école, en famille, pour la recherche d’un emploi, dans les relations.
Pourtant, impossible d’en rester à cette description morose. Au coeur de cette réalité, comment ne pas discerner des signes d’espérance ? Notre Eglise devenue plus "nomade", moins figée, peut certainement voir dans l’indifférence actuelle, exempte de toute hostilité anti-religieuse, une chance pour la proposition explicite de la foi. La culture des jeunes permet un nouveau type d’engagement au service des autres qu’il faut soutenir, purifier, faire durer. A nous de recevoir, comme le relevait récemment le journaliste H. TINCQ (2), cette "triple demande spirituelle, émotive et socio-caritative" portée par les jeunes aujourd’hui.
Une réalité qui appelle donc deux types de questionnements, du même coup :
1 ) Au plan pédagogique :
Sur quoi insistons-nous dans nos propositions ? Comment articulons-nous notre pédagogie et une démarche catéchétique rendue nécessaire par l’indifférence des jeunes ? Quelle place donnons-nous à l’Evangile ? Quels rôles tiennent les personnes et les collectifs dans nos modes d’agir ? Quelle formation offrons-nous aux animateurs ?
2) Au plan pastoral :
Quelle reconnaissance de la responsabilité des laïcs accompagnant ces jeunes ? Question qui ramène aussitôt celle de la place du ministère presbytéral, de sa spécificité. Comme l’ont rappelé avec force plusieurs évêques, le souci des vocations spécifiques doit de nouveau habiter les Mouvements et Services. Il ne peut être éludé.
Quelle articulation du travail des Mouvements avec la pastorale diocésaine, avec les paroisses et les Services ?
Ne pouvant réfléchir à tout, le colloque a davantage travaillé la place tenue par l’Evangile dans les propositions de chacun. Une occasion de vérifier que, là aussi, les approches se complètent, comme le prouvent les, quelques points d’attention et les questions retenues :
POINTS d’ATTENTION ;
1) L’importance de l’Evangile dans une pédagogie d’éducation à la liberté, au choix, au discernement, à travers une relecture de l’existence
2) L’importance d’une démarche d’évangélisation ancrée dans la vie, le réel
3) La conscience que l’on s’évangélise ensemble, les uns les autres. C’est une démarche qui nous transforme et peut aider à transformer ce monde.
QUESTIONS RETENUES :
1) Comment durer dans le travail d’évangélisation ?
2) Comment articulons-nous nos propositions de promotion humaine et notre spécificité chrétienne ?
3) Comment faire découvrir que Dieu ne se révèle pas seulement dans les dynamismes, mais aussi à travers la souffrance, les échecs ?
Des questions que portent aujourd’hui tous ceux qui sont sensibles à éveiller les jeunes à la dimension chrétienne de la vie, et que chaque Mouvement, chaque Service, va continuer à réfléchir.
III - DES SERVICES RENVOYES A l’EVEIL
Susciter un espace gratuit de dialogue, faire jaillir des questions, n’ont pas été les seuls fruits du colloque qui a mieux permis, aussi, de percevoir la spécificité des Services en tant que tels, pour aider à les faire découvrir aux autres partenaires de l’évangélisation. Quelques traits de cette identité se profilent plus clairement désormais :
- Des Services qui, finalement, touchent beaucoup de jeunes de manières très variées, voire informelles (ex. : Aumôneries, mais aussi activités du S.D.V., Secours Catholique,..). Ce sont souvent les seuls relais de ces jeunes avec l’Eglise.
- Des Services qui impliquent, comme pour les Mouvements mais sur un mode différent, une certaine gratuité et un sens de l’Eglise.
- Des Services qui ont vocation de rappeler une dimension particulière, essentielle à la sacramentalité de l’Eglise, comme le souci de la charité, de la mission à l’extérieur, des vocations spécifiques.
Ils ont un peu le rôle d’aiguillon, pour rappeler à l’ensemble de l’Eglise telle ou telle urgence vitale. Leur affectation à une mission particulière n’est pas seulement guidée par un souci d’efficacité ou de spécialisation...
- Des Services qui sont bien en lien avec les autres partenaires sur le terrain. Sans en faire des "libres-services", leur souplesse et leur plus grande liberté sans doute, par rapport à telle ou telle pédagogie, leur permet de mieux se situer au coeur d’un jeu de relations.
Cette rapide description peut paraître un peu théorique, voire idéale pour certains. Mais en dépit des lourdeurs inévitables ici ou là, elle correspond bien à l’image de nombre de S.D.V., au sens du travail qu’ils entendent accomplir.
Si ce colloque a pu aider à mieux saisir la spécificité de la tâche des Services, il renvoie du même coup les S.D.V. à la responsabilité de l’éveil. C’est à dire peut-être à une participation originale à la mission d’évangélisation, qu’on pourrait cerner à trois niveaux :
1) Bien se greffer à tout le travail de premier éveil, au départ
C’est à dire être bien en lien, autant que possible, avec ceux qui aident la vocation humaine et chrétienne des jeunes à grandir.
Tant à travers la catéchèse que dans telle démarche d’Action Catholique, a tel petit groupe informel...
Autant de lieux d’éveil à l’existence chrétienne ensemble, autant de partenaires possibles avec qui il est bon de demeurer relié.
2) Au coeur de ces démarches d’éveil diversifiées, susciter des paroles d’appel bien situées.
Dans tel Mouvement, tel lieu, tel rassemblement, permettre qu’avec les partenaires de l’évangélisation des moments d’éveil aux vocations spécifiques soient prévus.
Le questionnement du S.D.V. ne sera bien perçu que s’il s’enracine dans le travail d’évangélisation déjà accompli.
3) A travers l’accompagnement ou des démarches d’éveil plus soutenues, continuer d’éveiller
Il ne s’agit pas ici de mélanger les genres, mais de se redire que tout suivi d’un jeune, ou d’un groupe, reste constamment une tâche d’éveilleur.
On n’a jamais fini d’inciter à la prière, au service, à l’amour de l’Eglise. On ne peut que continuer, là aussi, d’une manière certes plus approfondie, ce travail d’évangélisation, de purification du coeur, commencé au départ plus modestement.
C’est donc bien d’un renvoi à l’éveil tous azimuts qu’il s’agit.
Ce colloque ne fut qu’un colloque. Il n’a donné ni recettes, ni conseils pour ceux qui se sont déjà attelés au travail. Il n’a pu que nous redire qu’on n’en a jamais fini avec l’Evangile, avec cette Eglise à construire avec les jeunes de 1986.
1) P. COUSIN - J.-P. BOUTINET - M. MORFIN : "Aspirations religieuses des jeunes lycéens", Paris, L’Harmattan, 1985 [ Retour au Texte ]
2) H. TINCQ : "Le baptême à quinze ans" - Le Monde du 25 Janvier 1986 [ Retour au Texte ]
* Marc LEBOUCHER, de l’équipe permanente du S.N.V. [ Retour au Texte ]