Doctrine : le ministère de prêtre diocésain


Gérard MIDON *

 

"Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde."
Jean 17, 19

 

Le titre de ce dossier revêt un intérêt particulier dans l’articulation de ses trois mots : en effet, le prêtre n’a de raison d’être qu’en vue d’une mission, d’un ministère, lequel est accompli par des hommes de ce temps au contact des réalités de la vie quotidienne, Et, me reviennent à l’esprit ces propos de François Varillon :
"Une faute de mystique a été commise : le mépris du temporel. On connaît les cent pages terribles de Véronique qui accusent les clercs d’avoir enfanté le ’désastre’ d’un monde ’déchristianisé absolument’. Mais Péguy dit bien ’faute de mystique, non de tactique".

Il est certainement des manières diverses de "mépriser" ce monde qui nous habite, que nous le voulions ou non : la critique ouverte négative et systématique, ou bien faire comme s’il n’existait pas, ou encore l’idolâtrer. Nous voulons ici le pendre au sérieux tout autant que le ministère de l’Eglise.

DANS UNE HISTOIRE

Il serait infantile de croire que nous sommes la première génération à nous soucier de l’adaptation au monde pour que le message confié à l’Eglise soit reçu.

Si le prêtre diocésain a été formé sur le modèle monastique pendant des lustres, cela s’est trouvé dans une Eglise qui cherchait à affirmer son identité propre, face à un monde qui la questionnait ou la contestait. Ce XXème siècle qui voit les paroisses et les Mouvements se dépeupler, se demande comment "refaire de nos frères des chrétiens" et il s’en suit ce vaste renversement, qui se poursuit jusqu’à nos jours, d’une situation face au monde à une immersion au coeur de ce monde. L’Eglise sait plus que jamais que le ministère qui est le sien, est d’être au monde, comme le Christ lui-même, pour y être ferment de la Bonne Nouvelle du salut. Il est évident que le rôle et la place de celui qui porte le ministère de prêtre s’en trouvent modifiés.

Si le ministère de prêtre est quelque peu bousculé par ce nouveau rapport de l’Eglise au monde, il en vit les conséquences les plus sensibles à l’intérieur même de la communauté Eglise, dans laquelle tous sont dits - et à juste titre - responsables de la mission, au nom de leur baptême et de leur confirmation et où quelques-uns prennent responsabilités et services nouveaux.

Lorsque l’Eglise était identifiée à la hiérarchie, il était normal de se demander où se trouvait la place des laïcs et quel pouvait être leur type de "participation". Désormais, l’Eglise se définissant comme Peuple de Dieu, la place des laïcs parmi celui-ci s’y trouve acquise ; mais se pose alors le problème opposé : quelle est la place du prêtre, que devient "le rôle spécifique du sacerdoce du prêtre, à l’intérieur du Peuple Sacerdotal ?" (l).

Trois remarques courent fréquemment au sujet de cette question :

  • le champ d’action du ministère presbytéral ayant tendance à se réduire, il lui restera au moins ce que les laïcs ne peuvent faire, à savoir célébrer les sacrements,
  • Ce ministère prend une certaine dimension épiscopale, insistant sur l’aspect communion et l’accompagnement de laïcs en responsabilité plutôt que d’une présence auprès de tous,
  • il est, et sera caractérisé par l’intinérance et un fonctionnement de type "généraliste".

Quoiqu’il en soit, nous devons tenir pour acquis que l’Eglise est dans sa totalité ministérielle ou diaconale, c’est-à-dire en état de service ; et cela non seulement pour ses membres, mais aussi pour le monde. Il y a un ministère de prêtre au sein de l’Eglise parce qu’elle est mystère au sens paulinien et patristique du terme : le "musterion" est l’action salvifique que Dieu accomplit dans le monde par les hommes et pour eux. Aussi, le ministère de prêtre doit-il s’accorder au ministère de l’Eglise.

UNE NECESSITE : vivre en solidarité avec le monde

Il nous faut y insister pour ne pas retrouver l’opposition traditionnelle entre l’action édificatrice du Corps du Christ et l’action missionnaire d’évangélisation.

Presbyterorum Ordinis a justement parlé de la présence des prêtres dans le monde : "ils vivent comme des frères avec les autres hommes" à la ressemblance du Christ "qui a demeuré parmi nous et... a voulu devenir en tout semblable à ses frères à l’exception cependant du péché", et de Paul qui "s’est fait tout à tous afin de les sauver tous".

Certes, les conditions de vie liées au ministère de prêtre font que "les prêtres sont d’une certaine manière mis à part au sein du peuple de Dieu ; mais ce n’est pas pour être séparés de ce peuple, ni d’aucun homme quelqu’il soit" ; et le Concile souligne : "ils ne seraient pas capables... de servir les hommes s’ils restaient étrangers à leur existence et à leurs conditions de vie" ; et encore : "leur ministère... réclame qu’ils vivent dans ce monde au milieu des hommes et tels de bons pasteurs, ils connaissent leurs brebis et cherchent à amener celles qui ne sont pas de ce bercail, pour qu’elles aussi écoutent la voix du Christ, afin qu’il n’y ait qu’ un seul troupeau...".

Ces indications de Vatican II ont parfois été interprétées dans le sens d’une adaptation de type sociologique ou psychologique dont les aspirations s’expriment dans l’exercice d’un engagement professionnel ou celui d’une militance sociale ou politique. Ce serait mal comprendre, me semble-t-il, la pensée du Concile. Il indique en effet, dans les numéros 4-6 du même document, les lignes précises et théologiques d’ouverture du ministère de prêtre pour le monde. Les points de repère qu’il donne ressortent du fait que les trois services de "l’ordre sacerdotal" (Parole - Sacrement - unité) ont une dimension universelle essentielle qu’il ne faut jamais perdre de vue.

  • Une PAROLE annoncée pour convier et nourrir le Peuple de Dieu tout en gardant son caractère de Parole annoncée à tous les hommes, Parole capable de donner naissance au Peuple de Dieu et donc non seulement de le faire croître ; une Parole qui évangélise, qui rejoint ceux qui ne croient pas, et qui, par conséquent, n’alimente pas seulement ceux qui croient déjà.

  • Des SACREMENTS célébrés et transmis pour la sanctification de tous les hommes l’Eucharistie étant celui des sacrements qui contient "tout le trésor spirituel de l’Eglise, c’est-à-dire le Christ lui-même, et qui est uni à toute la création et à l’activité et au travail de l’homme, par un lien qui les vivifie et les transfigure". Henri Denis, dans son livre déjà cité en conclut : "on imagine là encore l’amplitude du ministère sacramentel, dès lors qu’on ne considère pas seulement l’acte de la célébration, mais tous les préludes où le sacrement puise ses racines humaines".

  • Une UNITE dans la charité, à laquelle les prêtres, en union avec les Evêques accordent leur service de conduite du Peuple de Dieu ; cette unité est le bien suprême de ce Peuple et le signe authentique de sa condition de disciple ; elle doit aussi conserver et exprimer son caractère essentiel de signe de cette réconciliation eschatologique qui appelle tous les hommes au Père par le Christ dans l’Esprit.
    "Ces rappels nous montrent que la tâche de gouvernement ne peut se limiter à la conduite des fidèles" (2).

Les mutations que nous connaissons dans l’Eglise et le nouveau type de rapport au monde que le prêtre diocésain est appelé à vivre n’exigent absolument pas de celui-ci qu’il fasse abstraction de ces caractéristiques essentielles de son ministère, mais bien plutôt qu’il apprenne à les mettre au service du Peuple de Dieu pour que ce dernier soit tout entier en attitude de service pour la vie du monde.

UNE CONSECRATION POUR UN SERVICE

Le ministère de prêtre ne lui est pas conféré pour lui-même, mais en vue de ce service dont nous parlions à l’instant. Il est consécration en vue d’une mission.
On pourrait d’ailleurs dire la même chose pour le baptisé, le confirmé ou celui qui s’engage en Eglise dans le mariage. Consécration et mission sont deux aspects essentiels et indissolublement liés du mystère de l’Incarnation. Le Christ déclare expressément à ce sujet que ses Apôtres sont assimilés à sa propre situation ; de même que de par sa propre consécration, il veut obtenir la consécration "en vérité" des Douze, sa mission dans le monde doit être partagée avec eux "Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde", (Jn 17, 19). Il demande au Père, non de les retirer du monde, mais de les garder du mal.

UN SERVICE PARTICULIER AU SEIN DU PEUPLE DE DIEU

Le Chapitre premier de la Constitution Lumen Gentium permet cette affirmation puisque sa dynamique est la suivante :

  • Le Peuple de Dieu dans sa totalité participe à la triple fonction du Christ, Prêtre, Prophète et Roi
  • au sein de ce Peuple apparaît la distinction hiérarchie-laïcat
  • dans cette hiérarchie, des ministres reliés aux Apôtres missionnaires du Christ, par l’intermédiaire des évêques, successeurs des Apôtres, ayant reçus "la plénitude du sacrement de l’ordre" (3). Les prêtres participent de ce sacrement et sont les coopérateurs de l’ordre épiscopal, pour accomplir l’unique mission confiée par le Christ.

Le ministère de prêtre se situe donc nettement au coeur de la mission du Peuple de Dieu dans son ensemble, mais ceci exige de lui "de participer à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son Corps" et "d’agir au nom du Christ Tête en personne".

La hiérarchie dont parle Vatican II est constituée par le collège des évêques, ayant le pape à sa tête et servi par les prêtres et les diacres. Elle est au service de ce Peuple de Dieu qui est dit sacerdotal puisqu’il participe à la mission du Christ (sacerdotale - prophétique et royale).

Par les évêques, l’ensemble de cet ordre hiérarchique se rattache aux Apôtres et par ceux-ci au Christ, pour soutenir la mission globale de l’Eglise définie traditionnellement par les trois fonctions d’enseignement, de sanctification et de gouvernement.

L’originalité de cet ordre hiérarchique est de rendre le Peuple de Dieu "capable d’agir lui aussi au nom du Christ Tête en personne". Au sein de ce Peuple, le ministère de prêtre est spécifique en ce qu’il doit être signe du Christ Tête pour son Corps qui est l’Eglise. Autrement dit, il y a un ministère dans l’Eglise pour que soit signifiée l’oeuvre du Christ dans l’oeuvre de l’Eglise,

Le ministère de prêtre ne tient pas seulement dans son agir sacramentel dont 1e coeur est la présidence de l’Eucharistie. Mais celle-ci est essentielle pour rassembler et construire la communauté, car la tâche du prêtre qui est aussi d’évangéliser ne peut trouver souffle ailleurs que dans "cette respiration qu’est la vie sacramentelle culminant dans l’Eucharistie " (4). C’est elle qui "construit l’Eglise, et la construit comme communauté authentique du peuple de Dieu" (5). Nous n’y insisterons pas, mais c’est dans tout ce qu’il fait que le prêtre doit être signe du Christ Tête pour son Eglise.

UN SERVICE QUI GARANTIT l’APOSTOLICITE DE LA MISSION

Vatican II pense le ministère du prêtre à partir de celui de l’évêque, et le resitue ainsi dans la mission de l’Eglise tout entière. Car c’est bien dans sa mission que tout s’origine : l’une des notes fondamentales de l’Eglise dans sa situation de Pentecôte réside dans son apostolicité, laquelle comporte :

  • l’assurance du salut acquis dans la mort et la résurrection du Christ
  • l’incorporation des croyants à Jésus-Christ
  • l’éveil à l’espérance du retour du Seigneur.

Cette tâche apostolique de toute l’Eglise requiert et suppose l’exercice d’un ministère apostolique qui n’a lui-même d’autre finalité que cette apostolicité. Resituer de la sorte le ministère de prêtre dans l’ensemble de la mission de l’Eglise, lui donne sa véritable dimension, une dimension universelle : n’importe quel ministère de prêtre participe aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux Apôtres.

Le caractère diocésain du ministère de prêtre ne fait que souligner plus fortement l’apostolicité de la mission confiée, et par conséquent le lien à l’évêque qui sur une portion de territoire en a la charge. En effet, "le diocèse est la portion du Peuple de Dieu confiée à un Evêque, pour qu’il en soit, avec la coopération du presbyterium, le Pasteur, de sorte que dans l’adhésion à son pasteur et rassemblée par lui dans l’Esprit-Saint par le moyen de l’Evangile et de l’Eucharistie, elle constitue une Eglise particulière dans laquelle se trouve vraiment présente et agissante l’Eglise du Christ, une, sainte, catholique et apostolique" (6).

Puisque la portion de territoire confiée à l’évêque est le lieu où se réalise l’Eglise, le ministère conféré par l’évêque au prêtre le fait coopérateur direct de cette réalisation de l’Eglise.
"Pour Vatican II, l’Eglise universelle ne saurait être une réalité immédiate à moins d’être considérée comme communion des Eglises locales, car déjà l’Eglise locale est une présence et une manifestation plénière de l’Eglise du Christ" (7).

Ainsi, le ministère de prêtre permet-il à l’Eglise locale diocésaine d’être une présence et une manifestation de l’Eglise de Dieu ; nous pouvons même dire que l’existence de son ministère est une des conditions de la réalisation de l’Eglise de Dieu en un lieu particulier.

Malgré la nécessaire spécificité des tâches qui seront confiées à un prêtre, le ministère apostolique dont il est investi aura toujours à signifier :

  • que la plus petite des communautés rassemblée au nom du Christ n’est pas simplement partie d’un tout, mais qu’elle est portion de l’Eglise universelle en qui se vit tout son mystère et qu’en conséquence elle porte également la responsabilité de toute la mission de l’Eglise,
  • que toute communauté ne sera vraiment d’Eglise qu’en étant accueillante aux autres communautés, toutes étant les membres différenciés mais nécessaires d’un seul et même corps.
  • que l’expression des particularités culturelles ou sociales au sein même des Eglises locales est une condition de leur catholicité, car "la catholicité de l’Eglise entière s’enrichit de la catholicité des Eglises locales, ainsi que le souhaite Lumen Gentium au numéro 13 : chacune des Eglises particulières apporte aux autres et à l’Eglise tout entière le bénéfice de ses propres dons en sorte que chacune en particulier et toutes ensemble s’accroissent de l’apport de toutes, en communion les unes avec les autres" (8).

EN GUISE DE CONCLUSION

- QUELQUES CONVICTIONS

La prise au sérieux des questions du monde de notre temps est une chance pour le ministère de prêtre diocésain puisqu’il est ordonné au service d’un peuple qui est de ce monde et appelé à se constituer en Eglise pour y être en attitude de service de l’unique mission du Christ.

Dans son ministère, le prêtre diocésain est appelé à communier aux richesses, souffrances, misères et espérances des hommes en vue de l’évangélisation : il ne peut vivre en étranger à ce monde.

Sa présence au monde est présence pour y être signe de réconciliation et d’unité : ordonné pour édifier l’Eglise dans une unité organique, c’est à partir de la vie des hommes qu’il pourra le faire en vérité.

- DEUX IMPERATIFS

- Il ne paraît pas souhaitable d’engager un processus unificateur de l’exercice du ministère de prêtre diocésain, mais au contraire lui assurer une large diversité qui en fera sa richesse pour le bien de l’Eglise locale diocésaine. Ce sera en même temps tout bénéfice pour l’équilibre du couple ministère-laïcat qui porte en commun la même tâche apostolique.

- Permettre au presbyterium autour de l’évêque de vivre l’unité qui le constitue comme une véritable dynamique missionnaire : ici se pose la question de l’obéissance du prêtre promise à l’évêque et à ses successeurs au cours de l’ordination. Cette obéissance comporte une exigence de disponibilité intérieure c’est certain, mais surtout elle se fonde sur la participation au ministère épiscopal en vue d’assurer le ministère de l’Eglise, lequel n’appartient pas au prêtre, mais qu’il reçoit et accomplit comme ministère de communion et d’unité pour construire le Corps du Christ.

Ces convictions et impératifs me paraissent devoir être tenus pour ne pas sombrer dans une confusion qui pourrait être entretenue par les légitimes recherches pour un nouveau déploiement des ministères et services dans l’Eglise.

Le ministère de prêtre diocésain, au sein du ministère ordonné doit porter sa contribution pour que les fonctions spécifiques de chacun - évêque, prêtre et diacre - mettent réellement le peuple tout entier au service du monde, car "l’Eglise n’est pas tout simplement ’non monde’ ; elle n’existe pas à côté ou au-dessus de notre société sécularisée, mais en elle, comme une communauté qui lui appartient et qui essaie de vivre des promesses de Dieu annoncées et confirmées en Jésus" (9).

NOTES : ---------------------

1 - "La Théologie du presbytérat de Trente à Vatican II." - Unam Sanctam 68 Henri DENIS [ Retour au Texte ]

2 - H. DENIS (ib.) [ Retour au Texte ]

3 - Lumen Gentium 21 [ Retour au Texte ]

4 - Evangelii nuntiandi - PAUL VI [ Retour au Texte ]

5 - Redemptor Hominis - JEAN PAUL II [ Retour au Texte ]

6 - Code de Droit Canon - C. 369[ Retour au Texte ]

7 - "Initiation à la pratique de la Théologie" - H. LEGRAND [ Retour au Texte ]

8 - H. LE GRAND ( ib .) [ Retour au Texte ]

9 - "Une Théologie du monde" J.-B. METZ - Cogitatio Fidei 57 [ Retour au Texte ]

* Le Père Gérard MIDON est supérieur du séminaire inter diocésain 1er cycle de NANCY (Nancy - Saint-Dié - Metz et Verdun). [ Retour au Texte ]