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Spiritualité : La prière des prêtres diocésains
Raymond DEVILLE *
Si la prière n’est pas toujours citée parmi les "fonctions" des prêtres, elle constitue cependant l’une de leurs charges proprement apostoliques. A l’aube de l’Eglise, les Apôtres se voulaient "assidus à la prière et au service de la Parole" (Ac 6, 4). Cet aspect très important du ministère et de la vie des prêtres diocésains peut être abordé de manières très différentes : théologique, pastorale, psychologique, pratique... Il constitue l’une des préoccupations majeures des formateurs : l’initiation à la prière, à une vie de prière, à une prière apostolique et pastorale est l’un des objectifs des éducateurs de séminaires et de ceux qui accompagnent des jeunes en recherche.
Y A-T-IL VRAIMENT UNE PRIERE SPECIFIQUEMENT SACERDOTALE ? C’est la question préalable que l’on peut se poser : la prière des prêtres diocésains n’est-elle pas au fond la même que celle des autres chrétiens ? Comme pour la question controversée (parce que mal posée, à mon avis) de la "spiritualité des prêtres diocésains", la réponse doit être nuancée... De même qu’il y a une manière proprement apostolique et sacerdotale de vivre selon l’Esprit, il y a une coloration particulière, des accents propres à la prière des prêtres diocésains. Cette prière des prêtres est marquée certes par la mission, par le ministère lui-même, mais aussi par le "charisme", la consécration que constitue l’ordination sacerdotale : "Je te rappelle d’avoir à raviver le don spirituel (charisma) qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains" (2 Tim 1, 6).
La grâce de l’ordination configure au Christ Prêtre et Pasteur et donne aux prêtres d’accomplir les fonctions du Christ dans son Esprit filial, apostolique, sacerdotal (P.O. passim). Et l’Esprit de JESUS est indissociablement esprit de prière, d’amour et de mission.
La sainteté des prêtres n’est autre que la sainteté chrétienne : configuration au Christ, docilité à l’Esprit, amour des frères jusqu’au don de sa vie, mais l’ordination et la mission donnent à cette sainteté une coloration particulière et lui confèrent un certain caractère d’urgence. De même, la prière des prêtres sera, au coeur du Peuple de Dieu et avec les autres chrétiens : adoration, louange, demande confiante, offrande de soi... elle se nourrira de la Parole de Dieu, surtout de l’Evangile et des Psaumes, du regard porté sur les hommes, de la réflexion sur les évènements de la vie ; elle sera cependant marquée par quelques traits tout à fait spécifiques, à cause de la situation de ce chrétien devenu prêtre, de sa consécration et de sa mission de témoin privilégié de l’Evangile auprès de ses frères.
Il suffit d’évoquer la prière de l’apôtre Paul pour ses Communautés. L’analyse de quelques passages des épîtres serait très instructive en ce sens ; par exemple : 1 Th 1, 2-4 ; 2, 13 - Ph 1, 9 ss. Col 1, 9 ss. - Ep 1, 17 ss. ; 3, 14 ss. A plus forte raison l’étude et l’analyse des prières de JESUS de Nazareth que nous rapportent les évangélistes, notamment Luc et Jean, nous éclairent sur ce que peut être une prière à la fois filiale, apostolique et sacerdotale. Ce n’est pas par hasard que depuis quelques siècles, on a donné au chapitre 17 du quatrième évangile le titre de "prière sacerdotale".
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Pour guider une réflexion éventuelle, je me contenterai de reprendre maintenant, de façon un peu schématique, quelques constatations et quelques pistes d’approfondissement théologique et spirituel.
I - QUELQUES CONSTATATIONS
- LA PRIERE CONNAIT ACTUELLEMENT UN VRAI RENOUVEAU, au moins dans une partie du Peuple de Dieu. De plus en plus de chrétiens fréquentent les centres spirituels, les monastères, font des retraites, s’initient à la prière : il y a "de la demande". Des revues comme "PRIER" sont très lues et utilisées pour la prière des groupes ou pour la prière individuelle.
La prière liturgique, les célébrations paroissiales se sont renouvelées surtout après le Concile. Certains Mouvements d’Action Catholique donnent une grande place à la prière sous différentes formes : révision de vie, partage d’Evangile...
Des demandes sont adressées aux prêtres pour qu’ils aident des groupes ou des personnes à prier... Les prêtres sont ainsi, et de plus en plus, appelés à devenir des éducateurs de la prière.
- LES PRETRES DIOCESAINS PRIENT, à la fois lorsqu’ils animent la prière des autres chrétiens, lorsqu’ils célèbrent avec eux et pour eux l’Eucharistie, et lorsqu’ils "prient" leur Bréviaire et consacrent du temps à l’oraison silencieuse.
S’il est vrai que bien des prêtres ressentent un certain malaise : "Je n’ai pas le temps de prier"..."Je ne sais plus prier".. et si comme pour l’amour fraternel, nous sommes toujours en dette en ce domaine (cf. Rm 13, 8 : "N’ayez de dette envers personne, sinon celle de i’amour fraternel"), il faut cependant reconnaître que la prière occupe une grande place dans la vie de la plupart des prêtres, plus grande peut-être que certains ne le pensent...
- CETTE PRIERE DES PRETRES DIOCESAINS - comme celle des autres chrétiens - CONNAIT UNE EVOLUTION, elle a une histoire : "Je ne prie plus comme au séminaire"... "J’ai compris que quand j’ai prié pour quelqu’un avant de le rencontrer, je ne suis plus pareil". Il y a des passages, des étapes, des nuits, parfois des infidélités et des reprises. l’histoire de ma vie de prêtre est liée à l’histoire de ma prière, comme à l’histoire de mon ministère. Il est assez frappant de lire en ce sens l’ouvrage qu’un curé de Paris a consacré à la prière et où il décrit son propre itinéraire de prière (P. Guilbert : La Prière retrouvée, Paris, Nouvelle Cité, 1981).
II - QUELQUES PISTES DE REFLEXION
- La prière est pour les prêtres diocésains UN ASPECT DE LEUR MINISTERE, elle fait partie de leur MISSION, elle est, selon le mot de Mgr. Marcus, une "dette de ministère", au même titre que l’annonce de l’Evangile (Ac 6, 4). Elle est à la fois l’expression et la nourriture de leur charité pastorale ; ils la doivent à leurs frères parce qu’ils se doivent à eux.
Il ne s’agit pas seulement d’un "moyen de sanctification" personnelle, même si la prière nous ouvre à l’action de l’Esprit, il s’agit aussi de l’une de nos fonctions sacerdotales, quelle que soit la forme que prenne cette prière : célébration de l’Eucharistie, Bréviaire, prière avec d’autres, adoration silencieuse, etc. Lorsque des chrétiens demandent aux prêtres de "prier pour eux", ils n’ont pas tort et ils sont en droit de compter sur notre prière.
- La prière des prêtres est à la fois CONTEMPLATIVE ET APOSTOLIQUE, tout comme chez Paul ou comme en Jésus de Nazareth : ils rendaient grâce au Père pour la foi et l’amour des gens, et ils demandaient pour eux : la fidélité (la prière de Jésus pour Pierre : Luc 22,32), la charité et l’unité (Jean 17, Paul passim)...
Cette prière est donc essentiellement liée à la mission pastorale. Si toute prière chrétienne est fraternelle (notre Père...) et apostolique (que ton Règne vienne), la prière des prêtres diocésains revêt un caractère ministériel et totalement apostolique en vertu de la mission qui leur est confiée.
- Cette prière est, dans le coeur et la vie des prêtres, FRUIT de l’ESPRIT, comme pour tous les chrétiens (Rm passim). Mais l’ordination sacerdotale qui configure au Christ Pasteur est une réelle "effusion de l’Esprit" renouvelée : les mots mêmes de la préface l’indiquent bien : "répands une nouvelle fois au plus profond d’eux-mêmes l’Esprit de sainteté...". Cet "Esprit de sainteté" est celui du Christ : les prêtres peuvent ainsi "s’unir à l’intention et à la charité du Christ" (P.O. 13). Le Concile revient sans cesse sur cette "communion" des prêtres au regard de JESUS, à sa charité pastorale. Et c’est dans une vie de prière que s’exprime, se nourrit et se développe cette union au Christ, à sa prière et à son amour pastoral.
- LA PRIERE DES PRETRES DEMEURE FONDAMENTALEMENT PERSONNELLE.
Les prêtres entretiennent des relations personnelles avec leurs frères, avec un peuple, avec Jésus-Christ. Ce prêtre qui a sa propre histoire, son tempérament, devient progressivement un vrai chrétien, fils du Père en Jésus, un apôtre totalement "au service des autres à cause de Jésus " (2 Co 4, 5) grâce à l’Esprit Saint. Chaque prêtre peut être aussi attiré, par ce même Esprit, vers telle ou telle spiritualité : bénédictine, franciscaine, ignatienne, carmélitaine, bérullienne ou salésienne... et sa prière en sera colorée et enrichie...
- Finalement, TOUS LES PRETRES DIOCESAINS, par leur baptême et au titre même de leur sacerdoce et de leur mission, sont appelés à une VRAIE VIE DE PRIERE, à demeurer en JESUS, pour porter de plus en plus de fruit. Le chapitre 15 de Saint Jean annonce une grâce et un appel pour tous les chrétiens mais d’une manière particulière pour les prêtres. "La prière confiante est un aspect essentiel de l’amitié et de la mission. L’efficacité apostolique en dépend radicalement" (note de la T.O.B. sur Jean 15, 16). Si le ministère apostolique comporte à la fois le "être avec Lui" et "aller prêcher" (Marc 3, 13), cette affirmation prend ici tout son sens.
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EN GUISE DE CONCLUSION...
Chaque lecteur est renvoyé à sa propre expérience et à ses désirs les plus profonds. Il est bon parfois de s’interroger, voire de s’examiner sur notre propre vie de prière, sur son rythme, sur les moyens que nous employons pour faciliter notre rencontre avec Dieu : retraites, temps de désert, renouvellement de la prière des Psaumes, Lectio divina, fréquentation des maîtres spirituels, accompagnement spirituel...
Il est bon aussi de déceler les obstacles qui s’opposent, en nous ou dans nos conditions de vie, au développement de notre prière de prêtres diocésains.
Le principal n’est-il pas, à mon sens, de demander avec insistance la grâce de la prière. Nous rejoignons ainsi le désir même de JESUS et le mouvement de sa prière. Jean-Jacques Olier, qui a voulu servir le renouvellement spirituel des prêtres de son époque, nous rappelle que :
"Notre Seigneur ressuscité était dans un désir ardent de l’augmentation de l’Eglise (...) ce doit être là pareillement le grand désir et la prière continuelle des prêtres" (Lettre 444).
* Le Père Raymond DEVILLE est Supérieur général de Saint Sulpice [ Retour au Texte ]