Prêtres en milieu rural


Francis MEHAIGNERIE *

Paroisse de périphérie urbaine, à majorité jeune Classes moyennes, Milieux Indépendants.

Rennes, à la périphérie Nord-Est de la ville vous trouvez BEAULIEU : un quartier de l’ancien octroi (3 500 habitants), un complexe universitaire / Sciences (15 000 étudiants), des résidences d’étudiants (2 000 étudiants), une série de collèges et de lycées (5 000 élèves), et une Z.A.C. fraîchement implantée, à proximité du Centre des Télécommunications et de plusieurs laboratoires d’informatique (4 000 habitants). Le type même de la "paroisse-périphérie de ville. Telle est la géographie assez cloisonnée, qui abrite une population de jeunes et marque la paroisse St Augustin d’un chiffre surprenant : 60 % des participants aux assemblées du dimanche ont moins de 45 ans.

Nous sommes quatre prêtres à vivre dans la maison paroissiale, chacun ayant sa tâche dans le secteur. Ajoutez à cela une équipe pastorale d’une vingtaine de laïcs et quatre religieuses, en partie cooptés et élus. Partage, complicité mutuelle, ressourcement dans la prière…, autant d’atouts pour assurer une présence de Jésus-Christ au sein d’une communauté.

Depuis 1978, pasteur, curé responsable de cet ensemble urbain, constitué essentiellement de "classes moyennes et milieux indépendants", j’ai pu constater combien cette couche sociale est celle qui, dans la vie en Eglise, a plus de facilité à gérer et animer une vie paroissiale. Chances et risques qui conditionnent ma réponse à votre question : "Prêtre en milieu urbain, qui êtes-vous ?"
Dans la polyvalence des tâches, j’en retiens trois.

1 - PRETRE POUR l’APPEL

En premier lieu, je réponds : Celui qui écoute et, au nom de Jésus-Christ, répercute un appel, une convocation première.

Voilà près de huit ans que chaque année paroissiale commence par une assemblée générale. La soirée du dernier lundi de Septembre rassemble quelques 250 personnes : c’est comme une grande convocation. Je m’y sens bien à ma place comme pasteur. Au nom de Jésus-Christ, j’appelle chacun (ancien ou nouveau) à reprendre le fil d’une histoire commencée ensemble, dans un peuple lui-même appelé à s’organiser pour la mission.

Puisque chaque baptisé est unique pour Dieu, alors je peux dire à chacun qu’il est appelé à faire apparaître un visage de Jésus que personne n’a encore vu (nous le disons à chaque baptême). Et il est de ma responsabilité première que les baptisés de ma paroisse entendent tous cet appel : appel à s’identifier, à découvrir leurs dons, à sentir les séparations et les différences entre eux et à les vivre comme autant de chances et de richesses.

Cet appel, premier pas, premier moment de la connaissance - d’autant plus important en ville où la paroisse est loin d’être l’unique lieu de rassemblement - est sans cesse à faire et à refaire. Comme pasteur, je saisis toute occasion d’accueillir, de mettre un nom sur un visage, de présenter, d’ouvrir une nouvelle relation. Et nous sommes plusieurs à le faire !

Pourquoi tant d’insistance ? Parce que les efforts renouvelés de connaissance mutuelle sont le chemin naturel vers des responsabilités partagées. Un minimum de vie fraternelle est nécessaire pour travailler ensemble. C’est à la mesure où chacun se sent lui-même reconnu qu’il va être conscient de sa place à tenir, du service à assurer, et s’activer jusqu’à devenir à son tour "appelant pour d’autres".

Ainsi se constitue et se revitalise en permanence un élémentaire tissu communautaire... plutôt qu’une structure paroissiale.

2 - PRETRE POUR COORDONNER

Après l’appel, la mise en route, quand "des chrétiens deviennent actifs et acteurs" dans une communauté paroissiale, quand des équipes, groupes divers, Ateliers, Mouvements se forment (il faut du temps !), je plaide alors pour une communication ouverte entre eux. Défini comme "rassembleur", le prêtre en milieu urbain est plus que jamais "agent de communication".

Chaque année, lorsque les premiers pas sont faits et qu’un certain nombre se sentent appelés à vivre leur part de responsabilité paroissiale, le même refrain ne tarde pas : "on n’est pas informé ! ça ne communique pas". Et pourtant ces gens se retrouvent. Les réunions d’équipe pastorale ne manquent pas, ni les moyens techniques, ni les propositions, ni les informations. Alors, quoi ? Il faut le dire : une masse d’informations n’équivaut pas une réelle communication, ni une vraie coordination de tout ce qui fait la vie d’une communauté et sa mission.

La communication devient pour moi, prêtre responsable, préoccupation permanente et lieu privilégié de mon action pastorale. Au milieu de tous ces groupes je me sens le devoir d’ouvrir des brèches, de poser des passerelles, de rendre fluide la circulation et souples les articulations... bref, d’être "aux jointures" pour reprendre l’expression de St Paul (1 Co 12). Assez présent à chaque groupe pour y encourager l’esprit fraternel. Et cependant assez frontalier des groupes pour les renvoyer les uns aux autres, ouvrir la vie paroissiale à celle des autres paroisses et à la vie de l’Eglise diocésaine. Utopie cartes, mais, bon an mal an, quelque chose en passe dans la réalité. Paradoxe au coeur de l’attitude pastorale : qu’il revienne au prêtre de former le cercle et de l’ouvrir sans cesse. La liturgie de l’envoi, à la fin de chaque messe, quelquefois solennisée par le diacre, le concrétise bien pour sa part.

3 - PRETRE POUR l’ACTION DE GRACE

Mais je n’ai pas dit l’essentiel et j’y viens. Pourquoi cette organisation paroissiale en vue de la mission et au service du monde ? si ce n’est pour recueillir la vie en suivi, les avancées, les reculs... jusqu’à ce qu’elle devienne offrande dans la célébration sacramentelle de la Réconciliation et de l’Eucharistie.

Du pardon reçu à l’action de grâce, c’est le parcours qui évoque le mieux mon identité. J’insiste d’abord sur la Réconciliation et la conversion à l’écoute de la Parole, tant nous avons de mal à découvrir ensemble, à nous dire et redire que personne d’entre nous n’est innocent  : tous nous sommes des pécheurs pardonnés. C’est aussi une dimension de mon ministère de sans cesse proposer la réconciliation. Plus la communauté est vivante, plus elle est complexe, plus il faut compter sur le pardon. Le meilleur savoir-faire, la tolérance ou la négociation, sans le pardon, ne suffisent pas pour assurer durée et longue vie à la communauté paroissiale. Le pardon empêche de mourir et ouvre le chemin de la reconnaissance et de l’action de grâce.

En présidant l’Eucharistie et en appelant la venue de l’Esprit sur le peuple assemblé - comme un aspect particulier de mon ministère en ce milieu urbain - j’ai le sentiment de signifier que Dieu est premier dans la vie de chacun et de tous, et d’annoncer : "l’Autre n’est pas ton rival. N’en prends jamais ombrage. Tu es invité à passer de la tolérance à la reconnaissance, à l’action de grâce véritable pour la fidélité de l’autre. Avec lui, rends grâce pour le don qu’il te fait de sa différence". Qui d’autre que Jésus-Christ lui-même peut nous emmener jusque là ?

* * *

Et pour conclure d’un mot, je dis merci aux laïcs qui nous aident à prier, nous prêtres. Plusieurs groupes existent qui ont conscience d’assurer ce service de la prière et de l’intercession, dans la communauté. Leur présence nous permet d’espérer demeurer témoins de l’imprévu de Dieu au service d’un peuple, au milieu du peuple des hommes aujourd’hui.

* Le Père Francis MEHAIGNERIE est curé de la paroisse Saint Augustin à RENNES [ Retour au Texte ]