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Prêtres en secteur interparoissial
Jean BOULAY *
On me demande un témoignage : "Qui êtes-vous, Père Boulay, pasteur au coeur de 1a vie des gens... ?"
Je répondrai, au fil de la plume. Ce que ce texte perdra en précision, il le gagnera en spontanéité. A noter qu’à priori, il faut se méfier des témoignages. Ils sont par définition subjectifs, et ce qui parait discutable, est sans doute ce qui serait pour nous, le plus vrai. Un bossu n’aime pas rencontrer un bossu.
"Montoire ? Voyons, Montoire ?". Quand vous vous présentez à quelqu’un, il cherche dans sa mémoire. Le littérateur se souvient de Ronsard ; le lecteur d’Amouroux, de l’entrevue Pétain-Hitler, beaucoup évoquent le festival de danse folklorique qui, chaque année, transforme notre petite cité en capitale polyglotte.
C’est en effet une petite cité, en dépit de ses 5 000 habitants. Il y a des gros bourgs de l0 000 habitants et des villes de 2 000. Montoire, située dans le bas Vendômois, couchée au bord du Loir paisible, est entourée d’une ceinture de villages, tout proches les uns des autres et dont elle est la capitale naturelle.
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UNE EQUIPE FRATERNELLE
Trois prêtres sont chargés de ce secteur ; "Domini canes sumus", disent les dominicains. Dieu seul sait le nombre de races de chiens ! En tout cas, nous sommes merveilleusement différents. Nos âges respectifs étaient, l’an dernier, 66, 44 et 33 ans. L’auteur de ces lignes a été ordonné en 1942, en pleine guerre, le deuxième en 1966, à la veille du psychodrame de Mai 68 et le dernier en 1982.
Le premier est de formation philosophique et Action Catholique, où il a tenu des rôles variés et peut-être importants, le deuxième, docteur en science théologique, est professeur d’exégèse à la "Catho" trois jours par semaine, le troisième est juriste (maître en Droit). Ce qui nous permet d’aborder les problèmes par des pentes différentes et de nous retrouver au sommet.
Car en dépit de tout, nous nous entendons bien. C’est la seule idée que j’avais en tête quand je suis arrivé, à 54 ans, dans le ministère paroissial où je ne connaissais rien. J’ai porté la soutane 27 ans, mes collègues, non, et j’ai parfois l’impression d’être un ornithorynque devant des mammifères, vous savez, cet animal bizarre, aimé des évolutionnistes, qui est à la fois ovipare et nourrit ses petits avec du lait. On a demandé aux prêtres de ma génération une véritable mutation biologique, de passer du monde de l’avant Concile, où l’Action Catholique était l’avenir, jusqu’à notre époque où les militants sont en voie de disparition.
Pour réussir cette équipe, je me suis souvenu de la parabole, qui sauf erreur est de Schopenhauer, des porcs-épics. Quand ils ont froid, ils se serrent mais se piquent ; quand ils s’éloignent, ils sont tristes et froids. Tout est dans le calcul de la bonne distance. Parmi nous, il n’y a pas un curé et des vicaires, mais trois prêtres qui oeuvrent pour le même Christ et son Eglise ; je suis le responsable et, à ce titre porte éventuellement le chapeau, mais j’ai déjà porté tant de casquettes ! Parfois, l’un de nous reçoit ses amis ; les autres s’arrangent alors pour manger ailleurs. Chacun, avec ses charismes propres, essaie de témoigner de ce que l’on a appelé "la grâce bigarrée de l’Esprit".
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UNE COMMUNAUTE RASSEMBLEE
Autour de cette équipe fraternelle, une communauté s’est rassemblée. Il existe ici depuis une quinzaine d’années un Conseil paroissial de secteur. Il compte une trentaine de membres, élus soit par les Mouvements, soit par les paroisses. Nous croyons en effet en même temps, et au secteur, et aux paroisses. Il existe dans un certain nombre de villages, de petites communautés chrétiennes. Il est désirable qu’elles se rassemblent, même en l’absence de prêtre. Il est désirable aussi que les chrétiens se retrouvent nombreux dans de grandes fêtes comme les cérémonies de la Semaine Sainte. Le coeur fonctionne ainsi, par diastole et systole. Le sang revient aux poumons pour y trouver l’oxygène qu’il porte à chaque cellule.
Ces réunions sont préparées par des laïcs, qui se forment peu à peu sur le tas, avec une immense bonne volonté et acquièrent vite une véritable compétence.
Les jeunes y ont leur place. Je ne parle pas ici des enfants de 8 à 12 ans, mais des 13-25 ans. Un certain nombre d’entre eux fréquentent une sorte d’aumônerie, où chacun de nous a son rôle, ce qui permet aux jeunes de rencontrer des prêtres différents.
Ces jeunes nous les retrouvons le plus possible dans des camps, ce qui permet de partager leur vie. on ne triche pas 24 heures sur 24. Ils ont pour nous un respect profond, non celui qu’on a pour les pelouses des jardins publics, mais celui d’une amitié simple et directe. Beaucoup nous disent plus tard, à l’occasion du mariage par exemple, à quel point ils ont été marqués par certaines réunions ou certaines rencontres.
Ce style de vie simple, les chrétiens le pratiquent aussi avec nous. A l’église, nous sommes pour eux leurs prêtres, dans la vie, ils nous traitent comme des frères. L’un de nous, François Brossier, est l’un des animateurs du festival annuel sans que quiconque s’en étonne.
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"BOUTIQUE" ET MISSION
Cet affreux mot de "boutique", je l’ai bien souvent entendu dans ma vie d’aumônier. On a plaisanté, un peu légèrement, sur les quatre sacrements de la religion populaire : le baptême, la "Communion", le mariage et l’enterrement. A-t-on réfléchi suffisamment qu’il s’agit là de moments privilégiés où la chape de béton matérialiste qui nous bouche le ciel, se fissure.
J’ai vu des papas tenir, émerveillés, leur enfant, en le regardant avec un regard d’adoration ; j’ai lu le même regard dans les yeux de la mère qui voit passer son enfant vêtu de l’aube blanche, et le visage éclairé d’une lumière qu’elle ne lui connaissait pas.
Quant à l’amour et la mort, tous les poètes en ont parlé comme étant les grandes questions de la condition humaine. C’est ici que l’on attend de nous une parole de salut et d’espérance. Nous sommes les seuls, dans ce monde qui se défie de la science et des idéologies, à pouvoir répondre à l’angoisse humaine.
Dans nos villages, un mariage, un décès, emplissent les églises. Les mots que nous disons peuvent tomber dans le silence, ils ne tombent pas dans l’oubli, pour peu qu’ils soient remplis de prière et d’humanité.
Ajoutons qu’un journal paroissial de six pages, soutenu par le "fonds commun" de Limoges, et composé par une vingtaine de personnes, arrive dans tous les foyers et est lu par tous, notamment les incroyants.
Pour me résumer, autour de prêtres fraternels, une communauté chrétienne s’unit dans des assemblées vivantes et joyeuses. Ces chrétiens sont présents, non seulement dans la cité, mais dans la vie humaine et profonde de leurs frères.
Une dernière notation personnelle. on peut aller à Dieu par l’amour du prochain : "Tu as vu ton frère, tu as vu Dieu", disait Tertullien. Le chemin est hasardeux. On reçoit des gifles, des coups bas... On peut prendre l’autre chemin : aller au prochain par l’amour du Christ. Quand on a dans la prière contemplé le Crucifié, on peut retrouver sur tous les visages qui souffrent une mystérieuse ressemblance et l’amour en nous coule comme une source inépuisable. C’est ce que prêche une Mère Teresa. Ce n’est pas nouveau, ça réussit toujours.
Ce texte trop court ne peut être l’inventaire de ce qui est fait dans le secteur, de tant de manières et par tant de gens. Il voudrait seulement dire ce que nous voudrions être : les animateurs d’une Communauté chrétienne joyeuse, vivante et apostolique, témoignant aux yeux des incroyants qui nous voient vivre, qu’en dépit de son silence apparent, notre Dieu est présent au coeur de la vie des hommes de ce temps.
* Le Père Jean BOULAY, vicaire épiscopal, est curé de MONTOIRE S/LE LOIR [ Retour au Texte ]