Prêtre, je travaille avec des laïcs


Robert JORENS *

Il y a belle lurette que les prêtres ont compris qu’ils devaient travailler avec des laïcs, qu’ils sont prêtres en vérité dans la mesure où ils sont pasteurs d’un peuple au coeur d’un peuple, en lien avec lui et pour lui.
Leur mission est de travailler à faire naître une communauté.
Le Père JORENS essaie précisément de nous faire voir à travers quelles étapes se réalise chez lui la naissance d’une communauté.

L’ACCUEIL MUTUEL

"Voyez comme ils s’aiment" tel est le signe auquel on reconnaît les disciples de Jésus aujourd’hui encore. Je sais bien que le témoignage est beaucoup plus profond et collectif, celui de toute l’Eglise, dans le temps et les évènements de l’histoire perçu comme un lieu fraternel. Mais il reste que sur un quartier comme le nôtre dans le 13ème arrondissement de Paris, la communauté est souvent perçue par ce que représente le groupe qui se réunit tous les dimanches dans l’Eglise. Elle est justement située au milieu du marché, sur la place centrale.
Ce groupe a d’ailleurs de multiples ramifications : certains le voient seulement par les rencontres épisodiques où se célèbrent les grands moments de la vie, les naissances, les mariages, la formation des jeunes, la prière pour les morts. Il y a toutes les conversations chez les commerçants, les voisins et sur les dalles des grands ensembles d’habitation.
Suivant la qualité de l’accueil, les connaissances, les familiarités, ce qui se dit habituellement, ce que les gens font ensemble, à travers tout cela se perçoit l’existence d’une "communauté".

C’est pourquoi nous avons toujours essayé que chaque rencontre soit le commencement d’un lien, que quelque chose de simple de la vie de chacun soit écouté, recueilli comme intéressant. D’une certaine façon, à chaque instant la communauté est en train de naître. Voilà dix ans que nous travaillons dans ce sens, aujourd’hui, une communauté se perçoit mais elle n’est jamais achevée.
Donc, le premier temps a été pour tous l’accueil mutuel.

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DES RESPONSABILITES COMMUNES

- Il n’y a même pas eu besoin de deuxième temps pour que l’effort de permettre à chacun d’exercer un petit bout de responsabilité soit poursuivi. Comme dans toute paroisse il fallait assurer tous les services qui font vivre le grand corps du Christ par la parole et les sacrements, et cela délimite immédiatement différents secteurs où des baptisés sont amenés à travailler ensemble.
Il est si facile, dès la première réunion, de montrer que chacun peut faire entendre sa chanson, de demander un service, de construire ensemble ce qui va être fait : surtout ôter de la tête de tous l’idée qu’on puisse être "client" d’une église.
Une cérémonie de baptême, construite dans la réunion préparatoire, permet l’année suivante de demander à quelques couples concernés par le baptême l’année précédente, de venir à leur tour animer quelques réunions de parents.
Il en a été de même pour le catéchisme, pour les réunions de jeunes adultes connus dans la préparation au mariage.
De temps en temps dans nos bilans entre prêtres nous nous demandons - listes en mains - comment nous avons fait effort pour qu’à toutes occasions tel ou tel entre dans la danse, non plus spectateur mais à son tour risquant une initiative.

- Deuxième temps : des responsabilités communes prises par des laïcs avec les prêtres.

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LE SOUCI DE TOUTE LA COMMUNAUTE PORTÉ ENSEMBLE

- Enfin, nous avons vu l’avantage qu’il y aurait à ce que le souci d’ensemble de la communauté ne soit pas porté seulement par les prêtres. Pour cela, nous n’avons pas été trop vite.

Le dimanche à 10 h.30, il y a une assemblée assez vivante : le nombre, l’âge des participants y sont pour beaucoup. Et c’est normal dans ce quartier de grande densité qui voit sa population (50 000 habitants) en même temps croître et rajeunir. Mais en même temps nous sentions que cette vitalité venait de la présence, à cette heure, de beaucoup de membres d’équipes diverses qui sont nées dans le but de porter ensemble le poids de la vie et la lumière de l’Evangile.

A ce moment l’habitude de se rencontrer, de parler de l’essentiel de la vie, l’audace de s’exprimer de temps en temps devant toute l’assemblée, de lui renvoyer comme un miroir les enjeux de la vie quotidienne, changeaient le sens de bien des éléments liturgiques, leur donnaient du poids et de la force. Même les lectures de la Parole de Dieu et la parole du prêtre à cette assemblée qui, de tous côtés, entoure l’autel, y trouvent une autre tonalité : les deux sont passés déjà dans les multiples expériences chrétiennes qui se sont échangées.

Je cite deux phrases qui traduisent un peu l’importance de ce "tissu" de relation pour l’Eucharistie :

"Ce que j’apprécie surtout c’est que l’on a senti ici que les gens ne vivent pas seulement à l’église mais qu’ils vivent aussi ailleurs."
et aussi cette affirmation un peu étrange : "Pour nous c’est le quotidien de la vie qui se nourrit du quotidien de l’eucharistie". Et dans le contexte où cette phrase était dite, il ne s’agissait pas de l’Eucharistie "quotidienne" mais sans doute de messes où plusieurs chrétiens, ayant préparé ensemble, avaient eu l’occasion, sous une forme ou sous une autre, de porter, à leur façon, la responsabilité de la Parole.

Il me semble très important que dans une assemblée chrétienne réunie "au nom de Jésus", et pour obéir à son commandement de "faire cela en mémoire de Lui", les prêtres ne soient pas "visiblement" les seuls à porter cette responsabilité.

C’est alors que notre communauté a essayé de passer au stade suivant (ce que beaucoup d’autres font depuis longtemps, mais je veux dire ici comment nous avons fait et les difficultés que nous avons rencontrées). Il nous a semblé que tous seraient plus conscients de leurs responsabilités si quelques-uns portaient avec les prêtres, et à leur façon propre, le souci de l’orientation pastorale de la communauté. En deux mots :

  • Que quelques membres assez vivants soient choisis pour participer à l’élaboration des projets, à la mise en route mais aussi à l’appréciation et aux bilans.
  • Pour cela, depuis cinq ans déjà nous avons une équipe qui s’est renouvelée plusieurs fois (pas facile de retrouver à chaque fois des candidats), d’environ six laïcs qui se réunissent tous les quinze jours, le soir de 21 h. à 23 h.30.

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On aura vu l’essentiel de ce que je voulais dire en tout cas, dans les trois étapes que j’ai décrites plus haut - la naissance d’une communauté. Si je les ai soulignées ici c’est que nous avons sans cesse à les re parcourir.
Le jour où un chrétien se rend compte qu’il ne peut pas se contenter de venir apprécier l’Eglise pour sa joie, ou son agacement, mais qu’il "manque" à l’Eglise, s’il ne rentre pas dans le jeu d’avoir une intention sur elle et de l’exprimer et de tenter de la réaliser avec d’autres, une grosse partie est gagnée. Le Corps du Christ vit un peu plus vrai.

* Le Père Robert JORENS est curé de la paroisse Notre-Dame de la Gare dans le 13ème arrondissement à PARIS [ Retour au Texte ]