Prêtre, oui je recommencerais


Pierre BOURROUSSE *

Le Christ m’a tout donné et continue à tout me donner. Il mérite que je lui donne tout. Je ne peux faire autrement que de vivre pour Lui.

Je me suis "laissé séduire"...et ce fut le début d’une histoire passionnante qui dure depuis plus de trente ans et que l’expérience continue d’enrichir et de renouveler.

Les mots sont habituellement très pauvres pour traduire ce que l’on vit. Je crois pourtant pouvoir donner une petite idée de cette chance formidable pour moi, aujourd’hui, d’être prêtre, à travers quelques points importants de ma vie.

UNE HISTOIRE SANS HISTOIRES

J’ai pensé à être prêtre très jeune. Ce sentiment personnel et secret s’est peu à peu imposé grâce à ma mère et à des prêtres que j’ai admirés. Ils m’ont permis de découvrir un Dieu vivant et aimant tous les hommes. Rapidement, il m’a semblé que cette Bonne Nouvelle, je ne pouvais la garder pour moi et le désir s’est fait très fort de partir en mission.

Entré au séminaire, mes directeurs, avec beaucoup de respect mais aussi de fermeté, m’ont aidé à éprouver et fortifier ma vocation dans un milieu privilégié d’amitié, de prière, de compréhension ainsi que d’effort et d’exigence de travail.

Nous étions neuf à avancer ensemble vers l’ordination. A mesure que la date approchait, un fait s’imposait à nous de plus en plus : la mission était à notre porte. Inutile de rêver aux terres lointaines, un ministère au service des chrétiens et des non-chrétiens nous appelait chez nous. Il était même urgent de nous y préparer.

Pourtant, lorsque je suis sorti du séminaire, en 1953, la vision des tâches pastorales était encore assez simple : j’étais prêtre pour donner le Christ aux hommes d’abord et avant tout par les sacrements et préparer, ainsi, dans le secteur d’activité qui serait le mien, la venue du Royaume de Dieu.

Beaucoup de choses ont changé depuis lors. Comme les autres, j’ai été bousculé par la vie, les évènements, les rencontres, les changements. Le souffle de Vatican II s’est révélé bienfaisant. Cela n’a pas toujours été facile. Notre vie de prêtre, comme celle de nombreux laïcs, était une horloge bien réglée par notre éducation, nos habitudes, nos expériences plus ou moins réussies, que nous avions du mal à changer.
Pourquoi m’ouvrir à du neuf, m’aventurer dans des voies inconnues, risquer de tout détruire et de faire moins bien ?

Ces questions, je me les suis posées bien des fois, mais le Seigneur ne m’a jamais laissé tranquille et m’a conduit où il me voulait. Comment s’y est-il pris ?

UNE VIE DE PRIERE

Plus je regarde ma vie, plus je réalise combien la formation reçue au séminaire, basée sur l’effort, l’obéissance, la volonté, la régularité m’a rendu de grands services. La prière qui rythmait nos journées, l’oraison quotidienne, les rencontres fréquentes du Christ dans les sacrements, les dialogues obligés avec le directeur spirituel ont donné une solide ossature à ma vie.

Aujourd’hui, où notre vie de prêtre est sollicitée et distraite par un tas de choses, où les activités apostoliques nous laissent de moins en moins de temps, la présence permanente et active du Christ demeure vive en moi. J’ai besoin de méditer longuement sa parole avant de faire une homélie, je partage bien plus la prière avec les confrères ou des groupes de laïcs, je trouve le temps de faire une lecture méditée chaque jour, de dire le chapelet, souvent en voiture... Je suis le premier surpris de cette grâce du Seigneur et, au fond de moi-même, j’exprime un merci reconnaissant à mes formateurs d’avoir forgé pour nous une vraie règle de vie.

PRETRE AVEC d’AUTRES PRETRES

Je répète souvent que ma chance est d’avoir passé 25 ans de ma vie de prêtre en équipe avec d’autres confrères. Si j’ai pu traverser des moments difficiles, c’est parce qu’ils étaient là pour m’entourer de leur affection, de leur entrain, de leur courage et de leur foi. Si j’ai pu mener à bien les diverses charges qui m’ont été confiées, je le dois à tel ou tel qui m’a fraternellement soutenu, conseillé, mis en relation, partagé, parfois même, mes responsabilités. Si telle expérience, tel projet a abouti, c’est parce que chacun s’est investi en faisant totalement confiance à l’autre.

Et cela continue toujours ! Ce qui le rend possible, c’est la prière et la révision de vie assez régulière, mais aussi les moments de détente pris ensemble, la franche camaraderie. Bien sûr, il y a des accrochages, des affrontements assez vifs, mais je n’ai pas souvenir qu’ils aient duré très longtemps. La réconciliation se fait bien souvent autour d’un "petit verre" d ’Armagnac !

J’ai encore la joie de travailler régulièrement avec des équipes de curés de tous âges et de tous milieux. Depuis 12 ans nous nous retrouvons un après midi par mois pour faire le point, comprendre les changements, tenter des avancées. Les mentalités évoluent lentement. Il faut du temps, de la patience, une bonne dose d’humour et une grande confiance en l’Esprit qui travaille au coeur de chacun.

Il m’est arrivé, partant de certaines rencontres assez découragé, de recevoir un coup de téléphone de l’un d’entre eux : "si tu veux venir m’aider, je suis prêt à mettre en route ce Conseil de pastorale". L’amitié réelle entre nous et la grâce de Dieu font parfois des miracles !

Cette proximité et ce travail avec les prêtres ont des retombées bénéfiques pour la pastorale des vocations qui reste l’une de mes préoccupations essentielles.
Les journées d’éveil organisées dans plusieurs secteurs mobilisent, actuellement, presque tous les prêtres d’un secteur. Je prépare avec eux, j’anime certains rassemblements, mais de plus en plus ils se prennent en charge seuls.
Plus que de beaux discours, cette mise à l’action a permis à la plupart d’oser parler à nouveau de vocations sacerdotales et religieuses à des enfants et des jeunes.

PRETRE AVEC DES LAICS

L’autre grande chance de ma -vie de prêtre est d’avoir été sans cesse provoqué par des laïcs. Ils ont fortifié et éclairé ma vocation. Ils m’ont poussé à me ressourcer spirituellement et intellectuellement et à rester fidèle à l’Eglise Je crois bien que grâce à eux, j’ai un peu mieux perçu ce que pouvait être la spiritualité du Prêtre diocésain : passionné de Jésus-Christ, passionné de la vie des hommes, passionné de l’Eglise à faire grandir, je me dois d’être le lien, le relais, celui qui prépare le terrain pour que le plus grand nombre rencontrent Jésus-Christ vivant et, mieux encore, se l’annoncent entre eux.
Je crois que je devrais être celui que l’on n’attend pas pour vivre l’Evangile, mais "1e serviteur" prêt à répondre, à accompagner lorsqu’on a besoin de lui.

A 30 ans, à peine installé dans ma première paroisse, je reçois la visite de deux couples d’instituteurs de l’Enseignement Public : "Nous sommes chrétiens et nous cherchons un prêtre qui veuille travailler avec nous aux ’équipes enseignantes’. Nous comptons sur vous". C’était le premier appel qui sera suivi de bien d’autres. Ma vie, dès lors, fut faite de rencontres de toutes sortes aussi bien organisées qu’imprévues. Cela me passionne parce que la vie me passionne. La vie telle qu’elle est, belle ou moche, selon les évènements, les réalités, la vie en ce qu’elle est tout un réseau de relations entre des gens très divers.

Plus je vais, plus je me sens prêtre avec et au service d’un peuple. Je ne peux être chrétien tout seul. C’est ensemble, en Eglise, que l’on peut le mieux discerner l’action de Dieu dans la vie des hommes. Ce n’est qu’ensemble que l’on peut relire les évènements du monde à la lumière de la Parole de Dieu et des textes de l’Eglise. La vie devient lieu de rencontre de Jésus-Christ et appel à changer nos coeurs.

Bien souvent, dans la prière personnelle, je reprends mon cahier de réunions et je m’adresse au Christ pour lui parler de toutes mes rencontres, de telle réflexion, de tel évènement heureux ou douloureux, de celui-ci, de celle-là, uniquement parce que j’ai envie de le Lui raconter. Il me semble aussi que c’est cela, aussi, la prière.

En terminant cette courte relecture de ma vie, je me rends compte de toutes les grâces que le Seigneur a mises sur ma route et c’est un sentiment d’humilité et de reconnaissance qui domine. Je vois autour de moi des gens souffrir parce que plus sensibles à ce qui croule qu’à ce qui naît. C’est vrai qu’une vieille civilisation héritée des siècles de chrétienté se termine un peu en catastrophe, et l’on ne sait de quoi demain sera fait.

Tout ce que le Saigneur m’a donné de vivre jusqu’ici m’a permis de faire le passage d’une foi tranquille à une foi toujours questionnée. Elle est pourtant restée aussi lumineuse, même si elle est sans cesse provoquée par tout ce que la vie m’apporte, par tout ce que je sens là où mon ministère me fait vivre.

J’avoue que dans ce contexte-là, je suis heureux, très heureux d’être prêtre. La fidélité, c’est de vivre en homme neuf et de bâtir du nouveau. Alors... prêtre aujourd’hui ? Oui, je suis prêt à recommencer.

* Le Père Pierre BOURROUSSE est responsable du Service des Vocations du diocèse d’AUCH [ Retour au Texte ]