Le peuple de Dieu et l’appel aux ministères ordonnés


Gaston SAVORNIN *

Les membres du Peuple de Dieu .sont-ils solidairement responsables de l’interpellation ?

Le Rituel de l’ordination d’un prêtre ou d’un diacre, s’appuyant sur une longue tradition, répond à la question et, en quelques mots, ouvre des perspectives d’action. La première phrase est la plus importante, mais il n’est pas inutile de considérer l’ensemble du dialogue qui se situe au début de la célébration.

"L’ordinand étant arrivé devant l’évêque, le prêtre désigné à cet effet, dit :

- Père, la sainte Eglise vous présente son fils N... et demande que vous l’ordonniez prêtre.

L’évêque : Savez-vous s’il a les aptitudes requises ?

Le prêtre : Les chrétiens qui le connaissent ont été consultés, et ceux à qui il appartient d’en juger ont donné leur avis.
Aussi j’atteste qu’il a été jugé digne d’être ordonné.

On peut aussi demander aux personnes qui connaissent l’ordinand de le présenter brièvement.

L’évêque : Avec l’aide du Seigneur Jésus Christ, notre Dieu et notre Sauveur, nous le choisissons comme prêtre.

L’assemblée approuve le choix en disant ou en chantant : Nous rendons grâce à Dieu."

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Ces quelques phrases du rituel nous conduisent à poser les questions qui vont guider notre réflexion.

D’après le rituel, ce n’est pas le futur diacre, prêtre (ou évêque) qui demande sa propre ordination, mais c’est l’Eglise. Qu’en est-il dans la réalité ? S’il s’avère que le rituel est démenti par les faits, que reste-t-il à faire, non pas d’abord pour justifier le rituel, mais pour continuer la tradition dont il est le témoin ?

Y a-t-il, dans les autres parties du rituel d’ordination et dans d’autres célébrations sacramentelles, des éléments qui expriment, explicitent, suscitent et soutiennent la responsabilité commune du Peuple de Dieu dans l’interpellation aux ministères ordonnés ?

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Dans les phrases du rituel que nous avons citées, il apparaît que plusieurs rôles interviennent dans l’interpellation et que chacun se situe dans un ensemble cohérent.

La Sainte Eglise présente le candidat au diaconat ou à la prêtrise. Ce qui s’exprime dans le rituel suppose qu’avant la célébration, et peut-être longtemps auparavant, l’Eglise de Dieu qui est en un lieu donné a suscité effectivement, directement ou indirectement, la vocation de celui qui va être diacre ou prêtre. Cela suppose que la communauté des croyants a réellement interpellé le futur ministre ordonné et qu’en retour celui-ci a conscience du rôle déterminant de la communauté. Pour que celle-ci "présente" en toute vérité l’ordinand, il ne suffit pas qu’elle ait formulé des souhaits. Le verbe "présenter" suppose une attitude active, c’est-à-dire un objectif réfléchi, des actions précises et une connaissance réelle de celui ou de ceux que l’on présente.

C’est du moins ce que parait exprimer le rituel. Dans celui-ci, l’Eglise locale est censée connaître quelle est l’étendue de son rôle mais aussi ses limites : elle demande l’ordination et, en la sollicitant de l’évêque, elle reconnaît que le ministère ordonné est d’abord le fruit d’un don de Dieu. Il incombe alors à l’évêque de choisir l’ordinand comme prêtre ou diacre.

Entre la communauté locale et l’évêque il y a, parmi les membres du Peuple de Dieu, des personnes qui ont eu un rôle propre à jouer : Les "chrétiens qui connaissent" particulièrement l’ordinand ; les maîtres qui ont eu à évaluer ses dispositions et aptitudes, et le prêtre qui, dans la liturgie, doit pouvoir dire en toute vérité : "j’atteste".

Tout cela, ainsi exprimé, paraît aller de soi et, à l’appui de cette impression de cohérence, on peut évoquer des justifications d’ordre ecclésiologique. Une simple citation en donne l’idée essentielle :
"Du moment que l’appel au ministère surgit du don de l’Esprit dans et pour l’Eglise, il est normal que la communauté ecclésiale contribue, à travers ses différents charismes et ministères, à la désignation des chrétiens à présenter et à proposer à l’évêque à qui revient le jugement décisif." (Normes pour la promotion du diaconat dans le diocèse de Rome, 1976).

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Qu’en est-il, dans la réalité, de ce que le rituel suppose ou recommande ? Le nouveau Code de Droit canonique répond qu’il faut tenir compte aussi de la volonté de l’ordinand :
"Pour être promu à l’ordre du diaconat ou du presbytérat, le candidat remettra à son évêque propre ou à son supérieur majeur compétent une déclaration, écrite et signée de sa propre main, par laquelle il atteste qu’il recevra l’ordre sacré spontanément et librement et qu’il s’engage pour toujours à exercer le ministère ecclésiastique, demandant en même temps à être admis à recevoir cet ordre." (C. 1026).

Dans le contexte culturel actuel on admettrait difficilement que quelqu’un, même pour le bien supérieur de l’Eglise soit, contre son gré, ordonné prêtre ou évêque. C’est pourtant ce qui s’est produit autrefois pour Augustin, Paulin de Nole, Martin de Tours, Germain d’Auxerre, Sidoine Apollinaire... Et ils sont devenus de grands saints.

Mais si l’on peut faire pression auprès de quelqu’un pour qu’il reçoive la tâche pastorale du ministère ordonné, peut-on le contraindre au célibat qui, dans la discipline actuelle, est une condition de l’accès au presbytérat ? Faut-il alors admettre que le rituel d’ordination est démenti par les faits et, même, par le droit canon ? Peut-être pas. Sur le problème de l’origine d’une vocation, le rituel devrait encore avoir raison. Pourquoi et comment ?

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C’est donc sur la question de l’origine d’une vocation au ministère ordonné que la pratique a évolué et que, selon l’esprit et la lettre du rituel, et sans contredire le Code, il faudrait opérer un retour à la tradition cautionnée par Vatican II.

Une certaine conception de la vocation a conduit à souligner dans le sujet le germe divin qui s’y trouve présent préalablement à l’appel de l’Eglise. De même le serment exigé de tout ordinand, en 1930, par la Sacrée Congrégation des Sacrements pour ôter toute possibilité de réclamation ultérieure à ceux qui prétendraient ne s’être pas engagés au célibat en connaissance de cause, a pu être formulé ainsi :
"Libre de toute pression, violence et crainte, le désirant spontanément et le voulant de pleine et libre volonté car j’expérimente et je ressens que je suis réellement appelé par Dieu."

Selon la tradition, sanctionnée par le Concile de Trente et plus récemment par Pie X, l’importance de ce que ressent le candidat au sacerdoce est moindre que celle de l’interpellation adressée par l’Eglise locale en fonction des besoins hic et nunc de la mission de l’Eglise. C’est cette conviction, dûment exprimée par le rituel, qu’il faudrait mettre en oeuvre.

Pour les communautés de croyants, c’est plus difficile à réaliser que la démarche qui consiste à organiser une pétition auprès de l’évêque pour qu’il remplace un curé malade, démissionnaire ou décédé. C’est une conversion de mentalités qui paraît nécessaire. Cela demandera peut-être beaucoup de temps et des moyens divers.

Cependant, comme la présente réflexion vise d’abord la concertation ecclésiale de l’appel dans la célébration du sacrement de l’ordre, c’est dans le rituel que nous allons encore chercher la référence à l’évolution nécessaire des mentalités.

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Cette référence, nous la trouvons dans la prière d’ordination :

"Sois avec nous, Dieu éternel et tout-puissant,
Toi qui confies à chacun sa part de service et de responsabilité,
Toi, la source de toute vie et de toute croissance,
Tu donnes à ton peuple de vivre et de grandir
et Tu suscites en lui les divers ministères dont il a besoin.
.....
Aujourd’hui encore, Seigneur, donne-nous les coopérateurs
dont nous avons besoin pour exercer le ministère apostolique.
.....
Donne à ton serviteur que voici
d’entrer dans l’ordre des prêtres."

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La première tâche confiée à l’ensemble du Peuple de Dieu, c’est la réflexion permanente sur ce dont il a besoin pour exercer sa mission de salut, c’est-à-dire de "vie" et de "croissance" dans le monde d’aujourd’hui.

De quoi ce monde a-t-il besoin ? Comment l’Eglise va-t-elle remplir à l’égard de ce monde sa triple mission d’enseignement, de sanctification, de gouvernement, pour que s’y réalise la triple mission du Christ "roi, prêtre et prophète" ?

Ceux qui, au baptême, ont reçu l’onction de l’Esprit au nom du Christ roi, prêtre et prophète, sont chargés, chacun et tous ensemble, de voir ce que l’Eglise peut apporter à ce monde, et comment, et par quels ministères.

Il ne suffit donc pas de savoir qu’on a besoin d’un curé au presbytère et à l’église pour baptiser, faire le catéchisme, célébrer l’Eucharistie, le mariage, les funérailles. Des communautés de croyants qui deviennent capables de comprendre ce que l’Eglise peut apporter au monde, et par quels types de services ou ministères, se rendent aptes à susciter des vocations et se préparent à "présenter" un jour à l’évêque un ordinand.

Mais cette aptitude sera plus grande si la découverte des besoins avec le regard du Christ aboutit à la promotion des ministères et charges ecclésiales de laïcs :
"Tu donnes à ton Peuple de vivre et de grandir et tu suscites en Lui les divers ministères dont il a besoin."

Cette diversité de ministères qu’évoque le rituel d’ordination ne remplace pas le ministère ordonné mais en montre d’autant plus la nécessité. Car, plus les laïcs sont nombreux à prendre part à la triple mission de l’Eglise et plus apparaît l’importance de la manière spécifique dont les ministres ordonnés assument cette mission : les ADAP ne rendent pas inutile l’Eucharistie ; l’accueil par des laïcs de ceux qui demandent le baptême ne dispense pas le prêtre de consacrer à ce sacrement fondamental le temps disponible ; le don divin de la réconciliation peut s’appliquer de manières multiples, mais rend d’autant plus nécessaire le sacrement...

Une communauté sera d’autant plus interpellante qu’elle comprendra en son sein beaucoup de baptisés ayant répondu à l’interpellation qui les concernait personnellement.

* Le Père Gaston SAVORNIN est directeur du Centre National de Pastorale Liturgique [ Retour au Texte ]