Sommes-nous tous appelants ?


Mgr. Robert COFFY *

C’est au cours d’une journée de réflexion organisée par le Service des Vocations d’ALBI et à laquelle participaient une soixantaine de prêtres, que le Père COFFY a donné cette intervention, intitulée : "OSER APPELER AU MINISTERE SACERDOTAL".

Cet apport dépasse largement le cadre d’une recherche entre prêtres : il met en valeur la responsabilité de chacun dans le service des médiations de l’appel qui vient de Dieu.

Aussi, nous a-t-il paru bon de le communiquer à un moment où nous réfléchissions aux diverses composantes d’un appel en Eglise :
"Nous devons être convaincus de l’importance de ces médiations, c’est Dieu qui appelle, mais cet appel d’abord retentit dans l’Eglise et l’Eglise comme telle doit être appelante et de l’incroyant au baptême, et des croyants à être ministres, religieux et religieuses..."

I - NECESSITE DU MINISTERE SACERDOTAL POUR LA VIE DE L’EGLISE

Nous sommes tous convaincus qu’il ne peut y avoir d’Eglise sans ministres ordonnés et nous sommes justement inquiets pour l’avenir. Mais il faut tirer les conséquences de cette conviction et j’en vois deux.

A - Dernièrement, dans une session un intervenant a dit en substance :
"Heureusement que les prêtres diminuent en nombre, cela permet aux laïcs de prendre leur place."

C’est un argument que l’on entend assez fréquemment. Il appelle des remarques.

  • L’argument est dangereux car il laisse entendre une équivalence entre prêtres et laïcs : les laïcs, progressivement, remplaceraient les prêtres.

  • Si, de fait, une certaine manière d’exercer le ministère sacerdotal a rendu les laïcs passifs, il y a une manière de l’exercer qui fait appel à leurs responsabilités. On peut même se demander si la diminution en nombre de prêtres ne va pas freiner l’activité missionnaire des laïcs : je pense en particulier aux Mouvements d’Action Catholique, quand ils n’auront plus d’aumôniers.

  • Quand Vatican II rappelait la place et le rôle des laïcs dans l’Eglise, la grande crise que traverse aujourd’hui le ministère ordonné n’avait pas encore eu lieu. Elle existait en Amérique Latine, mais pas en Europe. Le texte n’a pas été écrit pour faire face à une crise. Il rappelait les fonctions que doivent remplir les laïcs et qui reposent sur le baptême et la confirmation.
    Nous devons donc éviter de faire jouer la diminution du nombre de prêtres pour faire appel aux laïcs. Par contre, il est évident que l’accentuation de cette crise rend plus urgente la mise en place de structures favorisant la participation des laïcs à la croissance de l’Eglise. Elle rend surtout plus urgent un changement d’esprit. Il serait dangereux d’opérer un changement dans une situation de catastrophe. Nous sommes encore assez nombreux pour que tout se fasse sans confusion des rôles.
    Je ne rappelle pas la place et le rôle du ministère sacerdotal dans l’Eglise. Ce sont des vérités que nous connaissons bien.

B - Je voudrais insister sur une deuxième conséquence : un des rôles de l’évêque dans son Eglise, est d’imposer les mains.

  • Sur les baptisés afin de les confirmer dans la foi et d’en faire des témoins de ce qu’ils sont devenus par le baptême.
  • sur les baptisés-confirmés qui ont été appelés afin d’en faire des diacres ou des prêtres, collaborateurs de son ministère épiscopal.
  • sur les prêtres, mais cela avec d’autres évêques et en lien avec le pape, pour en faire des évêques.

L’imposition des mains par l’évêque constitue un élément important de la tradition. Pour que vive l’Eglise, il faut éviter qu’il y ait interruption de tradition. En ce qui concerne les prêtres, cette interruption nous menace. Nous devons donc être très préoccupés de la situation présente.

II - VOCATION DE TOUT CHRETIEN ET VOCATION SACERDOTALE

A la source de toute vie chrétienne et de toute mission, il y a un appel de Dieu. L’Eglise est appelée pour être envoyée. Chaque chrétien est appelé pour être envoyé. Tout ministère dans l’Eglise repose sur un appel.
D’une façon plus générale, l’être-chrétien (et l’envoi en mission en est un élément constitutif) repose sur une vocation. C’est, d’une autre manière, rappeler que tout repose sur une initiative de Dieu. La vocation est donc une grâce qui est offerte à tous. Dans l’Eglise, chaque membre est appelé et doit vivre sa vie de chrétien comme une réponse à un appel.

Autrefois, le terme de "vocation" était réservé à l’appel au sacerdoce ou à la vie religieuse. Au cours de ces années dernières, on a surtout parlé de la vocation de baptisés, étendant le mot, avec raison, à tous les chrétiens. Il semble qu’aujourd’hui on tienne compte des deux aspects. On présente la vocation sacerdotale et religieuse sur le fond de la vocation de tous les baptisés, mais on reconnaît que pour les prêtres, les religieux et les religieuses, il faut un appel particulier.

Concrètement, cela veut dire qu’il ne suffit pas d’appeler les chrétiens à vivre leur vie de baptisés pour que naissent des vocations sacerdotales et religieuses, comme on l’a cru un temps. Le ministère sacerdotal, comme la vie religieuse, exige un appel particulier parce que l’état religieux est une situation originale et parce que le ministère est une fonction originale. Notre conviction est qu’il faut appeler personnellement des jeunes à être prêtres, religieux, religieuses comme, aussi, à être diacres.

III - L’APPEL VIENT DE DIEU

Mais il atteint les personnes par des médiations.
On a vécu longtemps sur une conception intimiste de la vocation, je veux dire qu’on insistait surtout sur une parole intérieure, un appel mystérieux. La vocations demeurait l’affaire de Dieu et de l’appelé, avec le discernement du confesseur. Venait ensuite l’appel de l’Eglise qui confirmait cet appel intérieur.
Cela a créé chez les chrétiens une attitude de grande réserve à l’égard de l’appelé. On avait un peu l’impression qu’on était devant un mystère qu’il fallait respecter. Je parle évidemment de l’éveil de la vocation et de son développement, jusqu’au moment où l’appelé se présentait comme candidat au sacerdoce.

Aujourd’hui, on a dé privatisé la vocation. Si elle demeure éminemment personnelle, elle regarde aussi la communauté et l’accent est mis sur les médiations, les moyens objectifs par lesquels l’appel de Dieu parvient à un enfant ou à un jeune.
Nous devons être convaincus de l’importance de ces médiations. C’est Dieu qui appelle, mais cet appel d’abord retentit dans l’Eglise et l’Eglise, comme telle, doit être appelante et de l’incroyant au baptême, et des croyants à être ministres, religieux et religieuses.
Si l’Eglise n’appelait plus, elle serait infidèle à son Seigneur qui ne cesse d’appeler. Si elle n’appelait plus des chrétiens à être ministres, elle irait vers sa propre fin comme Eglise du Christ qui est structurée par les ministères.

Concrètement, l’appel de Dieu qui retentit dans l’Eglise va s’exprimer, se transmettre par les communautés ecclésiales et par les chrétiens. Parmi les chrétiens, il faut donner un rôle particulier aux prêtres.

Je reprends successivement ces trois catégories de médiateurs. Mais, d’abord une remarque : les vocations d’adultes sont la résurgence de vocations d’enfants et la conséquence d’une seconde conversion.

Les communautés chrétiennes

Nous devons être convaincus que la crise du ministère sacerdotal est une crise de foi de tout le peuple chrétien. C’est une crise spirituelle. Nous avons donc à continuer notre effort pour que les chrétiens qui demeurent attachés à l’Eglise approfondissent leur foi et en vivent pour en témoigner. Il est nécessaire en particulier qu’ils manifestent leurs besoins spirituels. C’est quand un pauvre crie sa misère que nous répondons en l’aidant à s’en sortir ou en le dépannant. C’est dans la mesure où des chrétiens manifesteront leur faim spirituelle que des jeunes entendront un appel à répondre à ce besoin, en se faisant prêtres.

A ce sujet, je fais une remarque qui est à bien comprendre : Le souci de la mission auprès des incroyants ne doit pas nous conduire à abandonner les chrétiens. C’est avec eux, en effet, que nous devons être missionnaires et appelants. Il ne faut pas oublier que les vocations naissent de préférence dans les familles chrétiennes.
Dans les pays de mission, les prêtres ont trouvé leur vocation dans leur famille ou dans les écoles missionnaires, c’est-à-dire dans des communautés qui ont permis à la vocation de germer.
Il en est de même pour nous qui vivons dans une société séculière : le climat ambiant n’est pas favorable à l’appel. Il apparaît nécessaire de créer des communautés de foi, de restaurer la vie spirituelle. Cela ne détourne pas de la mission. Au contraire, un approfondissement de la foi de nos chrétiens les ouvre à la mission.

Les parents, les catéchistes, les éducateurs

Tous ceux qui jouent un rôle dans l’éducation des enfants et des jeunes ont comme mission de parler du ministère sacerdotal et d’appeler. Il ne s’agit pas d’appels à la cantonade, ni d’appels intempestifs. Mais, quand les parents présentent aux enfants des métiers possibles, pourquoi ne pas y ajouter cette proposition.
Plusieurs fois, des parents m’ont dit qu’ils n’avaient pas le droit, que c’était ne pas respecter la conscience de l’enfant. Ces mêmes parents avaient fait baptiser des enfants et leur avaient transmis leur foi ! Il ne s’agit pas de pression mais de proposition. Il s’agit de transmettre un appel possible de Dieu.

Quand des éducateurs chrétiens abordent l’avenir de leurs élèves, ils doivent proposer le ministère ordonné et l’état religieux. Cela exige évidemment qu’ils les connaissent bien, eux et leurs familles, qu’ils les jugent aptes et qu’ils le fassent dans une grande liberté. j’ai connu un professeur de lycée qui volontiers posait la question à certain de ses élèves de philo venu le consulter. N’est-ce pas possible dans les écoles catholiques ?

Nous avons à nous rappeler trois convictions :

  • Dieu appelle aujourd’hui comme autrefois
  • L’appel de Dieu passe par des médiations : les chrétiens
  • ce n’est pas manquer au respect de la liberté d’un enfant ou d’un jeune, que de lui faire une proposition de vocation sacerdotale ou religieuse. Au contraire, la liberté suppose un choix possible entre différentes propositions.

Les prêtres

Sommes-nous appelants ?
Quand on est en difficultés on hésite à demander à d’autres d’affronter ces mêmes difficultés. Quand on est hésitant sur l’avenir d’un engagement pris, on est hésitant pour en appeler d’autres à prendre ce même engagement. Autrement dit, la crise que nous avons traversée et qui n’est pas terminée, nous a rendus très hésitants et timorés : on cite même des cas où des prêtres ont déconseillé à des jeunes, qui se posaient la question du sacerdoce, de l’envisager.

Nous devons, sur ce point, nous refaire quelques convictions :

  • Nous avons un rôle très particulier dans la transmission de l’appel et il semble qu’au cours de l’histoire, les prêtres aient toujours joué un rôle important dans l’appel aux vocations sacerdotales et religieuses. Je pense que cela est vrai pour un grand nombre d’entre nous.
    Mais il faut préciser que la situation du prêtre dans une paroisse était différente de celle d’aujourd’hui : il y avait la possibilité de rencontrer les jeunes, il y avait le sacrement de la réconciliation célébrée plus souvent.
    Si les conditions sont nouvelles, notre rôle n’est pas supprimé mais doit s’exercer autrement : proposition à des jeunes bien connus, à des adultes.

  • La crise ne doit pas nous faire perdre l’espérance. Nous devons croire en Dieu, maître de l’impossible et méditer sur la vision des ossements desséchés d’Ezéchiel, comme aussi sur l’appel des Douze par le Christ.
    Nous aussi nous avons à sortir de la crise spirituelle qui nous affecte tous.

  • Nous appelons par notre style de vie.
    Notre vie de prière qui se manifeste dans les célébrations, nos qualités d’accueil, notre travail apostolique, la fraternité entre prêtres, l’hygiène de vie (en particulier pour les prêtres qui travaillent en ville).
    Nous présentons aux jeunes l’image du prêtre ou, du moins, une certaine image car ils savent que demain, s’ils sont prêtres ils n’exerceront pas nécessairement le sacerdoce comme nous l’exerçons aujourd’hui . Mais l’image que nous donnons est importante.

    D’après ce que j’entends, les jeunes attendent de nous que nous vivions intensément notre foi, que nous vivions dans la joie notre ministère, et que nous pratiquions le désintéressement.
    Les séminaristes me paraissent moins sensibles au type de ministère concret que nous pratiquons, qu’à notre manière de vivre et d’être prêtres.
    Je signale que beaucoup sont sensibles à l’amitié entre nous et souhaitent pouvoir prier et travailler ensemble. Il ne faut pas trop vite parler d’équipe de vie, mais certainement d’un plus grand échange sur le plan spirituel et d’un travail en commun. Sur ce point, nous avons un effort à faire pour leur montrer que c’est possible.

    Il est certain que si le processus de sécularisation se poursuit, si la liberté sexuelle s’amplifie, il sera difficile pour les prêtres de demain de vivre leur célibat consacré. Cela, les jeunes le pressentent et savent qu’ils ne resteront fidèles qu’en vivant une vie spirituelle profonde et en s’aidant mutuellement. L’idée de temps de contemplation, de vie commune, de partage spirituel fait son chemin. On envisage la création de prieurés. Il parait nécessaire de prendre en compte ce désir de vie communautaire.

    Remarque : une réflexion est à faire sur la communauté sacerdotale qui a en charge une communauté ecclésiale.

oser appeler

Nous avons vécu une période où nous, prêtres, nous attendions que des enfants parlent de vocation, et nous les envoyions au petit séminaire. Ils n’arrivaient pas tous au sacerdoce, mais beaucoup y partaient, les prêtres étaient assez nombreux.

Nous venons de traverser une crise qui nous a rendus hésitants quant à l’avenir un ministère sacerdotal. Nous nous sommes réfugiés dans le silence, cultivant l’inquiétude. Notre espérance a été atteinte. Pendant ce même temps, les jeunes changeaient de manière de vivre et un grand nombre s’éloignaient de la pratique. Les Mouvements d’Action Catholique ont connu une crise.
Il semble que certains signes d’espérance nous soient donnés. les jeunes commencent de se poser des questions sur le sens de leur existence. Un nombre important vont voir du côté des sectes. Des groupes de recherche, de vocation, de vie spirituelle, de prière se forment.

Par ailleurs, les chrétiens sont de plus en plus sensibles à l’absence de prêtres et paraissent maintenant prêts à faire quelque chose. Rappelons-nous la réponse aux appels d’une prière en faveur des vocations.

Le temps parait venu de sortir de notre timidité et de passer d’une pastorale d’attente, d’accueil, à une pastorale d’appel : Appel de jeunes, mais aussi d’adultes. Appel au sacerdoce, au diaconat, à la vie religieuse. Appel adressé à des personnes précises, ce qui exige une connaissance des personnes et une entente entre nous, pour opérer un pré-discernement.

Le temps est venu..., il faut oser appeler : nous sommes responsables des chrétiens de demain.

Oser appeler dans le moment présent c’est faire un acte d’espérance. Faisons cet acte.

Ayons foi en notre sacerdoce et vivons-le dans l’enthousiasme.

* Monseigneur Robert COFFY est archevêque d’ALBI [ Retour au Texte ]