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Appeler au ministère presbytéral
Marius MAZIERS *
Depuis que je suis prêtre, quarante-six ans, puis évêque, vingt-cinq ans, la grâce m’a été faite par le Seigneur de ne jamais douter du signe privilégié de son amour pour les hommes qu’il fait de nous par le sacrement de l’ordre. Et la conscience plus vive que j’en ai aujourd’hui n’est pas le fruit d’une expérience tranquille, bien au contraire ; elle a été mise à l’épreuve, purifiée par tous les débats qui ont eu lieu depuis vingt ans autour de l’identité du prêtre, de sa mission propre au service de l’annonce de l’Evangile et du peuple de Dieu. Une des grandes souffrances de ma vie d’évêque a été d’être fréquemment le témoin de l’obscurcissement de cette identité sacerdotale dans la conscience de frères prêtres.
Nous sommes passés par une véritable tourmente et sur le terrain même de la mission, c’est-à-dire d’une Eglise plus soucieuse de rencontrer les hommes d’aujourd’hui pour leur dire Jésus-Christ. Mais dans beaucoup de cas, notre foi n’était pas assez trempée, assez forte pour chercher à comprendre, à accueillir les nouveaux langages de l’homme contemporain sans mettre en veilleuse notre altérité de croyants. Notre présence au monde pour dire Dieu, le signifier, s’est traduite souvent, sous le poids et la force des courants idéologiques et des comportements collectifs, par une compromission, une complicité avec un humanisme clos.
Nous sortons à peine de la tourmente. Sans renoncer à la mission qui est une dimension essentielle du mystère de l’Eglise et qui est plus urgente que jamais, nous découvrons l’importance de l’identité chrétienne, tant au niveau de l’intelligence de notre foi que du comportement humain. Dans ce contexte, le ministère du prêtre émerge à nouveau du brouillard comme un service irremplaçable de l’homme et de l’Eglise. Des livres qui viennent de paraître comme ceux du Père Martelet : "Deux mille ans d’Eglise en question", et de Mgr Marcus : "Les prêtres", dans la collection "L’héritage du Concile", en sont un signe parmi d’autres. Ils nous donnent la possibilité de faire la relecture de la période que nous venons de traverser dans la lumière de la Tradition vivante et porteuse de l’Eglise.
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Je n’ai jamais cessé de porter en moi le souci de l’appel au ministère presbytéral, et à l’étape où nous en sommes de la période difficile que je viens d’évoquer, il m’habite plus que jamais.
Pour dire ma conviction à ce sujet, il m’est souvent arrivé de citer le témoignage de Madeleine Delbrel : "L’absence d’un vrai prêtre dans une vie, c’est une misère sans nom, c’est 1a seule misère". Elle est corrélative de cette autre parole : "Quand des hommes ignorent que Dieu est leur bien, nous n’avons pas à nous aligner sur leur ignorance, leur misère."
Il est urgent de révéler à l’homme la cause profonde de sa solitude : sa rupture avec Dieu, et de l’inviter a s’ouvrir au Dieu vivant et vrai qui le crée et le sauve. De cette tâche de salut, c’est toute l’Eglise qui est investie par le Christ, mais au service de cette Eglise, sacrement de l’amour de Dieu, le prêtre est le sacrement de ce Dieu qui invite, qui rassemble et qui libère. Le monde et non seulement l’Eglise, a besoin d’hommes de Dieu qui révèlent à leurs frères la dimension la plus secrète, la plus profonde de leur être, celle de leur relation à Celui par lequel ils existent et hors duquel ils ne peuvent pas découvrir leur vrai destin.
Si l’absence d’un vrai prêtre est une misère, la présence d’un vrai prêtre est une grâce. Il m’arrive souvent de le constater dans la visite pastorale des communautés. Le prêtre est un don du Christ à la communauté chrétienne et par elle, à tous les hommes. C’est le signe par lequel Il manifeste sa présence de pasteur attentif à chaque personne, soucieux de tous ceux qui sont déjà rassemblés, plus soucieux encore de ceux qui ne sont pas dans le bercail, et prêt à donner sa vie pour son peuple.
Dès lors, ne pas appeler au ministère presbytéral, ne pas le présenter comme la meilleure part dans le peuple de Dieu et le service des hommes, ce serait méconnaître l’amour du Christ et douter de sa vigilance pastorale pour son Eglise.
Dire cela rapidement comme des convictions fondamentales, c’est rappeler à quel prix l’appel au ministère presbytéral est lié à un authentique sens de l’homme, inséparable du sens de Dieu, et à la reconnaissance de l’amour de Dieu tel qu’il s’est manifesté à l’homme par Jésus-Christ. Dans cette lumière, j’ose dire avec le cardinal Marty : "L’acte 1e plus spirituel d’une vie épiscopale et presbytérale est bien d’appeler des jeunes hommes, de les risquer dans le champ de Dieu sur la terre des hommes, pour qu’ils y rayonnent une lumière qui n’est pas de ce monde".
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Seule une foi bien trempée et bien éclairée peut avoir raison des difficultés qui sèment le doute, engendrent des hésitations.
Car, de fait, il y a des difficultés. Elles viennent du monde sécularisé dans lequel nous vivons, du climat d’incroyance, d’indifférence que nous respirons.
Oser dans ce monde miser toute sa vie sur Dieu requiert, au départ, une rupture, risque de paraître étrange et de faire de celui qui répond à l’appel un étranger. Mais depuis Abraham, l’aventure spirituelle de la foi et du salut de l’homme comporte cette rupture.
Les difficultés viennent aussi d’une manière trop courte et trop humaine de réorganiser les communautés chrétiennes en ce temps où les prêtres se font rares et vieillissent. Le risque existe de prendre son parti de l’absence du prêtre et de s’organiser sans référence à son ministère. Cette référence est structurante pour la communauté et loin de la rendre inutile, les responsabilités mieux partagées et assumées par les baptisés font apparaître l’importance du sacrement du prêtre.
Sans cette référence, la Parole de Dieu qu’ils partagent risque d’être interprétée à l’aune de leurs intérêts, de leurs vues humaines au lieu d’être reçue comme un appel à la conversion. Sans elle, les communautés risquent de s’organiser sans avoir suffisamment conscience de se recevoir du Christ qui les convoque, les sanctifie, et sans vérifier la manière dont elles vivent en communion les unes avec les autres. Sans le prêtre enfin, donné tout entier pour le service de l’Evangile, comment ne pas craindre la fatigue et l’essoufflement dans l’effort qui ne se comprend que dans la gratuité de l’amour ?
Le réveil du peuple de Dieu dont nous sommes témoins doit aller de pair avec la relance de l’appel au ministère presbytéral et à la vie religieuse. Dans le monde où nous vivons, si marqué par le changement, la mobilité, le souci de la joie dans l’instant qui vient, sans projet à long terme, il est difficile pour celui qui est appelé de prendre une décision qui l’engage définitivement. Mais n’avons-nous pas à redécouvrir la durée,. la fidélité non seulement comme un signe d’amour, mais la condition de l’expérience d’un amour vrai.
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Bien conscient des difficultés à dépasser, je travaille donc à promouvoir un climat favorable à l’appel au ministère presbytéral, à l’accompagnement et à la formation de ceux qui sont appelés.
Mon acte d’espérance est d’ailleurs stimulé par les ordinations peu nombreuses, mais significatives, que j’ai eu la grâce de faire depuis plusieurs années. Comment ne pas reconnaître la puissance de l’amour prévenant de Jésus dans le coeur des jeunes de ce temps ? Et tout récemment, mon voyage en Corée m’a permis de découvrir dans l’action de grâce la fécondité d’une Eglise jeune où la responsabilité des baptisés, dont elle porte la marque dès ses origines, n’a jamais occulté le sacrement du prêtre.
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Voici pour finir comment s’exprime, sur le terme de ma vie apostolique, cette préoccupation majeure de l’appel au ministère presbytéral. Il existe évidemment un Service Diocésain des Vocations, mais je rappelle sans cesse que cette dimension doit être inscrite dans la démarche de toute communauté chrétienne, paroisse ou équipe de Mouvement. L’appel à la responsabilité des baptisés et aux différentes formes qu’elle prend doit toujours inclure l’appel au ministère presbytéral, pour le service de l’Eglise universelle.
Je ne fais jamais une visite pastorale d’une communauté sans la faire réfléchir dans l’espérance à l’avenir de la foi et de l’Eglise et à la part qu’elle doit prendre à l’avenir du ministère apostolique.
Depuis deux ou trois ans, j’essaie de multiplier mes contacts avec les jeunes grâce à la coopération des aumôneries d’écoles et de Mouvements, pour les inviter à prendre le relais de l’annonce de l’Evangile dans le monde qui vient.
Et je sens la nécessité d’enraciner tout cet effort dans la prière. Non une prière paresseuse par laquelle on peut se donner à peu de frais, bonne conscience en pareil domaine, mais une prière d’accueil du dessein de Dieu, une prière de disponibilité pour avoir le courage de faire sa volonté, une prière confiante de demande pour en obtenir la grâce. Si les communautés prient davantage de cette manière, les appels de Jésus Christ seront mieux écoutés et mieux suivis. Car, au coeur de nos tâtonnements et de nos recherches, une certitude demeure : Jésus-Christ continue d’appeler. A nous d’être plus attentifs à son passage et à son appel. Il était hier, Il est aujourd’hui, Il sera demain. "Il est capable de sauver de façon définitive eux qui, par Lui, s’avancent vers Dieu, étant toujours vivant pour intercéder en leur faveur." (He 7, 20-25).
* Monseigneur Marius MAZIERS est archevêque de BORDEAUX [ Retour au Texte ]