Eveilleurs et veilleurs aujourd’hui


Jean-Claude HERTZOG *

Invité à témoigner sur la relance de l’appel au presbytérat, je ne risque une réponse qu’à partir de l’expérience limitée qui est la mienne.
Prêtre depuis 22 ans, aumônier dans l’Enseignement Public, puis dans l’Enseignement Catholique, curé et vicaire épiscopal dans le monde rural girondin, j’ai toujours été en contact avec des jeunes et soucieux des vocations. Pendant deux ans (c’était il y a douze ans), j’ai accompagné une équipe de G.F.U. ; depuis huit ans, je participe à l’équipe diocésaine du Service des Vocations et depuis bientôt quatre ans j’ai la charge du Service Régional des Vocations d’Aînés (S.R.V.A.). Là, j’accueille au nom des services Diocésains de la Région, de jeunes hommes de 18 à 35 ans (ou plus) qui se posent la question du sacerdoce ou de la vie religieuse.
Durant une année, pendant cinq week-ends, ils rencontrent d’autres jeunes porteurs de questions semblables, des prêtres, des religieux, pour échanger, partager, s’informer, cheminer et réaliser un premier discernement...
Voilà où s’enracinent mon propos et les quelques convictions et remarques qui suivent.

* * *

LES APPELS EXISTENT

"Au désert Dieu appelle aujourd’hui", je reprends volontiers à mon compte cette parole de Monseigneur Coloni après la session d’lssy. Et cet appel, il nous est confié.
Alors que, pendant des années, je n’ai pratiquement pas reçu de confidences de jeunes au sujet d’une vocation possible, il m’arrive maintenant d’en recevoir directement, sans parler de la vingtaine de jeunes que j’accueille chaque année dans le cadre du Service dont j’ai la charge... Ces appels existent donc. Mais en voyant le caractère imprévisible de certains, les itinéraires souvent peu "classiques", la vie ecclésiale très pauvre et parfois presque inexistante de bien des candidats, je ne peux qu’être persuadé qu’il en existe bien d’autres mais que nous ne savons ni les repérer, ni les rejoindre.

DES SIGNES POUR EN PRENDRE CONSCIENCE

La relance de l’appel est donc opportune et nécessaire. Quelques signes m’invitent à en prendre davantage conscience et me stimulent dans ce travail où l’on fait, de manière privilégiée, l’expérience de la pauvreté.
C’est l’expérience de notre incapacité radicale à nous donner à nous-mêmes les réponses, les moyens, les hommes..., et l’accueil émerveillé du don de Dieu à mettre en oeuvre, à faire fructifier en essayant de rester toujours disponibles à son caractère surprenant et si souvent inattendu.

Voici quelques-uns de ces signes :

  • Le changement de fait et d’atmosphère souligné plus haut et remarqué aussi lors de la session d’lssy.
  • Un certain réveil des communautés chrétiennes qui, en redécouvrant la richesse de la vocation baptismale, retrouvent la place irremplaçable de la vie religieuse et du sacerdoce ministériel, dans la vie du peuple de Dieu.
  • La diminution du nombre de prêtres, de plus en plus sensible sur le terrain, provoque aussi les communautés à des réveils, à des passages au cours desquels l’appel à la vie sacerdotale et religieuse peut retentir et être pris en compte.
  • L’existence bien réelle des candidats au sacerdoce et à la vie religieuse, même s’ils sont peu nombreux.
  • La diversité des origines, des itinéraires, l’âge relativement avancé et la riche expérience humaine, et parfois spirituelle, de certains candidats.
  • Bien des appels sont aussi perçus dans l’enfance, ils semblent disparaître dans l’adolescence ou au seuil de l’âge adulte, puis connaissent une résurgence après parfois une expérience de vie sans grande référence à la foi, à l’Eglise.
    Ils renaissent tandis que d’autres naissent après ou en même temps qu’une véritable conversion.
  • La quête d’un sens de la vie, l’absence de vrais maîtres spirituels, la faillite de pas mal d’idéologies, hier encore séduisantes, la crise même, constituent aussi un désert où il peut y avoir place pour une révélation et pour l’accueil d’appels.
    Mais nous nous heurtons là à un obstacle de taille : l’infirmité de notre langage, la pauvreté et le mauvais fonctionnement de nos circuits, pour rejoindre ces jeunes et ces hommes de bonne volonté qui existent mais qui ne savent ni où, ni comment, ni à qui se manifester.
    Nos tracts, nos affiches, nos propositions, nos discours ne rejoignent pas tous ceux qui les attendent.
  • Je constate aussi que beaucoup d’appels sont perçus et portés longtemps de manière individualiste ; on n’en parle pas avec d’autres chrétiens, dans beaucoup de cas l’accompagnement spirituel est totalement absent ou vécu de manière très ponctuelle, à l’occasion de temps forts et sans aucun suivi.
  • Pourquoi les communautés chrétiennes sont-elles si peu porteuses ? Indifférence, passivité ? Parfois ! On veut un prêtre pour les services cultuels dont on a besoin : c’est un dû et le reste importe peu !
    Mauvaise conception de la vocation : affaire entre Dieu seul et l’intéressé se réglant par quelques révélations de type apparition, ou je ne sais quoi, mais en dehors de l’Eglise et de toute médiation humaine.
    Maladresse et "surchauffe" indiscrète de certains groupes d’Eglise qui, dès qu’un jeune manifeste un projet, l’y enferment, oubliant qu’il s’agit d’un projet à laisser mûrir, d’un appel à discerner qui va se déployer dans le temps et s’adresse a une liberté.
  • Est-il besoin d’ajouter que le témoignage personnel et collectif des prêtres rencontrés n’est pas indifférent : il est appel encourageant.., ou repoussoir.

DES PASSAGES OBLIGES POUR UNE RELANCE

La relance de l’appel au ministère presbytéral ne peut que se situer au coeur d’une relance de l’appel à vivre la vocation baptismale s’adressant à toute l’Eglise.

Elle passe par un appel encourageant à l’espérance et à la conversion des prêtres eux-mêmes. Qu’ils deviennent témoins plus fidèles et plus convaincus d’un sacerdoce ministériel où ils trouvent l’accomplissement de leur être et qui est indispensable à la vie du Peuple de Dieu, sans oublier qu’eux aussi ont besoin du prêtre.

Elle passe par l’utilisation intelligente de tous les moyens d’information dont nous disposons et par la recherche de nouveaux modes de communication. A propos des nouvelles formes de pauvreté, les évêques parlent du nécessaire "maillage" des réseaux de solidarité et de charité. C’est non moins nécessaire pour la question qui nous préoccupe.
L’appel au ministère presbytéral retentira plus clair, plus net et plus largement lorsqu’il sera davantage l’affaire de toute l’Eglise et non celle de quelques spécialistes ; lorsqu’il retentira et sera accueilli dans tous les lieux d’Eglise comme quelque chose de normal et non d’exceptionnel.

PAS SEULEMENT APPELER, MAIS ACCOMPAGNER

Enfin, il ne suffit pas de lancer l’appel, il faut accueillir et accompagner, à tous les âges et à toutes les étapes, ceux qui acceptent d’ouvrir leurs oreilles et leur coeur. L’accompagnement doit être multiforme, adapté, parfois plus soutenu, parfois plus discret mais PERMANENT.
Le S.R.V.A. s’efforce d’être un moyen d’accompagnement à une étape. Comme, au terme d’une année, si certains entrent en formation, si d’autres s’éloignent, d’autres encore ont un projet sérieux mais doivent différer leur entrée en formation pour des raisons familiales, professionnelles ou d’études (une équipe de G.F.Il. n’est hélas pas toujours réalisable).
Pour ne pas laisser ces derniers dans la nature et assurer "une maille supplémentaire", le S.R.V.A. a organisé cette année une série "deuxième cycle" de week-ends de retraite. Cela semble, pour le moment, répondre à un besoin réel.

* * *

Au terme de ces quelques réflexions, j’ajouterai simplement ceci :

Je crois que Dieu appelle aujourd’hui autant d’hommes que l’Eglise et le monde en ont besoin pour SA Mission.

Je crois que Dieu nous confie ces appels à la fois pour les faire retentir mais aussi pour les accueillir, les reconnaître et les assumer en Eglise.

C’est aujourd’hui le temps favorable !

Aujourd’hui, car c’est toujours l’aujourd’hui de Dieu !

Aujourd’hui, car c’est là qu’il compte sur nous ; hier et demain nous échappent, nous ne pouvons qu’assumer l’un et préparer l’autre. Il s’agit pour cela de reconnaître et d’accueillir le don de Dieu aujourd’hui, en étant veilleurs et éveilleurs grâce à une prière plus instante et plus constante, mais grâce aussi à une réflexion et à une action en Eglise plus soutenue et plus concertée.

* Le Père Jean-Claude HERTZOG, vicaire épiscopal au diocèse de Bordeaux, est responsable du Service Régional des Vocations d’Aînés de la Région apostolique du Sud-Ouest. [ Retour au Texte ]