L’Appel à la Vie Religieuse


Michel RONDET *

Nous allons tenter une réflexion théologique sur l’Appel à la vie religieuse.

Quelques remarques préalables.

LA THEOLOGIE N’EST QU’UNE REFLEXION, une conceptualisation de la foi vécue.

Elle est moins riche que cette foi, mais elle permet de prendre conscience de ce qui est vécu et de l’éclairer en référence à la tradition de l’Eglise.

Une théologie de la vie religieuse ne peut donc venir qu’après la vie, en référence à elle. Ce qui permet aussi de comprendre qu’il y ait pu avoir dans l’histoire des théologies différentes de la vie religieuse, liées à des pratiques différentes et surtout à des ecclésiologies différentes. Une ecclésiologie très pyramidale et hiérarchique avait tout naturellement pensé la vie religieuse dans la catégorie des états de vie, comme un état de perfection, distinct de l’état laïc et de l’état clérical.

Si nous ne pouvons plus penser la vie religieuse dans cette catégorie, ce n’est pas parce que nous sommes meilleurs ou plus spirituels que nos prédécesseurs, c’est parce que nous vivons dans une ecclésiologie différente : celle du Peuple de Dieu animé et structuré par la diversité des charismes et des ministères.

J’ajoute encore qu’il y a une certaine difficulté à tenter une théologie de la vie religieuse, car il n’y a pas de vie religieuse en soi, il y a des familles religieuses qui ont chacune leur originalité. Il reste qu’entre elles, l’Eglise a reconnu des éléments communs essentiels, qu’elle a aidés à préciser et qui nous permettent de dégager une vision théologique de la vie religieuse.

Une réflexion théologique sur la vie religieuse ne me parait pas inutile aujourd’hui, pour une raison nouvelle dans le contexte culture qui est le nôtre.

Le brassage des cultures et des religions nous fait prendre conscience aujourd’hui que la vie religieuse n’est pas en elle-même une réalité chrétienne (comme nous l’avions peut-être supposé).

Elle existe dans d’autres contextes. D’autres sagesses religieuses ont donné naissance à des formes de vie qui prétendent bien mettre le divin, l’Absolu, Dieu au centre de la vie et qui pour cela proposent la séparation du monde, l’abstention de relations sexuelles, des pratiques d’ascèse et de méditation destinées à permettre la contemplation de l’absolu ou la fusion avec lui.

Ces formes de vie religieuse existent aujourd’hui à nos portes : il n’est même plus nécessaire d’aller en Inde ou au Japon pour se voir proposer une vie religieuse à l’école d’un lama tibétain ou d’un moine bouddhiste.

D’où le danger d’une confusion :

La vie religieuse dont nous parlons, n’est-elle que la transposition en rite chrétien d’une réalité universelle ?

La question n’est pas sans importance

- car il ne s’agit pas de méconnaître la valeur spirituelle d’expériences religieuses vécues en dehors du christianisme. Mais il ne faut pas non plus gommer l’originalité du christianisme et conclure de la parenté des styles de vie à l’identité des perspectives.

Le Prieur d’une Chartreuse me racontait qu’il avait reçu il y a quelques temps, comme postulant, un homme qui se disait appelé à la vie cartusienne. Il venait de passer trois ans dans un monastère tibétain, trois années de retraite dans le silence absolu, la prière, une ascèse rigoureuse. Il avait ensuite cherché ce qui, dans le christianisme, pouvait correspondre à cette démarche, et jeté son dévolu sur la Chartreuse : tout ce qu’il en avait lu lui paraissait correspondre, et il arrivait persuadé que son long noviciat tibétain l’avait amplement préparé à vivre la vie religieuse des Chartreux... Il n’est pas resté huit jours. Les Chartreux lui ont fait comprendre qu’ils n’étaient pas des cosmonautes de l’absolu, sur-équipés et sur-entraînés pour les aventures spirituelles, mais d’humbles chrétiens qui essayaient de vivre l’Evangile dans le travail, le partage, la solitude la prière.

La vie religieuse (au moins sous certaines formes) et le sacerdoce sont des réalités religieuses universelles, connues du paganisme et d’autres religions, qui ne deviennent évangéliques et chrétiennes que dans une conversion radicale.

Dans le brassage actuel des mentalités et des cultures, nous risquons de nous trouver, même en contexte chrétien, devant des vocations qui seront des vocations plus "religieuses" que chrétiennes. Professeur de séminaire depuis sept ans, je peux témoigner que des jeunes sont arrivés au séminaire avec une vision plus païenne (le paganisme est religieux) que chrétienne du sacerdoce. Ils voulaient être les hommes du sacré et de ses pouvoirs, un peu comme Simon le Magicien dans les Actes des Apôtres. Je ne dis pas qu’ils n’avaient pas une vocation, mais cette vocation avait besoin d’être convertie pour devenir chrétienne et évangélique.

D’où l’importance qu’il y a aujourd’hui à souligner l’originalité de la vie religieuse (et du sacerdoce, mais ce n’est pas ici notre propos) en contexte chrétien.

Je le ferai en m’inspirant d’un document récent de la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers : "Eléments essentiels de l’enseignement de l’Eglise sur la vie religieuse" (Rome 1983).

Les documents de la S.C.R.I.S. n’ont pas toujours rejoint nos sensibilités, je n’en suis que plus heureux de souligner celui-ci qui intègre vraiment tout l’effort d’aggiornamento de la vie religieuse depuis le Concile.

Dans cette perspective, on pourrait dire que la vie religieuse est :

  • Une forme particulière de consécration à Dieu
  • dans une communauté ecclésiale,
  • au service de la mission prophétique de l’Eglise.

1 - UNE FORME PARTICULIERE DE CONSECRATION A DIEU

Le mot consécration a certes ses ambiguïtés, et nous allons y revenir, mais il a l’immense avantage de situer la vocation religieuse au coeur de la vocation chrétienne : le baptême est consécration, l’ordination au ministère est consécration, le mariage, on l’oublie trop souvent, est consécration d’un couple à la construction de cette petite église (ecclesiole disait la tradition), qu’est un foyer chrétien.

Chaque fois qu’on veut préciser ce qui est essentiel dans la vie religieuse on retrouve ce qui est commun à toute vocation chrétienne et c’est bien ainsi. C’est ce qui est le plus profond qui nous rassemble : la consécration à Dieu. Ce qui nous distingue et nous spécifie est de l’ordre des chemins et des moyens, mais l’essentiel se vit toujours à travers des choix particuliers et ceux-ci ne sont pas indifférents.

Le mot consécration a été souvent contesté parce qu’il est peut-être compris, lui aussi, dans une perspective sacrale, plus proche du paganisme que du christianisme : est consacré ce qui est mis à part pour un usage sacré et qui ne peut dès lors retourner à la vie profane sans sacrilège. On parlera en ce sens de lieux sacrés (temples..), d’objets sacrés, de jours consacrés, d’hommes ou de femmes consacrés.

Si nous voulons utiliser ce mot, il nous faut préciser deux points qui sont essentiels :

  • En contexte chrétien, ce qui est saint, ce ne sont pas des lieux, des objets, des jours, des individus particuliers, c’est la vie humaine de Jésus, ses paroles, ses gestes, ses attitudes d’homme parce qu’ils sont vécus pour le Père.
    La sainteté de Dieu n’a pas d’autre visage que celui de cet homme, de sa bonté, de sa tendresse. Ce qui est saint, consacré, ce n’est donc pas ce qui est mis à part du profane pour un usage religieux, c’est le profane quand il est vécu d’une manière évangélique.
  • En contexte chrétien, le verbe consacrer ne peut avoir qu’un sujet : l’Esprit Saint. C’est l’Esprit qui consacre, qui sanctifie et il le fait en ordonnant au Royaume.
    Quand Jésus dit :"pour eux, je me consacre", il évoque la passion dans laquelle il entre, sa vie livrée pour le Père et pour ses frères. Et quand il prie le Père de consacrer ses disciples dans la vérité, c’est aussi à leur mission qu’il pense et à l’Esprit qu’il leur promet pour cette mission.

CONSECRATION donc mais dans une MISSION.

En contexte chrétien, il n’y a pas de consécration à Dieu sans une ordination à l’oeuvre du Père, au Royaume pour lequel a vécu et est mort Jésus, au Royaume que l’Esprit fait grandir dans les coeurs.

C’est dire qu’il n’y a pas pour nous de vie religieuse qui puisse se présenter purement et simplement comme école de spiritualité, pédagogie de la méditation ou de la prière.

C’est dire aussi que ce mot consécration est peut-être celui qui permettrait de sortir d’une problématique contemplation / action, où l’on n’en finit pas d’exalter la priorité ou l’antériorité de l’une sur l’autre.

Plutôt que contemplation / action, qui introduit plus ou moins une dualité entre connaissance et action, entre connaissance et amour, la véritable structure d’une spiritualité chrétienne ne serait-elle pas consécration / action ?

Il n’y a de consécration que dans l’acte libre qui me livre à l’action de l’Esprit : dans la prise en charge de ma vie et de mes solidarités d’homme.

Il n’y a d’agir vrai que celui qui est disponibilité à l’Esprit.

Il - DANS UNE COMMUNAUTE ECCLESIALE

On pourrait dire encore qu’en contexte chrétien, il n’y a pas de consécration individuelle. On est toujours consacré dans un peuple et pour lui.

La vie religieuse est une vie consacrée dans une communauté suscitée par l’Esprit et reconnue par l’Eglise : un groupe évangélique dont l’Eglise a accueilli et authentifié la grâce en lui donnant place et fonction dans l’Eglise.

La consécration religieuse se vit donc dans et par intégration à la communauté, jamais en dehors et indépendamment d’elle.

L’aspect communautaire de nos vies peut être vécu dans des styles très divers. Il n’est jamais secondaire. C’est un des éléments essentiels de la vie religieuse et de son témoignage évangélique. Pas plus que ne serait secondaire le lien de nos congrégations à l’Eglise.

Cette existence de communautés particulières, de vocations particulières peut poser des problèmes.

Elle est essentielle. Elle rappelle à l’Eglise qu’elle est un corps aux membres divers,

qu’elle est une communion de communautés,

qu’en elle la diversité est richesse, fruit de l’Esprit, lorsque cette diversité est vécue dans la charité.

III - AU SERVICE DE LA MISSION PROPHETIOUE DE l’EGLISE

Si la vie religieuse est une vie consacrée.., livrée, offerte à l’action de l’Esprit, dans une communauté, c’est toujours au service de la mission prophétique de l’Eglise.

Toutes les études récentes situent la vie religieuse dans cette mission (cf. Tillard, Metz, Boff).

C’est bien pour annoncer Jésus-Christ, pour rendre l’Evangile vivant qu’Antoine vend ses biens, les partage aux pauvres et va vivre à l’écart une vie de prière et de charité.

C’est bien pour témoigner de Jésus-Christ que l’engagement religieux est, dès le début, un engagement public qui prend l’allure d’une profession de foi au Christ, Chemin, Vérité et Vie, au Royaume, comme trésor unique et perle précieuse.

C’est pour annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume que la vie religieuse s’est peu à peu structurée autour de la triade : pauvreté, charité, obéissance.

Et depuis le Concile un immense effort a été fait pour retrouver le sens prophétique de ces engagements, leur valeur libératrice face aux idolâtries modernes de l’argent, du sexe, du pouvoir.

En disant ceci, je ne veux pas situer la Vie Religieuse dans une exemplarité orgueilleuse, face aux autres chrétiens, comme un modèle achevé de sainteté. Je veux simplement souligner sa place au service d’une Eglise appelée tout entière à être signe de Jésus-Christ dans le monde.

Prophétisme de la vie, de l’existence qui essaie d’incarner l’Evangile au coeur des réalités humaines, a travers des choix de vie signifiants qui font référence à l’absolu du Royaume.

C’est parce que le Royaume est là qu’on partage,

C’est parce que le Royaume est là qu’on choisit de vivre une vie fraternelle,

C’est parce que le Royaume est là qu’on renonce à tout pouvoir, pour n’être que serviteur.

Tout ceci pour aider l’Eglise à vivre sa vocation de signe, de sacrement de Jésus-Christ en ce monde.. Comment ?

En quoi la vie religieuse concourt-elle à édifier l’Eglise comme signe ?

0n pourrait répondre en reprenant les éléments essentiels de la vie religieuse : l’engagement, les voeux, la vie fraternelle.., et en montrant leur valeur signifiante. Cela a été fait souvent ces dernières années (cf. Les livres d’Isaac, de Maréchal, de Boff..), je ne le reprendrai pas.

J’essayerai de prendre le problème par l’autre bout, en partant de l’Eglise, de son histoire, de sa vie, de ses tentations.

En quoi la vie religieuse l’a-t-elle aidée, peut-elle l’aider, à être fidèle à sa vocation ?

1) EN ETANT UN ELEMENT DE LA MEMOIRE EVANGELIQUE DE l’EGLISE.

L’Eglise vit de l’Evangile : en s’en nourrissant, mais aussi en l’actualisant. C’est dans la mesure où elle écrit aujourd’hui l’Evangile qu’elle est fidèle à sa mission. ’ Dans cette actualisation de l’Evangile, nos fondateurs et nos fondatrices, ont joué un rôle important. Ils ont reçu de Dieu une sensibilité évangélique particulière qui leur a permis d’incarner l’Evangile dans l’esprit de leur temps, en consonance avec les besoins spirituels de leur époque. L’Evangile aujourd’hui c’est Jésus et les Douze, mais c’est aussi François, Vincent de Paul, Dominique... Que serait l’Evangile sans eux ?

Leur grâce a été de saisir un visage de l’Evangile en cohérence avec un besoin de leur temps et lui donner vie, de l’incarner dans un mouvement, un groupe, une histoire, pour le bien de toute l’Eglise.

Ils ont ainsi manifesté qu’il n’y avait dans l’Eglise de réforme vraie que par un retour à l’Evangile, lorsqu’on rouvrait l’Evangile dans l’esprit d’une époque et que chaque époque pouvait, ainsi, inventer une lecture féconde et actuelle de l’Evangile.

Mémoire évangélique de l’Eglise, la vie religieuse l’aide à prendre conscience qu’elle a toujours à se réformer et qu’elle ne peut le faire qu’en rouvrant l’Evangile.

Parce qu’elle est nouveauté, surgissement imprévu et imprévisible, la vie religieuse fait apparaître des failles, des manques. Il y a ceci à faire, à manifester, qui n’est pas fait. En ce sens, il est certain que la vie religieuse a, dans l’Eglise, mission, par exemple, de rappeler la sollicitude du Christ pour les pauvres et les petits, les exclus, les marginaux de toute sorte.

Elle l’a fait dans son histoire : ce souci a marqué les fondations religieuses à leurs origines. Il a pu s’estomper. Un grand effort a été fait pour le retrouver.

Il est important qu’il s’incarne aujourd’hui dans le contexte culturel où nous vivons, que nous soyons attentifs aux pauvretés et aux marginalités spécifiques du monde occidental.

En ce sens, la vie religieuse est contestation, mais une contestation qui s’appuie sur ce qui est au coeur de l’Eglise, l’Evangile.

Une contestation qui doit donc se faire reconnaître, accepter, une contestation dont la vocation est de disparaître dans ce qu’elle conteste.

Situation difficile, il ne faut pas avoir peur de l’avouer, marquée par une double tentation :

  • se durcir dans une contestation orgueilleuse et prétendre incarner l’Eglise des purs,
  • se dissoudre tellement dans le visage commun de l’Eglise qu’on n’ait plus rien à lui dire.

Aider l’Eglise à faire mémoire de l’Evangile aujourd’hui, en lui rappelant un visage de l’Evangile celui de notre vocation ne peut pas aller sans tensions pour nous. Tensions à la fois :

  • douloureuses parce qu’elles viendront de l’Eglise que nous voulons servir dans sa vocation,
  • et nécessaires parce que nous ne pouvons pas renoncer à un visage évangélique, le nôtre, qui est pour tous, à travers sa particularité même.

Nous ne serons pour tous qu’en étant nous-mêmes : la mémoire évangélique de l’Eglise a besoin de nos particularités. Or, être pour tous, dans sa singularité même et par elle, ce n’est pas facile.

2/ EN RAPPELANT QUE, POUR l’EGLISE, LE COEUR EST AUX FRONTIERES.

L’Eglise est toujours tentée de se prendre pour sa propre fin, d’investir toutes ses forces dans sa propre croissance, de s’identifier comme la Cité de Dieu au centre du monde, rayonnante et bien défendue.., oubliant que, depuis la Pentecôte, l’Esprit ne la rassemble que pour la disperser, la faire éclater au milieu du monde, comme un ferment qui ira germer partout.

Les charismes sont pour l’Eglise, oui, mais pour une Eglise envoyée, une Eglise qui sait qu’elle a pour fin le Royaume, qu’elle est signe et témoin des promesses messianiques que l’Evangile ouvre à toute l’humanité.

La vie religieuse peut apparaître comme le coeur spirituel de l’Eglise, son noyau évangélique et on a vu parfois des églises locales se construire autour d’une communauté monastique, par exemple.

Pourtant la vie religieuse n’est pas en elle-même une institution intra ecclésiale. Elle est pour le monde avant d’être pour l’Eglise. C’est vrai même du monachisme.

Les premiers monastères ne se sont pas installés au coeur des communautés chrétiennes pour offrir aux fidèles des lieux de prière et de recueillement ; ils se sont installés hors des villes, dans les campagnes encore païennes, aux frontières de l’évangélisation.

Avant d’être témoignage ou école de prière pour les chrétiens, les monastères sont d’abord témoignage et langage pour tous les chercheurs de Dieu, pour les hommes en quête d’absolu, d’où qu’ils viennent. C’est pour eux d’abord qu’ils sont un signe vivant d’une recherche chrétienne de l’absolu.

Pour la vie religieuse apostolique, le souci de ce qui se passe aux frontières est évident : toutes les fondations visent en priorité ceux qui sont en dehors ou ceux qui, à l’intérieur de la chrétienté, sont oubliés et abandonnés : les pauvres, les petits, les inadaptés, les marginaux...

Par sa prière, par ses choix évangéliques, la vie religieuse se situe au coeur de la sainteté de l’Eglise, mais elle le fait d’une manière qui manifeste qu’on ne peut habiter le coeur de l’Eglise qu’en portant le souci constant de ses frontières.

Elle témoigne à sa manière que c’est le même Esprit qui rassemble autour du Christ, de sa parole, de son Eucharistie, et qui disperse au milieu des frères. Elle rappelle que l’Eglise n’est fidèle à l’Esprit que lorsqu’elle accepte et assume ce double mouvement de rassemblement et de dispersion.

Notre vie communautaire le traduit dans ses structures mêmes. Elle est à la fois rassemblement autour du Christ, pour le Christ.., et en même temps nous savons bien que ce rassemblement n’est pas à lui-même sa propre fin, qu’il pourra être remis en cause par les nécessités de la. mission.

Nous avons vocation d’incarner dans l’Eglise un type de spiritualité, un type de communauté qui nous porte continuellement du coeur aux frontières et qui aide l’Eglise à vivre ce mouvement qui lui est essentiel.

3/ EN AIDANT l’EGLISE A VIVRE l’IDENTITE DE l’ETRE ET DE LA MISSION.

L’Eglise à travers chaque chrétien vit une tension constante entre l’être et l’agir ; elle n’est l’épouse du Christ, liée dans l’amour au Christ qu’en vivant sa mission. Elle n’est fidèle à la mission qu’en vivant du coeur du Christ.

On lui reproche tour à tour de se perdre dans les tâches profanes ou d’être infidèle à l’Esprit en restant enfermée au Cénacle.

Il n’est pas facile de vivre cette unité de vie qui resplendit en Jésus. Sa mission c’est de révéler le Père, et il ne peut l’accomplir qu’en étant pleinement ce qu’il est : le Fils.

La vie religieuse est une vie chrétienne qui pousse très loin cette identification de l’être et de la mission. Mon être le plus profond, mon projet le plus personnel, c’est d’essayer de vivre aujourd’hui le charisme apostolique que l’Eglise a reconnu en Ignace de Loyola. Je n’ai pas d’autre mission, je n’ai pas d’identité hors de cette mission.

La vie religieuse consacre dans une communauté pour une mission. Elle rappelle ainsi à tous les chercheurs d’absolu qu’il n’ a de rencontre de Dieu, que si l’on rejoint la passion de Dieu pour l’homme, passion manifestée dans l’Incarnation où Dieu se révèle en se rendant proche. On ne peut donc trouver Dieu que dans l’ouverture à la fraternité des hommes et dans la prise en charge de l’avenir du monde.

Il est important aujourd’hui, face à un certain retour du religieux, de souligner qu’en contexte chrétien une vie qui se veut consacrée à Dieu se doit d’être ouverte à la fraternité des hommes, à la construction d’un avenir de justice et de paix.

Et ici, vie contemplative et vie active, chacune à leur manière, et avec des accents différents, sont essentielles pour porter ce témoignage. Elles se retrouvent pour dire que ce dernier mot de la mystique chrétienne, ce n’est ni contemplation et action, c’est l’amour : amour qui se livre et se donne, qui est connaissance dans le don et l’accueil.

Conclusion

J’ai tenté d’exprimer la vocation religieuse au coeur de la vocation prophétique de l’Eglise. Faire exister l’Eglise comme signe de Jésus-Christ et du Royaume, actualiser la Bonne Nouvelle du Royaume dans l’histoire des hommes...

C’est la vocation, de tout baptisé... oui...

En un sens, la vie religieuse n’ajoute rien au baptême et à la vie chrétienne, elle lui permet de se vivre de manière signifiante, à travers des choix particuliers, qui prennent sens dans la mission commune de l’Eglise.

Elle donne visage dans l’Eglise à des charismes évangéliques au service de tous. La diversité de ces charismes a toujours été un signe de vitalité chrétienne. Et l’Eglise ne peut que se réjouir d’accueillir ces charismes et de les aider à se reconnaître et à se compléter, au service de tous.

Alors, aujourd’hui, demain ; quelles vocations religieuses, pour quelle Eglise ?

Une Eglise craintive, repliée sur elle-même, dans la défense de son héritage et de ses institutions, suscitera des vocations, mais qui risquent fort d’être des vocations "religieuses", plus que des vocations évangéliques.

Une Eglise vivante, en recherche, une Eglise pour le monde, engagée à tous les niveaux dans le dialogue avec la culture contemporaine, verra surgir, là où elle ne les attend pas, des vocations prophétiques et les témoignages entendus hier m’ont, de ce point de vue, rempli d’espérance.

A nous de choisir !

* Le Père Michel RONDET est jésuite, théologien du Centre de La BAUME-lès-AIX [ Retour au Texte ]