Regard sur la Vie Contemplative


Soeur Marie-Chantal BOSC *

La Vie Religieuse Contemplative, il est bon d’en vivre ! mais je me suis aperçue qu’il n’était pas facile d’en parler quand on y est en marche et immergée en plein.., peut-être à cause de sa simplicité, de son entièreté, de sa nudité et parce qu’elle ne dévoile son mystère que progressivement dans la foi.

De tous temps on a été tenté de la considérer comme quelque chose d’intemporel, voire d’anachronique et l’intérêt qu’on lui accorde ressemble fort, parfois, à celui que suscite un monument historique classé... Plus que jamais aujourd’hui, elle apparaît à certains comme une évasion du réel, une fuite par rapport à tout engagement concret face aux difficultés et aux urgences de l’heure.

De plus, cette vocation se présente faite de paradoxes apparents :
contemplation et mission, intériorisation et soif des horizons infinis, solitude et communion, enfouissement et fécondité.,., et on parle beaucoup, aujourd’hui, de sa "visibilité" alors qu’elle est essentiellement "cachée avec le Christ" : son mystère même en fait un signe repérable pour nos contemporains.

Je vais tenter d’esquisser quelques traits caractéristiques de cette forme de vie religieuse.

Je laisse de côté un certain nombre de points, pensant qu’ils auraient été déjà plus ou moins évoqués.

Deux aspects des traits caractéristiques :

- UNE VIE POUR DIEU SEUL

- UNE VIE AU COEUR DE l’APOSTOLAT DE l’EGLISE

I - UNE VIE POUR DIEU SEUL

Ce qui marque d’abord très profondément la Vie Religieuse Contemplative, c’est qu’elle est une vie pour Dieu seul :
"en sorte que les membres (de ses Instituts) vaquent uniquement aux choses de Dieu, dans ia solitude, le silence, dans ia priere assidue et une joyeuse pénitence", dit le décret Perfectae caritatis, n° 7.
Même si les chemins qui mènent à la Vie Contemplative sont très divers, même si un élan missionnaire a été parfois à l’origine de leur vocation,
"... les contemplatifs, le plus souvent ont été saisis par l’absolu de Dieu et par le besoin irrésistible de vivre en communion avec Lui", témoignage de Mère Flavie, présidente du Service Des Moniales, à l’Assemblée des évêques à Lourdes" ; ils ont compris que le Seigneur avait soif d’aimer et méritait qu’ils lui livrent leur vie.

Pour aller à la rencontre du Dieu vivant qui les fascinait, les contemplatifs ont commencé un long exode au désert ; il me semble en effet que cette réalité biblique caractérise très particulièrement la démarche de ceux et celles qui se lancent dans cette aventure.

II - UN EXODE REALISTE

Cet exode, il faudra le vivre avec réalisme. J’en ai relevé quelques aspects :

  • De fortes ruptures de départ
  • Un exode vers l’intérieur
  • Un exode sans échappatoire
  • Un exode soutenu par de substantielles nourritures
  • Un exode communautaire.

DE FORTES RUPTURES DE DEPART

Cet exode est d’abord marqué par de fortes ruptures de départ... Je n’insiste pas.
Ces ruptures il faudra les assumer progressivement et en profondeur Il y faudra du temps.
Elles vont contribuer, pour leur petite part, à creuser dans le coeur de la moniale l’espace où Dieu sera libre d’agir, de transformer toutes ses puissances de connaissance et d’amour.

UN EXODE VERS l’INTERIEUR

Cet exode est un exode vers l’intérieur. Il appelle des conditions extérieures de silence, de solitude, d’austérité, pour mieux entraîner celui qui s’y engage vers la profondeur, vers le lieu silencieux de l’être où peut s’expérimenter la rencontre la plus personnelle avec Dieu et, j’y reviendrai sans doute, vers le lieu où l’homme se découvre le plus relié, le plus solidaire des autres.

UN EXODE SANS ECHAPPATOIRE

Cet exode est aussi sans échappatoire pour éviter la voie étroite du désert. C’est à la fois la grâce et l’épreuve du désert.
Epreuve, car des échappatoires on en cherche toujours subtilement, surtout devant ce qui est ressenti comme perte de soi...

UN EXODE SOUTENU PAR DE SUBSTANTIELLES NOURRITURES

Cette aventure ne pourrait se vivre si elle n’était soutenue par de substantielles nourritures. Dieu est présent, même si c’est dans la nuée.
La manne est donnée chaque jour... Oraison silencieuse, Office divin, Parole de Dieu et surtout Eucharistie.
Et il faudrait ajouter à cette nourriture la présence des soeurs, dont l’aide est souvent aussi intense que discrète.

UN EXODE COMMUNAUTAIRE

En effet, cet exode malgré son caractère très personnel, solitaire, unique pour chacune, est vécu communautairement :
"Le ramassis de gens" embarqués dans cette aventure se métamorphose - ô combien laborieusement ! - dans ce désert, en un vrai peuple de Dieu et fait, peu à peu, l’expérience d’une progressive et intense communion fraternelle. Demandez cela aux soeurs des monastères qu’on est obligé de fermer !

C’est une expérience ecclésiale.

La communauté contemplative rassemble en effet des personnes en marche - elle n’a rien de préfabriqué ! -, des personnes qui ne se sont pas choisies et qui doivent vivre dans une étroite proximité.

Cette communauté de vie, tant désirée par les jeunes, est elle-même l’objet d’un rude combat ; ils s’en aperçoivent très vite et c’est un cap difficile à franchir, parfois une pierre d’achoppement.
Comme le dit Soeur Marie BARON dans son texte sur "Mystère pascal-mystère monastique", en citant Jean VANIER :
"... Il faut passer de ia communauté pour moi, à moi pour la communauté ; nous sommes si facilement, aujourd’hui, des consommateurs de communauté risquant toujours d’en retenir les avantages pour notre profit personnel et écartant (le mieux possible !) les inconvénients pour notre tranquillité".

C’est là que vont se vérifier l’authenticité de la recherche de Dieu et de l’amour qui la sous-tend : à travers l’humble service quotidien, le support mutuel, le frottement avec la réalité de l’autre tel qu’il est, et non pas tel que je le voudrais, se purifie la charité ; c’est là que s’exposent au décapage mes prétentions à être devenue charitable. C’est là le creuset où je perds les illusions que, livrée à moi-même, dans la solitude, je pourrais échafauder ou entretenir subtilement.

Autant que l’oraison, et avec elle, la vie fraternelle m’apprends à découvrir dans mon propre coeur tout ce qui s’y cache d’égocentrisme, de refus, de rivalité, de discorde. Mes soeurs deviennent, souvent à leur insu, les auxiliaires, je dirai inévitables..., avant d’être les auxiliaires bénies (!) de l’action de Dieu, une action vécue de nuit, mais une action efficace. J’expérimente à travers elles la patience, la miséricorde, le pardon de Dieu.

La communauté devient lieu et signe de réconciliation

La vie communautaire me fait faire l’expérience de l’unité du double commandement évangélique de l’amour de Dieu et du prochain. Elle me renvoie
constamment à la prière où j’apprends à me recevoir de Dieu et à en recevoir ma communauté, la prière me livre à mon tour à la vie communautaire où grandit la communion entre soeurs, tout en m’ouvrant à une communion plus large, à l’Eglise.

La communauté, rassemblée et enracinée dans la prière, devient lieu et signe de communion.

III - UNE VIE AU COEUR DE l’APOSTOLAT de l’EGLISE

Je voudrais, maintenant, envisager un autre aspect de la Vie Religieuse Contemplative qui est, au fond, un fruit du premier :
Parce qu’elle tend à être une vie pour Dieu seul, la Vie Contemplative prétend être au coeur de l’apostolat de l’Eglise. La conviction profonde des contemplatifs est que : "... leur vie contemplative est leur premier et fondamental apostolat, parce que selon un dessein spécial de Dieu, c’est leur mode typique et caractéristique d’être d’Eglise, de vivre dans l’Eglise, de réaiiser la communion avec l’Eglise, d’accomplir une mission dans l’Eglise" (Document sur la dimension contemplative de la Vie Religieuse).

Je vais essayer de montrer trois facettes de cet apostolat de la Vie Contemplative :

  • Au coeur du combat de la foi :
    Une manière spéciale de vivre le mystère pascal.
  • Au coeur du mystère du salut :
    Une vocation d’intercession.
  • Au coeur du peuple que Dieu s’est acquis :
    Une vocation de louange.

AU COEUR DU COMBAT DE LA FOI... UNE MANIERE SPECIALE DE VIVRE LE MYSTERE PASCAL

Je cite un passage du témoignage de Mère Flavie, à l’Assemblée de l’épiscopat, à Lourdes :
"... en entrant dans la solitude et ie silence pour chercher Dieu, le contemplatif découvre l’âpreté du combat du coeur, le seul qui lui reste. N’ayant plus aucune échappatoire, il fait l’expérience de son aliénation profonde et de son péché, de son immense besoin de Dieu et de sa miséricorde.
Il se trouve à l’avant-garde du combat que mène l’Eglise contre les puissances du mal. Les puissances du mal, il les découvre dans son propre coeur. Et c’est là, dans la solitude et dans son propre coeur qu’il devient frère des hommes et de l’humanité pécheresse.
Cette solidarité peut aller très loin, devenir lutte et agonie, combat de la foi car
,"aussi curieux que cela puisse paraître, avant d’être expert en choses de Dieu, le moine, le contemplatif est expert en athéisme, il se retrouve fraternellement avec ceux qui doutent’, (Dom Louf) ; - et j’ajouterai avec Ste Thérèse de l’Enfant Jésus : "assis à ia table des pécheurs"- Ce Dieu pour lequel les contemplatifs ont tout quitté, Celui à qui ils ont consacré toute leur existence, ce Dieu qui se dérobe, disparaît, semble absent... C’est probablement quand il s’enfonce dans ce mystère de ténèbres, lorsqu’il se rapproche ainsi de ses frères incroyants, que le contemplatif accomplit sa mission dans l’Eglise".

Si le contemplatif n’arpente pas les routes avec le Christ pour prêcher le Royaume de Dieu, si il ne travaille pas au coude-à-coude sur les chantiers du monde, il s’enfonce avec Lui dans la longue veille du Jardin des Oliviers et la nuit du Golgotha, il apprend par ses souffrances ce que c’est qu’obéir, il s’offre avec Lui, pour Lui être, comme le disait sueur Elisabeth de la Trinité " une humanité de surcroît où iI renouvelle tout son mystère" de mort et de résurrection.
Au milieu des drames de ce monde, avec l’Église, il annonce la mort et la résurrection du Christ jusqu’à ce qu’il vienne.

AU COEUR DU MYSTERE DU SALUT... UNE VOCATION D ’INTERCESSION

De cette solidarité avec l’homme pécheur,
de cette rencontre vivante avec Jésus-Sauveur,
naît et se développe une vocation d’intercession.

Ce n’est pas une fonction plaquée sur sa vie de prière, comme si il fallait lui donner quelque chose à faire, lui donner des raisons de prier. Non. C’est un être-avec, en Eglise. L’intercession jaillit d’une blessure...
"Prier pour les hommes c’est donner du sang de son coeur", disait Siloine (moine du mont Athos).

La prière du contemplatif devient le cri des hommes, le cri du Corps du Christ, sa voix qui implore... Elle débouche dans la prière de toute l’Eglise et la prière de I’Office devient de plus en plus cela.

AU COEUR DU PEUPLE QUE DIEU S’EST ACQUIS... UNE VOCATION DE LOUANGE

En livrant sa vie avec le Christ, le contemplatif devient Eucharistie avec Lui. De son être de pécheur grâcié peut jaillir le cantique des rachetés, celui de l’Eglise. Il devient une voix qui chante les miséricordes du Seigneur dans l’émerveillement de son mystère. Combien de vieilles moniales pourraient illustrer ce que je dis !

Oui, ce n’est qu’au terme d’un long chemin, un long chemin obscur, d’humilité, d’enfouissement, mais aussi de paix, de simplification et de dilatation, que, livré à l’action de Dieu, le contemplatif entre vraiment dans ce mystère de salut du monde avec le Christ et avec l’Eglise et qu’il
devient apte à réaliser sa vocation.

"Si ie grain de blé ne meurt, ii reste seul. Mais s’ii meurt, il porte beaucoup de fruit".

Je ne voudrais pas terminer ce regard très limité sur la Vie Religieuse Contemplative sans évoquer simplement, et vous le comprendrez sans peine la place toute particulière de Marie pour ceux qui s’engagent dans cette voie.

* Soeur Marie-Chantal BOSC, carmélite - Monastère de Montpellier [ Retour au Texte ]